Texte intégral
Q - Si vous le voulez bien, commençons cette émission par l'évocation de l'actualité la plus brûlante et la plus dramatique, celle de la crise libanaise, celle aussi de la situation des otages français et italiens en Irak.
Aujourd'hui, Beyrouth a enterré dans la ferveur et l'émotion, l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, un des opposants les plus déterminé à l'occupation du Liban par la Syrie, tué dans un attentat lundi. Jacques Chirac a tenu à se rendre dans la capitale libanaise à cette occasion mais de manière tout à fait privée.
Quelle analyse fait la France de cette dégradation brutale de la situation au Liban, de ses causes, de ses conséquences, quel est son message ?
R - L'attentat terroriste qui a coûté la vie à Rafic Hariri et à beaucoup de gens qui étaient autour de lui est une tragédie. C'est un acte abominable ! On a frappé là, au coeur d'un processus démocratique fragile, mais qui était engagé au Liban. On a frappé un homme de la société civile, un grand chef d'entreprise, qui avait une vraie autorité et qui avait commencé à redresser le Liban. Il participait à un rassemblement assez important et nouveau des forces politiques et démocratiques des différentes communautés dont l'objectif est que le Liban retrouve la maîtrise de son destin, retrouve sa souveraineté.
Au-delà de l'émotion qu'a exprimée, à titre personnel, mais aussi au nom de la France, le président de la République en allant, lui-même, à Beyrouth où il se trouve encore maintenant, je veux rappeler aussi l'indéfectible attachement du peuple français au peuple libanais. Au-delà de cette émotion, exprimée encore aujourd'hui par des dizaines et des dizaines de milliers de Libanais, c'est quand même une réponse très forte que donne la manifestation aujourd'hui, autour du cercueil de Rafic Hariri. Le plus bel hommage que l'on puisse espérer, c'est qu'il y ait, bientôt, dans quelques semaines, des élections libres et démocratiques au Liban et que ce pays retrouve, même si c'est progressif, - nous savons bien que les choses ne se feront pas du jour au lendemain -, la maîtrise de son destin.
Q - Mais, à qui profite ce crime pour employer une expression commune ?
R - L'enquête qui va être engagée, nous l'avons demandée, doit l'être d'abord par la justice libanaise qui doit faire son travail et dans le cadre international, parce que la vérité intéresse non seulement le peuple libanais mais toute la communauté internationale, et le Secrétaire général des Nations unies devra faire un rapport. Cette enquête devra déterminer qui a voulu ou qui a perpétré cet attentat.
Q - La France a-t-elle des soupçons ? Je veux parler de la Syrie, disons-le clairement !
R - Nous demandons que la vérité soit faite. Voilà ce que je peux dire aujourd'hui et c'est l'objet de cette enquête internationale que nous avons demandée avec d'autres.
Q - Dans les rues de Beyrouth, en effet, il y avait beaucoup de monde qui réclamait, notamment, le départ des 14.000 soldats syriens qui sont installés au Liban. Ce départ des troupes, cette pression américaine qui est en train d'être exercée sur Damas, pensez-vous que nous sommes un peu plus près aujourd'hui de voir les choses aboutir, malheureusement avec cet assassinat, ou pas ?
R - Mais la communauté internationale a demandé le départ de toutes les présences étrangères, - celle de la Syrie est bien sûr la plus forte -, nous l'avons demandé tous ensemble, toute la communauté internationale, dans une résolution des Nations unies.
Q - Mais, les Etats-Unis demandent un départ immédiat et complet ?
R - Nous avons demandé le départ de toute présence internationale et étrangère au Liban qui empêche ce pays d'être un pays souverain, démocratiquement libre et maître de son destin. Nous l'avons demandé il y a plusieurs semaines, dans le cadre d'une résolution et d'une déclaration présidentielle au Conseil de sécurité des Nations unies. Cette dernière a été adoptée par consensus, c'est-à-dire, par tout le monde. Ce que nous avons demandé, avant cette tragédie, nous le demandons aujourd'hui de la même manière. Il faut que la Syrie, puisque vous parlez d'elle, se retire du Liban, retire ses soldats, ses services et que ce pays retrouve progressivement sa souveraineté. C'est la ligne et la demande constante de notre pays. Parce que nous sommes amis du Liban, nous souhaitons qu'il retrouve sa souveraineté.
Q - Cela veut dire que la résolution 1559 aura un peu plus d'actualité demain qu'hier ?
R - Elle a toujours la même actualité, la même urgence. Le Secrétaire général des Nations unies doit faire un rapport dans les quelques semaines qui viennent, au mois de mars ou d'avril, et je pense que l'intérêt général de cette région, - la stabilité, la démocratie - commande que la Syrie, puisqu'il s'agit d'elle, fasse le geste le plus rapide possible, en commençant à se retirer du Liban.
Q - La Syrie vient de passer un accord avec l'Iran pour établir un front commun, et une autre information de la journée assez intéressante, Damas est allé signer à Moscou des accords, notamment pour la livraison de missiles. Ce sont des choses qui vous inquiètent, qui font que la tension sera un peu plus forte demain qu'hier ?
R - Tout ce qui accroît les risques de prolifération des armes dans cette région m'inquiète. Tout ce qui éloigne de la communauté internationale tel ou tel pays, pourtant important, - et la Syrie comme l'Iran sont des pays importants, ce sont des peuples qu'il faut respecter, ce sont des pays qui peuvent jouer un rôle - m'inquiète. Nous souhaiterions tellement qu'ils jouent un rôle positif, constructif pour la stabilité et pour la paix, qu'ils soient pleinement avec les autres membres de la communauté internationale, avec les autres pays de la région, dans ce processus de progrès. C'est le sens, puisque vous parliez de l'Iran, de la démarche que nous avons engagée, - je parle des pays européens qui sont un peu en avant-garde de la communauté internationale, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France - depuis près d'un an. Je passe beaucoup de temps à ce dialogue avec l'Iran qui, pour l'instant aboutit à des résultats : l'Iran a renoncé, temporairement, à toutes ses activités de retraitement et d'enrichissement de l'uranium. Nous avons demandé à l'Iran de prendre la décision de renoncer définitivement à l'arme nucléaire en échange de quoi, nous souhaitons coopérer avec lui pour l'énergie nucléaire civile, pour le commerce, pour l'industrie pour le développement économique et pour le dialogue politique. Nous souhaitons que ce pays ait, grâce à ce dialogue et à cette offre de coopération, la place qui lui revient, parce que c'est un pays important.
Q - Il y a le Liban qui pleure M. Barnier, je ne dirai pas qu'il y a la Palestine qui rit, mais la Palestine respire un petit peu mieux depuis quelques semaines. Vous avez vous-même déclaré, après le sommet entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon qu'il existait un espoir de paix fragile mais possible. Croyez-vous vraiment à cela et sentez-vous surtout que Mahmoud Abbas a, ou non, la capacité à tenir ses ultras, les plus violents des Palestiniens ?
R - D'abord, vous savez, au Proche-Orient, tout se tient. Tout est fragile et tout se tient donc, il faut avancer vers la paix, vers la démocratie, vers la souveraineté partout, en Irak, au Liban, en Palestine et, naturellement, s'agissant des relations qu'il faut créer entre l'Etat d'Israël, qui doit être assuré de sa sécurité, et l'Etat palestinien.
Q - Craignez-vous une influence négative de ce qui se passe au Liban sur le processus en Palestine ?
R - Il y a des influences et il n'y aura de paix que globalement dans cette région du Proche-Orient. Tous ces pays se touchent, regardez la carte !
Vous dites : "La Palestine sourit". J'étais précisément mardi matin, à Gaza, j'y ai passé la nuit. Je suis allé visiter un camp de réfugiés, j'ai vu le "degré zéro" de la misère, de la désespérance, de l'humiliation. Il faut offrir aux jeunes Palestiniens un avenir et un futur et cela passe par la création de cet Etat palestinien que nous souhaitons tous. En effet, il y a, depuis cette rencontre de Charm el-Cheikh entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon enfin un espoir. D'abord, parce qu'il n'y a pas de paix entre Israéliens et Palestiniens s'ils ne se parlent pas directement, et ils ont recommencé à se parler. Il n'y a pas de paix si, chacun dans sa partie, ne fait pas preuve de courage, d'un côté Ariel Sharon en réussissant le retrait de Gaza - et c'est beaucoup de courage qui lui est demandé, je veux le dire à nouveau, Ariel Sharon est courageux en prenant cette décision puisqu'elle lui pose beaucoup de problèmes dans son pays sur le plan politique - et, de l'autre côté, Mahmoud Abbas, nouveau président palestinien, élu démocratiquement - quelle belle preuve de maturité et de responsabilité ont donné les Palestiniens par leur vote - qui doit, lui aussi, prendre des mesures difficiles et courageuses.
Q - L'en sentez-vous capable ?
R - Il en est capable. Il est le partenaire de la paix, il a l'autorité. J'ai également rencontré Mahmoud Abbas à Ramallah lundi soir dernier, il faut qu'il réussisse et il reste peu de temps pour que l'un et l'autre fassent la preuve de ce progrès. Après quoi, le moment viendra, après la première rencontre que nous aurons à Londres pour aider l'Autorité palestinienne, probablement en maintenant l'horizon, et l'horizon c'est quoi, c'est la création d'un Etat palestinien vivant côte à côte, en sécurité, avec Israël. Il y aura, probablement d'ici à la fin de l'année, le besoin d'une nouvelle conférence internationale pour faire repartir ensemble le processus de paix, après les premières étapes, après les premières marches qui sont devant nous pour les semaines qui viennent, mais c'est possible.
Comme ministre français des Affaires étrangères, je considère la paix au Proche-Orient comme la responsabilité de notre génération parce que ce conflit est central, il a des ondes de choc partout, non seulement dans la région mais partout, dans toutes nos sociétés.
Q - On a pu voir aujourd'hui une vidéo de l'otage italienne Giuliana Sgrena qui lance un appel désespéré à son pays et qui demande le retrait des troupes étrangères d'Irak, avez-vous des signes de vie de Florence Aubenas et de son guide ?
R - Florence Aubenas et Hussein Hanoun ont disparu maintenant il y a plusieurs semaines. D'abord, je veux dire que je trouve formidables la dignité et le courage de leurs familles. Je trouve formidable la mobilisation permanente de "Libération", son journal, de vous tous, ses confrères ; cette mobilisation est très importante pour maintenir la vigilance et pour dire que vous êtes, que nous sommes attachés à la démocratie au coeur de laquelle il y a la liberté de s'exprimer, la liberté de commenter et de rendre compte, y compris des situations les plus dangereuses.
Sachez simplement, puisque votre question manifeste une inquiétude, que les autorités françaises, nos services, nos diplomates, à Bagdad et à Paris, sont mobilisés. Nous le sommes exactement comme nous l'avons été pour Christian Chesnot et Georges Malbrunot depuis le premier jour. Nous travaillons pour qu'ils reviennent à la maison le plus vite possible. Voilà ce que je peux dire.
Q - Monsieur le Ministre, êtes-vous assuré qu'ils sont vivants ?
R - Nous avons eu des indications qui nous donnent l'espoir qu'ils puissent revenir un jour, voilà ce que je peux dire.
Q - Il y a une autre otage française, dans une autre région du monde, dont on va célébrer, si j'ose dire, les trois ans de captivité dans quelques jours, c'est Mme Betancourt, avez-vous des nouvelles à nous donner à son propos ?
R - Vous savez, nous parlons de Florence Aubenas et je vous ai dit notre détermination pour qu'ils reviennent le plus vite possible à la maison, je parle de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun, nous sommes mobilisés de la même manière dans tous ces cas : par exemple, celui de Fred Nérac, dont nous n'avons toujours pas de nouvelles et pour lequel nous voulons la vérité que nous demandons aux autorités irakiennes, et naturellement, celui d'Ingrid Betancourt que je connais et que j'avais rencontrée à Bruxelles, quelques semaines avant son enlèvement, là aussi nous travaillons. Ce sont des circonstances difficiles ; ni en Irak, ni partout ailleurs dans le monde, ces situations ne se ressemblent. Les raisons de ces enlèvements ou de ces disparitions ne sont pas les mêmes, les raisons de ceux qui provoquent de telles disparitions ne sont pas les mêmes et donc, la manière de dialoguer, de traiter, de nouer des fils est forcément différente. Elle l'est en Irak, on voit bien que les situations ne sont pas les mêmes, elle l'est naturellement lorsqu'il s'agit d'un pays d'Amérique du Sud.
Q - George Bush est attendu en début de semaine prochaine à Bruxelles où il doit avoir des entretiens avec les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN et de l'Union européenne ; un dîner est prévu avec Jacques Chirac. Après la tournée de Condoleezza Rice, qu'attend la France de cette visite ?
R - Je trouve très important que Condoleezza Rice soit venue faire cette tournée chez nous en Europe. Je trouve très important que le président des Etats-Unis, comme l'un des premiers actes de son nouveau mandat, vienne faire cette visite pour rencontrer, non seulement les membres de l'OTAN, mais aussi les dirigeants européens ; et nous aurons en effet cette rencontre bilatérale entre Jacques Chirac et George Bush à Bruxelles. Ce sera d'ailleurs, une nouvelle rencontre puisqu'ils se sont vus à Paris au mois de juin dernier, à l'occasion des cérémonies de l'anniversaire du débarquement.
La question n'est pas de savoir ce que les Américains attendent des Européens ou ce que nous, Européens, attendons des Américains, la question est de savoir ce que Américains et Européens peuvent faire ensemble pour relever les défis du monde d'aujourd'hui ; c'est la question qui m'intéresse : que peut-on faire ensemble, que veut-on faire ensemble pour faire face au terrorisme, pour faire revenir la paix au Proche-Orient, pour faire sortir l'Irak de cette tragédie autrement que par les armes, pour faire face aux défis du réchauffement climatique, de la pauvreté, et pour faire face au sous-développement.
Q - Que peut-on faire ensemble ?
R - Nous avons tellement de défis à relever en même temps, dans ce monde qui est dangereux, désordonné, instable. On ne peut les relever bien qu'ensemble. J'ai dit à Condi Rice, lorsque je l'ai reçue, que le monde va mieux lorsque les Européens et les Américains travaillent ensemble ; c'est le fond de ma conviction et voilà dans quel esprit nous allons recevoir le président des Etats-Unis.
Q - Monsieur le Ministre, pour faire avancer les choses, pour travailler ensemble, il faut bien s'entendre, Paris et Washington s'entendent-ils mieux aujourd'hui qu'il y a deux ans dira-t-on ?
R - Nous avons eu des désaccords, nous avons encore des désaccords, sur tel ou tel dossier dont on pourra parler, y compris concernant la manière de concevoir le nouvel équilibre du monde, entre plusieurs puissances ou plusieurs pôles, mais je veux dire que, malgré ces désaccords que personne n'oublie, que je ne veux pas effacer, notamment le grave désaccord sur la manière de faire partir Saddam Hussein, nous avons aussi beaucoup d'occasions de travailler ensemble et cela, si on veut être objectif, il ne faut pas les effacer.
Nous sommes ensemble dans la lutte contre le terrorisme, la France dirige les troupes de l'OTAN en Afghanistan, nous sommes ensemble au Kosovo, nous sommes ensemble dans beaucoup de crises africaines, nous avons été ensemble à Haïti, nous travaillons donc ensemble avec les Américains ; il y a peut-être un défaut dans les années passées, c'est que nous ne nous sommes pas assez souvent parlé, notamment lorsque nous avions des désaccords. Je souhaite donc que cette nouvelle relation transatlantique soit une relation où l'on se parle davantage, où l'on parle politique davantage.
Q - Et quand on se parle, on sent encore une certaine réserve du côté américain et un certain scepticisme du côté français. Quand vous dites, "alliance oui, mais allégeance non", il y a tout de même un certain scepticisme que vous exprimez.
R - Ah non ! Il y a une conviction que j'exprime qui est que l'Alliance atlantique dans laquelle nous sommes, sans état d'âme et sans complexe, ne peut être efficace que si elle repose sur deux piliers équilibrés. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que les Américains doivent avoir confiance en nous davantage peut-être que par le passé et cela veut dire aussi que les Européens doivent avoir confiance en eux-mêmes et bâtir ce pilier ou ce pôle crédible à travers la Constitution - dont nous parlerons sans doute tout à l'heure - une politique étrangère commune et une défense commune européennes.
Q - (Sur les relations avec les Etats-Unis)
R - Et nous n'avons pas abandonné notre volonté de construire une Europe européenne, d'avoir une défense qui soit à la fois autonome et complémentaire. J'y ai beaucoup travaillé dans le cadre de la Constitution et nous souhaitons, maintenant que l'Irak est en train de sortir, par la politique, par la démocratie, par un processus politique, de cette tragédie - on voit bien que l'Irak reste un pays dangereux et instable - nous souhaitons avoir des relations amicales, confiantes avec un pays, permettez-moi de le rappeler, personne ne doit l'oublier, dont nous avons toujours été l'allié. Nous sommes alliés, Américains et Français, depuis toujours, nous n'avons jamais été en guerre les uns contre les autres.
Ce qui est peut-être nouveau, dans notre état d'esprit, c'est que maintenant, nous voulons regarder devant nous, et en regardant devant nous, je vois beaucoup de défis et de problèmes que nous devons relever ensemble, mieux que chacun chez soi ou chacun pour soi.
Q - Il y a une petite affaire qui, en ce moment grippe un peu les relations franco-américaines, c'est l'affaire Executive Life, cela coûte 600 millions de dollars aux contribuables français, à peu près 22 euros par foyer. On a le sentiment que l'Amérique nous fait un peu payer notre désaccord avec elle sur la guerre en Irak.
R - Franchement, je crois que vous avez tort de mêler cette affaire qui est une affaire de justice, avec un procès dont nous ne connaissons pas les conséquences, et avec la possibilité d'un accord préalable pour solder le passé. Permettez-moi de le dire, je crois que vous avez tort de mêler ou de mélanger une affaire de cette nature avec les relations politiques et la diplomatie, les grands enjeux géostratégiques, je crois qu'ils n'ont rien à voir l'un avec l'autre.
Q - L'un des dossiers qui fâche, sur le fond entre les Etats-Unis et l'Europe, c'est le dossier iranien, vous l'évoquiez tout à l'heure.
Pour dissuader l'Iran de se doter de l'arme atomique, les Européens privilégient la négociation, tandis que les Etats-Unis n'excluent pas une option militaire. Croyez-vous sérieusement à un nouvel engagement militaire des Etats-Unis en Iran ? Le jugez-vous plausible ou improbable ?
R - J'ai entendu le président des Etats-Unis, j'ai entendu ma collègue Condoleezza Rice dire qu'il n'était pas question d'une option militaire aujourd'hui. De quoi s'agit-il ? L'Iran mène des activités de retraitement et d'enrichissement pouvant le conduire à disposer de l'arme nucléaire. Franchement, ni l'Iran, ni cette région si instable, n'ont besoin d'armes de destruction massive supplémentaires, nous voulons donc éviter cette prolifération là-bas, comme nous voulons l'éviter d'ailleurs en Corée du Nord. Nous avons choisi, comme pour la Corée du Nord, la négociation, la pression internationale et l'idée d'entraîner ces pays à se tenir bien et finalement, dans un contrat gagnant-gagnant en renonçant à l'arme nucléaire, à gagner une place, un rôle, un développement économique et politique supplémentaire. Encore une fois, nous avons besoin de l'Iran, de ce peuple qui est un grand peuple, qui a une place importante dans cette région pour la stabilité de cette région et nous voulons les convaincre qu'il y a tout à gagner à aller au bout de la négociation politique. Les Américains, c'est vrai, sont sceptiques, ils se méfient ; nous-mêmes nous avançons les yeux ouverts dans cette négociation mais pour l'instant, cela marche, pour l'instant, nous avançons pas à pas avec les Iraniens et ils ont pris les premiers engagements : le 15 novembre, cela s'est passé au-dessus de mon bureau, au Quai d'Orsay, et je pense que nous pouvons mener à bien, avec le soutien des Etats-Unis dont nous avons besoin, avec le soutien des Russes que nous informons et qui nous aident, avec le soutien des Chinois, et de tous les autres pays européens, nous pouvons mener à bien cette négociation politique. C'est l'intérêt général et cette option diplomatique vaut beaucoup mieux que toutes les autres.
Q - Le temps et sa réorganisation sont un des principaux tests de l'établissement d'un nouveau partenariat transatlantique. M. Shroëder a ouvert à Munich le débat en souhaitant une réforme de l'OTAN qu'il adapte, au temps, au présent et à l'importance prise par l'Union européenne. La réaction de Rumsfeld n'a guère été positive. Est-ce qu'il n'y a pas là un désaccord majeur ?
R - Si vous posez tous ces problèmes les uns derrière les autres, en disant tout cela ce sont des désaccords, ce sont des drames.
Q - Ce sont des problèmes qui se posent, qui sont sur la table posés par le Chancelier allemand, pardonnez-moi.
R - C'est tout à fait normal. Ce n'est pas un problème, ni un drame, ni une tragédie euro-atlantique que de poser la question de l'avenir de l'OTAN. Comment fait-on face à toutes ces nouvelles menaces, qui ne sont plus les mêmes que celles du temps de la guerre froide, à l'époque où l'OTAN a été créée ? Nous sommes dans un monde qui est en désordre, qui est dangereux. On voit bien que l'OTAN sort déjà de son territoire historique. Nous sommes en Afghanistan, avec l'OTAN. La France y est, encore une fois, sans complexe et sans états d'âme, puisque nous sommes, je crois, le deuxième contributeur en troupes au sein de l'OTAN. C'est nous qui assumons, nous Français, le commandement des troupes de l'OTAN actuellement en Afghanistan, comme au Kosovo. Nous n'avons pas d'états d'âme et il n'y a pas de drame, ni de problème à poser la question de l'avenir de l'OTAN. Comme l'a dit Michèle Alliot-Marie, cette réflexion sur l'avenir de l'OTAN n'est pas incompatible, je crois même qu'elle doit être compatible, avec la création d'une vraie défense européenne. J'ai beaucoup travaillé sur la question de la défense européenne. C'est une des raisons pour lesquelles je ferai campagne pour le "oui" à la Constitution européenne, parce qu'elle est la preuve que l'Union sera bien davantage qu'un supermarché ou même qu'une communauté solidaire, ce sera un acteur politique. Nous allons avoir avec cette Constitution, si nous le voulons, une défense européenne et une politique étrangère commune. Ce n'est pas incompatible et, encore une fois, l'OTAN, qui est l'outil militaire transatlantique, a intérêt à s'appuyer sur une vraie défense européenne. Voilà un débat que nous voulons ouvrir et nous voulons convaincre les Américains qu'ils ont intérêt à avoir une Europe forte. Je voudrais, pour compléter ma réponse, faire allusion à une phrase que le Dr Rice a prononcé au Quai d'Orsay l'autre jour quand je l'ai reçue. Elle a dit avec beaucoup de force, et c'est peut-être une des premières fois que j'entendais cette phrase avec beaucoup force : "Les Etats Unis ont besoin d'une Europe forte" et en écho, en la remerciant d'avoir prononcé cette phrase, j'ai dit : "Les Européens aussi ont besoin d'une Europe forte." Peut-être en ont-ils besoin d'abord, pour avoir confiance en eux-mêmes.
Q - Nous sommes déjà dans le second volet de cette émission, celui de la ratification d'une Constitution pour l'Europe. Le choix de la France sera décisif à cet égard. Au vu de l'évolution de la situation
R - Les choix des 24 autres pays seront décisifs.
Q - Particulièrement celui de la France, parce qu'il est le plus rapproché.
R - Ne soyez pas arrogant dans votre manière.
Q - Il ne s'agit pas d'arrogance.
R - Mais ces 25 pays doivent ratifier cette Constitution.
Q - Le choix de la France vous intéresse tout de même Michel Barnier ?
R - Il m'intéresse naturellement, mais celui des autres aussi.
Q - Craignez-vous que la réponse de la France soit "non" à ce référendum et à cette Constitution ?
R - Je n'imagine pas que mon pays qui a voulu l'Union européenne, qui a été l'origine, par la voix de Robert Schuman et de Jean Monnet, de ce projet de progrès, de paix, de stabilité qui a tenu ses promesses, que mon pays ne fasse pas cette étape supplémentaire avec les autres pays européens. Je vous le disais avec malice, parce que la ratification doit être la même dans tous les pays. C'est une règle obligatoire que celle de l'unanimité. Mais, le vote des Français ne se décrète pas et ne s'impose pas. Il se construit par le débat, par le dialogue, par l'information. Je vais prendre part à cette campagne, à la place où je me trouve, comme ministre des Affaires étrangères en charge avec Claudie Haigneré, des questions européennes, je vais prendre ce débat tout à fait au sérieux et beaucoup écouter, y compris ceux qui ont des doutes, ceux qui ont envie de voter "non". Je vais essayer de comprendre pourquoi et de les convaincre. Ce débat, ne doit pas être un débat de propagande et de slogans, ce doit être un débat sur le fond. Je vais simplement dire à ceux qui nous écoutent que ce débat, qu'a voulu le président de la République, ce référendum doit porter sur la question de la Constitution, et pas sur d'autres questions. Il ne s'agit pas de dire "oui" ou "non" à Jacques Chirac, "oui" ou "non" à Jean-Pierre Raffarin, "oui" ou "non" à François Hollande. Je veux vraiment qu'on joue sincèrement le jeu de ce référendum et qu'on réponde à la question : "Est-ce que cette Constitution est utile ou pas pour l'Union européenne et pour la place de la France dans l'Union européenne ?" Et sur cette question, dans le détail, je vais répondre à toutes les inquiétudes, à toutes les questions qui se posent.
Q - On va voir les différents sujets tout à l'heure. Est-ce que vous pouvez nous confirmer, M. Barnier, qu'il y a bien des réflexions à l'Elysée, peut-être des réflexions que vous avez partagées avec le chef de l'Etat, pour dire il faut peut-être avancer la date du référendum, parce que le "non" se mobilise et que le "oui" pas du tout ?
R - D'abord, si vous m'écoutez bien, vous voyez bien que ceux qui vont faire campagne pour le "oui" à droite et à gauche.
Q - Qui vont faire campagne, mais pour l'instant la campagne justement est assez atone dans le camp du "oui" ?
R - Claudie Haigneré participe à beaucoup de débats, de réunions. Il y a eu un débat à l'intérieur du parti socialiste extrêmement sérieux, intelligent, un vrai débat. Vous ne pouvez pas dire que ceux qui expliquent leur vote favorable à la Constitution, n'ont pas déjà pris la parole. Ils vont continuer à la prendre progressivement. Et ce vote sera pluriel. Il faut qu'il soit pluriel. Il y a des gens de droite, de gauche ou du centre, qui veulent voter "oui", comme d'ailleurs d'autres, probablement, veulent voter "non". Alors vous me posez la question de la date de ce référendum. Comprenez-moi, je suis ministre des Affaires étrangères, je travaille sous l'autorité du chef de l'Etat et c'est sa responsabilité de choisir le moment de ce référendum. Le président regarde ce qui se passe, il regarde aussi la manière dont se déroule le débat préalable sur la révision de la Constitution française.
Q - Le Premier ministre hier a dit aux sénateurs, il faut aller vite. Donc, cela a donné une petite indication qu'effectivement sur sa volonté éventuellement.
R - Oui, nous souhaitons que le débat de révision constitutionnelle, tout en donnant au Parlement le droit et le temps de s'exprimer, aille vite et après, le président de la République prendra sa décision pour inviter les Français à se prononcer. Ce qui me paraît important, c'est qu'il y ait, en toute hypothèse, quelle que soit la date de ce référendum, que ce soit plus tôt ou plus tard que vous ne le pensez, dans les mois ou les semaines qui viennent, il faut qu'il y ait le temps du débat, il ne faut pas bâcler le débat. Les Français ont besoin d'informations. Nous avons ouvert avec Claudie Haigneré, un numéro de téléphone 0 810 2005 25.
Q - C'est bien, vous faites campagne ?
R - Oui, je fais campagne. Je fais campagne pour l'information. Et ce téléphone, depuis qu'il existe, depuis quelques jours, reçoit 400 à 500 appels par heure. Ecoutez-moi bien, 400 à 500 appels par heure, de gens qui veulent poser des questions sur tel ou tel article et la majorité d'entre eux qui appellent, qui vont appeler, demandent le texte de la Constitution. On voit bien qu'il y a une soif de comprendre pour ensuite pouvoir voter.
Q - Ils demandent aussi un commentaire éventuel ?
R - Comment ?
Q - Ils demandent aussi un commentaire ?
R - Non, les gens qui répondent au téléphone ne font pas de commentaire. Ils donnent des explications sur tel ou tel article de manière extrêmement factuelle et objective et surtout les gens nous demandent le texte. On a besoin de lire le texte pour comprendre. D'ailleurs, je veux dire qu'il faut le lire, parce que c'est une des premières fois qu'un texte européen est vraiment lisible.
Q - Dans l'actualité européenne récente, M. Barnier, il y a un texte un peu compliqué, qu'on appelle la directive Bolkestein qui en gros est une libéralisation des services au sein de l'Europe, qui fait craindre à beaucoup une sorte de dumping social d'un pays à l'autre. J'ai deux questions à ce propos. La première, considérez-vous que c'est le meilleur moyen de faire gagner le "oui" ? Vous aviez vous-même approuvé ce texte, lorsque vous étiez commissaire européen. Le gouvernement français également, par la voix de Noëlle Lenoir qui était alors ministre des Affaires européennes et aujourd'hui le gouvernement demande sa remise à plat. On a l'impression un petit peu d'un sauve-qui-peut ?
R - Non, il n'y a pas de sauve-qui-peut.
Q - Il y a une évolution, voire une contradiction ?
R - Il y a une évolution. Il y a ceux qui s'inquiètent de la fabrication des textes européens, qui craignent que la bureaucratie bruxelloise n'impose des textes sans que personne n'en discute. Mais on a la preuve que ce n'est pas le cas. La preuve que les textes européens sont fabriqués, patiemment, avec beaucoup de temps et peuvent être remis en cause. Donc, c'est aussi une manière de rassurer les gens qui s'inquiètent.
Q - On a le sentiment que ce texte serait passé, s'il n'y avait pas eu un référendum à gagner en France ? Par exemple, dans quelques mois ?
R - Pas du tout. Vous vous trompez. Il y a eu une première lecture de ce texte, après un débat très difficile, au sein de la Commission ; puisque j'ai été commissaire, vous l'avez rappelé, j'ai donné mon point de vue sur les risques.
Q - Votre accord ?
R - Oui, bien sûr, la Commission discute collégialement. Ce n'est pas un commissaire qui impose son point de vue aux dix-neuf autres. Nous étions vingt à l'époque. Donc, j'ai donné mon sentiment à l'intérieur de la Commission. On a d'ailleurs modifié un certain nombre de points de la directive, qui est en elle-même un texte utile, permettez-moi de vous le dire. Dans une économie européenne et française, qui a une telle part de services, avec les banques, les assurances, nous avons intérêt à une harmonisation. Pas par le haut. Mais nous avons intérêt à jouer à armes égales dans le Marché commun, sinon nos services sont privés de la capacité d'être dynamiques, et peut-être d'aller sur les marchés des autres pays européens. Parce que nous avons beaucoup d'emplois dans les services. Donc, nous avons intérêt à être dynamiques dans le même marché. Ce texte, j'ai considéré qu'il était utile. Mais il pose les problèmes. Et au fur et à mesure que la discussion à lieu au Conseil des ministres, et surtout au Parlement européen qui joue son rôle, je le dis en passant, pour ceux qui se demandent à quoi servent les députés européens, ils jouent leur rôle. Et c'est le Parlement européen, indépendamment du débat en France ou ailleurs sur la Constitution, qui a mis le doigt sur les problèmes, les risques, pour telle ou telle profession. Et j'avais moi-même mis le doigt sur la question des services publics, sur la question de l'audiovisuel et sur la question de la santé publique. Voilà pourquoi j'ai demandé, comme le souhaitait le président de la République, la remise à plat de ce texte sur lequel nous allons retravailler pour l'améliorer.
Q - Il y a eu une altercation, si je puis dire, au début de semaine à l'Assemblée nationale, sur le voyage en Turquie de Jean Louis Debré, accompagné des présidents de groupes. Il lui a été reproché un petit débat un peu vif entre les "sarkozistes" et lui. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que toute la campagne finalement sur la Constitution européenne va être "plombée" par ce "boulet" turc ?
R - Vous avez une manière de poser les questions toujours en me ramenant à la politique française politicienne.
Q - Vous êtes aussi un dirigeant politique français, non ?
R - Mais ces querelles ne m'intéressent pas. J'ai trouvé très intéressant et très utile que le président de l'Assemblée nationale, accompagné des quatre présidents des groupes politiques de droite et de gauche, aillent écouter les autres. Quand donc cesserons-nous de croire que l'Europe est à côté, que les autres doivent toujours venir nous voir ? Il faut aller voir les autres pour comprendre, pour les écouter, pour les respecter. Le débat turc, il existe, moi, je suis tout à fait prêt à en parler dans toutes les semaines et les mois qui viennent, je dirais que cette question turque n'a rien à voir avec la Constitution, parce que c'est la vérité. La question de la Turquie se posera dans quinze ou vingt ans, après qu'on a longuement.
Q - Et d'aller en Turquie, ça ne brouille pas ce message-là que vous voulez faire passer ?
R - Mais cette question se pose. Les gens qui nous écoutent ce soir, ici, sur votre radio, se posent cette question. Donc il faut que les parlementaires soient capables de répondre, de dire quel est l'état de la société turque. La question turque ne se posera pas avant dix ou quinze ans, peut-être plus tard, après qu'on a mené un processus extrêmement rigoureux, patient, de négociation. Peut-être qu'elle n'aboutira pas, cette négociation, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. En revanche, les gens se posent cette question parce qu'on en a parlé. Donc je trouve que c'est l'honneur des parlementaires que d'aller s'informer, d'aller écouter les dirigeants turcs et de rapporter des réponses.
Q - Monsieur Barnier, en Espagne, les partisans du "oui" ont fait appel à des vedettes du sport ou du show-business pour mener la campagne. Est-ce que c'est une idée à reprendre en France ? Est-ce qu'on verra, par exemple, je ne sais pas, Zinedine Zidane appeler à voter "oui" ?
R - Pourquoi pas dans le cadre.
Q - Est-ce que vous avez pris contact avec des personnalités de ce type ?
R - Ecoutez, d'abord, nous avons un problème d'ordre institutionnel qui nous oblige à ne pas utiliser de l'argent public - vous m'interrogez comme ministre, ma réponse est non - parce que nous voulons que le débat démocratique, l'information, soit la plus neutre possible pour que les Français aient l'information à laquelle ils ont droit, mais qu'on n'utilise pas de l'argent public dans un sens ou dans un autre. Donc, si telle ou telle personnalité s'exprime pour le "oui" ou pour le "non", ces gens le feront dans le cadre de la campagne des partis politiques. Mais le gouvernement, lui, veut mener le débat et donner l'information de la manière la plus objective et la plus impartiale possible. Nous avons simplement décidé, avec Claudie Haigneré, de faire une campagne de spots radio, qui a lieu en ce moment, et de spots TV, qui décriront de manière extrêmement factuelle et impartiale les articles de la Constitution les plus importants et qui appelleront les citoyens à téléphoner s'ils veulent en savoir plus ou recevoir la Constitution chez eux.
Q - Michel Barnier, quelles seraient les conséquences d'un "non" de la France au référendum ?
R - Je n'imagine pas cette hypothèse.
Q - Il faut bien l'imaginer.
R - Ecoutez, vous poserez cette question à des gens qui peuvent faire des commentaires, des analyses, à certains de vos confrères, mais pas à un homme politique, un ministre, patriote passionné comme je le suis, fier d'être Français et définitivement européen puisque la France et l'Europe vont ensemble. Je vais me battre pour expliquer à ceux qui m'écouteront pourquoi il faut approuver cette Constitution, pourquoi elle est utile à la France et à l'Europe. Je n'imagine pas l'hypothèse de l'échec.
Q - Donc, pas de dramatisation.
R - Pas de dramatisation, pas de propagande, pas de slogan. Du respect pour tous les citoyens, quelles que soient leurs inquiétudes ou leur vote aujourd'hui ou leur intention. Nous avons là l'occasion d'un vrai débat démocratique comme il y en a très peu eu depuis quarante ans. Depuis cinquante ans on a beaucoup construit l'Europe pour les citoyens, mais sans les citoyens, à part avec le référendum sur Maastricht.
Q - Je vais changer de sujet, je voudrais un mot sur la Côte d'Ivoire. Le président Chirac a dit : "Si les Africains ne veulent pas que l'on reste et, singulièrement, les Ivoiriens, nous partirons." Michèle Alliot-Marie a dit : "On reste jusqu'au mois d'avril, et puis, après, on verra." La France maintient-elle son dispositif Licorne, ses 5.000 soldats, ou la France s'en va-t-elle ?
R - La France ne s'en va pas. Nous sommes là non pas du fait de notre seule et propre volonté, nous sommes là à la demande des Nations unies. Le dispositif Licorne fait partie de l'ONUCI, qui est une force internationale mandatée par les Nations unies. Michèle Alliot-Marie parle du mois d'avril, pourquoi ? Parce qu'au mois d'avril, la question sera posée de savoir si l'on maintient le dispositif. Et je pense qu'il sera utile de maintenir le dispositif pour inviter, obliger, encourager à agir les différentes parties de ce conflit ivoirien, qui sont des hommes politiques qui ont le destin de leur pays entre les mains, et c'est bien eux qui l'ont, encourager, donc, les uns à organiser des élections présidentielles ouvertes, les autres à désarmer, rétablir la stabilité et l'avenir de ce pays. La question se posera au mois d'avril, mais pour préserver la présence des Nations unies.
Q - Le ministre de l'Economie, Hervé Gaymard, vient d'annoncer qu'il renonçait à occuper l'appartement de fonction qui était mis à sa disposition. Vous estimez que c'est une sage décision après la polémique qui est née ?
R - Ecoutez, je connais bien Hervé Gaymard, il est Savoyard, comme je le suis. C'est quelqu'un de rigoureux, qui a le sens de l'intérêt général. Il y avait une polémique. Pourtant, tout avait été fait dans les règles et en respectant, d'une manière transparente, les règles. Probablement, cette polémique montre qu'il faut préciser davantage, rendre plus rigoureuses les règles en fonction desquelles les ministres, quels qu'ils soient, de droite ou de gauche, selon les gouvernements, peuvent habiter en dehors de leur ministère, quand ils y sont obligés. Je pense que si de telles dispositions sont prises, je pense que tous les ministres en seront d'accord
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2005)
Aujourd'hui, Beyrouth a enterré dans la ferveur et l'émotion, l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, un des opposants les plus déterminé à l'occupation du Liban par la Syrie, tué dans un attentat lundi. Jacques Chirac a tenu à se rendre dans la capitale libanaise à cette occasion mais de manière tout à fait privée.
Quelle analyse fait la France de cette dégradation brutale de la situation au Liban, de ses causes, de ses conséquences, quel est son message ?
R - L'attentat terroriste qui a coûté la vie à Rafic Hariri et à beaucoup de gens qui étaient autour de lui est une tragédie. C'est un acte abominable ! On a frappé là, au coeur d'un processus démocratique fragile, mais qui était engagé au Liban. On a frappé un homme de la société civile, un grand chef d'entreprise, qui avait une vraie autorité et qui avait commencé à redresser le Liban. Il participait à un rassemblement assez important et nouveau des forces politiques et démocratiques des différentes communautés dont l'objectif est que le Liban retrouve la maîtrise de son destin, retrouve sa souveraineté.
Au-delà de l'émotion qu'a exprimée, à titre personnel, mais aussi au nom de la France, le président de la République en allant, lui-même, à Beyrouth où il se trouve encore maintenant, je veux rappeler aussi l'indéfectible attachement du peuple français au peuple libanais. Au-delà de cette émotion, exprimée encore aujourd'hui par des dizaines et des dizaines de milliers de Libanais, c'est quand même une réponse très forte que donne la manifestation aujourd'hui, autour du cercueil de Rafic Hariri. Le plus bel hommage que l'on puisse espérer, c'est qu'il y ait, bientôt, dans quelques semaines, des élections libres et démocratiques au Liban et que ce pays retrouve, même si c'est progressif, - nous savons bien que les choses ne se feront pas du jour au lendemain -, la maîtrise de son destin.
Q - Mais, à qui profite ce crime pour employer une expression commune ?
R - L'enquête qui va être engagée, nous l'avons demandée, doit l'être d'abord par la justice libanaise qui doit faire son travail et dans le cadre international, parce que la vérité intéresse non seulement le peuple libanais mais toute la communauté internationale, et le Secrétaire général des Nations unies devra faire un rapport. Cette enquête devra déterminer qui a voulu ou qui a perpétré cet attentat.
Q - La France a-t-elle des soupçons ? Je veux parler de la Syrie, disons-le clairement !
R - Nous demandons que la vérité soit faite. Voilà ce que je peux dire aujourd'hui et c'est l'objet de cette enquête internationale que nous avons demandée avec d'autres.
Q - Dans les rues de Beyrouth, en effet, il y avait beaucoup de monde qui réclamait, notamment, le départ des 14.000 soldats syriens qui sont installés au Liban. Ce départ des troupes, cette pression américaine qui est en train d'être exercée sur Damas, pensez-vous que nous sommes un peu plus près aujourd'hui de voir les choses aboutir, malheureusement avec cet assassinat, ou pas ?
R - Mais la communauté internationale a demandé le départ de toutes les présences étrangères, - celle de la Syrie est bien sûr la plus forte -, nous l'avons demandé tous ensemble, toute la communauté internationale, dans une résolution des Nations unies.
Q - Mais, les Etats-Unis demandent un départ immédiat et complet ?
R - Nous avons demandé le départ de toute présence internationale et étrangère au Liban qui empêche ce pays d'être un pays souverain, démocratiquement libre et maître de son destin. Nous l'avons demandé il y a plusieurs semaines, dans le cadre d'une résolution et d'une déclaration présidentielle au Conseil de sécurité des Nations unies. Cette dernière a été adoptée par consensus, c'est-à-dire, par tout le monde. Ce que nous avons demandé, avant cette tragédie, nous le demandons aujourd'hui de la même manière. Il faut que la Syrie, puisque vous parlez d'elle, se retire du Liban, retire ses soldats, ses services et que ce pays retrouve progressivement sa souveraineté. C'est la ligne et la demande constante de notre pays. Parce que nous sommes amis du Liban, nous souhaitons qu'il retrouve sa souveraineté.
Q - Cela veut dire que la résolution 1559 aura un peu plus d'actualité demain qu'hier ?
R - Elle a toujours la même actualité, la même urgence. Le Secrétaire général des Nations unies doit faire un rapport dans les quelques semaines qui viennent, au mois de mars ou d'avril, et je pense que l'intérêt général de cette région, - la stabilité, la démocratie - commande que la Syrie, puisqu'il s'agit d'elle, fasse le geste le plus rapide possible, en commençant à se retirer du Liban.
Q - La Syrie vient de passer un accord avec l'Iran pour établir un front commun, et une autre information de la journée assez intéressante, Damas est allé signer à Moscou des accords, notamment pour la livraison de missiles. Ce sont des choses qui vous inquiètent, qui font que la tension sera un peu plus forte demain qu'hier ?
R - Tout ce qui accroît les risques de prolifération des armes dans cette région m'inquiète. Tout ce qui éloigne de la communauté internationale tel ou tel pays, pourtant important, - et la Syrie comme l'Iran sont des pays importants, ce sont des peuples qu'il faut respecter, ce sont des pays qui peuvent jouer un rôle - m'inquiète. Nous souhaiterions tellement qu'ils jouent un rôle positif, constructif pour la stabilité et pour la paix, qu'ils soient pleinement avec les autres membres de la communauté internationale, avec les autres pays de la région, dans ce processus de progrès. C'est le sens, puisque vous parliez de l'Iran, de la démarche que nous avons engagée, - je parle des pays européens qui sont un peu en avant-garde de la communauté internationale, le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France - depuis près d'un an. Je passe beaucoup de temps à ce dialogue avec l'Iran qui, pour l'instant aboutit à des résultats : l'Iran a renoncé, temporairement, à toutes ses activités de retraitement et d'enrichissement de l'uranium. Nous avons demandé à l'Iran de prendre la décision de renoncer définitivement à l'arme nucléaire en échange de quoi, nous souhaitons coopérer avec lui pour l'énergie nucléaire civile, pour le commerce, pour l'industrie pour le développement économique et pour le dialogue politique. Nous souhaitons que ce pays ait, grâce à ce dialogue et à cette offre de coopération, la place qui lui revient, parce que c'est un pays important.
Q - Il y a le Liban qui pleure M. Barnier, je ne dirai pas qu'il y a la Palestine qui rit, mais la Palestine respire un petit peu mieux depuis quelques semaines. Vous avez vous-même déclaré, après le sommet entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon qu'il existait un espoir de paix fragile mais possible. Croyez-vous vraiment à cela et sentez-vous surtout que Mahmoud Abbas a, ou non, la capacité à tenir ses ultras, les plus violents des Palestiniens ?
R - D'abord, vous savez, au Proche-Orient, tout se tient. Tout est fragile et tout se tient donc, il faut avancer vers la paix, vers la démocratie, vers la souveraineté partout, en Irak, au Liban, en Palestine et, naturellement, s'agissant des relations qu'il faut créer entre l'Etat d'Israël, qui doit être assuré de sa sécurité, et l'Etat palestinien.
Q - Craignez-vous une influence négative de ce qui se passe au Liban sur le processus en Palestine ?
R - Il y a des influences et il n'y aura de paix que globalement dans cette région du Proche-Orient. Tous ces pays se touchent, regardez la carte !
Vous dites : "La Palestine sourit". J'étais précisément mardi matin, à Gaza, j'y ai passé la nuit. Je suis allé visiter un camp de réfugiés, j'ai vu le "degré zéro" de la misère, de la désespérance, de l'humiliation. Il faut offrir aux jeunes Palestiniens un avenir et un futur et cela passe par la création de cet Etat palestinien que nous souhaitons tous. En effet, il y a, depuis cette rencontre de Charm el-Cheikh entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon enfin un espoir. D'abord, parce qu'il n'y a pas de paix entre Israéliens et Palestiniens s'ils ne se parlent pas directement, et ils ont recommencé à se parler. Il n'y a pas de paix si, chacun dans sa partie, ne fait pas preuve de courage, d'un côté Ariel Sharon en réussissant le retrait de Gaza - et c'est beaucoup de courage qui lui est demandé, je veux le dire à nouveau, Ariel Sharon est courageux en prenant cette décision puisqu'elle lui pose beaucoup de problèmes dans son pays sur le plan politique - et, de l'autre côté, Mahmoud Abbas, nouveau président palestinien, élu démocratiquement - quelle belle preuve de maturité et de responsabilité ont donné les Palestiniens par leur vote - qui doit, lui aussi, prendre des mesures difficiles et courageuses.
Q - L'en sentez-vous capable ?
R - Il en est capable. Il est le partenaire de la paix, il a l'autorité. J'ai également rencontré Mahmoud Abbas à Ramallah lundi soir dernier, il faut qu'il réussisse et il reste peu de temps pour que l'un et l'autre fassent la preuve de ce progrès. Après quoi, le moment viendra, après la première rencontre que nous aurons à Londres pour aider l'Autorité palestinienne, probablement en maintenant l'horizon, et l'horizon c'est quoi, c'est la création d'un Etat palestinien vivant côte à côte, en sécurité, avec Israël. Il y aura, probablement d'ici à la fin de l'année, le besoin d'une nouvelle conférence internationale pour faire repartir ensemble le processus de paix, après les premières étapes, après les premières marches qui sont devant nous pour les semaines qui viennent, mais c'est possible.
Comme ministre français des Affaires étrangères, je considère la paix au Proche-Orient comme la responsabilité de notre génération parce que ce conflit est central, il a des ondes de choc partout, non seulement dans la région mais partout, dans toutes nos sociétés.
Q - On a pu voir aujourd'hui une vidéo de l'otage italienne Giuliana Sgrena qui lance un appel désespéré à son pays et qui demande le retrait des troupes étrangères d'Irak, avez-vous des signes de vie de Florence Aubenas et de son guide ?
R - Florence Aubenas et Hussein Hanoun ont disparu maintenant il y a plusieurs semaines. D'abord, je veux dire que je trouve formidables la dignité et le courage de leurs familles. Je trouve formidable la mobilisation permanente de "Libération", son journal, de vous tous, ses confrères ; cette mobilisation est très importante pour maintenir la vigilance et pour dire que vous êtes, que nous sommes attachés à la démocratie au coeur de laquelle il y a la liberté de s'exprimer, la liberté de commenter et de rendre compte, y compris des situations les plus dangereuses.
Sachez simplement, puisque votre question manifeste une inquiétude, que les autorités françaises, nos services, nos diplomates, à Bagdad et à Paris, sont mobilisés. Nous le sommes exactement comme nous l'avons été pour Christian Chesnot et Georges Malbrunot depuis le premier jour. Nous travaillons pour qu'ils reviennent à la maison le plus vite possible. Voilà ce que je peux dire.
Q - Monsieur le Ministre, êtes-vous assuré qu'ils sont vivants ?
R - Nous avons eu des indications qui nous donnent l'espoir qu'ils puissent revenir un jour, voilà ce que je peux dire.
Q - Il y a une autre otage française, dans une autre région du monde, dont on va célébrer, si j'ose dire, les trois ans de captivité dans quelques jours, c'est Mme Betancourt, avez-vous des nouvelles à nous donner à son propos ?
R - Vous savez, nous parlons de Florence Aubenas et je vous ai dit notre détermination pour qu'ils reviennent le plus vite possible à la maison, je parle de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun, nous sommes mobilisés de la même manière dans tous ces cas : par exemple, celui de Fred Nérac, dont nous n'avons toujours pas de nouvelles et pour lequel nous voulons la vérité que nous demandons aux autorités irakiennes, et naturellement, celui d'Ingrid Betancourt que je connais et que j'avais rencontrée à Bruxelles, quelques semaines avant son enlèvement, là aussi nous travaillons. Ce sont des circonstances difficiles ; ni en Irak, ni partout ailleurs dans le monde, ces situations ne se ressemblent. Les raisons de ces enlèvements ou de ces disparitions ne sont pas les mêmes, les raisons de ceux qui provoquent de telles disparitions ne sont pas les mêmes et donc, la manière de dialoguer, de traiter, de nouer des fils est forcément différente. Elle l'est en Irak, on voit bien que les situations ne sont pas les mêmes, elle l'est naturellement lorsqu'il s'agit d'un pays d'Amérique du Sud.
Q - George Bush est attendu en début de semaine prochaine à Bruxelles où il doit avoir des entretiens avec les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN et de l'Union européenne ; un dîner est prévu avec Jacques Chirac. Après la tournée de Condoleezza Rice, qu'attend la France de cette visite ?
R - Je trouve très important que Condoleezza Rice soit venue faire cette tournée chez nous en Europe. Je trouve très important que le président des Etats-Unis, comme l'un des premiers actes de son nouveau mandat, vienne faire cette visite pour rencontrer, non seulement les membres de l'OTAN, mais aussi les dirigeants européens ; et nous aurons en effet cette rencontre bilatérale entre Jacques Chirac et George Bush à Bruxelles. Ce sera d'ailleurs, une nouvelle rencontre puisqu'ils se sont vus à Paris au mois de juin dernier, à l'occasion des cérémonies de l'anniversaire du débarquement.
La question n'est pas de savoir ce que les Américains attendent des Européens ou ce que nous, Européens, attendons des Américains, la question est de savoir ce que Américains et Européens peuvent faire ensemble pour relever les défis du monde d'aujourd'hui ; c'est la question qui m'intéresse : que peut-on faire ensemble, que veut-on faire ensemble pour faire face au terrorisme, pour faire revenir la paix au Proche-Orient, pour faire sortir l'Irak de cette tragédie autrement que par les armes, pour faire face aux défis du réchauffement climatique, de la pauvreté, et pour faire face au sous-développement.
Q - Que peut-on faire ensemble ?
R - Nous avons tellement de défis à relever en même temps, dans ce monde qui est dangereux, désordonné, instable. On ne peut les relever bien qu'ensemble. J'ai dit à Condi Rice, lorsque je l'ai reçue, que le monde va mieux lorsque les Européens et les Américains travaillent ensemble ; c'est le fond de ma conviction et voilà dans quel esprit nous allons recevoir le président des Etats-Unis.
Q - Monsieur le Ministre, pour faire avancer les choses, pour travailler ensemble, il faut bien s'entendre, Paris et Washington s'entendent-ils mieux aujourd'hui qu'il y a deux ans dira-t-on ?
R - Nous avons eu des désaccords, nous avons encore des désaccords, sur tel ou tel dossier dont on pourra parler, y compris concernant la manière de concevoir le nouvel équilibre du monde, entre plusieurs puissances ou plusieurs pôles, mais je veux dire que, malgré ces désaccords que personne n'oublie, que je ne veux pas effacer, notamment le grave désaccord sur la manière de faire partir Saddam Hussein, nous avons aussi beaucoup d'occasions de travailler ensemble et cela, si on veut être objectif, il ne faut pas les effacer.
Nous sommes ensemble dans la lutte contre le terrorisme, la France dirige les troupes de l'OTAN en Afghanistan, nous sommes ensemble au Kosovo, nous sommes ensemble dans beaucoup de crises africaines, nous avons été ensemble à Haïti, nous travaillons donc ensemble avec les Américains ; il y a peut-être un défaut dans les années passées, c'est que nous ne nous sommes pas assez souvent parlé, notamment lorsque nous avions des désaccords. Je souhaite donc que cette nouvelle relation transatlantique soit une relation où l'on se parle davantage, où l'on parle politique davantage.
Q - Et quand on se parle, on sent encore une certaine réserve du côté américain et un certain scepticisme du côté français. Quand vous dites, "alliance oui, mais allégeance non", il y a tout de même un certain scepticisme que vous exprimez.
R - Ah non ! Il y a une conviction que j'exprime qui est que l'Alliance atlantique dans laquelle nous sommes, sans état d'âme et sans complexe, ne peut être efficace que si elle repose sur deux piliers équilibrés. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que les Américains doivent avoir confiance en nous davantage peut-être que par le passé et cela veut dire aussi que les Européens doivent avoir confiance en eux-mêmes et bâtir ce pilier ou ce pôle crédible à travers la Constitution - dont nous parlerons sans doute tout à l'heure - une politique étrangère commune et une défense commune européennes.
Q - (Sur les relations avec les Etats-Unis)
R - Et nous n'avons pas abandonné notre volonté de construire une Europe européenne, d'avoir une défense qui soit à la fois autonome et complémentaire. J'y ai beaucoup travaillé dans le cadre de la Constitution et nous souhaitons, maintenant que l'Irak est en train de sortir, par la politique, par la démocratie, par un processus politique, de cette tragédie - on voit bien que l'Irak reste un pays dangereux et instable - nous souhaitons avoir des relations amicales, confiantes avec un pays, permettez-moi de le rappeler, personne ne doit l'oublier, dont nous avons toujours été l'allié. Nous sommes alliés, Américains et Français, depuis toujours, nous n'avons jamais été en guerre les uns contre les autres.
Ce qui est peut-être nouveau, dans notre état d'esprit, c'est que maintenant, nous voulons regarder devant nous, et en regardant devant nous, je vois beaucoup de défis et de problèmes que nous devons relever ensemble, mieux que chacun chez soi ou chacun pour soi.
Q - Il y a une petite affaire qui, en ce moment grippe un peu les relations franco-américaines, c'est l'affaire Executive Life, cela coûte 600 millions de dollars aux contribuables français, à peu près 22 euros par foyer. On a le sentiment que l'Amérique nous fait un peu payer notre désaccord avec elle sur la guerre en Irak.
R - Franchement, je crois que vous avez tort de mêler cette affaire qui est une affaire de justice, avec un procès dont nous ne connaissons pas les conséquences, et avec la possibilité d'un accord préalable pour solder le passé. Permettez-moi de le dire, je crois que vous avez tort de mêler ou de mélanger une affaire de cette nature avec les relations politiques et la diplomatie, les grands enjeux géostratégiques, je crois qu'ils n'ont rien à voir l'un avec l'autre.
Q - L'un des dossiers qui fâche, sur le fond entre les Etats-Unis et l'Europe, c'est le dossier iranien, vous l'évoquiez tout à l'heure.
Pour dissuader l'Iran de se doter de l'arme atomique, les Européens privilégient la négociation, tandis que les Etats-Unis n'excluent pas une option militaire. Croyez-vous sérieusement à un nouvel engagement militaire des Etats-Unis en Iran ? Le jugez-vous plausible ou improbable ?
R - J'ai entendu le président des Etats-Unis, j'ai entendu ma collègue Condoleezza Rice dire qu'il n'était pas question d'une option militaire aujourd'hui. De quoi s'agit-il ? L'Iran mène des activités de retraitement et d'enrichissement pouvant le conduire à disposer de l'arme nucléaire. Franchement, ni l'Iran, ni cette région si instable, n'ont besoin d'armes de destruction massive supplémentaires, nous voulons donc éviter cette prolifération là-bas, comme nous voulons l'éviter d'ailleurs en Corée du Nord. Nous avons choisi, comme pour la Corée du Nord, la négociation, la pression internationale et l'idée d'entraîner ces pays à se tenir bien et finalement, dans un contrat gagnant-gagnant en renonçant à l'arme nucléaire, à gagner une place, un rôle, un développement économique et politique supplémentaire. Encore une fois, nous avons besoin de l'Iran, de ce peuple qui est un grand peuple, qui a une place importante dans cette région pour la stabilité de cette région et nous voulons les convaincre qu'il y a tout à gagner à aller au bout de la négociation politique. Les Américains, c'est vrai, sont sceptiques, ils se méfient ; nous-mêmes nous avançons les yeux ouverts dans cette négociation mais pour l'instant, cela marche, pour l'instant, nous avançons pas à pas avec les Iraniens et ils ont pris les premiers engagements : le 15 novembre, cela s'est passé au-dessus de mon bureau, au Quai d'Orsay, et je pense que nous pouvons mener à bien, avec le soutien des Etats-Unis dont nous avons besoin, avec le soutien des Russes que nous informons et qui nous aident, avec le soutien des Chinois, et de tous les autres pays européens, nous pouvons mener à bien cette négociation politique. C'est l'intérêt général et cette option diplomatique vaut beaucoup mieux que toutes les autres.
Q - Le temps et sa réorganisation sont un des principaux tests de l'établissement d'un nouveau partenariat transatlantique. M. Shroëder a ouvert à Munich le débat en souhaitant une réforme de l'OTAN qu'il adapte, au temps, au présent et à l'importance prise par l'Union européenne. La réaction de Rumsfeld n'a guère été positive. Est-ce qu'il n'y a pas là un désaccord majeur ?
R - Si vous posez tous ces problèmes les uns derrière les autres, en disant tout cela ce sont des désaccords, ce sont des drames.
Q - Ce sont des problèmes qui se posent, qui sont sur la table posés par le Chancelier allemand, pardonnez-moi.
R - C'est tout à fait normal. Ce n'est pas un problème, ni un drame, ni une tragédie euro-atlantique que de poser la question de l'avenir de l'OTAN. Comment fait-on face à toutes ces nouvelles menaces, qui ne sont plus les mêmes que celles du temps de la guerre froide, à l'époque où l'OTAN a été créée ? Nous sommes dans un monde qui est en désordre, qui est dangereux. On voit bien que l'OTAN sort déjà de son territoire historique. Nous sommes en Afghanistan, avec l'OTAN. La France y est, encore une fois, sans complexe et sans états d'âme, puisque nous sommes, je crois, le deuxième contributeur en troupes au sein de l'OTAN. C'est nous qui assumons, nous Français, le commandement des troupes de l'OTAN actuellement en Afghanistan, comme au Kosovo. Nous n'avons pas d'états d'âme et il n'y a pas de drame, ni de problème à poser la question de l'avenir de l'OTAN. Comme l'a dit Michèle Alliot-Marie, cette réflexion sur l'avenir de l'OTAN n'est pas incompatible, je crois même qu'elle doit être compatible, avec la création d'une vraie défense européenne. J'ai beaucoup travaillé sur la question de la défense européenne. C'est une des raisons pour lesquelles je ferai campagne pour le "oui" à la Constitution européenne, parce qu'elle est la preuve que l'Union sera bien davantage qu'un supermarché ou même qu'une communauté solidaire, ce sera un acteur politique. Nous allons avoir avec cette Constitution, si nous le voulons, une défense européenne et une politique étrangère commune. Ce n'est pas incompatible et, encore une fois, l'OTAN, qui est l'outil militaire transatlantique, a intérêt à s'appuyer sur une vraie défense européenne. Voilà un débat que nous voulons ouvrir et nous voulons convaincre les Américains qu'ils ont intérêt à avoir une Europe forte. Je voudrais, pour compléter ma réponse, faire allusion à une phrase que le Dr Rice a prononcé au Quai d'Orsay l'autre jour quand je l'ai reçue. Elle a dit avec beaucoup de force, et c'est peut-être une des premières fois que j'entendais cette phrase avec beaucoup force : "Les Etats Unis ont besoin d'une Europe forte" et en écho, en la remerciant d'avoir prononcé cette phrase, j'ai dit : "Les Européens aussi ont besoin d'une Europe forte." Peut-être en ont-ils besoin d'abord, pour avoir confiance en eux-mêmes.
Q - Nous sommes déjà dans le second volet de cette émission, celui de la ratification d'une Constitution pour l'Europe. Le choix de la France sera décisif à cet égard. Au vu de l'évolution de la situation
R - Les choix des 24 autres pays seront décisifs.
Q - Particulièrement celui de la France, parce qu'il est le plus rapproché.
R - Ne soyez pas arrogant dans votre manière.
Q - Il ne s'agit pas d'arrogance.
R - Mais ces 25 pays doivent ratifier cette Constitution.
Q - Le choix de la France vous intéresse tout de même Michel Barnier ?
R - Il m'intéresse naturellement, mais celui des autres aussi.
Q - Craignez-vous que la réponse de la France soit "non" à ce référendum et à cette Constitution ?
R - Je n'imagine pas que mon pays qui a voulu l'Union européenne, qui a été l'origine, par la voix de Robert Schuman et de Jean Monnet, de ce projet de progrès, de paix, de stabilité qui a tenu ses promesses, que mon pays ne fasse pas cette étape supplémentaire avec les autres pays européens. Je vous le disais avec malice, parce que la ratification doit être la même dans tous les pays. C'est une règle obligatoire que celle de l'unanimité. Mais, le vote des Français ne se décrète pas et ne s'impose pas. Il se construit par le débat, par le dialogue, par l'information. Je vais prendre part à cette campagne, à la place où je me trouve, comme ministre des Affaires étrangères en charge avec Claudie Haigneré, des questions européennes, je vais prendre ce débat tout à fait au sérieux et beaucoup écouter, y compris ceux qui ont des doutes, ceux qui ont envie de voter "non". Je vais essayer de comprendre pourquoi et de les convaincre. Ce débat, ne doit pas être un débat de propagande et de slogans, ce doit être un débat sur le fond. Je vais simplement dire à ceux qui nous écoutent que ce débat, qu'a voulu le président de la République, ce référendum doit porter sur la question de la Constitution, et pas sur d'autres questions. Il ne s'agit pas de dire "oui" ou "non" à Jacques Chirac, "oui" ou "non" à Jean-Pierre Raffarin, "oui" ou "non" à François Hollande. Je veux vraiment qu'on joue sincèrement le jeu de ce référendum et qu'on réponde à la question : "Est-ce que cette Constitution est utile ou pas pour l'Union européenne et pour la place de la France dans l'Union européenne ?" Et sur cette question, dans le détail, je vais répondre à toutes les inquiétudes, à toutes les questions qui se posent.
Q - On va voir les différents sujets tout à l'heure. Est-ce que vous pouvez nous confirmer, M. Barnier, qu'il y a bien des réflexions à l'Elysée, peut-être des réflexions que vous avez partagées avec le chef de l'Etat, pour dire il faut peut-être avancer la date du référendum, parce que le "non" se mobilise et que le "oui" pas du tout ?
R - D'abord, si vous m'écoutez bien, vous voyez bien que ceux qui vont faire campagne pour le "oui" à droite et à gauche.
Q - Qui vont faire campagne, mais pour l'instant la campagne justement est assez atone dans le camp du "oui" ?
R - Claudie Haigneré participe à beaucoup de débats, de réunions. Il y a eu un débat à l'intérieur du parti socialiste extrêmement sérieux, intelligent, un vrai débat. Vous ne pouvez pas dire que ceux qui expliquent leur vote favorable à la Constitution, n'ont pas déjà pris la parole. Ils vont continuer à la prendre progressivement. Et ce vote sera pluriel. Il faut qu'il soit pluriel. Il y a des gens de droite, de gauche ou du centre, qui veulent voter "oui", comme d'ailleurs d'autres, probablement, veulent voter "non". Alors vous me posez la question de la date de ce référendum. Comprenez-moi, je suis ministre des Affaires étrangères, je travaille sous l'autorité du chef de l'Etat et c'est sa responsabilité de choisir le moment de ce référendum. Le président regarde ce qui se passe, il regarde aussi la manière dont se déroule le débat préalable sur la révision de la Constitution française.
Q - Le Premier ministre hier a dit aux sénateurs, il faut aller vite. Donc, cela a donné une petite indication qu'effectivement sur sa volonté éventuellement.
R - Oui, nous souhaitons que le débat de révision constitutionnelle, tout en donnant au Parlement le droit et le temps de s'exprimer, aille vite et après, le président de la République prendra sa décision pour inviter les Français à se prononcer. Ce qui me paraît important, c'est qu'il y ait, en toute hypothèse, quelle que soit la date de ce référendum, que ce soit plus tôt ou plus tard que vous ne le pensez, dans les mois ou les semaines qui viennent, il faut qu'il y ait le temps du débat, il ne faut pas bâcler le débat. Les Français ont besoin d'informations. Nous avons ouvert avec Claudie Haigneré, un numéro de téléphone 0 810 2005 25.
Q - C'est bien, vous faites campagne ?
R - Oui, je fais campagne. Je fais campagne pour l'information. Et ce téléphone, depuis qu'il existe, depuis quelques jours, reçoit 400 à 500 appels par heure. Ecoutez-moi bien, 400 à 500 appels par heure, de gens qui veulent poser des questions sur tel ou tel article et la majorité d'entre eux qui appellent, qui vont appeler, demandent le texte de la Constitution. On voit bien qu'il y a une soif de comprendre pour ensuite pouvoir voter.
Q - Ils demandent aussi un commentaire éventuel ?
R - Comment ?
Q - Ils demandent aussi un commentaire ?
R - Non, les gens qui répondent au téléphone ne font pas de commentaire. Ils donnent des explications sur tel ou tel article de manière extrêmement factuelle et objective et surtout les gens nous demandent le texte. On a besoin de lire le texte pour comprendre. D'ailleurs, je veux dire qu'il faut le lire, parce que c'est une des premières fois qu'un texte européen est vraiment lisible.
Q - Dans l'actualité européenne récente, M. Barnier, il y a un texte un peu compliqué, qu'on appelle la directive Bolkestein qui en gros est une libéralisation des services au sein de l'Europe, qui fait craindre à beaucoup une sorte de dumping social d'un pays à l'autre. J'ai deux questions à ce propos. La première, considérez-vous que c'est le meilleur moyen de faire gagner le "oui" ? Vous aviez vous-même approuvé ce texte, lorsque vous étiez commissaire européen. Le gouvernement français également, par la voix de Noëlle Lenoir qui était alors ministre des Affaires européennes et aujourd'hui le gouvernement demande sa remise à plat. On a l'impression un petit peu d'un sauve-qui-peut ?
R - Non, il n'y a pas de sauve-qui-peut.
Q - Il y a une évolution, voire une contradiction ?
R - Il y a une évolution. Il y a ceux qui s'inquiètent de la fabrication des textes européens, qui craignent que la bureaucratie bruxelloise n'impose des textes sans que personne n'en discute. Mais on a la preuve que ce n'est pas le cas. La preuve que les textes européens sont fabriqués, patiemment, avec beaucoup de temps et peuvent être remis en cause. Donc, c'est aussi une manière de rassurer les gens qui s'inquiètent.
Q - On a le sentiment que ce texte serait passé, s'il n'y avait pas eu un référendum à gagner en France ? Par exemple, dans quelques mois ?
R - Pas du tout. Vous vous trompez. Il y a eu une première lecture de ce texte, après un débat très difficile, au sein de la Commission ; puisque j'ai été commissaire, vous l'avez rappelé, j'ai donné mon point de vue sur les risques.
Q - Votre accord ?
R - Oui, bien sûr, la Commission discute collégialement. Ce n'est pas un commissaire qui impose son point de vue aux dix-neuf autres. Nous étions vingt à l'époque. Donc, j'ai donné mon sentiment à l'intérieur de la Commission. On a d'ailleurs modifié un certain nombre de points de la directive, qui est en elle-même un texte utile, permettez-moi de vous le dire. Dans une économie européenne et française, qui a une telle part de services, avec les banques, les assurances, nous avons intérêt à une harmonisation. Pas par le haut. Mais nous avons intérêt à jouer à armes égales dans le Marché commun, sinon nos services sont privés de la capacité d'être dynamiques, et peut-être d'aller sur les marchés des autres pays européens. Parce que nous avons beaucoup d'emplois dans les services. Donc, nous avons intérêt à être dynamiques dans le même marché. Ce texte, j'ai considéré qu'il était utile. Mais il pose les problèmes. Et au fur et à mesure que la discussion à lieu au Conseil des ministres, et surtout au Parlement européen qui joue son rôle, je le dis en passant, pour ceux qui se demandent à quoi servent les députés européens, ils jouent leur rôle. Et c'est le Parlement européen, indépendamment du débat en France ou ailleurs sur la Constitution, qui a mis le doigt sur les problèmes, les risques, pour telle ou telle profession. Et j'avais moi-même mis le doigt sur la question des services publics, sur la question de l'audiovisuel et sur la question de la santé publique. Voilà pourquoi j'ai demandé, comme le souhaitait le président de la République, la remise à plat de ce texte sur lequel nous allons retravailler pour l'améliorer.
Q - Il y a eu une altercation, si je puis dire, au début de semaine à l'Assemblée nationale, sur le voyage en Turquie de Jean Louis Debré, accompagné des présidents de groupes. Il lui a été reproché un petit débat un peu vif entre les "sarkozistes" et lui. Est-ce que vous n'avez pas l'impression que toute la campagne finalement sur la Constitution européenne va être "plombée" par ce "boulet" turc ?
R - Vous avez une manière de poser les questions toujours en me ramenant à la politique française politicienne.
Q - Vous êtes aussi un dirigeant politique français, non ?
R - Mais ces querelles ne m'intéressent pas. J'ai trouvé très intéressant et très utile que le président de l'Assemblée nationale, accompagné des quatre présidents des groupes politiques de droite et de gauche, aillent écouter les autres. Quand donc cesserons-nous de croire que l'Europe est à côté, que les autres doivent toujours venir nous voir ? Il faut aller voir les autres pour comprendre, pour les écouter, pour les respecter. Le débat turc, il existe, moi, je suis tout à fait prêt à en parler dans toutes les semaines et les mois qui viennent, je dirais que cette question turque n'a rien à voir avec la Constitution, parce que c'est la vérité. La question de la Turquie se posera dans quinze ou vingt ans, après qu'on a longuement.
Q - Et d'aller en Turquie, ça ne brouille pas ce message-là que vous voulez faire passer ?
R - Mais cette question se pose. Les gens qui nous écoutent ce soir, ici, sur votre radio, se posent cette question. Donc il faut que les parlementaires soient capables de répondre, de dire quel est l'état de la société turque. La question turque ne se posera pas avant dix ou quinze ans, peut-être plus tard, après qu'on a mené un processus extrêmement rigoureux, patient, de négociation. Peut-être qu'elle n'aboutira pas, cette négociation, mais ce n'est pas le sujet d'aujourd'hui. En revanche, les gens se posent cette question parce qu'on en a parlé. Donc je trouve que c'est l'honneur des parlementaires que d'aller s'informer, d'aller écouter les dirigeants turcs et de rapporter des réponses.
Q - Monsieur Barnier, en Espagne, les partisans du "oui" ont fait appel à des vedettes du sport ou du show-business pour mener la campagne. Est-ce que c'est une idée à reprendre en France ? Est-ce qu'on verra, par exemple, je ne sais pas, Zinedine Zidane appeler à voter "oui" ?
R - Pourquoi pas dans le cadre.
Q - Est-ce que vous avez pris contact avec des personnalités de ce type ?
R - Ecoutez, d'abord, nous avons un problème d'ordre institutionnel qui nous oblige à ne pas utiliser de l'argent public - vous m'interrogez comme ministre, ma réponse est non - parce que nous voulons que le débat démocratique, l'information, soit la plus neutre possible pour que les Français aient l'information à laquelle ils ont droit, mais qu'on n'utilise pas de l'argent public dans un sens ou dans un autre. Donc, si telle ou telle personnalité s'exprime pour le "oui" ou pour le "non", ces gens le feront dans le cadre de la campagne des partis politiques. Mais le gouvernement, lui, veut mener le débat et donner l'information de la manière la plus objective et la plus impartiale possible. Nous avons simplement décidé, avec Claudie Haigneré, de faire une campagne de spots radio, qui a lieu en ce moment, et de spots TV, qui décriront de manière extrêmement factuelle et impartiale les articles de la Constitution les plus importants et qui appelleront les citoyens à téléphoner s'ils veulent en savoir plus ou recevoir la Constitution chez eux.
Q - Michel Barnier, quelles seraient les conséquences d'un "non" de la France au référendum ?
R - Je n'imagine pas cette hypothèse.
Q - Il faut bien l'imaginer.
R - Ecoutez, vous poserez cette question à des gens qui peuvent faire des commentaires, des analyses, à certains de vos confrères, mais pas à un homme politique, un ministre, patriote passionné comme je le suis, fier d'être Français et définitivement européen puisque la France et l'Europe vont ensemble. Je vais me battre pour expliquer à ceux qui m'écouteront pourquoi il faut approuver cette Constitution, pourquoi elle est utile à la France et à l'Europe. Je n'imagine pas l'hypothèse de l'échec.
Q - Donc, pas de dramatisation.
R - Pas de dramatisation, pas de propagande, pas de slogan. Du respect pour tous les citoyens, quelles que soient leurs inquiétudes ou leur vote aujourd'hui ou leur intention. Nous avons là l'occasion d'un vrai débat démocratique comme il y en a très peu eu depuis quarante ans. Depuis cinquante ans on a beaucoup construit l'Europe pour les citoyens, mais sans les citoyens, à part avec le référendum sur Maastricht.
Q - Je vais changer de sujet, je voudrais un mot sur la Côte d'Ivoire. Le président Chirac a dit : "Si les Africains ne veulent pas que l'on reste et, singulièrement, les Ivoiriens, nous partirons." Michèle Alliot-Marie a dit : "On reste jusqu'au mois d'avril, et puis, après, on verra." La France maintient-elle son dispositif Licorne, ses 5.000 soldats, ou la France s'en va-t-elle ?
R - La France ne s'en va pas. Nous sommes là non pas du fait de notre seule et propre volonté, nous sommes là à la demande des Nations unies. Le dispositif Licorne fait partie de l'ONUCI, qui est une force internationale mandatée par les Nations unies. Michèle Alliot-Marie parle du mois d'avril, pourquoi ? Parce qu'au mois d'avril, la question sera posée de savoir si l'on maintient le dispositif. Et je pense qu'il sera utile de maintenir le dispositif pour inviter, obliger, encourager à agir les différentes parties de ce conflit ivoirien, qui sont des hommes politiques qui ont le destin de leur pays entre les mains, et c'est bien eux qui l'ont, encourager, donc, les uns à organiser des élections présidentielles ouvertes, les autres à désarmer, rétablir la stabilité et l'avenir de ce pays. La question se posera au mois d'avril, mais pour préserver la présence des Nations unies.
Q - Le ministre de l'Economie, Hervé Gaymard, vient d'annoncer qu'il renonçait à occuper l'appartement de fonction qui était mis à sa disposition. Vous estimez que c'est une sage décision après la polémique qui est née ?
R - Ecoutez, je connais bien Hervé Gaymard, il est Savoyard, comme je le suis. C'est quelqu'un de rigoureux, qui a le sens de l'intérêt général. Il y avait une polémique. Pourtant, tout avait été fait dans les règles et en respectant, d'une manière transparente, les règles. Probablement, cette polémique montre qu'il faut préciser davantage, rendre plus rigoureuses les règles en fonction desquelles les ministres, quels qu'ils soient, de droite ou de gauche, selon les gouvernements, peuvent habiter en dehors de leur ministère, quand ils y sont obligés. Je pense que si de telles dispositions sont prises, je pense que tous les ministres en seront d'accord
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2005)