Texte intégral
Chers Camarades,
Je viens ici pour soutenir le " Oui " au Traité constitutionnel avec des socialistes européens -et le premier d'entre eux Poul Rasmussen, avec des socialistes de toute la Méditerranée qui sont venus nous dire ce message simple : " Nous ne sommes pas dans l'Europe et nous n'y serons jamais. L'histoire et la géographie commandent de rester chacun dans son continent ; mais ce qui est sûr, en revanche, c'est que nous attendons beaucoup de vous en Europe ; parce que si vous avez voulu cette grande aventure européenne, ce n'est pas pour la garder entre européens, mais pour promulguer votre message universel partout dans le monde, partout où on attend l'Europe : là où il y a des conflits : Israël / Palestine, là où il y a des incertitudes : Liban, en Algérie aussi, dans des pays qui connaissent la guerre civile. L'Europe est espérée comme un instrument de développement, et c'est elle qui fait le plus, et encore ne fait-elle pas assez pour soutenir les efforts de développement et de croissance des pays les plus pauvres ".
Voilà ce qui fait que nous sommes une nouvelle fois rassemblés en Haute-Garonne, avec les élus, les militants, les Radicaux de gauche, les amis Verts. Nous sommes ici pour affirmer d'abord une volonté : la volonté que notre pays soit au rendez-vous de cette nouvelle étape de la construction européenne ; la volonté de voir notre parti à l'unisson de la gauche européenne car, sinon, comment avancer, comment espérer ?
Nous sommes là avec la volonté que les Françaises et les Français, le 29 mai, puissent faire le choix qui correspond à l'intérêt de la France, de l'Europe et au leur d'abord, parce que l'Europe est d'abord une protection pour eux avant d'être une espérance pour d'autres.
Nous sommes à un moment sans doute particulier dans la campagne pour le référendum du 29 mai. Mélange de sentiments qu'éprouve une partie de notre peuple :
- d'abord la tentation d'exprimer une colère,
- aussi le besoin d'être informé en vérité sur la Constitution européenne ; et tous ceux que nous rencontrons, au-delà des sondages, nous disent ces sentiments mêlés et c'est notre rôle que d'y répondre.
- tentation d'exprimer une colère comment ne la verrions-nous pas cette colère, cette frustration, ce mécontentement, cette contestation. Jacques Chirac en a sans doute fait la découverte à l'occasion d'une émission de télévision récente. Invitant des jeunes, il pensait qu'il ne leur parlerait que de l'avenir et de l'Europe. Eux ne lui ont parlé que du présent et de lui et de la politique de Jean-Pierre Raffarin. Et, il y avait beaucoup à dire. Et s'il avait invité d'autres que des jeunes, des retraités par exemple, ils lui auraient parlé de leur retraite, les assurés sociaux des démantèlements de la protection sociale, les salariés du manque de pouvoir d'achat, les chômeurs des promesses illusoires qui leur ont été adressées... Et s'il avait invité des lycéens, serait-il venu avec quelques preuves de l'usage de la matraque dans les manifestations ? C'est tout cela que ressent notre peuple en ce moment. L'envie, effectivement, une nouvelle fois d'adresser un message à ceux qui nous gouvernent puisqu'ils n'entendent pas.
Si nous n'écoutions nous-mêmes que nos calculs, nos tactiques, il serait commode, facile, tentant d'utiliser cette même colère et récupérer cette indignation, cette exaspération. Mais pour tirer quel avantage ? Pour espérer quel changement ? De ce point de vue, Jacques Chirac nous a éclairés ; il nous a dit qu'il resterait jusqu'en 2007. Certains imaginaient le contraire ? C'est mal le connaître ; il ira jusqu'au bout, nous le savons. Il nous a même dit qu'il pourrait garder le Premier ministre jusqu'au bout ; c'est son droit ; et finalement celui-là ou un autre, ce serait la même politique. Qui peut imaginer que le gouvernement, sous l'autorité de Jacques Chirac, fera une autre politique que celle qui est menée depuis trois ans et qui coûte si cher à notre pays ! C'est la politique de la droite et je ne fais aucune différente au sein de la droite entre Jean-Pierre Raffarin, Sarkozy et Jacques Chirac.
Le moment venu, il ne faudra pas s'y laisser prendre. En 2007, quand certain nous fera croire qu'il n'est pour rien dans ce qui s'est passé depuis 2002, alors qu'il en a été partie prenante au gouvernement et, aujourd'hui, à la présidence de l'UMP.
Il serait donc commode pour le Parti socialiste de se tailler un succès facile dans un référendum où toutes les exaspérations peuvent s'entendre. Mais au bénéfice de qui ? Du peuple français ? Il aurait toujours le même Président et le même gouvernement ! Au bénéfice de l'Europe ? Elle serait là atteinte, arrêtée, entravée !
La conception que nous avons au Parti socialiste est de faire, à chaque fois, prévaloir l'intérêt général : l'intérêt de l'Europe, l'intérêt de la France, l'intérêt même de la gauche qui, si elle veut venir au pouvoir, doit être capable de porter une espérance crédible en 2007.
Voilà pourquoi, au nom de cette conception de la politique, au nom même de notre engagement européen depuis toujours, au nom de l'idéal qui est le nôtre, nous faisons le choix légitime, à l'issue d'un processus électoral interne, le choix naturel, le choix utile, le choix essentiel, celui qui est attendu partout par nos amis socialistes en Europe, nos amis Verts en Europe, de la gauche - pour l'essentiel - en Europe qui considèrent que cette Constitution européenne est un progrès.
Dans ce moment-là, le rôle des responsables politiques, des militants politiques est d'être à la hauteur des circonstances, c'est de fixer la route, de donner un cap et de parler en sincérité et en vérité de ce qu'est le Traité constitutionnel européen.
Le besoin d'être informé : beaucoup de nos électrices et de nos électeurs nous demandent de leur donner les raisons de voter " Oui ". Ils veulent savoir ce qu'il y a dans ce traité ; ils veulent qu'on leur parle des progrès possibles, des risques éventuels. Ils ne demandent qu'à être convaincus non pas avec des arguments d'autorité (parce que nous aurions toujours voté " oui "), mais par des arguments justes et fidèles, à la fois à nos convictions et à la lettre même du traité.
Il y a au moins 5 raisons de dire " Oui " au Traité constitutionnel qui ne valent pas seulement pour les socialistes, mais pour lesquelles les socialistes sont peut-être plus sensibles que d'autres :
1 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus sociale :
Sans doute, ce ne sera pas le texte final, mais elle sera plus sociale puisque enfin, il y aura un dialogue social entre européens, un sommet pour l'emploi ; dans la lutte contre le chômage, chaque année, l'ensemble des Européens, Chefs d'Etat, Chefs de gouvernement, Parlements devront se mobiliser pour lutter contre ce fléau. Ce serait déjà une bonne raison de voter "Oui".
Il y a aussi la reconnaissance du fait syndical à l'échelle de l'Europe, et c'est la raison pour laquelle la quasi-totalité des syndicats européens approuve le Traité constitutionnel.
Il y a la reconnaissance de droits essentiels en matière sociale : le droit à être protégé contre les licenciements, le droit à être informé, consulté dans l'entreprise, le droit à pouvoir faire grève, se syndiquer. On pourrait nous dire que c'est déjà le cas en France, mais est-ce si sûr, quand on regarde ce qui se passe dans beaucoup d'entreprises ! Il y a dans ce Traité des éléments qui, enfin, correspondent à nos revendications essentielles, et notamment sur les services publics où, pour la 1ère fois, est reconnu le service public en tant que tel, à la fois dans son principe, son organisation et son financement. Pour quelle raison devrions-nous renoncer à cette avancée ?
2 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus démocratique :
Il y aura un Parlement qui pourra voter la loi et même le budget européen à égalité de droits avec le Conseil européen. Il y aura une Commission européenne qui procèdera du suffrage universel au moment des élections européennes et des Parlements nationaux qui, enfin, pourront avoir un droit de contrôle des institutions européennes, sans oublier les citoyens qui se verront reconnaître le droit de pétition. Une Europe plus démocratique serait possible et nous ne la saisirions pas ?
3 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus protectrice de nos droits et de nos libertés :
le droit à la dignité humaine, le droit d'être respecté pour ses opinions, le droit à être protégé contre toutes les discriminations et contre toutes les inégalités, le droit de l'enfant enfin reconnu, le droit des handicapés. Et puis des droits nouveaux en matière de protection de l'environnement, des droits personnels sur l'interdiction du clonage reproductif ou l'interdiction de voir son nom utilisé dans les fichiers. C'est ce que l'Europe apporte ; elle protège. Et, là aussi, nous considèrerions que nous avons suffisamment de droits en France et que ceux qui nous rejoignent dans l'Europe à 25 n'auraient pas le même droit que nous à disposer de ces libertés essentielles ? Mais tout de même, lorsque nous avons accueilli ces pays, c'était dans un élan de solidarité et pas simplement pour les contenir. Ce que nous voulons, c'est qu'ils vivent avec les mêmes garanties que nous et pas simplement n'être qu'un réservoir de main d'uvre pour des entreprises lucratives
4 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus forte :
C'était l'intuition de François Mitterrand : nous n'avons pas fait l'Europe pour un marché, pour une monnaie. Il voulait que l'Europe soit enfin une Europe politique pouvant peser sur le destin du monde, avec une défense européenne -elle est reconnue dans le Traité ; avec un Ministre des Affaires Etrangères -il est enfin institué dans le Traité ; avec un Président du Conseil européen qui pourra engager l'Europe et peser ainsi sur les choix de la planète.
Cette Europe plus démocratique, plus forte, c'est l'Europe qui sait lutter contre les terrorismes et qui a conscience de la nécessité d'une alliance réelle et pas simplement verbale ; elle sait qu'il faut une coordination des services pour permettre qu'aucun d'entre nous ne puisse être menacé pour sa vie, parce qu'il y aurait des forces anti-démocratiques qui en auraient décidé ainsi. Voilà ce qu'est l'Europe : un ensemble de principes, de valeurs, mais pas pour elle-même uniquement, mais pour la paix dans le monde.
5 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus cohérente :
Nous avons voulu l'union à 25. Elle est là. Cette Europe, aujourd'hui, ne peut pas avancer ; les règles de majorité sont trop compliquées ; les minorités de blocage sont possibles. On ne peut pas faire des coopérations renforcées -la France d'ailleurs ne pèse pas suffisamment dans cette Europe-là. Le Traité constitutionnel nous permet, enfin, d'avoir des majorités qualifiées, des règles de décision, une capacité d'entraînement, de réussir l'élargissement, et nous ne voudrions pas cette étape essentielle !
Le besoin d'être informé en vérité sur le Traité constitutionne : dans ce moment où les citoyens s'interrogent, doutent - et c'est normal quand il faut faire un choix qui engage l'avenir, lorsque sont proférées autant de contre-vérités, lorsque surgissent autant de fantasmes, lorsque les populistes s'emparent de toutes les peurs - et qu'ils ont l'exigence d'être convaincus. C'est notre rôle de dire la vérité.
Ils n'ont pas besoin d'une campagne de proclamations ou de peurs. Ils n'ont pas besoin d'une campagne où il faudrait dire " Oui " parce que c'est la continuité, où il faudrait s'inquiéter des conséquences du " Non ". Finalement, si le " Non " l'emportait, nous savons ce que nous aurions : l'Europe actuelle et rien d'autre. Il n'y aurait plus de Constitution européenne. Paradoxe des paradoxes ! Nous aurions l'Europe économique, l'Europe monétaire, la Banque Centrale Européenne, la Commission européenne telle qu'elle est, un Parlement européen sans pouvoir, un Conseil européen entravé dans ses décisions Nous savons ce que nous aurions, c'est-à-dire tout ce que nous repoussons dans l'Europe d'aujourd'hui, et nous perdrions toutes les avancées... Voilà les conséquences.
À nous de faire surgir non pas une prise de conscience fondée sur la peur mais sur l'espoir. C'est le " Oui " qui protège ; c'est le " Oui " qui avance ; c'est le " Oui " qui donne à l'Europe et à la France une chance pour le monde.
Le combat européen n'a jamais été facile. Ne croyez pas que pour faire l'Europe politique, l'Europe de la défense, il a fallu simplement une prise de conscience. Il y a 50 ans déjà, l'échéance avait été ratée. Ne croyez pas que l'Europe économique est née spontanément. Il a fallu, là aussi, la conscience de personnalités comme Jean Monnet puis Jacques Delors pour nous emmener dans cette voie. Ne croyez pas que la monnaie unique a surgi un jour parce que nous en aurions décidé dans quelques antichambres de banquiers centraux. Il a fallu, là aussi, un référendum en 1992 et la majorité pour voter l'euro n'a été que de quelques voix. C'était François Mitterrand le Président de la République.
L'Europe est un combat et ce combat est le nôtre aujourd'hui. Il faut l'aborder avec confiance, mais avec sincérité, avec le souci de la vérité. C'est cela qui fera le sens de la campagne jusqu'au 29 mai. La vérité, parce que les Français nous la demandent ; la vérité, parce que l'Europe est exigeante ; la vérité, parce que les générations qui viennent ne supporteront pas qu'on ne leur ait pas dit les conséquences du choix de ce qu'ils peuvent aujourd'hui décider. La vérité, c'est tout simplement d'avoir confiance en l'Europe d'abord. C'est la plus belle aventure politique de ces 50 dernières années ; la plus belle aventure qui soit que d'avoir non seulement permis la paix -elle n'était pas évidente au lendemain de deux conflits tragiques au cur même de l'Europe. Mais nous n'avons pas seulement fait la paix. Nous avons abattu des murs, celui de Berlin, et réunifié l'Europe. Nous avons fait bien plus. Il n'y a plus une dictature aujourd'hui en Europe, plus une seule. Lorsque j'avais 20 ans, il y avait trois dictatures en Europe : l'Espagne de Franco, le Portugal de Sa Lazare et la Grèce de Papadopoulos. Aujourd'hui, il n'y a que des démocrates autour de la table de l'Europe, et nous ne serions pas fiers de cette aventure !
Nous avons réussi, au-delà de la paix, de la réunification, de la démocratie, a être la première puissance économique du monde et nous ne franchirions pas, aujourd'hui, l'étape politique ! Ayons confiance dans les capacités de l'Europe à être pour le monde une référence. Pas un modèle de civilisation. Un modèle social sûrement, mais surtout un message universel. Ayons confiance en la France aussi. Elle s'est toujours grandie en portant des messages qui dépassaient ses frontières. L'idéal des Révolutionnaires n'était pas de garder les principes de la Révolution pour eux seuls. La laïcité n'était jamais qu'un Etat républicain qui pouvait servir pour d'autres aussi au lendemain du début du XXe Siècle. La France a toujours conçu sa force au-delà même de sa nation.
Nous sommes sans doute un pays différent des autres. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille se singulariser sur tout. Nous sommes un pays différent des autres parce que nous avons vocation à entraîner les autres et pas à nous replier sur nous-mêmes, pas à nous enfermer, pas à considérer que le concurrent, l'adversaire serait l'autre. Nous ne sommes pas des généreux, mais épris de solidarité, de liberté. Le message de la République est le nôtre. La France sera donc au rendez-vous de l'Histoire.
Il nous faut avoir confiance dans la lucidité des Français, à leur sens de l'intérêt général. Les Français, pris dans ces deux sentiments de vouloir transporter une colère insupportable et de la livrer à tout scrutin qui passerait, une colère à l'égard d'un gouvernement qui les a trompés, un Président élu comme l'on sait, une absence de vision, une colère à l'égard d'une Europe qui ne sait pas toujours exprimer son destin, surmonteront cette colère. Il ne faudrait pas se tromper d'échéance.
Nos amis européens nous disent que nous ne sommes pas heureux, que la France va mal et que les Français sont mécontents -à juste titre- de nos gouvernants. Changez-les, nous disent-ils ! Mais, ils nous demandent cependant de ne pas les priver de la Constitution européenne.
Nous, femmes et hommes de gauche, socialistes, nous nous engageons à changer le gouvernement, à changer de Président et de majorité politique en 2007, mais nous ferons aussi le choix de l'avenir en 2005, en faisant que dans l'Europe que nous voulons il y ait une Constitution.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 avril 2005)
Je viens ici pour soutenir le " Oui " au Traité constitutionnel avec des socialistes européens -et le premier d'entre eux Poul Rasmussen, avec des socialistes de toute la Méditerranée qui sont venus nous dire ce message simple : " Nous ne sommes pas dans l'Europe et nous n'y serons jamais. L'histoire et la géographie commandent de rester chacun dans son continent ; mais ce qui est sûr, en revanche, c'est que nous attendons beaucoup de vous en Europe ; parce que si vous avez voulu cette grande aventure européenne, ce n'est pas pour la garder entre européens, mais pour promulguer votre message universel partout dans le monde, partout où on attend l'Europe : là où il y a des conflits : Israël / Palestine, là où il y a des incertitudes : Liban, en Algérie aussi, dans des pays qui connaissent la guerre civile. L'Europe est espérée comme un instrument de développement, et c'est elle qui fait le plus, et encore ne fait-elle pas assez pour soutenir les efforts de développement et de croissance des pays les plus pauvres ".
Voilà ce qui fait que nous sommes une nouvelle fois rassemblés en Haute-Garonne, avec les élus, les militants, les Radicaux de gauche, les amis Verts. Nous sommes ici pour affirmer d'abord une volonté : la volonté que notre pays soit au rendez-vous de cette nouvelle étape de la construction européenne ; la volonté de voir notre parti à l'unisson de la gauche européenne car, sinon, comment avancer, comment espérer ?
Nous sommes là avec la volonté que les Françaises et les Français, le 29 mai, puissent faire le choix qui correspond à l'intérêt de la France, de l'Europe et au leur d'abord, parce que l'Europe est d'abord une protection pour eux avant d'être une espérance pour d'autres.
Nous sommes à un moment sans doute particulier dans la campagne pour le référendum du 29 mai. Mélange de sentiments qu'éprouve une partie de notre peuple :
- d'abord la tentation d'exprimer une colère,
- aussi le besoin d'être informé en vérité sur la Constitution européenne ; et tous ceux que nous rencontrons, au-delà des sondages, nous disent ces sentiments mêlés et c'est notre rôle que d'y répondre.
- tentation d'exprimer une colère comment ne la verrions-nous pas cette colère, cette frustration, ce mécontentement, cette contestation. Jacques Chirac en a sans doute fait la découverte à l'occasion d'une émission de télévision récente. Invitant des jeunes, il pensait qu'il ne leur parlerait que de l'avenir et de l'Europe. Eux ne lui ont parlé que du présent et de lui et de la politique de Jean-Pierre Raffarin. Et, il y avait beaucoup à dire. Et s'il avait invité d'autres que des jeunes, des retraités par exemple, ils lui auraient parlé de leur retraite, les assurés sociaux des démantèlements de la protection sociale, les salariés du manque de pouvoir d'achat, les chômeurs des promesses illusoires qui leur ont été adressées... Et s'il avait invité des lycéens, serait-il venu avec quelques preuves de l'usage de la matraque dans les manifestations ? C'est tout cela que ressent notre peuple en ce moment. L'envie, effectivement, une nouvelle fois d'adresser un message à ceux qui nous gouvernent puisqu'ils n'entendent pas.
Si nous n'écoutions nous-mêmes que nos calculs, nos tactiques, il serait commode, facile, tentant d'utiliser cette même colère et récupérer cette indignation, cette exaspération. Mais pour tirer quel avantage ? Pour espérer quel changement ? De ce point de vue, Jacques Chirac nous a éclairés ; il nous a dit qu'il resterait jusqu'en 2007. Certains imaginaient le contraire ? C'est mal le connaître ; il ira jusqu'au bout, nous le savons. Il nous a même dit qu'il pourrait garder le Premier ministre jusqu'au bout ; c'est son droit ; et finalement celui-là ou un autre, ce serait la même politique. Qui peut imaginer que le gouvernement, sous l'autorité de Jacques Chirac, fera une autre politique que celle qui est menée depuis trois ans et qui coûte si cher à notre pays ! C'est la politique de la droite et je ne fais aucune différente au sein de la droite entre Jean-Pierre Raffarin, Sarkozy et Jacques Chirac.
Le moment venu, il ne faudra pas s'y laisser prendre. En 2007, quand certain nous fera croire qu'il n'est pour rien dans ce qui s'est passé depuis 2002, alors qu'il en a été partie prenante au gouvernement et, aujourd'hui, à la présidence de l'UMP.
Il serait donc commode pour le Parti socialiste de se tailler un succès facile dans un référendum où toutes les exaspérations peuvent s'entendre. Mais au bénéfice de qui ? Du peuple français ? Il aurait toujours le même Président et le même gouvernement ! Au bénéfice de l'Europe ? Elle serait là atteinte, arrêtée, entravée !
La conception que nous avons au Parti socialiste est de faire, à chaque fois, prévaloir l'intérêt général : l'intérêt de l'Europe, l'intérêt de la France, l'intérêt même de la gauche qui, si elle veut venir au pouvoir, doit être capable de porter une espérance crédible en 2007.
Voilà pourquoi, au nom de cette conception de la politique, au nom même de notre engagement européen depuis toujours, au nom de l'idéal qui est le nôtre, nous faisons le choix légitime, à l'issue d'un processus électoral interne, le choix naturel, le choix utile, le choix essentiel, celui qui est attendu partout par nos amis socialistes en Europe, nos amis Verts en Europe, de la gauche - pour l'essentiel - en Europe qui considèrent que cette Constitution européenne est un progrès.
Dans ce moment-là, le rôle des responsables politiques, des militants politiques est d'être à la hauteur des circonstances, c'est de fixer la route, de donner un cap et de parler en sincérité et en vérité de ce qu'est le Traité constitutionnel européen.
Le besoin d'être informé : beaucoup de nos électrices et de nos électeurs nous demandent de leur donner les raisons de voter " Oui ". Ils veulent savoir ce qu'il y a dans ce traité ; ils veulent qu'on leur parle des progrès possibles, des risques éventuels. Ils ne demandent qu'à être convaincus non pas avec des arguments d'autorité (parce que nous aurions toujours voté " oui "), mais par des arguments justes et fidèles, à la fois à nos convictions et à la lettre même du traité.
Il y a au moins 5 raisons de dire " Oui " au Traité constitutionnel qui ne valent pas seulement pour les socialistes, mais pour lesquelles les socialistes sont peut-être plus sensibles que d'autres :
1 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus sociale :
Sans doute, ce ne sera pas le texte final, mais elle sera plus sociale puisque enfin, il y aura un dialogue social entre européens, un sommet pour l'emploi ; dans la lutte contre le chômage, chaque année, l'ensemble des Européens, Chefs d'Etat, Chefs de gouvernement, Parlements devront se mobiliser pour lutter contre ce fléau. Ce serait déjà une bonne raison de voter "Oui".
Il y a aussi la reconnaissance du fait syndical à l'échelle de l'Europe, et c'est la raison pour laquelle la quasi-totalité des syndicats européens approuve le Traité constitutionnel.
Il y a la reconnaissance de droits essentiels en matière sociale : le droit à être protégé contre les licenciements, le droit à être informé, consulté dans l'entreprise, le droit à pouvoir faire grève, se syndiquer. On pourrait nous dire que c'est déjà le cas en France, mais est-ce si sûr, quand on regarde ce qui se passe dans beaucoup d'entreprises ! Il y a dans ce Traité des éléments qui, enfin, correspondent à nos revendications essentielles, et notamment sur les services publics où, pour la 1ère fois, est reconnu le service public en tant que tel, à la fois dans son principe, son organisation et son financement. Pour quelle raison devrions-nous renoncer à cette avancée ?
2 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus démocratique :
Il y aura un Parlement qui pourra voter la loi et même le budget européen à égalité de droits avec le Conseil européen. Il y aura une Commission européenne qui procèdera du suffrage universel au moment des élections européennes et des Parlements nationaux qui, enfin, pourront avoir un droit de contrôle des institutions européennes, sans oublier les citoyens qui se verront reconnaître le droit de pétition. Une Europe plus démocratique serait possible et nous ne la saisirions pas ?
3 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus protectrice de nos droits et de nos libertés :
le droit à la dignité humaine, le droit d'être respecté pour ses opinions, le droit à être protégé contre toutes les discriminations et contre toutes les inégalités, le droit de l'enfant enfin reconnu, le droit des handicapés. Et puis des droits nouveaux en matière de protection de l'environnement, des droits personnels sur l'interdiction du clonage reproductif ou l'interdiction de voir son nom utilisé dans les fichiers. C'est ce que l'Europe apporte ; elle protège. Et, là aussi, nous considèrerions que nous avons suffisamment de droits en France et que ceux qui nous rejoignent dans l'Europe à 25 n'auraient pas le même droit que nous à disposer de ces libertés essentielles ? Mais tout de même, lorsque nous avons accueilli ces pays, c'était dans un élan de solidarité et pas simplement pour les contenir. Ce que nous voulons, c'est qu'ils vivent avec les mêmes garanties que nous et pas simplement n'être qu'un réservoir de main d'uvre pour des entreprises lucratives
4 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus forte :
C'était l'intuition de François Mitterrand : nous n'avons pas fait l'Europe pour un marché, pour une monnaie. Il voulait que l'Europe soit enfin une Europe politique pouvant peser sur le destin du monde, avec une défense européenne -elle est reconnue dans le Traité ; avec un Ministre des Affaires Etrangères -il est enfin institué dans le Traité ; avec un Président du Conseil européen qui pourra engager l'Europe et peser ainsi sur les choix de la planète.
Cette Europe plus démocratique, plus forte, c'est l'Europe qui sait lutter contre les terrorismes et qui a conscience de la nécessité d'une alliance réelle et pas simplement verbale ; elle sait qu'il faut une coordination des services pour permettre qu'aucun d'entre nous ne puisse être menacé pour sa vie, parce qu'il y aurait des forces anti-démocratiques qui en auraient décidé ainsi. Voilà ce qu'est l'Europe : un ensemble de principes, de valeurs, mais pas pour elle-même uniquement, mais pour la paix dans le monde.
5 - L'Europe, avec ce Traité constitutionnel, sera plus cohérente :
Nous avons voulu l'union à 25. Elle est là. Cette Europe, aujourd'hui, ne peut pas avancer ; les règles de majorité sont trop compliquées ; les minorités de blocage sont possibles. On ne peut pas faire des coopérations renforcées -la France d'ailleurs ne pèse pas suffisamment dans cette Europe-là. Le Traité constitutionnel nous permet, enfin, d'avoir des majorités qualifiées, des règles de décision, une capacité d'entraînement, de réussir l'élargissement, et nous ne voudrions pas cette étape essentielle !
Le besoin d'être informé en vérité sur le Traité constitutionne : dans ce moment où les citoyens s'interrogent, doutent - et c'est normal quand il faut faire un choix qui engage l'avenir, lorsque sont proférées autant de contre-vérités, lorsque surgissent autant de fantasmes, lorsque les populistes s'emparent de toutes les peurs - et qu'ils ont l'exigence d'être convaincus. C'est notre rôle de dire la vérité.
Ils n'ont pas besoin d'une campagne de proclamations ou de peurs. Ils n'ont pas besoin d'une campagne où il faudrait dire " Oui " parce que c'est la continuité, où il faudrait s'inquiéter des conséquences du " Non ". Finalement, si le " Non " l'emportait, nous savons ce que nous aurions : l'Europe actuelle et rien d'autre. Il n'y aurait plus de Constitution européenne. Paradoxe des paradoxes ! Nous aurions l'Europe économique, l'Europe monétaire, la Banque Centrale Européenne, la Commission européenne telle qu'elle est, un Parlement européen sans pouvoir, un Conseil européen entravé dans ses décisions Nous savons ce que nous aurions, c'est-à-dire tout ce que nous repoussons dans l'Europe d'aujourd'hui, et nous perdrions toutes les avancées... Voilà les conséquences.
À nous de faire surgir non pas une prise de conscience fondée sur la peur mais sur l'espoir. C'est le " Oui " qui protège ; c'est le " Oui " qui avance ; c'est le " Oui " qui donne à l'Europe et à la France une chance pour le monde.
Le combat européen n'a jamais été facile. Ne croyez pas que pour faire l'Europe politique, l'Europe de la défense, il a fallu simplement une prise de conscience. Il y a 50 ans déjà, l'échéance avait été ratée. Ne croyez pas que l'Europe économique est née spontanément. Il a fallu, là aussi, la conscience de personnalités comme Jean Monnet puis Jacques Delors pour nous emmener dans cette voie. Ne croyez pas que la monnaie unique a surgi un jour parce que nous en aurions décidé dans quelques antichambres de banquiers centraux. Il a fallu, là aussi, un référendum en 1992 et la majorité pour voter l'euro n'a été que de quelques voix. C'était François Mitterrand le Président de la République.
L'Europe est un combat et ce combat est le nôtre aujourd'hui. Il faut l'aborder avec confiance, mais avec sincérité, avec le souci de la vérité. C'est cela qui fera le sens de la campagne jusqu'au 29 mai. La vérité, parce que les Français nous la demandent ; la vérité, parce que l'Europe est exigeante ; la vérité, parce que les générations qui viennent ne supporteront pas qu'on ne leur ait pas dit les conséquences du choix de ce qu'ils peuvent aujourd'hui décider. La vérité, c'est tout simplement d'avoir confiance en l'Europe d'abord. C'est la plus belle aventure politique de ces 50 dernières années ; la plus belle aventure qui soit que d'avoir non seulement permis la paix -elle n'était pas évidente au lendemain de deux conflits tragiques au cur même de l'Europe. Mais nous n'avons pas seulement fait la paix. Nous avons abattu des murs, celui de Berlin, et réunifié l'Europe. Nous avons fait bien plus. Il n'y a plus une dictature aujourd'hui en Europe, plus une seule. Lorsque j'avais 20 ans, il y avait trois dictatures en Europe : l'Espagne de Franco, le Portugal de Sa Lazare et la Grèce de Papadopoulos. Aujourd'hui, il n'y a que des démocrates autour de la table de l'Europe, et nous ne serions pas fiers de cette aventure !
Nous avons réussi, au-delà de la paix, de la réunification, de la démocratie, a être la première puissance économique du monde et nous ne franchirions pas, aujourd'hui, l'étape politique ! Ayons confiance dans les capacités de l'Europe à être pour le monde une référence. Pas un modèle de civilisation. Un modèle social sûrement, mais surtout un message universel. Ayons confiance en la France aussi. Elle s'est toujours grandie en portant des messages qui dépassaient ses frontières. L'idéal des Révolutionnaires n'était pas de garder les principes de la Révolution pour eux seuls. La laïcité n'était jamais qu'un Etat républicain qui pouvait servir pour d'autres aussi au lendemain du début du XXe Siècle. La France a toujours conçu sa force au-delà même de sa nation.
Nous sommes sans doute un pays différent des autres. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille se singulariser sur tout. Nous sommes un pays différent des autres parce que nous avons vocation à entraîner les autres et pas à nous replier sur nous-mêmes, pas à nous enfermer, pas à considérer que le concurrent, l'adversaire serait l'autre. Nous ne sommes pas des généreux, mais épris de solidarité, de liberté. Le message de la République est le nôtre. La France sera donc au rendez-vous de l'Histoire.
Il nous faut avoir confiance dans la lucidité des Français, à leur sens de l'intérêt général. Les Français, pris dans ces deux sentiments de vouloir transporter une colère insupportable et de la livrer à tout scrutin qui passerait, une colère à l'égard d'un gouvernement qui les a trompés, un Président élu comme l'on sait, une absence de vision, une colère à l'égard d'une Europe qui ne sait pas toujours exprimer son destin, surmonteront cette colère. Il ne faudrait pas se tromper d'échéance.
Nos amis européens nous disent que nous ne sommes pas heureux, que la France va mal et que les Français sont mécontents -à juste titre- de nos gouvernants. Changez-les, nous disent-ils ! Mais, ils nous demandent cependant de ne pas les priver de la Constitution européenne.
Nous, femmes et hommes de gauche, socialistes, nous nous engageons à changer le gouvernement, à changer de Président et de majorité politique en 2007, mais nous ferons aussi le choix de l'avenir en 2005, en faisant que dans l'Europe que nous voulons il y ait une Constitution.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 avril 2005)