Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la réforme des institutions et l'élargissement de l'Union européenne, le projet de Charte des droits fondamentaux et la présidence française, Paris le 9 février 2000.

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Circonstance : Dîner offert en l'honneur des Associations à vocation européenne, Paris le 9 février 2000

Texte intégral

La France face aux enjeux européens en l'an 2000
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir ce soir au Quai d'Orsay, à l'occasion de cette rencontre amicale avec les responsables d'associations à vocation européenne, et au-delà. En effet, j'ai souhaité également convier à cette soirée les animateurs d'associations dont l'action intègre une dimension européenne. Ils sont de plus en plus nombreux, ce qui n'est pas étonnant car, nous le savons bien, la construction européenne imprègne de plus en plus la vie quotidienne de nos concitoyens dans l'ensemble de ses dimensions.
Depuis mon arrivée à ce ministère, j'ai toujours tenu à maintenir le dialogue le plus régulier possible avec vous. J'ai reçu à plusieurs reprises de nombreux représentants d'associations qui réfléchissent à l'avenir de l'Europe ainsi que des organisations qui interviennent directement sur le terrain dans le cadre de programmes cofinancés par l'Union européenne et par nous. C'est donc tout naturellement que j'ai souhaité, à l'aube d'une année non seulement symbolique, mais aussi décisive pour la France en Europe, vous recevoir à nouveau, afin de poursuivre cet indispensable dialogue avec ceux qui, chaque jour, partout dans notre pays, font vivre l'idée européenne.
Je ne veux pas retarder indûment notre dîner, et au contraire, je souhaite laisser la plus grande place à la discussion que nous aurons tout à l'heure. Je voudrais donc brièvement tracer quelques unes des grandes orientations qui guideront l'action européenne de la France en cette année, alors que nous faisons face à des échéances importantes, avec, au premier rang, la présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er juillet 2000.
En effet, même si l'expression est souvent galvaudée, je suis convaincu que l'Europe, cinquante ans après son acte de naissance - la déclaration Schuman, signée le 9 mai 1950 dans ces lieux mêmes -, est à un tournant de son évolution. L'ambition initiale de ses pères fondateurs - établir une paix durable en Europe en établissant entre nos pays une Communauté de destins et, pour commencer, une union économique- a connu une sorte de consécration avec l'avènement de la monnaie unique, qui vient parachever le processus d'intégration entamé dans les années cinquante.
Dans le même temps, cet aboutissement nous oblige à nous demander ce que doit être la phase suivante de la construction européenne, alors même que nous apercevons bien - et nos concitoyens se sont chargés avec éloquence, avec cruauté, par leur abstention, de nous le rappeler lors des élections européennes de l'année dernière- les insuffisances et les manques de l'édifice européen actuel.
De plus, la fin de la division artificielle et douloureuse de notre Continent a rendu possible, pour la première fois, l'ambition longtemps considérée comme utopique d'un continent européen réunifié, démocratique et en paix, mais a également rendu encore plus indispensable une réflexion sur la raison d'être de l'aventure européenne, sur les ressorts nécessaires au fonctionnement harmonieux d'une Union européenne de plus de trente membres.
Nous n'apporterons pas des réponses à toutes ces questions cette année, bien sûr, mais il se trouve que la concordance de la présidence française de l'Union et de plusieurs échéances capitales, dont celle de la réforme des institutions, vont faire de cette année 2000 un moment de vérité pour les Européens.
Je voudrais ce soir mettre plus particulièrement l'accent sur deux aspects essentiels de ce moment de vérité, qui concernent, d'une part, la marche vers l'Europe élargie et réunifiée, en évoquant bien sûr la réforme des institutions et, d'autre part, la nécessaire avancée - à laquelle je sais que vous êtes particulièrement attentifs- vers l'Europe citoyenne.
1/ En premier lieu, nous entamons cette année une étape décisive de la marche vers l'Europe réunifiée de demain, avec la nécessaire réforme des institutions.
Nous pouvons tous le constater, dans vos responsabilités comme dans les miennes, il est impératif de réformer les institutions européennes, dans le sens de l'efficacité, de la transparence, de la simplicité, de la démocratie. Cela aurait été nécessaire dans une Union demeurant à Quinze. Ce sera tout simplement vital pour un ensemble qui va s'élargir au cours des prochaines années jusqu'à atteindre probablement une trentaine de membres. Je le dis brutalement : l'élargissement sans une bonne réforme des institutions signifierait la fin de l'aventure européenne. Sommes-nous prêts à tirer un trait sur 50 ans d'acquis, à ravaler l'ambition qui n'a cessé d'inspirer nos efforts ? Je ne le pense pas et je sais que vous ne le pensez pas non plus.
Nous mesurons donc pleinement notre responsabilité. Vous le savez, la Conférence intergouvernementale, chargée de mener ces réformes, va être lancée dans les tout prochains jours, lundi prochain 14 février. Elle devrait aboutir, nous l'espérons, à la fin de cette année.
Il s'agit de régler trois questions principales : l'extension du champ du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, au lieu de l'unanimité - c'est pour moi la question majeure -, la révision de la pondération des voix entre Etats, c'est-à-dire une meilleure prise en compte du poids réel des Etats les uns par rapport aux autres, et le resserrement de l'effectif de la Commission européenne.
Ce sont là trois aspects qui nous permettront d'améliorer considérablement le fonctionnement de l'Union, comme cela n'a jamais été fait depuis le début de la construction européenne. C'est pour cela que, pour ma part, je considère comme malhonnête intellectuellement de parler d'une "petite" CIG, si nous réussissons à résoudre ces trois questions.
Nous traiterons également le maximum de questions annexes et nous examinerons aussi la possibilité d'assouplir le mécanisme des coopérations renforcées, qui sera fondamental dans l'Europe élargie, j'y reviendrai.
Nous sommes à la fois ambitieux et réalistes. A trop vouloir charger la barque
- certains en ont encore le souhait -, le danger serait de s'interdire simplement d'aboutir à un accord avant plusieurs années, et l'on retarderait donc considérablement les premières adhésions et l'élargissement. En tout cas, la présidence française consacrera toute son énergie au succès de cette négociation décisive et prioritaire.
Bien sûr, cette réforme n'est qu'un élément du défi considérable qui attend l'Union au cours des prochaines années, celui d'une Europe réunifiée.
Je le dis souvent, la perspective de la réunification pacifique et démocratique de notre continent est notre devoir historique majeur. Nous devons dire clairement que, non seulement la participation des pays d'Europe centrale et orientale à la construction européenne n'est pas un obstacle, mais qu'elle est bien une condition de sa réussite complète et durable.
Les causes de la division du continent ayant disparu, ces pays ont pleinement vocation à rejoindre l'Union. Le cur de l'Europe bat autant à Prague, à Varsovie ou à Budapest qu'à Paris ou à Berlin. C'est une évidence historique, géographique, culturelle et politique. La réalité politique de l'Europe coïncidera ainsi avec sa réalité géographique. La paix sur le continent, la démocratie, la prospérité économique et la cohésion sociale - ces objectifs profonds de la construction européenne- pourront plus certainement s'implanter et se consolider sur l'ensemble du continent.
C'est pourquoi nous nous sommes réjouis que, lors du Conseil européen d'Helsinki, en décembre dernier, six nouveaux candidats aient été admis à la table de négociation, et que le statut officiel de candidat ait été reconnu à la Turquie. Cette décision - c'est le pari que nous avons fait- doit aider ce pays à progresser vers la modernité et, d'abord, vers l'Etat de droit et la démocratie. Et je souhaite dire avec force que, pour moi, la question religieuse, qui existe, ne saurait être brandie pour exclure certains pays de l'aventure européenne. L'Europe a une histoire, une réalité plurireligieuse depuis des siècles. Vouloir l'ignorer n'aurait aucun sens. Ce serait vouloir amputer notre identité d'une de ses composantes déterminantes. Ce serait appauvrir, sans aucun doute, l'Europe.
Pour revenir à cette perspective de la réunification de l'Europe, la responsabilité de la France, au second semestre, sera simple : il s'agit de ne pas perdre l'élan ainsi apparu à Helsinki. Les négociations doivent être poursuivies avec sérieux mais aussi avec énergie, avec volonté, avec l'esprit ouvert et créatif.
Surtout, je tiens à ce que, plus qu'aujourd'hui, nous sachions utiliser toutes les possibilités de forums qui associent dès à présent les pays candidats. Nous devons commencer à acquérir les réflexes de la grande famille européenne de demain. Je pense en particulier à la Conférence européenne, dont tout le potentiel n'a pas été exploité jusqu'à présent.
Au-delà des élargissements en cours, nous devons bien sûr commencer la réflexion sur les contours de l'Europe des prochaines décennies, celle qui comptera plus de trente membres. Là, votre rôle sera d'ailleurs tout à fait essentiel pour alimenter ce travail nécessaire et difficile de prospective et je sais que vous vous y êtes déjà engagés.
En un mot, deux problématiques principales devront être abordées. Tout d'abord celle des frontières, que la question de la Turquie met en lumière. Sans entrer dans le détail, je suis convaincu que nos concitoyens ne pourront pas se sentir à l'aise dans un espace mouvant, en perpétuelle expansion. Il faudra donc aborder ce sujet, sans précipitation, bien sûr, hors de toute dramatisation, mais avec sérieux et sérénité, qu'il s'agisse des Balkans ou de la frontière orientale de l'Union. Avec la Turquie, nous avons déjà commencé.
En deuxième lieu, la réflexion devra se porter sur les structures de cette future Europe à trente, qui lui permettent de gérer son nombre et sa diversité, faute de quoi elle s'enliserait pour ne plus laisser subsister qu'une sorte d'union douanière assortie peut-être de quelques modestes ambitions politiques.
J'ai évoqué les réformes institutionnelles. Il est clair qu'il faudra aller plus loin pour organiser l'Europe, je n'ose pas dire plurielle, c'est connoté, mais cette Europe diverse, où tous ne pourront pas suivre les mêmes politiques au même moment et à la même vitesse. Des études et des rapports existent déjà, auxquels plusieurs d'entre vous ont collaboré. A ce stade, il me paraît que la diversité n'est pas antinomique de la construction européenne. Il n'y a pas à choisir entre élargissement et approfondissement. Il faut faire les deux d'un même pas. En ce sens, plutôt que d'affirmer que nous ne pourrons pas avoir à 30 les mêmes ambitions qu'à 15, je préfère dire que nous ne pourrons pas tous poursuivre les mêmes ambitions au même rythme, mais que notre objectif devra être de permettre aux Etats membres les plus volontaires - c'est la thèse de l'avant-garde - de montrer le chemin avec la même énergie qu'au cours des décennies précédentes, sans remettre en cause l'acquis communautaire.
Le Traité d'Amsterdam a introduit le système des "coopérations renforcées " Il faut assouplir leur fonctionnement pour qu'il soit mieux praticable et qu'il nous permette d'avancer, tout en préservant l'essentiel de ce qui a été bâti depuis cinquante ans. En d'autres termes, cela signifie concilier l'intangibilité des principes fondateurs de l'Union - il ne s'agira pas d'une Europe à la carte, car aucun pays ne doit croire qu'il n'entre que dans un ensemble à vocation commerciale sans idéaux et engagements politiques -, mais aussi la souplesse du dispositif.
2/ J'en viens maintenant au deuxième moment de vérité, que l'actualité met particulièrement en lumière, celui de l'Europe citoyenne, l'Europe de nos valeurs.
Je l'ai dit en commençant, l'Europe a réussi sur le plan économique, elle est en train de réussir sur le plan monétaire. Elle progresse sur le plan politique et même, désormais, militaire. Mais il lui reste encore beaucoup à faire pour conquérir le cur de ses habitants, pour montrer qu'elle n'est pas uniquement un brillant "mécano" et complexe mais qu'elle peut répondre aux préoccupations à la fois premières et quotidiennes de nos concitoyens.
Cela recouvre selon moi deux dimensions, celle des valeurs et celles du concret.
L'Europe des valeurs, c'est une Europe qui porte haut son idéal de démocratie et de progrès social, qui fonde notre histoire et notre identité communes. L'Union européenne est d'abord et avant tout une communauté de valeurs, fondée sur une exigence démocratique, les Droits de l'Homme, le respect de l'autre. Elle ne saurait se résumer à un grand marché ou à une communauté d'intérêts. C'est pour cette raison que nous avons réagi de façon aussi claire et ferme à l'arrivée au pouvoir, dans un Etat membre - l'Autriche -, d'une coalition comprenant un parti dont les orientations et le discours sont aux antipodes des valeurs qui nous rassemblent. N'oublions pas que notre pacte fondateur est directement né des traumatismes et des fracas de la seconde guerre mondiale. Dans ces circonstances inédites et difficiles - dans lesquelles nous ne devons, à notre tour, faire preuve d'aucune vision caricaturale du peuple autrichien -, la communauté démocratique des Européens vient en tout cas de donner une belle preuve, peut-être la première de façon éclatante, de son existence et de sa raison d'être qui est aussi et d'abord politique. Je vois dans ces événements à la fois la marque encourageante qu'un espace politique européen se forge, mais aussi le signe douloureux que nos acquis sont plus fragiles qu'on ne le croit. Le drame du Kosovo, hier, la situation en Autriche, dans un autre ordre d'idées, aujourd'hui, sont là pour nous le rappeler.
L'Europe du XXIème siècle ne peut tolérer l'Europe de M. Haider, celle d'un parti où l'on admire le troisième Reich et où l'on considère les SS comme des gens respectables, d'un parti qui tient un discours xénophobe. Il fallait le dire. Il faut maintenant en tirer toutes les conséquences, en considérant qu'un gouvernement pas comme les autres ne saurait être traité comme les autres. Nous devons être au cur de cette Europe de la vigilance anti-extrêmiste.
C'est avec cette même volonté de consacrer les valeurs de l'Europe que nous avons entrepris d'élaborer une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Son objet sera de redéfinir les droits fondamentaux du citoyen européen du XXIème siècle, c'est-à-dire de confirmer ses libertés et droits qui figurent déjà dans divers textes, mais aussi - et ce sera l'apport essentiel de cette Charte- d'inscrire de nouveaux droits sociaux, comme le droit à la santé, à l'éducation, au logement, à un revenu minimum, etc...
Le comité chargé de la rédaction de cette Charte, qui réunit représentants des gouvernements, - je salue au passage Guy Braibant, le représentant du président de la République et du Premier ministre -, des parlements nationaux et du Parlement européen a commencé ses travaux en décembre dernier. Nous espérons bien qu'il pourra aboutir d'ici la fin de l'année. Nous pourrons ainsi contribuer à rapprocher le citoyen de l'Union.
J'ajoute même que la crise autrichienne, me semble-t-il, vient renforcer l'urgence de la Charte et peut-être lui donner quelques indications sur ce qu'elle doit dire sur le terrain des valeurs.
L'autre face de cette Europe citoyenne, c'est l'Europe du concret, qui répond aux préoccupations quotidiennes de ses habitants, qui fait la preuve, en quelque sorte, de sa valeur ajoutée par rapport aux politiques nationales.
Je ne citerai qu'un exemple, nous pourrons en évoquer d'autres pendant notre discussion, celui de l'éducation, de la formation et de la recherche. Nous souhaitons jeter les bases d'une Europe du savoir, d'un espace européen de la connaissance et de l'innovation. Car plus que jamais, le XXIème siècle sera celui de l'intelligence. Nous devons offrir toutes les chances aux jeunes Européens dans le monde globalisé qui est le nôtre. Avec Claude Allègre, nous réfléchissons actuellement à des propositions dans ce domaine, en vue de favoriser les échanges, la mobilité des étudiants, des enseignants, des chercheurs, de faciliter, dans tous les domaines, la coopération, les projets communs à tout le continent. Il s'agit là, incontestablement, d'un de nos grands devoirs pour la décennie à venir.
Toutes ces ambitions, et je conclurai ainsi, ne pourront réussir que si l'Europe devient réellement l'affaire de tous et pas seulement celle des gouvernements et des institutions bruxelloises ou strasbourgeoises. Depuis que j'occupe ces fonctions, je me suis toujours efforcé d'accorder la plus grande attention - avec des moyens modestes - à l'information des citoyens sur l'Europe.
J'ai mené l'année dernière, en partenariat avec la Commission européenne, une campagne d'information - modeste par ses moyens, mais pas par sa volonté pédagogique- sur la construction européenne à l'étape du traité d'Amsterdam. Nous avons également poursuivi, toujours avec la Commission, la mise en place du réseau national d'information sur l'Europe, avec la création, dans les régions - les Info points Europe- et dans les départements - les GuidEurope -, de points d'information sur l'Europe au service des citoyens, le plus près possible de chez eux. Nombre d'entre vous, ici ce soir, animent ces structures et je tiens à rendre hommage à votre action. J'ai eu l'occasion d'en dresser un premier bilan dans une communication au Conseil des ministres, le 2 février, consacrée à la politique d'information sur l'Europe. Nous allons bien entendu continuer sur cette voie, qui exige un effort de longue haleine. Et je compte bien profiter de l'occasion de la présidence française pour donner un petit coup de fouet à cela.
Comme nous le voyons, l'effort d'information des citoyens sur l'Europe repose en grande partie sur l'engagement du monde associatif, que vous représentez ce soir de façon si éloquente. Vous le savez, le gouvernement estime que le rôle de vos associations est essentiel à la santé de notre vie démocratique. Il y a presque un an, se sont tenues à La Défense les premières Assises de la vie associative, à l'initiative du Premier ministre, Lionel Jospin. Ce moment a marqué de façon très forte l'importance du dialogue entre le monde associatif et le gouvernement. La dimension européenne y était très présente et j'avais moi-même participé à la table ronde consacrée à l'Europe et j'en garde le souvenir d'échanges particulièrement intéressants et constructifs.
Le Premier ministre en marquera le premier anniversaire le 21 février en rencontrant les représentants d'associations. Ce sera l'occasion de mesurer le chemin parcouru. Je crois qu'il est significatif, même si l'on peut faire encore mieux. Je veille pour ma part au suivi de ce dialogue, en étroite liaison avec le délégué interministériel à l'économie sociale, Hugues Sibille, présent ce soir. Je sais notamment qu'il organise, à l'intention des responsables associatifs, un séminaire sur les enjeux de la construction européenne, avec le Centre d'études européennes de Strasbourg. Cette initiative me semble particulièrement opportune et parfaitement complémentaire du travail d'information que j'essaie d'impulser. Je souhaite aussi que la mission confiée à M. Belorgey, Conseiller d'Etat, pour la célébration, l'année prochaine, du centenaire de la loi de 1901 intègre bien cette dimension européenne.
Soyez certains que je demeurerai à votre écoute, pendant la préparation de la présidence française - je compte me rendre à plusieurs reprises "sur le terrain", et je vois ici des amis qui m'ont déjà accueilli il y a quelques mois - et, bien sûr, pendant la présidence elle-même. Cette période importante sera un succès, elle fera avancer l'Europe si vous y participez tous.
Pour conclure mes propos introductifs, je voudrais vous faire part du message que j'aimerai que vous emportiez avec vous ce soir, pour inspirer votre action. Il se résume en quelques mots : "l'Europe, c'est nous". Il m'est venu à l'esprit en prenant connaissance de la dernière phase de l'enquête sur les Français et l'Europe que je fais réaliser chaque année, et tiens à votre disposition. Si les opinions favorables à l'Europe continuent de progresser, si son apport est clairement reconnu dans nombre de domaines, beaucoup de nos concitoyens restent distants, comme extérieurs à cette mécanique. Chacun peut avoir son projet pour l'Europe. Mais ce qui compte avant tout c'est de se l'approprier. A chacun, à sa place, de mener l'effort : aux Politiques de donner du sens, de tirer dans la bonne direction, d'essayer une pédagogie citoyenne, aux citoyens de s'impliquer comme acteurs, tout en exprimant leur légitime exigence de compréhension d'un avenir qui est le leur.
Je vous remercie et je répondrai volontiers, tout à l'heure, à vos questions.
Extraits du débat
Q - Ma question va tourner autour de ce problème de l'Europe des citoyens, en particulier de l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux. A été mis en place une enceinte, nom étrange où se réunissent un certain nombre de gens. Le secteur associatif, qui a réfléchi depuis des années sur l'Europe des citoyens, est quand même beaucoup absent, à mon avis à l'heure actuelle, dans le mécanisme mis en place. Nous sommes pourtant très demandeurs de savoir quand, comment, pourront être prises en compte les réflexions faites par des réseaux de la société civile, je pense au CAFECS en France et un certain nombre de gens. Comment peut-on être entendu, participer pour que les citoyens s'emparent de cette Charte, qui me paraît essentielle dans l'avenir de l'Europe ?
R - Je crois effectivement que cette Charte est très importante. Et comme je le disais tout à l'heure, je pense même que l'affaire autrichienne lui donne une résonance encore plus grande et oblige à élever le niveau de nos ambitions, à faire quelque chose qui soit beaucoup plus fort sur le plan politique. Pour ce qui est de l'élaboration de la Charte, a été mis en place un organe qu'on ne savait pas comment appeler - on l'appelait l'enceinte, on l'appelle maintenant "convention ", ce qui est pour moi un mauvais nom, parce qu'il évoque d'autres souvenirs, mais qui, en tous cas, est soutenu par ses membres. La France y est représentée par le président Braibant, représentant de l'Exécutif, par des parlementaires nationaux, François Loncle pour l'Assemblée nationale, Hubert Haenel pour le Sénat, chacun d'eux ayant un suppléant, Mme Dutheil de la Rochère, la suppléante du président Braibant, Mme Dieulangard, suppléante de M. Haenel, et Mme Ameline, suppléante de M. Loncle. Par ailleurs, figurent aussi un certain nombre de parlementaires européens, parmi lesquels Pervenche Bérès, qui est là ce soir. Donc, c'est un travail qui associe au fond plusieurs parties : les parlements européen et nationaux, les représentants des gouvernements et des Etats et aussi un représentant de la Commission, qui est, je crois, le Commissaire Vittorino, en charge de ces affaires au sein de la Commission. Cette Commission a un fonctionnement qui lui est propre : elle définit ses propres règles de travail, elle est présidée par l'ancien président de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, et ancien président de la République fédérale allemande, M. Roman Herzog. A partir du moment où il est clair, comme je le disais tout à l'heure, qu'elle doit à la fois faire la synthèse des droits existants mais aussi affirmer des droits nouveaux, il me paraîtrait plus que normal, logique, qu'elle soit à même de procéder à des consultations extérieures.
Q - Je souhaitais vous interroger sur deux points. Tout d'abord, je veux vous dire la perplexité dans laquelle se trouvent beaucoup d'associations face à la difficulté qu'elles ont à identifier leurs interlocuteurs désormais à la Commission de Bruxelles : s'il y avait antérieurement une direction générale, la DG XXIII, qui permettait d'identifier les interlocuteurs de ce que l'on appelle l'économie sociale, il y a désormais une sorte de partition de fait entre d'une part, le monde mutualiste et coopératif et d'autre part, le monde associatif. Je ne suis pas du tout persuadé que nous ayons beaucoup à gagner dans cette situation. Nous souhaiterions que le gouvernement français puisse agir à ce niveau.
Deuxième point : vous avez évoqué les problèmes d'éducation. Je ne peux que m'en réjouir. Je voudrais rappeler qu'une des questions qui avait émergé de l'atelier des Assises nationales de la vie associative était l'importance qu'il y aurait à trouver par quels moyens on pourrait imaginer, dans l'ensemble des systèmes éducatifs des pays européens, de situer comme contenu d'enseignement, dès que l'enfant arrive dans les systèmes éducatifs, une véritable éducation à la citoyenneté européenne et à cette forme de civisme. En effet, ce n'est pas devenu adulte que l'on découvre l'Europe, c'est désormais dès l'enfance qu'il faut vivre cette situation.
R - Je reprendrais bien volontiers votre seconde remarque à mon compte. Comme je le disais, nous sommes en train de travailler avec Claude Allègre à toute une série de propositions pour faire en sorte que, dans la suite de ce qui sera très vraisemblablement décidé à Lisbonne lors du Sommet sur la cohésion sociale, cette dimension de l'Europe de la connaissance, du savoir et de sa diffusion soit une dimension centrale de notre présidence de l'Union européenne et au-delà, lancer un processus sur la décennie qui évidemment comprend l'éducation à la citoyenneté.
Sur le premier point, je n'ignore pas que la Commission est en phase de réorganisation et que, dans ce cadre-là, on a décidé la suppression de la DG XXIII chargée de l'économie sociale. J'avais écrit à M. Coursin en décembre en lui disant que j'évoquerais le sujet lors des entretiens avec les Commissaires. Je l'ai fait, notamment avec Neil Kinnock. En réalité, pour dire les choses, il était très difficile de plaider pour le maintien de cette direction générale, puisque c'est exactement contraire à la philosophie de la réforme de la Commission, que par ailleurs je soutiens, c'est-à-dire une philosophie qui vise à resserrer les structures de la Commission. C'est d'ailleurs cohérent avec la réforme que nous-mêmes nous envisageons de façon plus large pour l'Union européenne. Car, si demain nous sommes 30 ou 35 Etats membres, avoir une Commission à 30 ou 35 membres n'est pas un gage d'efficacité. Il est clair que la concentration des structures est, je crois, plutôt une bonne chose. Donc, je reconnais que mon plaidoyer revêtait un caractère contradictoire aux options centrales. Mais la disparition de cette structure ne signifie pas que l'économie sociale ne sera plus prise en compte. Je crois, au contraire, - c'est un message que j'aimerais faire passer auprès de vous tous, notamment Hugues Sibille, délégué interministériel à l'innovation sociale et à l'économie sociale - qu'il faut encourager les associations à s'organiser en plate-forme pour se faire entendre et pour peser dans les débats en amont de l'élaboration des textes auprès de chaque direction générale. C'est la philosophie qui, je crois, doit nous inspirer tous dans le fonctionnement avec cette Commission restructurée, rénovée et réformée. D'ailleurs, de façon plus large, j'ai envie d'insister sur le rôle que les associations françaises peuvent jouer à Bruxelles, en relayant, d'une certaine façon, la spécificité de notre approche sur certaines grandes questions, par exemple la coopération avec les pays en développement, choses sur lesquelles nous avons - le gouvernement - et vous avez - le monde associatif - une spécificité qui est partagée. Je dis cela sans avoir, en quoi que ce soit, la volonté, le désir, l'ambition, l'arrière-pensée d'instrumentaliser les associations - chacun a son travail bien sûr - mais je pense qu'elles peuvent être, à leur niveau, le porte-parole, non pas de positions gouvernementales, cela n'a pas d'intérêt, mais d'une approche qui est différente sur tous ces sujets, notamment de l'économie sociale, de l'approche anglo-saxonne ou nordique. Donc, cette direction générale a disparu. Je crois qu'il n'était pas raisonnable de s'y opposer. Il faut trouver de nouveaux modes de travail avec la structure recomposée de la Commission.
(...)
Q - Vous connaissez les travaux du CAFECS, le Carrefour pour une Europe civique et sociale, qui depuis trois ans, oeuvre justement pour cette Charte des Droits fondamentaux. On ne peut que se féliciter et rendre hommage aux quinze gouvernements qui ont décidé cela, et à vous particulièrement pour la France.
Mais je vais vous faire part de deux craintes, que nous avons en ce moment dans nos débats.
La première crainte, vous y avez répondu et j'en suis ravi, c'est de sortir un texte qui soit un toilettage de textes anciens, de se retrouver avec une modernisation de la Charte communautaire des droits sociaux de 1989 ou d'un traité, ou du protocole social du Traité de Maastricht. Mais vous avez répondu. Dans ce texte, il y aura des droits anciens renouvelés, des droits nouveaux et je crois que l'Europe a une chance de sortir un texte qui a de la force, de la vigueur, un peu comme le texte de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948. Elle s'honorerait d'avoir un texte de droit universel qui pourrait ensuite s'élargir au monde entier.
Mais la deuxième crainte, et vous n'en avez pas parlé du tout, c'est que ce texte soit une sorte de déclaration solennelle sans portée juridique exacte. Croyez-vous qu'un traité sur l'organisation des institutions, qui n'intègrerait pas aussi avec lui cette déclaration, ne lui donnerait pas plus de force pour montrer ce que sont les valeurs européennes et qui vous permettrait justement de faire en sorte que l'Europe des marchands, des échanges commerciaux et financiers, qui a très bien réussi, puisse devenir vraiment une Europe des citoyens grâce à cela. Sans dire un mot qui fâche, car vous ne l'aimez pas, mais cela pourrait être aussi le préambule d'une Constitution européenne qui permettrait de vous donner ce que vous n'avez peut-être pas aujourd'hui : des possibilités de droit contre un nouveau Haider ou contre le Haider actuel.
R - Sur le premier point, je ne l'ai pas évoqué volontairement. Mais il a été traité à la fois par les conclusions du Conseil européen d'Helsinki et par la Convention elle-même et traité, je crois, avec une très grande sagesse. Le statut juridique du texte qui sera issu des travaux de la Convention sera fixé à la fin et non au début. La Convention a eu la très grande sagesse de dire qu'elle devait avancer, dessiner ses travaux, suivre sa logique et qu'en même temps, c'est le Conseil européen final, probablement celui de Nice, qui consacrera ou non le caractère du traité, de déclaration, de préambule, de charte. Cela dit, je donne mon sentiment : de toutes façons, un tel texte sera une source d'inspiration forte pour les jurisprudences qui ne manqueront pas de naître s'il n'était pas un traité. Nous verrons pour le reste. Je n'ai là-dessus aucun sentiment de plus que les artisans de la Charte. Laissons-les travailler avec confiance car ce sont pour la plupart des hommes et des femmes expérimentés qui ont à la fois du sens politique et un grand sens de la chose juridique.
Pour le reste, je ne voudrais pas vous laisser croire que je suis plus susceptible qu'un autre. Je n'ai pas plus peur des mots qui fâchent que quiconque ici. Peut-être moins que certains d'ailleurs. Le mot "constitution " ne me fait pas peur. J'ai toujours dit pour ma part que j'étais favorable à une Constitution européenne mais que je n'étais pas favorable à sa création exnihilo. Nous sommes en train de la faire, tout simplement : quand nous faisons le Traité de Maastricht, c'est un morceau de constitution économique. Quand nous faisons le Traité d'Amsterdam, c'est aussi un morceau de constitution politique. Quand nous allons faire le Traité de Nice, je l'espère, ce sera un renforcement de cette constitution politique. Si nous faisons la Charte, ce sera une sorte de préambule, un morceau de constitution qui touche au droit. Les traités sont la Constitution de l'Europe et ils progressent comme cet édifice-là. Cela dit, je pense qu'il est important effectivement que dans la Charte, on trouve une sorte de préambule extrêmement fort sur les droits. Je pense que la situation que nous vivons à l'heure actuelle en Autriche en rappelle l'importance. Alors, Constitution, non le mot ne me fait pas peur. Le problème, c'est comment on la fait et ce qu'on met dedans.
(...)
Q - Je rebondis sur cette question de la question de la Constitution. Que veut dire une citoyenneté européenne sans Constitution ? La valeur symbolique de la Constitution est quelque chose d'essentiel. On se rend compte que le Parlement européen avance considérablement puisqu'il y a plus de 100 députés européens qui font partie d'un inter-groupe pour une Constitution européenne. Qu'est-ce que la présidence française va pouvoir faire pour que cette Constitution ne soit pas seulement une décision des gouvernements mais que justement les citoyens européens soient partie prenante puisque nous sommes dans un ordre démocratique et que nous espérons la démocratie active ?
R - La présidence française est une présidence qui se situe à un moment donné. Elle dure six mois dont quatre utiles et nous ne sommes pas exactement seuls dans l'Europe. Par ailleurs, je rappelle que cette présidence va s'exercer dans une situation un peu particulière en France : la France aura la chance de parler d'une seule voix et sera dans une situation de cohabitation. Tout cela explique que peut-être la percée fédérale n'est à l'ordre du jour pour la présidence française et on peut le regretter d'un certain point de vue. En attendant, ce que nous allons faire concrètement pour faire avancer ces idées-là, c'est d'abord tâcher d'aboutir sur la CIG avec, je l'ai dit, ambition et réalisme. Les deux choses vont ensemble. Si on n'est pas ambitieux, on obtient un résultat qui est piètre et qui ne prépare à l'avenir. Si on n'est pas réaliste, on retarde l'élargissement de plusieurs années. Nous allons tâcher de prendre acte et d'enrichir encore les travaux de la Convention sur la Charte des Droits fondamentaux. Mais pour savoir ce que les citoyens peuvent faire - j'en profite pour lancer un message à votre destination : j'invite les associations à suivre de très près ces questions institutionnelles, y compris lorsque ce n'est pas leur vocation première. Nous avons l'habitude de débattre beaucoup de cela avec le Mouvement européen ou avec la FONDA. Je pense que c'est une question qui vous intéresse tous : tout ce qui peut concerner l'extension de la majorité qualifiée à des politiques communes qui vous intéressent directement dans des champs d'action qui sont les vôtres : je citerais la santé, le social, et bien d'autres. Surtout, si l'on part de l'idée, qui est la nôtre, que le vote à la majorité qualifiée, qui est aujourd'hui l'exception, doit devenir le principe ou la règle avec des exceptions.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2000)