Déclaration de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, sur l'instauration du principe de régulation et la mise en place d'autorités administratives indépendantes afin d'assurer l'équilibre entre libre concurrence et garantie du service universel, tant dans les domaines de l'énergie (gaz et électricité), que des communications ou du courrier, Paris le 29 janvier 2004.

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Circonstance : Colloque international intitulé : "La régulation : nouveaux modes ? nouveaux territoires ?" à Paris le 29 janvier 2004

Texte intégral

Monsieur le Directeur,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec très grand plaisir que je m'exprime devant vous ce soir. Je tiens à remercier et féliciter le directeur de l'Ecole Nationale d'Administration, M. DURRLEMAN, de l'initiative de ce colloque.
Je dois dire que cette question m'est familière, car le ministère de l'Industrie a, plus qu'un autre, affaire avec la régulation : les activités dont j'ai la charge -l'énergie, les télécommunications, les postes- sont en effet ces " nouveaux territoires " de la régulation qu'évoque si justement le titre de votre colloque. Cette semaine encore je défendais au Parlement le projet de loi sur la régulation des activités postales, qui nous permettra d'organiser la progressive libéralisation de ce secteur.
Ce soir, je voudrais d'abord resituer la régulation dans son contexte économique et historique, en insistant sur la nécessité de ce nouveau mode de réglementation. Je voudrais ensuite vous faire part des orientations actuelles de la régulation en France, à travers les domaines qui relèvent de mon ministère.
I. Pourquoi la régulation ?
Nos services publics connaissent lentement mais sûrement, une révolution. De ces révolutions qui, à la différence des révolutions politiques, ne sont pas soudaines, mais emportent d'immenses conséquences. Cette révolution, c'est la fin des monopoles dans la fourniture d'un certain nombre de services essentiels : l'énergie, les communications, le courrier.
Cette révolution n'est pas seulement une conséquence mécanique de l'intégration européenne ; elle s'inscrit dans un mouvement historique et économique, qui, je le crois, répond tout simplement à une logique : ce mouvement fut d'abord nécessaire, pour créer les services publics -les infrastructures, les réseaux- de tout mettre dans les mains de l'Etat, seul capable alors d'assurer les investissements massifs et de donner l'impulsion politique.
Ce fut du moins le choix de la France au 20ème siècle -au moment de la reconstruction en particulier- et elle doit s'en réjouir, car cela lui a permis de disposer d'infrastructures solides, homogènes, à grandes capacités.
Mais le nécessaire " étatisme " des débuts -étatisme créateur, étatisme éducateur- doit ensuite laisser place au libéralisme concurrentiel, favorable à la diversification, à l'innovation, à l'efficacité économique des services. Il est en effet bien clair que l'Etat est meilleur bâtisseur que gestionnaire ; et qu'il est alors rationnel de confier le fonctionnement moderne des services aux acteurs les plus efficients.
Cette histoire en deux temps est tout simplement celle des Etats-nations européens : l'Etat laisse de plus en plus de latitude à la liberté de la société civile, précisément parce qu'il a commencé par créer une communauté nationale dotée du sens de l'intérêt général.
Cette libéralisation -progressive et maîtrisée- ne remet donc nullement en cause ce qu'il y a d'essentiel dans la notion -et la réalité- du service public. Je tiens à rappeler en effet que le " service public ", c'est d'abord le service du public ; l'adjectif signifie l'universalité du bénéficiaire, non le caractère étatique de l'opérateur.
Moyennant de clairs impératifs d'égalité, de continuité, de qualité, -bref un " cahier des charges " précis- des opérateurs privés peuvent donc fournir un service public. On l'appellera " service universel " pour éviter toute confusion.
Le passage du monopole à la concurrence n'est ainsi qu'un changement de moyens, nullement un changement d'objectifs. Il s'agit d'accomplir la même tâche, en employant des instruments différents, plus adaptés à la situation historique.
Que les objectifs demeurent, cela signifie d'abord que les obligations essentielles du service public doivent être respectées par les opérateurs privés. Il revient à l'Etat de les définir.
Que les moyens changent, cela signifie que l'accès au marché doit être libre, que les règles de la concurrence doivent être respectées, que l'opérateur " historique " ne doit pas entraver les nouveaux venus.
Bref, cette libéralisation n'est pas une déréglementation, comme on le dit trop souvent ; elle appelle au contraire une réglementation nouvelle : la libéralisation est une re-régulation.
A cette fin, il est dès lors nécessaire d'instaurer des autorités administratives indépendantes, chargées de veiller au respect de ces règles.
Je l'ai dit, la régulation concerne toute l'Europe. Dès lors une question vient naturellement à l'esprit : puisque la libéralisation s'opère au niveau de l'Union européenne, pourquoi la régulation ne devrait-elle pas être harmonisée à ce niveau ?
Question délicate, car il n'est pas évident que l'existence d'un régulateur unique ferait disparaître toutes les difficultés ; en outre, le principe de subsidiarité doit continuer de s'appliquer pour respecter les spécificités nationales, en matière de service public notamment. La France préfère donc promouvoir une coopération renforcée entre les Autorités de Régulation Nationales, plutôt que la création d'une structure supplémentaire, qui poserait autant de problèmes qu'elle en résoudrait.
II. L'esprit de la régulation actuelle
Je voudrais ce soir évoquer les grands chantiers actuels de la régulation, en prenant l'exemple des activités qui relèvent du ministère de l'Industrie : l'énergie, les télécommunications, la Poste.
Vous le savez, deux projets de loi que j'ai présentés sont en ce moment examinés par le Parlement : l'un sur la régulation postale, l'autre sur les communications électroniques ; quant au marché du gaz et de l'électricité, sa régulation a été précisée par la loi adoptée il y a tout juste un an, le 3 janvier 2003.
Sans entrer dans le détail des dispositions législatives, je souhaiterais dégager l'esprit général de ces nouvelles régulations, pour en souligner l'intérêt économique et social.
Pour commencer, je rappellerai le principe capital qui guide notre action : la concurrence n'est pas une fin en soi, mais un moyen. L'objectif est l'avantage du consommateur, par la baisse des prix et la multiplication des services. Les bénéfices de la concurrence sont en effet bien réels : car l'émulation est le principe actif du progrès technologique et de la baisse des prix. La concurrence est un " processus de découverte " : lorsqu'il y a concurrence, c'est-à-dire liberté d'entrer sur le marché, chaque producteur est incité à faire mieux que les autres, à vendre des produits moins chers ou plus aptes à satisfaire les besoins des acheteurs. Et c'est seulement en agissant ainsi continuellement qu'un producteur pourra rester sur le marché et y gagner des parts.
La concurrence est donc un puissant facteur d'innovation et de progrès économique, ce que confirme a contrario le sous-développement des économies planifiées. Le préjugé selon lequel les services publics devraient vivre à l'écart de ce dynamisme n'est pas solide ; car il néglige de considérer la possibilité -pourtant bien réelle- de maintenir des obligations de service public dans un contexte concurrentiel.
C'est aussi le développement de l'innovation et l'aménagement du territoire. Des objectifs spécifiques, en fonction des secteurs concernés, sont ensuite identifiés, s'agissant par exemple de la sécurité d'approvisionnement pour l'énergie.
Enfin, et cela dans tous les cas, des obligation de service public sont définies. Les autorités veillent ainsi au libre accès au marché, à la bonne réalisation des obligations de service public par les opérateurs, historiques ou nouveaux, déterminent les tarifs des services universels, préviennent tout abus de position dominante sur le marché, après avoir déterminé précisément les critères qui permettent de statuer dans ce domaine.
C'est à partir de ces impératifs que sont conçus et mis en place les différents pouvoirs des autorités de régulation. Ces pouvoirs sont larges : ils vont de l'examen, de l'avis, de la recommandation, jusqu'à la sanction en passant par l'autorisation (des licences par exemple) et le règlement des litiges entre opérateurs. Il s'agit à chaque fois de veiller à l'équilibre entre libre concurrence et garantie du service universel.
Mais la régulation est toujours étroitement adaptée à son secteur d'application ; son rôle et son évolution ne sont pas partout identiques : tantôt elle assure un rôle de transition, tantôt elle prend le relais de fonctions autrefois assumées par l'Etat.
Je vous donnerais quelques exemples de ces spécificités :
1. Dans le domaine des télécommunications,
l'objectif à terme est bien de substituer à la régulation sectorielle a priori une régulation a posteriori, par le droit de la concurrence. Ce secteur donne ainsi l'exemple d'une régulation dont le but est la normalisation complète du secteur, par les normes classiques du droit. L'esprit des nouvelles directives n'est pas de réguler moins ou plus, mais de réguler mieux, en fonction de la situation de chaque marché.
Cette convergence progressive se fera au moyen d'une régulation essentiellement économique, fondée sur les concepts et les méthodes du droit de la concurrence, qui imprègnent déjà le droit sectoriel des télécommunications. La régulation sectorielle et le droit de la concurrence poursuivent un même objectif : assurer dans la durée le développement concurrentiel du marché, au bénéfice du consommateur.
Où en est-on aujourd'hui ? Malgré les progrès réalisés depuis sept ans, le secteur n'a pas encore atteint des conditions de marché qui justifient la suppression de toute régulation sectorielle a priori. Si la concurrence s'est effectivement développée, elle est encore fragile, en dépit d'investissements importants, notamment en termes d'infrastructures alternatives.
C'est la régulation qui a permis d'introduire un certain degré de concurrence sur la plupart des services de télécommunications ; en tant qu'utilisateurs, nous lui devons la diversification des services, le choix des offres et une baisse, parfois spectaculaire, du prix de ces services.
2. Dans le domaine de l'énergie -gaz et électricité-
Les rôles du régulateur (la Commission de Régulation de l'Electricité- CRE) sont connus : il garantit un accès équitable aux réseaux, notamment en proposant les tarifs d'accès aux réseaux de transport et de distribution ; il veille au bon fonctionnement des mécanismes de marché, il s'assure de l'absence de subventions croisées au sein des compagnies intégrées, il règle les différends relatifs à l'accès aux réseaux, enfin, il met en uvre les dispositions relatives au service public de l'électricité.
Ce dernier point est évidemment essentiel ; on a cette fois-ci l'exemple d'une régulation pérenne, qui n'a pas seulement la fonction d'accompagner la libéralisation, mais aussi d'assurer la fourniture par les opérateurs d'un service public primordial : cela passe par le soutien à la cogénération et aux énergies renouvelables, la péréquation tarifaire et la compensation des surcoûts de production dans les zones non interconnectées, enfin d'importantes dispositions sociales, en particulier l'existence d'un tarif de première nécessité.
Je voudrais en quelques mots insister sur une exigence spécifique qui s'impose au domaine de l'électricité et du gaz : celle de la sécurité d'approvisionnement.
Si l'on peut vivre sans téléphone, on peut difficilement le faire sans électricité et sans chauffage. Cette nécessité suppose de veiller à la fois à l'équilibre entre l'offre et la demande d'énergie mais également d'être attentif, dans le cas du gaz, à une diversité suffisante des sources d'approvisionnement afin d'éviter un nouveau choc gazier.
Ces deux contraintes étaient évidemment internalisées par nos deux entreprises publiques EDF et GDF. Comment demain les gérer en situation concurrentielle ? On voit là encore la nécessité d'une régulation mais d'un genre un peu différent, puisqu'elle n'a pas pour objectif de garantir le service universel ou de réguler la concurrence mais de garantir la sécurité géostratégique de notre pays dans un cadre concurrentiel.
Dès lors, le législateur était confronté à deux possibilités : confier cette mission à une autorité indépendante ou la faire encadrer par l'Etat. On perçoit bien toutes les difficultés qu'il y aurait eu à choisir la première solution, tant la définition des moyens de préserver notre sécurité géostratégique demeure au cur des missions de l'Etat.
C'est donc assez naturellement que le législateur a choisi de donner à l'Etat :
- la capacité de lancer des appels d'offre en matière de production d'électricité, afin de pallier le cas échéant l'imprévoyance d'un marché qui a démontré, comme en Californie, une certaine myopie ;
- la possibilité d'exiger des fournisseurs de gaz de disposer de sources d'approvisionnement suffisamment diversifiées, afin de ne pas dépendre exclusivement à terme par exemple de la Russie.
Vous le voyez, la régulation n'est pas non plus synonyme d'abandon par l'Etat des leviers essentiels de la sécurité nationale !
3. Je voudrais enfin évoquer le domaine postal, secteur qui évolue dans un contexte nouveau.
Ce contexte pose clairement la question essentielle de la régulation et de l'organisation du marché postal.
Dans ce domaine postal, le dispositif actuel de régulation est source de contentieux avec la Commission européenne qui l'estime non-conforme avec la directive de 1997, dont l'article 22 prévoit que " chaque Etat membre désigne une ou plusieurs autorités réglementaires nationales pour le secteur postal juridiquement distincte et fonctionnellement indépendante des opérateurs postaux ".
Or aujourd'hui en France, le ministre de l'Industrie chargé des postes est l'autorité réglementaire nationale. La Commission constate que le même ministre, de par son rôle de tutelle de La Poste, a une responsabilité dans sa performance économique, dans le choix de ses orientations stratégiques ou encore dans la nomination de ses administrateurs. Elle en conclut que l'indépendance fonctionnelle n'est pas assurée. Après avoir adressé au gouvernement français un avis motivé le 27 juin 2002, le contentieux est aujourd'hui porté devant la Cour de justice.
Dès mon arrivée au gouvernement, j'ai souhaité mettre fin à ces difficultés juridiques et demandé que l'on crée un dispositif de régulation allant bien au-delà du système de médiateur du service postal universel mis en place par le gouvernement précédent et qui était clairement insuffisant. La mise en place d'un dispositif de régulation adapté doit fournir un cadre correspondant aux nouvelles réalités économiques. C'est la raison d'être du projet de loi dont nous avons débattu ces derniers jours au Sénat.
Conformément à ce qui a été mis en uvre dans huit pays européens, et afin d'être le plus rapidement possible opérationnel, le choix a été fait d'élargir, en lui attribuant des pouvoirs spécifiques, le périmètre de compétences de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) au secteur postal, tout en mettant en place au sein de l'ARTP un service dédié aux activités postales. Je précise que le champ de la régulation visé ne concerne que les services faisant partie du service universel postal.
La mise en oeuvre du dispositif impliquait une nouvelle répartition des pouvoirs entre le régulateur et le ministre. Dans la directive de 1997 sur le secteur postal, c'était la première fois, je tiens à le souligner, que des textes européens reconnaissaient la notion de " service universel postal ", tout en confiant la mise en oeuvre aux Etats membres. C'est pourquoi les principaux pouvoirs relatifs à la réalisation de la mission du " service universel postal " confiée à La Poste, que ce soit à travers sa définition, c'est-à-dire les caractéristiques des produits de La Poste qui le composent, le niveau global des tarifs ou la qualité de service, continuent à relever du ministre de l'Industrie, en charge des postes, qui en demeure ainsi le garant.
Vous le voyez, au-delà de leur diversité, les régulations mises en place partagent un but commun : accomplir la libéralisation dans les meilleures conditions, qui permettront à nos concitoyens de bénéficier de services universels de qualité.
Combiner l'universalité et l'égalité du service public avec la vitalité du monde concurrentiel, tel est bien notre objectif. Nous employons tous les moyens nécessaires pour l'atteindre, en bonne intelligence avec nos partenaires européens, -mais toujours soucieux de faire valoir et reconnaître le haut degré d'exigence de la France en matière d'égalité des citoyens devant le service public.
En mariant les vertus anglo-saxonnes de la concurrence aux exigences françaises d'égalité, la régulation apparaît ainsi, au coeur de la mondialisation, comme la digne continuatrice de la tradition française.
Je vous remercie.
(source http://www.ena.fr, le 19 février 2004)