Texte intégral
Je vous remercie de m'avoir invité.
Avec mon épouse, nous sommes heureux d'être ici ce soir parmi vous, pour vous témoigner notre attention et notre amitié.
Je connais l'importance et le rôle du CRIF, dont les bases furent posées à Lyon dans les heures sombres de l'occupation.
Vous avez su en faire un outil de solidarité et de dialogue.
Au fil des ans, les CRIF régionaux sont venus renforcer l'édifice et élargir les occasions de rencontres comme celle de ce soir.
Je prolonge ici avec vous le contact permanent que j'entretiens avec vos représentants nationaux dans le cadre de mes responsabilités ministérielles.
Je suis heureux d'être ici, dans les Alpes-Maritimes. Cette terre a toujours été une terre d'accueil et de protection depuis des siècles de nombreux juifs contraints à l'exil comme vous l'avez rappelé.
Notre rencontre coïncide avec le soixantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale et de la libération des camps. Nous avons encore en mémoire l'appel émouvant de Simone VEIL à Auschwitz : "que les hommes s'unissent au moins pour lutter contre la haine de l'autre, contre l'antisémitisme et le racisme, contre l'intolérance !".
Cet appel garde une actualité pressante.
J'entends l'inquiétude dont vous vous êtes fait l'écho.
Vous avez vous-même souligné la détermination du Président de la République et du Premier Ministre à combattre sans faiblesse l'intolérance, le racisme et l'antisémitisme.
A leur initiative, le gouvernement s'est mobilisé pour s'opposer à toutes les formes de résurgence d'actes antisémites.
Cela s'est traduit d'abord, au niveau de l'Etat, par la création du Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, chargé de coordonner l'action de toutes les administrations, et de définir les priorités d'action.
J'y participe, aux côtés du Premier Ministre. Je puis vous assurer qu'il permet l'expression forte d'une volonté politique sans ambiguïté et dont les effets sur le terrain sont aujourd'hui mesurables.
Sous mon impulsion, le Ministère de la Justice prend toute sa part dans cette mobilisation.
J'agis d'abord par conviction profonde et personnelle : l'antisémitisme est contraire à l'idée que je me fais de la France.
Aucune de ses manifestations, aucune de ses insinuations, aucun de ses procédés ne trouvent grâce à mes yeux. Tout en lui heurte mon intelligence et mon cur.
J'agis aussi parce que c'est mon devoir : la justice n'est pas seulement une institution.
Elle constitue une valeur essentielle de notre démocratie. Elle participe à notre manière de vivre ensemble, dans la sécurité et le respect de la dignité de chacun.
Par circulaire du 18 Novembre 2003, j'ai fait connaître aux parquets généraux, les instructions que je souhaitais voir appliquer en réponse aux actes antisémites.
Les parquets avisent désormais en temps réel la Chancellerie de toute infraction à caractère antisémite portée à leur connaissance.
Cela nous a permis en 2004 de recenser et de traiter 430 cas d'infractions à caractère antisémite.
Chacune de ces infractions fait l'objet par les parquets d'un suivi précis des moyens mis en uvre par les services de police judiciaire pour faciliter l'identification et l'arrestation des auteurs de l'acte.
L'action publique est mise en mouvement dans les délais les plus brefs sous la plus haute qualification pénale utile. Chaque fois que cela est possible, la voie de la comparution immédiate est utilisée.
En cas d'ouverture d'information, les parquets prennent des réquisitions de placement en détention provisoire, en considération notamment du trouble causé à l'ordre public.
Devant les juridictions de jugement, j'ai demandé que les réquisitions soient d'une particulière fermeté et prévoient une application exemplaire des sanctions prévues par la loi pénale.
Pour ce qui est des victimes, elles doivent être strictement informées des suites des investigations et des procédures judiciaires, avec l'aide si nécessaire des associations locales d'aide aux victimes.
Enfin, chaque parquet général a désigné un magistrat référent dont la mission est d'assurer les relations avec les représentants de la communauté juive et de veiller à la cohérence des réponses pénales.
Telles sont les instructions que j'ai données et qui ont été mises en uvre dans chaque cour d'appel.
Dans le même temps, j'ai mis en place à la Chancellerie un groupe de travail permanent auprès du Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces, composé de magistrats, d'avocats et de représentants de la communauté juive ; outre son rôle de liaison et d'information, je lui ai donné pour mission d'analyser et d'évaluer notre dispositif judiciaire actuel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
Son travail d'évaluation porte sur l'évolution normative, sur l'outil statistique et sur l'action des magistrats référents. De plus, ce groupe est chargé de me faire toutes propositions utiles pour lutter plus efficacement contre la propagation de l'antisémitisme sur Internet.
Enfin, j'ai fait diffuser au printemps dernier à toutes les juridictions un guide actualisé des dispositions pénales en matière de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.
Je crois aussi nécessaire que la formation des magistrats et fonctionnaires du ministère de la Justice s'ouvre plus largement sur ces questions : dès 2004, l'Ecole Nationale de la Magistrature a fait travailler sur les discriminations raciales un groupe de recherche d'une quinzaine d'étudiants qui ont ensuite restitué l'essentiel de leurs travaux à leur promotion.
De même, des dossiers soumis à l'examen des auditeurs de justice ont comporté des cas concrets d'infractions racistes ou antisémites.
Dans le cadre de la formation continue, une première session de formation de magistrats, de policiers et de fonctionnaires de la Protection Judiciaire de la Jeunesse a eu lieu sur le thème des " moyens de lutte contre le racisme et l'antisémitisme ".
Au niveau européen, plusieurs magistrats ont participé à des actions du réseau européen de formation judiciaire, sur le thème des discriminations raciales en Europe et des directives européennes en matière de lutte contre ce phénomène.
L'implication de l'institution judiciaire est plus forte qu'elle ne l'a jamais été. Je veux qu'elle se poursuive dans la durée.
En 2004, nous avons constaté des résultats encourageants. La mobilisation commence à produire ses effets.
Le taux de réponse pénale a été très supérieur à celui des autres contentieux puisqu'il s'est élevé à 92 % des infractions constatées. Les 8 % de classement ont été motivés soit par l'état mental des auteurs, soit par un retrait de la plainte.
Le taux de réponse pénale élevé résulte directement de l'effort sur les moyens mis en uvre pour identifier les auteurs des faits.
Les violations et les dégradations de sépulture ont ému beaucoup de familles par leur indignité.
Une attention particulière a été portée sur ces infractions. La répression s'est accrue.
Alors qu'en 2003, seulement 7 affaires avaient été portées à la connaissance des parquets, c'est 57 dossiers, impliquant tous les cultes, qui ont été ouverts en 2004. Sur les 13 d'entre eux déjà élucidés, tous ont entraînés des poursuites. Des condamnations ont été prononcées, y compris de la prison ferme.
Ce fut notamment le cas, le 8 novembre dernier, au Tribunal correctionnel de Verdun. L'auteur de la profanation du monument commémoratif israélite de la nécropole de Fleury-devant-Douaumont a été condamné, conformément aux réquisitions du parquet, à deux ans de prison dont un an ferme.
Mais, la réponse pénale a su aussi s'adapter aux auteurs d'infractions et utiliser lorsque cela est plus pertinent l'alternative aux poursuites. C'est ce qui a été fait en 2004 dans 20 % des cas.
Par exemple, à Brive, en Corrèze, le procureur a fait effacer des inscriptions sur les murs de la commune d'Argentat par leurs auteurs, trois mineurs manifestement ignorants de l'Histoire comme du passé de leur propre famille et les a envoyés à Oradour-sur-Glane où ils ont été pris en charge par l'un des survivants de ce village martyr.
Lorsque cela a été nécessaire, nous avons aussi modifié la loi.
J'ai personnellement soutenu devant le Parlement la proposition de loi déposée par Pierre LELLOUCHE, devenue depuis la loi du 3 Février 2003, qui a permis de créer une circonstance aggravante pour des infractions commises avec une intention raciste, antisémite ou xénophobe.
Sur les 430 affaires recensées par le Ministère de la Justice, 222 ont permis de retenir dès le stade de l'enquête de police ou de gendarmerie la circonstance aggravante d'antisémitisme.
J'ai également introduit dans la loi du 9 mars 2004 -dite PERBEN II- des dispositions qui prévoient d'allonger la durée de prescription de l'action publique de trois mois à un an pour les infractions de diffamation et injure raciale, incitation à la haine raciale et révisionnisme.
Certes, chacun a le droit de s'exprimer librement. C'est une valeur essentielle de la démocratie. Mais si j'ai décidé, sur ce point, de modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse, c'est qu'il y a une exigence plus forte encore : le respect de la personne humaine, quelle que soit son appartenance à telle ou telle communauté.
Nous ne devons pas banaliser l'intolérance.
J'ai voulu rappeler devant vous mon engagement et celui de l'institution judiciaire face à l'inquiétude des juifs de notre pays qui ont droit, comme tous les citoyens, à la préservation de leur sécurité et de leur dignité.
La sécurité des Français est ma priorité depuis 3 ans. Je me suis battu pour que notre pays se donne les moyens de lutter contre la grande criminalité et contre la délinquance quotidienne, qu'il entende les victimes et qu'il protège les plus faibles, car la sécurité est la première des libertés.
C'est elle qui fait reculer la peur, cette peur de l'autre qui conduit au repli sur soi, à l'éclatement social, et au final à la désagrégation de la société.
Pour moi, la lutte contre l'antisémitisme et toutes les formes de discriminations raciales constitue une action à part entière de notre politique de sécurité. Sa réussite contribue au renforcement du pacte républicain sur lequel repose l'équilibre de notre pays et la confiance des Français dans leurs institutions.
En ce sens, l'antisémitisme n'est pas le problème de la seule communauté juive. Il s'agit d'une question nationale fondamentale, qui concerne tous les Français.
Mais nous devons être conscients que la seule réponse répressive ne suffit pas. Elle était nécessaire. Nous la conduisons sans faiblesse. Mais elle ne suffit pas.
Ce qui nourrit l'antisémitisme d'aujourd'hui c'est d'abord l'ignorance. Cela donne à l'école une responsabilité particulière dans la transmission de nos valeurs, dans l'apprentissage de notre histoire et dans la formation des citoyens de demain.
Je veux rendre hommage devant vous à tous les enseignants qui se sont engagés dans ce combat contre l'ignorance.
Lorsque 45.000 jeunes participent au concours national de la Résistance et de la Déportation, cela signifie que des centaines de classes d'histoire, d'éducation civique ou de français, ont conduit un travail pédagogique de longue haleine.
Par la formation des maîtres, par l'attention portée par les éditeurs au contenu des ouvrages, par les mille liens que l'Ecole sait tisser avec le monde qui l'entoure, un travail de fond progresse, peu connu mais très important.
L'école républicaine est un héritage précieux dont nous sommes tous dépositaires. Vous avez dit avec raison qu'elle n'est plus épargnée par les comportements haineux et les tentatives d'intimidation.
Avec mes collègues, François FILLON et Dominique de VILLEPIN, nous avons unis nos efforts pour que les chefs d'établissements et l'ensemble du corps enseignant se sentent soutenus lorsqu'il s'agit de sanctionner des actes inacceptables.
Nous avons ensemble, à l'automne dernier, précisé les dispositifs à mettre en uvre entre nos trois ministères en matière de lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Ainsi, le Rectorat et le Parquet de Paris ont pu mettre en place un accord qui leur est propre, pour permettre un traitement très rapide des infractions.
J'ai confiance dans l'école. C'est là que se forme l'esprit critique, qui seul permet d'échapper au prêt-à-penser.
Je vous ai entendu exprimer le désarroi de votre communauté lorsqu'elle se voit reprocher son attachement à Israël.
Vous craignez que par voie de conséquence l'antisémitisme devienne une opinion. Une opinion comme une autre. Vous en trouvez les premiers signes dans ces agressions verbales du quotidien au prétexte d'incidents mineurs qui invitent les juifs à rentrer chez eux.
Ce risque existe car je constate comme vous que l'anti-sionisme et l'antisémitisme sont aujourd'hui étroitement mêlés, chacun se nourrissant de l'autre.
A cette dérive possible, il faut répondre par la volonté.
Je m'y emploie lorsque les circonstances l'exigent.
J'ai mis en uvre l'action publique chaque fois que les provocations ont dépassé le tolérable : je ne préjuge pas des décisions qui seront prises par les tribunaux. Je crois être simplement dans mon rôle en refusant de rester passif.
La négation de notre histoire, l'incitation à la haine de l'autre, l'insulte faite aux victimes de l'occupation ne sont pas prises à la légère. Chacun de ces actes a fait l'objet d'une réaction rapide et sans concession.
De la même manière, le gouvernement s'est donné les moyens juridiques d'interdire la diffusion d'une chaîne de télévision aux programmes inacceptables.
Cette volonté dont nous devons faire preuve s'appuie sur une réalité profonde de notre pays.
La France n'est pas raciste, la France n'est pas antisémite.
Vous évoquiez la présence du Président de la République le 8 Juillet dernier au Chambon-sur-Lignon pour honorer la mémoire de ces Français qui risquèrent leur vie pour sauver des enfants juifs.
Je crois comme vous à " la France capable du meilleur " selon la belle formule de Jacques CHIRAC.
Nous avons de bonnes raisons d'espérer en la France. C'est ce que les juifs de France ont toujours fait, dans une ferveur républicaine et patriotique que les épreuves n'ont jamais découragé.
Je sais la place qu'Israël occupe dans vos curs. C'est l'essence même du judaïsme que d'appartenir à un peuple et d'être attaché à la terre promise d'Israël, " Eretz Israël ".
Cela forme votre histoire, cela participe de votre identité.
Les relations entre la France et Israël sont bien entendu une question nationale.
Notre rencontre de ce soir se déroule dans la semaine où, pour la première fois depuis 5 ans, le Premier ministre français s'est rendu en Israël.
Dans cette région du monde, la France poursuit inlassablement trois objectifs : la restauration de la paix, la réconciliation des peuples et le droit à la sécurité pour tous.
La France condamne le terrorisme, partout dans le monde, comme elle le combat sur son propre sol. Le terrorisme est une impasse. Il ne fait qu'aviver des plaies encore ouvertes.
Si la France veut la paix et la sécurité, c'est aussi pour que le terrorisme ne puisse plus se nourrir de la misère, de l'injustice ressentie qui conduit aux actes désespérés.
L'année 2005 est une année d'espoir.
Les dernières élections au Pakistan a donné aux perspectives de paix une dimension nouvelle.
La décision courageuse d'Ariel SHARON, concernant le retrait de Gaza, est soutenue par la France et par la Communauté Internationale. Nous en connaissons la difficulté.
Elle est à l'échelle des espoirs qu'elle permet de nourrir pour la relance du processus politique.
La France est attentive aux solutions qui confortent la stabilité de la région, dans le respect de l'existence de chacun.
La France aura aussi un rendez-vous avec elle-même, le 29 mai prochain.
Je veux vous parlez de ce rendez-vous, même s'il n'est pas, l'objet de notre réunion de ce soir.
Je vois en effet beaucoup de liens entre ce que nous avons dit jusqu'à présent et l'enjeu du choix proposé aux Français.
Vous avez évoqué, comme l'a fait aussi Simone VEIL à Auschwitz, la génération du " plus jamais ça ".
Cette génération a voulu l'Europe. Elle l'a mise en route, moins de 10 ans après la fin de la guerre.
Il fallait du courage et de la volonté aux ennemis de la veille pour parier sur la paix. Ils avaient pu en mesurer le prix dans leurs villes, dans leurs familles, parfois dans leur propre vie.
Aujourd'hui, la paix paraît si facile, si évidente que l'on a parfois scrupule à rappeler qu'elle ne résulte que d'une volonté forte de tous.
L'Europe c'est la paix. L'Europe, c'est la démocratie respectueuse de la dignité de chacun.
Nous devons saisir cette chance.
Chère Madame la Présidente,
Oui, l'année 2005 est une année d'espérance pour nous tous. En venant vers vous, j'ai voulu vous transmettre ma confiance et ma volonté.
J'ai confiance dans les qualités de notre pays.
Lorsque le Président de la République m'a confié la responsabilité du Ministère de la Justice, je ne pensais pas que j'aurais à combattre l'antisémitisme. C'était pour moi un combat qui appartenait à l'Histoire. Mais la lutte contre l'antisémitisme est de nouveau une responsabilité qui nous engage tous. Pour ma part, je l'assume avec détermination.
(Source http://www.crif.org, le 30 mars 2005)
Avec mon épouse, nous sommes heureux d'être ici ce soir parmi vous, pour vous témoigner notre attention et notre amitié.
Je connais l'importance et le rôle du CRIF, dont les bases furent posées à Lyon dans les heures sombres de l'occupation.
Vous avez su en faire un outil de solidarité et de dialogue.
Au fil des ans, les CRIF régionaux sont venus renforcer l'édifice et élargir les occasions de rencontres comme celle de ce soir.
Je prolonge ici avec vous le contact permanent que j'entretiens avec vos représentants nationaux dans le cadre de mes responsabilités ministérielles.
Je suis heureux d'être ici, dans les Alpes-Maritimes. Cette terre a toujours été une terre d'accueil et de protection depuis des siècles de nombreux juifs contraints à l'exil comme vous l'avez rappelé.
Notre rencontre coïncide avec le soixantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale et de la libération des camps. Nous avons encore en mémoire l'appel émouvant de Simone VEIL à Auschwitz : "que les hommes s'unissent au moins pour lutter contre la haine de l'autre, contre l'antisémitisme et le racisme, contre l'intolérance !".
Cet appel garde une actualité pressante.
J'entends l'inquiétude dont vous vous êtes fait l'écho.
Vous avez vous-même souligné la détermination du Président de la République et du Premier Ministre à combattre sans faiblesse l'intolérance, le racisme et l'antisémitisme.
A leur initiative, le gouvernement s'est mobilisé pour s'opposer à toutes les formes de résurgence d'actes antisémites.
Cela s'est traduit d'abord, au niveau de l'Etat, par la création du Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, chargé de coordonner l'action de toutes les administrations, et de définir les priorités d'action.
J'y participe, aux côtés du Premier Ministre. Je puis vous assurer qu'il permet l'expression forte d'une volonté politique sans ambiguïté et dont les effets sur le terrain sont aujourd'hui mesurables.
Sous mon impulsion, le Ministère de la Justice prend toute sa part dans cette mobilisation.
J'agis d'abord par conviction profonde et personnelle : l'antisémitisme est contraire à l'idée que je me fais de la France.
Aucune de ses manifestations, aucune de ses insinuations, aucun de ses procédés ne trouvent grâce à mes yeux. Tout en lui heurte mon intelligence et mon cur.
J'agis aussi parce que c'est mon devoir : la justice n'est pas seulement une institution.
Elle constitue une valeur essentielle de notre démocratie. Elle participe à notre manière de vivre ensemble, dans la sécurité et le respect de la dignité de chacun.
Par circulaire du 18 Novembre 2003, j'ai fait connaître aux parquets généraux, les instructions que je souhaitais voir appliquer en réponse aux actes antisémites.
Les parquets avisent désormais en temps réel la Chancellerie de toute infraction à caractère antisémite portée à leur connaissance.
Cela nous a permis en 2004 de recenser et de traiter 430 cas d'infractions à caractère antisémite.
Chacune de ces infractions fait l'objet par les parquets d'un suivi précis des moyens mis en uvre par les services de police judiciaire pour faciliter l'identification et l'arrestation des auteurs de l'acte.
L'action publique est mise en mouvement dans les délais les plus brefs sous la plus haute qualification pénale utile. Chaque fois que cela est possible, la voie de la comparution immédiate est utilisée.
En cas d'ouverture d'information, les parquets prennent des réquisitions de placement en détention provisoire, en considération notamment du trouble causé à l'ordre public.
Devant les juridictions de jugement, j'ai demandé que les réquisitions soient d'une particulière fermeté et prévoient une application exemplaire des sanctions prévues par la loi pénale.
Pour ce qui est des victimes, elles doivent être strictement informées des suites des investigations et des procédures judiciaires, avec l'aide si nécessaire des associations locales d'aide aux victimes.
Enfin, chaque parquet général a désigné un magistrat référent dont la mission est d'assurer les relations avec les représentants de la communauté juive et de veiller à la cohérence des réponses pénales.
Telles sont les instructions que j'ai données et qui ont été mises en uvre dans chaque cour d'appel.
Dans le même temps, j'ai mis en place à la Chancellerie un groupe de travail permanent auprès du Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces, composé de magistrats, d'avocats et de représentants de la communauté juive ; outre son rôle de liaison et d'information, je lui ai donné pour mission d'analyser et d'évaluer notre dispositif judiciaire actuel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
Son travail d'évaluation porte sur l'évolution normative, sur l'outil statistique et sur l'action des magistrats référents. De plus, ce groupe est chargé de me faire toutes propositions utiles pour lutter plus efficacement contre la propagation de l'antisémitisme sur Internet.
Enfin, j'ai fait diffuser au printemps dernier à toutes les juridictions un guide actualisé des dispositions pénales en matière de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations.
Je crois aussi nécessaire que la formation des magistrats et fonctionnaires du ministère de la Justice s'ouvre plus largement sur ces questions : dès 2004, l'Ecole Nationale de la Magistrature a fait travailler sur les discriminations raciales un groupe de recherche d'une quinzaine d'étudiants qui ont ensuite restitué l'essentiel de leurs travaux à leur promotion.
De même, des dossiers soumis à l'examen des auditeurs de justice ont comporté des cas concrets d'infractions racistes ou antisémites.
Dans le cadre de la formation continue, une première session de formation de magistrats, de policiers et de fonctionnaires de la Protection Judiciaire de la Jeunesse a eu lieu sur le thème des " moyens de lutte contre le racisme et l'antisémitisme ".
Au niveau européen, plusieurs magistrats ont participé à des actions du réseau européen de formation judiciaire, sur le thème des discriminations raciales en Europe et des directives européennes en matière de lutte contre ce phénomène.
L'implication de l'institution judiciaire est plus forte qu'elle ne l'a jamais été. Je veux qu'elle se poursuive dans la durée.
En 2004, nous avons constaté des résultats encourageants. La mobilisation commence à produire ses effets.
Le taux de réponse pénale a été très supérieur à celui des autres contentieux puisqu'il s'est élevé à 92 % des infractions constatées. Les 8 % de classement ont été motivés soit par l'état mental des auteurs, soit par un retrait de la plainte.
Le taux de réponse pénale élevé résulte directement de l'effort sur les moyens mis en uvre pour identifier les auteurs des faits.
Les violations et les dégradations de sépulture ont ému beaucoup de familles par leur indignité.
Une attention particulière a été portée sur ces infractions. La répression s'est accrue.
Alors qu'en 2003, seulement 7 affaires avaient été portées à la connaissance des parquets, c'est 57 dossiers, impliquant tous les cultes, qui ont été ouverts en 2004. Sur les 13 d'entre eux déjà élucidés, tous ont entraînés des poursuites. Des condamnations ont été prononcées, y compris de la prison ferme.
Ce fut notamment le cas, le 8 novembre dernier, au Tribunal correctionnel de Verdun. L'auteur de la profanation du monument commémoratif israélite de la nécropole de Fleury-devant-Douaumont a été condamné, conformément aux réquisitions du parquet, à deux ans de prison dont un an ferme.
Mais, la réponse pénale a su aussi s'adapter aux auteurs d'infractions et utiliser lorsque cela est plus pertinent l'alternative aux poursuites. C'est ce qui a été fait en 2004 dans 20 % des cas.
Par exemple, à Brive, en Corrèze, le procureur a fait effacer des inscriptions sur les murs de la commune d'Argentat par leurs auteurs, trois mineurs manifestement ignorants de l'Histoire comme du passé de leur propre famille et les a envoyés à Oradour-sur-Glane où ils ont été pris en charge par l'un des survivants de ce village martyr.
Lorsque cela a été nécessaire, nous avons aussi modifié la loi.
J'ai personnellement soutenu devant le Parlement la proposition de loi déposée par Pierre LELLOUCHE, devenue depuis la loi du 3 Février 2003, qui a permis de créer une circonstance aggravante pour des infractions commises avec une intention raciste, antisémite ou xénophobe.
Sur les 430 affaires recensées par le Ministère de la Justice, 222 ont permis de retenir dès le stade de l'enquête de police ou de gendarmerie la circonstance aggravante d'antisémitisme.
J'ai également introduit dans la loi du 9 mars 2004 -dite PERBEN II- des dispositions qui prévoient d'allonger la durée de prescription de l'action publique de trois mois à un an pour les infractions de diffamation et injure raciale, incitation à la haine raciale et révisionnisme.
Certes, chacun a le droit de s'exprimer librement. C'est une valeur essentielle de la démocratie. Mais si j'ai décidé, sur ce point, de modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse, c'est qu'il y a une exigence plus forte encore : le respect de la personne humaine, quelle que soit son appartenance à telle ou telle communauté.
Nous ne devons pas banaliser l'intolérance.
J'ai voulu rappeler devant vous mon engagement et celui de l'institution judiciaire face à l'inquiétude des juifs de notre pays qui ont droit, comme tous les citoyens, à la préservation de leur sécurité et de leur dignité.
La sécurité des Français est ma priorité depuis 3 ans. Je me suis battu pour que notre pays se donne les moyens de lutter contre la grande criminalité et contre la délinquance quotidienne, qu'il entende les victimes et qu'il protège les plus faibles, car la sécurité est la première des libertés.
C'est elle qui fait reculer la peur, cette peur de l'autre qui conduit au repli sur soi, à l'éclatement social, et au final à la désagrégation de la société.
Pour moi, la lutte contre l'antisémitisme et toutes les formes de discriminations raciales constitue une action à part entière de notre politique de sécurité. Sa réussite contribue au renforcement du pacte républicain sur lequel repose l'équilibre de notre pays et la confiance des Français dans leurs institutions.
En ce sens, l'antisémitisme n'est pas le problème de la seule communauté juive. Il s'agit d'une question nationale fondamentale, qui concerne tous les Français.
Mais nous devons être conscients que la seule réponse répressive ne suffit pas. Elle était nécessaire. Nous la conduisons sans faiblesse. Mais elle ne suffit pas.
Ce qui nourrit l'antisémitisme d'aujourd'hui c'est d'abord l'ignorance. Cela donne à l'école une responsabilité particulière dans la transmission de nos valeurs, dans l'apprentissage de notre histoire et dans la formation des citoyens de demain.
Je veux rendre hommage devant vous à tous les enseignants qui se sont engagés dans ce combat contre l'ignorance.
Lorsque 45.000 jeunes participent au concours national de la Résistance et de la Déportation, cela signifie que des centaines de classes d'histoire, d'éducation civique ou de français, ont conduit un travail pédagogique de longue haleine.
Par la formation des maîtres, par l'attention portée par les éditeurs au contenu des ouvrages, par les mille liens que l'Ecole sait tisser avec le monde qui l'entoure, un travail de fond progresse, peu connu mais très important.
L'école républicaine est un héritage précieux dont nous sommes tous dépositaires. Vous avez dit avec raison qu'elle n'est plus épargnée par les comportements haineux et les tentatives d'intimidation.
Avec mes collègues, François FILLON et Dominique de VILLEPIN, nous avons unis nos efforts pour que les chefs d'établissements et l'ensemble du corps enseignant se sentent soutenus lorsqu'il s'agit de sanctionner des actes inacceptables.
Nous avons ensemble, à l'automne dernier, précisé les dispositifs à mettre en uvre entre nos trois ministères en matière de lutte contre l'antisémitisme et le racisme. Ainsi, le Rectorat et le Parquet de Paris ont pu mettre en place un accord qui leur est propre, pour permettre un traitement très rapide des infractions.
J'ai confiance dans l'école. C'est là que se forme l'esprit critique, qui seul permet d'échapper au prêt-à-penser.
Je vous ai entendu exprimer le désarroi de votre communauté lorsqu'elle se voit reprocher son attachement à Israël.
Vous craignez que par voie de conséquence l'antisémitisme devienne une opinion. Une opinion comme une autre. Vous en trouvez les premiers signes dans ces agressions verbales du quotidien au prétexte d'incidents mineurs qui invitent les juifs à rentrer chez eux.
Ce risque existe car je constate comme vous que l'anti-sionisme et l'antisémitisme sont aujourd'hui étroitement mêlés, chacun se nourrissant de l'autre.
A cette dérive possible, il faut répondre par la volonté.
Je m'y emploie lorsque les circonstances l'exigent.
J'ai mis en uvre l'action publique chaque fois que les provocations ont dépassé le tolérable : je ne préjuge pas des décisions qui seront prises par les tribunaux. Je crois être simplement dans mon rôle en refusant de rester passif.
La négation de notre histoire, l'incitation à la haine de l'autre, l'insulte faite aux victimes de l'occupation ne sont pas prises à la légère. Chacun de ces actes a fait l'objet d'une réaction rapide et sans concession.
De la même manière, le gouvernement s'est donné les moyens juridiques d'interdire la diffusion d'une chaîne de télévision aux programmes inacceptables.
Cette volonté dont nous devons faire preuve s'appuie sur une réalité profonde de notre pays.
La France n'est pas raciste, la France n'est pas antisémite.
Vous évoquiez la présence du Président de la République le 8 Juillet dernier au Chambon-sur-Lignon pour honorer la mémoire de ces Français qui risquèrent leur vie pour sauver des enfants juifs.
Je crois comme vous à " la France capable du meilleur " selon la belle formule de Jacques CHIRAC.
Nous avons de bonnes raisons d'espérer en la France. C'est ce que les juifs de France ont toujours fait, dans une ferveur républicaine et patriotique que les épreuves n'ont jamais découragé.
Je sais la place qu'Israël occupe dans vos curs. C'est l'essence même du judaïsme que d'appartenir à un peuple et d'être attaché à la terre promise d'Israël, " Eretz Israël ".
Cela forme votre histoire, cela participe de votre identité.
Les relations entre la France et Israël sont bien entendu une question nationale.
Notre rencontre de ce soir se déroule dans la semaine où, pour la première fois depuis 5 ans, le Premier ministre français s'est rendu en Israël.
Dans cette région du monde, la France poursuit inlassablement trois objectifs : la restauration de la paix, la réconciliation des peuples et le droit à la sécurité pour tous.
La France condamne le terrorisme, partout dans le monde, comme elle le combat sur son propre sol. Le terrorisme est une impasse. Il ne fait qu'aviver des plaies encore ouvertes.
Si la France veut la paix et la sécurité, c'est aussi pour que le terrorisme ne puisse plus se nourrir de la misère, de l'injustice ressentie qui conduit aux actes désespérés.
L'année 2005 est une année d'espoir.
Les dernières élections au Pakistan a donné aux perspectives de paix une dimension nouvelle.
La décision courageuse d'Ariel SHARON, concernant le retrait de Gaza, est soutenue par la France et par la Communauté Internationale. Nous en connaissons la difficulté.
Elle est à l'échelle des espoirs qu'elle permet de nourrir pour la relance du processus politique.
La France est attentive aux solutions qui confortent la stabilité de la région, dans le respect de l'existence de chacun.
La France aura aussi un rendez-vous avec elle-même, le 29 mai prochain.
Je veux vous parlez de ce rendez-vous, même s'il n'est pas, l'objet de notre réunion de ce soir.
Je vois en effet beaucoup de liens entre ce que nous avons dit jusqu'à présent et l'enjeu du choix proposé aux Français.
Vous avez évoqué, comme l'a fait aussi Simone VEIL à Auschwitz, la génération du " plus jamais ça ".
Cette génération a voulu l'Europe. Elle l'a mise en route, moins de 10 ans après la fin de la guerre.
Il fallait du courage et de la volonté aux ennemis de la veille pour parier sur la paix. Ils avaient pu en mesurer le prix dans leurs villes, dans leurs familles, parfois dans leur propre vie.
Aujourd'hui, la paix paraît si facile, si évidente que l'on a parfois scrupule à rappeler qu'elle ne résulte que d'une volonté forte de tous.
L'Europe c'est la paix. L'Europe, c'est la démocratie respectueuse de la dignité de chacun.
Nous devons saisir cette chance.
Chère Madame la Présidente,
Oui, l'année 2005 est une année d'espérance pour nous tous. En venant vers vous, j'ai voulu vous transmettre ma confiance et ma volonté.
J'ai confiance dans les qualités de notre pays.
Lorsque le Président de la République m'a confié la responsabilité du Ministère de la Justice, je ne pensais pas que j'aurais à combattre l'antisémitisme. C'était pour moi un combat qui appartenait à l'Histoire. Mais la lutte contre l'antisémitisme est de nouveau une responsabilité qui nous engage tous. Pour ma part, je l'assume avec détermination.
(Source http://www.crif.org, le 30 mars 2005)