Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'apport de la construction européenne et notamment de la Constitution européenne à l'amélioration de la condition féminine, à Paris le 27 avril 2005.

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Circonstance : Ouverture du colloque du Conseil national des femmes françaises, "L'Europe, le Traité constitutionnel et les femmes", à Paris le 27 avril 2005

Texte intégral

Madame la Présidente,
Madame la Vice-Présidente de l'Assemblée nationale,
Mesdames, Messieurs,
Chers ami(e)s
Madame la Présidente, Chère Françoise Delamour, je vous remercie infiniment de m'avoir invitée à ouvrir cette session de votre colloque sur "l'Europe, le traité constitutionnel et les femmes". Les hasards du calendrier vous ont fait placer cette rencontre à un mois quasiment jour pour jour d'une échéance et d'un vote essentiels pour notre avenir européen : essentiel pour nous les femmes bien sûr, mais aussi pour nous tous Français.
Je salue les présidentes ou représentantes des associations féminines qui se trouvent ici réunies : je connais votre mobilisation et la conviction profonde qui est la vôtre. Vos associations ont soutenu avec ardeur, et quelquefois fois passion, les conventionnels qui ont oeuvré pour renforcer et garantir l'égalité entre les femmes et les hommes dans le traité constitutionnel.
On me dit que les femmes en politique ont un ton différent, qu'elles sont sereines pour développer les arguments de raison et s'engager avec enthousiasme et passion.
Je peux vous parler comme scientifique, médecin, ministre de la Recherche ou des Affaires européennes, et vous assurer que mon engagement de chaque instant a été total et sincère. Je me suis engagée en politique pour porter un message, un élan, une ambition.
Je vous citerais volontiers quelques exemples de mon engagement :
J'ai par exemple oeuvré pour que l'Europe s'investisse encore davantage dans la politique de recherche :
- en approfondissant l'Espace européen de la Recherche,
- en élevant au rang de ses objectifs la promotion du progrès scientifique et technique,
- en ajoutant une compétence spatiale partagée afin que l'Union consolide son autonomie pour réaliser des applications civiles mais aussi de défense et de sécurité, au service de ses politiques.
Pour ce qui concerne la place des femmes dans l'Europe de la Recherche, nous sommes bien sûr loin de l'égalité dans les faits mais nous sommes tous mobilisés pour tendre à l'égalité des chances et je vous citerais volontiers un extrait des conclusions du dernier Conseil Compétitivité qui s'est tenu le 18 avril dernier :
- "en s'attachant à supprimer toute discrimination et tout désavantage à l'encontre des chercheuses, notamment en liaison avec la maternité et à promouvoir l'égalité entre hommes et femmes dans le monde scientifique grâce à des programmes nationaux et européens et accroître la participation des femmes à la recherche scientifique et industrielle dans les Etats membres".
Je ne vous étonnerai pas en mentionnant aujourd'hui le 1er vol d'essai de l'Airbus A380, qui vient il y a quelques instants de se poser brillamment sur la piste de Blagnac. Nous tous citoyens européens, nous pouvons être fiers et émus de cette réussite que nous devons à l'Europe. L'Europe dispose du poids scientifique, économique et politique sans lequel de grands projets comme Ariane, le CERN et demain Galiléo et ITER n'auraient pu connaître le jour. L'Europe est une formidable promesse tenue depuis 50 ans ! Elle est porteuse de projets et de confiance en l'avenir.
Car c'est bien cela qui se joue aujourd'hui dans notre pays : l'avenir de l'Europe. Le 29 mai, les Français vont devoir se prononcer, non pas sur un traité européen de plus, mais sur la Constitution européenne. Cette Constitution, c'est à la fois cinquante ans de construction européenne repris en un seul traité, et un nouveau contrat entre les peuples européens pour bâtir ensemble l'Europe de demain. Bizarrement, le débat français s'est focalisé pour le moment sur l'Europe d'hier, dont certains voudraient faire le procès. A ceux-là qui, pour les besoins d'une campagne politicienne, voudraient faire de l'Union le bouc émissaire de tous nos maux, nous devons rappeler sans cesse ce que nous serions sans l'Union, et ce que serait le monde sans l'Union. Sans le grand marché européen nous ne serions pas la quatrième puissance commerciale du monde. Sans la politique agricole commune nous ne serions pas la première agriculture européenne. Sans la puissance de négociation de l'Union européenne à l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) il ne resterait rien de notre exception culturelle. Et que dire de la protection de l'environnement, du protocole de Kyoto par exemple, qui ne serait encore qu'un projet si l'Union ne s'était pas battue pour le faire appliquer.
Il est devenu à la mode de décrire l'Europe comme une machine inhumaine, bonne à fabriquer des marchandises et de la compétition entre les hommes. Comme nous avons la mémoire courte ! Les Français sont fiers de leur modèle social, et ils ont raison. Mais ils oublient trop facilement qu'ils doivent à l'Europe certaines de nos avancées sociales les plus remarquables. L'égalité entre les femmes et les hommes en fait partie.
Le président de la République a dit un jour que "le degré de civilisation d'une société se mesure d'abord à la place qu'y occupent les femmes".
Depuis le Traité de Rome en 1957 un travail tenace et durable a été entrepris pour améliorer les conditions des femmes en Europe. L'égalité entre les hommes et les femmes est inscrite dans les traités communautaires et l'Union dispose d'un vaste arsenal législatif pour la faire respecter. Ainsi s'élabore progressivement un modèle européen qui pousse les Etats à favoriser l'égalité entre les sexes et à développer des sociétés plus ouvertes et plus modernes.
Les directives contraignent l'ensemble des Etats membres à progresser vers un objectif d'égalité concrète. Quelques exemples :
- 1975 : directive sur l'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et féminins,
- 1986 : directive pour l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris agricole, ainsi que sur la protection de la maternité,
- 1996 : directive qui accorde aux travailleurs, hommes ou femmes un congé parental de 3 mois après la naissance ou l'adoption d'un enfant, afin de mieux concilier la vie familiale et la vie professionnelle,
- 2004 : égalité de traitement dans l'accès aux services dans d'autres domaines que l'emploi.
Le programme d'action communautaire se poursuit. Le premier programme DAPHNE (2001-2005), ouvert aussi aux nouveaux Etats membres, a insisté tout particulièrement sur la nécessité de modifier les comportements, les attitudes, les normes, les valeurs. DAPHNE II (2004-2008) consacre 41 millions d'euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, aux enfants et aux jeunes.
Lors de la révision récente de la stratégie de Lisbonne il est apparu clairement que les politiques d'égalité entre les femmes et les hommes étaient aussi bien des instruments de cohésion sociale que de croissance économique.
Plus récemment, à l'initiative de la France, le dernier Conseil européen a lancé le Pacte européen pour la Jeunesse. Ce Pacte aura une forte résonance pour les femmes car il doit promouvoir la "réconciliation de la vie familiale et professionnelle", particulièrement en élargissant le réseau de gardes d'enfants et en développant des formes novatrices de l'organisation du travail, et ceci en ciblant aussi bien les hommes que les femmes.
Beaucoup reste à faire pour assurer aux femmes un statut identique à celui des hommes dans la société. Mais nous possédons les instruments. C'est pourquoi la Constitution européenne fait de l'égalité hommes-femmes un objectif central de l'action de l'Union. Elle consacre ces décennies de politique volontariste.
Oui l'Europe a uvré pour les femmes ! L'Europe est une alliée pour les femmes car elle permet aussi de faire évoluer les politiques nationales.
La Constitution fait de l'égalité entre les hommes et les femmes l'une des valeurs de l'Union ; elle figure dans l'article I-2 en tant qu'expression particulière de "l'égalité", à côté de le non-discrimination, et d'autres valeurs fondamentales, au même titre que le pluralisme, la solidarité, la tolérance, la justice. C'est un droit fondamental que les Etats membres et les Institutions doivent respecter, promouvoir et garantir. Les Etats membres qui ne respectent pas cette valeur sont passibles de graves sanctions - article I-59 - et aucun Etat européen ne peut demander à être admis dans l'Union s'il ne prouve pas qu'il la respecte en droit et en pratique - article I-58.
Les valeurs de l'Union deviennent une référence pour une mondialisation plus humanisée : L'Europe unie pourra faire valoir ses principes d'action plus facilement dans le monde. Voilà pourquoi le reste du monde regarde les Européennes avec envie !
Porteuse de valeurs et de droits la Constitution européenne l'est d'autant plus qu'elle incorpore la Charte des droits fondamentaux en tant que partie de l'acquis communautaire et par là même, outre les droits politiques, sociaux, les droits de l'enfant - article II-84 - les droits dits de "nouvelle génération" comme la bioéthique, l'environnement seront ainsi mieux protégés. Le droit fondamental de l'égalité réelle entre femmes et hommes - article 23 de la Charte - devient l'article II-86 de la Constitution.
Ainsi l'Europe apporte aux femmes au quotidien, la paix, la sécurité intérieure, une politique de sécurité sanitaire, la protection de l'environnement, des normes de sécurité pour les produits de grande consommation
Le Parlement européen comporte en son sein depuis 1979 une Commission des droits de la femme qui a élaboré de nombreux rapports durant la législature 1999-2004. Le Parlement élu en 2004 place la France en 4è position (43,5%) par le nombre de ses députés femmes, 34 députées sur 78 sièges attribués à la France, chiffre curieusement bien meilleur que celui de notre Assemblée nationale qui ne comporte que 12% de femmes. Gageons que nos députées européennes françaises sauront profiter des avancées du traité et continuer le dialogue permanent avec les représentantes des parlements nationaux.
La Commission a, elle aussi, pris la mesure de la force que représentent les femmes : 8 femmes dans le collège des commissaires !
Le 8 mars de cette année, le commissaire aux Affaires sociales et à l'Egalité des chances, Vladimir Spidla disait ceci :
"Alors que la compétitivité de l'Europe est en cause alors qu'il faut faire preuve de créativité et d'innovation, il faut donner aux femmes la possibilité de mettre en avant leur imagination et leur créativité".
Ce même jour, José Manuel Barroso annonçait la création d'un Institut pour l'Egalité des Genres qui devrait en particulier "faire évoluer nos consciences" en précisant que "le "mainstreaming" était notre modèle européen de société et que la Commission allait continuer à consolider cette idée".
Dans ce combat, votre rôle à vous, société civile, militantes convaincues de l'Europe, votre rôle donc est primordial. Vous êtes à la fois les phares et les gardiennes et parce que vous n'êtes pas les otages du jeu politicien, parce que vous êtes à l'écoute quotidienne de nos concitoyen(ne)s, que vous partagez avec eux (elles) leurs préoccupations professionnelles, confessionnelles, familiales, votre voix pourra être entendue parce que les femmes sont à la fois attentives aux avancées concrètes du quotidien, mais elles sont aussi les vecteurs du progrès et les passeurs d'espérance.
"Nous n'avons que le choix entre les changements dans lesquels nous serons entraînés et ceux que nous aurons su vouloir et accomplir" : c'est ce que disait Jean Monnet, qui ne connaissait pas encore la mondialisation. Cinquante et un an plus tard, l'enjeu n'a pas changé. Mais entre temps l'Europe s'est construite et le monde entier nous l'envie. Ne la laissons pas continuer sans nous. Ne la laissez pas continuer sans vous. L'Europe et la France ont besoin de vous. Il faut choisir le sens de l'histoire.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mai 2005)