Texte intégral
Je suis très heureux d'intervenir dans le cadre de cette première conférence des villes qui, je n'en doute pas , fera date parce qu'elle constitue une formidable occasion d'échanges et qu'elle témoigne de l'affirmation d'une identité urbaine par delà la diversité de nos villes.
Le débat qui vient d'avoir lieu était placé sous le signe de la recherche d'une nouvelle urbanité pour nos villes face aux défis urbains et sociaux qui les traversent. J'en ferai volontiers le fil conducteur de mon propos. Poser la question de nos villes sous l'angle de l'urbanité, c'est en effet aller au cur du sujet : c'est parler de la qualité de la vie en ville et de la manière de vivre ensemble, c'est évoquer ce qui a fait, historiquement, de la ville un lieu d'affranchissement puis de progrès, économique, social et culturel.
Cette réalité est toujours d'actualité : globalement nos concitoyens se sentent bien dans leur ville.
En témoigne le récent sondage publié dans le Moniteur selon lequel 90 % des citadins se déclaraient satisfaits de leur qualité de vie en ville. Ce satisfecit ne doit pas, pour autant, conduire à minorer les défis actuels et de long terme, qui se posent à nos villes, et que vous venez d'évoquer.
Défis sociaux d'abord. Nos concitoyens sont inégaux face à la ville et au logement. Une grande majorité a le choix de son logement, de son quartier et grâce aux progrès de la mobilité, peut vivre la ville "à la carte", pour son travail, ses loisirs, ses achats.
Une partie de nos concitoyens vit au contraire au quotidien la précarité sociale et sa traduction dans l'usage de la ville : l'absence de choix en matière de logement, l'inégalité face à la mobilité, un moindre accès à ce qui fait la valeur de la ville, ses services, la qualité de son cadre urbain.
Ces inégalités ont aussi une traduction forte dans le tissu urbain. Je pense à certains quartiers, conçus dès l'origine en marge de la ville, sans qualité urbaine et selon des règles de gestion et d'occupation spécifiques, en un mot ségrégatifs. Je pense aussi à certains quartiers plus anciens qui servent de refuge aux exclus du droit au logement, dans un habitat dégradé et menacé d'insalubrité.
Comment concilier droit au logement et droit à la ville ? Comment faire en sorte que le progrès économique, social, culturel, urbain, ait un rôle d'entraînement pour tous nos concitoyens, dans toutes les parties de la ville ? Comment surmonter certaines tendances au chacun chez soi et pour soi, qui conduit par exemple à un rejet du logement social ? Voilà les questions fondamentales auxquelles nous sommes confrontés.
Second défi : le caractère durable du développement de nos villes. Certes nos concitoyens sont satisfaits de leur qualité de vie en ville mais ils ont aussi des aspirations, parfois contradictoires, qui témoignent d'une réalité : nos villes sont dans un équilibre fragile, à court terme et plus encore, à long terme.
Equilibre fragile du fait des problèmes induits par l'éclatement urbain, dans une ville placée sous le signe de la mobilité, mais qui est menacée de pollution et de congestion.
Equilibre fragile entre les différentes composantes de villes que les citadins vivent à l'échelle de l'agglomération, du bassin de vie mais qui se développent souvent sans cohérence voire en concurrence.
Equilibre fragile aussi face à la contradiction entre l'aspiration à vivre au vert, au calme, et l'exigence de services urbains coûteux dont le financement est parfois mal assuré et surtout mal partagé.
Pour concilier à long terme l'évolution de nos modes de vie avec les équilibres durablement nécessaires de nos villes, en termes d'environnement, de cohésion sociale, de qualité urbaine, d'efficience des services publics, il est nécessaire d'avoir un véritable projet d'avenir, avec des lignes d'action claires. Toutes nos politiques urbaines - en matière d'urbanisme, de transports, d'habitat - doivent être relues à cette aune, à contre courant parfois de l'évolution au fil de l'eau.
Notre manière de gouverner, de piloter nos agglomérations est aussi en cause. Comment concilier la proximité et la maîtrise à la bonne échelle de problèmes urbains dont la solution se trouve souvent au-delà des limites communales ? Comment assurer une réelle solidarité territoriale, à contre courant de certaines tentations ? Comment impliquer nos concitoyens dans les choix qui font le quotidien ou l'avenir de nos villes ? Comment moderniser les relations de l'Etat et des collectivités locales dans la mise en uvre des politiques urbaines ?
Les questions posées sont essentielles et elles interpellent nos cadres institutionnels et les formes actuelles de la démocratie urbaine.
Les enjeux de la ville, les réponses à leur apporter, ont des dimensions multiples. Je m'en tiendrai pour ma part aux problèmes d'urbanisme et d'habitat, pour rappeler que dans le prolongement de la loi Chevènement et de la LOADDT, de nouvelles perspectives sont ouvertes aux politiques urbaines par le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain. Un projet qui, vous le savez, devrait être adopté par le Parlement d'ici l'été.
Comme la loi d'orientation foncière l'a fait il y a trente ans, mais sur un champ plus large puisqu'il embrasse les politiques d'urbanisme, de transports, d'habitat, l'objectif est de mettre en place les outils pour la ville des décennies à venir. Des outils, des cadres qui prennent leur sens autour d'orientations politiques fortes en faveur de la cohérence des politiques urbaines, de la solidarité, du renouvellement urbain, du développement durable et de la participation citoyenne.
Je ne reviendrais pas en détail sur les dispositions du projet de loi, qui sont désormais connues de beaucoup d'entre vous.
Je rappellerai simplement qu'il renouvelle les cadres de la planification urbaine pour permettre une meilleure cohérence des démarches sectorielles (P.D.U., P.L.H., schéma commercial) à l'échelle des agglomérations et pour favoriser une expression plus lisible du projet urbain des communes. Il met l'accent sur les transports collectifs et l'intermodalité, il donne des outils au renouvellement urbain - mais j'y reviendrai -. Il affirme enfin fortement l'objectif de mixité de l'habitat, en donnant droit de cité au logement social dans toutes les communes. Il apporte ainsi des réponses, certes perfectibles et bien sûr à compléter, à ces défis urbains et sociaux, à cette recherche d'une nouvelle urbanité, qui nous préoccupent tous.
Je souhaite insister sur un point : ce projet définit des orientations claires et constitue une boîte à outils mise au service des collectivités locales, des élus que vous êtes, en première ligne sur les problèmes urbains. Beaucoup d'entre vous ont d'ores et déjà anticipé dans leur action sur les orientations du projet de loi, et pour concevoir ce dernier, nous avons d'ailleurs puisé dans vos expériences. Il est évident que l'effet de levier de la loi pour améliorer la vie urbaine dépendra beaucoup de la façon dont vous vous l'approprierez.
Il s'agit là d'un chantier essentiel engagé dans la durée, mais un chantier qui s'inscrit en pleine cohérence avec les actions menées, notamment en matière de logement depuis juin 1997.
A ce titre, je souhaite préciser la contribution de la politique de l'habitat à la construction de cette nouvelle urbanité que nous appelons tous de nos vux. Une contribution qui est à mes yeux très importante, car le logement est une matière première majeure de la ville.
Construire, réhabiliter, ce n'est pas seulement - même si c'est déjà beaucoup - répondre à des aspirations individuelles et des besoins sociaux. C'est aussi fabriquer de la ville. La qualité du cadre de vie urbain, le dynamisme démographique de nos villes, leur diversité sociale, tout cela est en lien étroit avec les politiques d'habitat qui sont menées.
Développer une politique urbaine et sociale du logement, une politique au service du droit au logement, de la diversité de l'habitat et du renouveau urbain, voilà l'objectif que nous poursuivons depuis presque trois ans.
D'abord à travers le soutien apporté à l'offre de logement dans toute sa diversité, car il s'agit de permettre une meilleure liberté de choix : entre le locatif et l'accession, entre le parc ancien et le neuf, entre le logement social et le parc privé. de la production annuelle de logement est aidée sous une forme ou une autre, sur les différents segments de l'offre, qu'il s'agisse du PTZ, du statut du bailleur privé qui s'applique au neuf et à l'ancien, des aides au logement social.
Second axe, tout à fait essentiel pour concrétiser le droit au logement, c'est l'appui renforcé aux familles les plus modestes, auxquelles le seul jeu du marché, ne permet pas d'accéder au logement dans de bonnes conditions. C'est le rôle capital des aides personnelles au logement, dont le pouvoir d'achat depuis juin 1997 a été revalorisé de plus de 5 milliards de francs, et qui devront continuer à être améliorées pour mieux répondre aux évolutions sociales que constituent le développement de l'emploi précaire et à temps partiel, le poids des charges, les nouveaux statuts familiaux
Le droit au logement, c'est aussi la sécurité face aux aléas de la vie. Nous vivons dans une société plus riche mais aussi plus instable en termes de parcours professionnel et personnel. Avec des répercussions parfois dramatiques en matière de logement.
Nous avons cherché à répondre aux situations les plus graves à travers la loi d'orientation et de prévention des exclusions et le doublement en deux ans des crédits du FSL. Nous avons aussi commencé à nous engager dans la voie nouvelle de la sécurisation, grâce au partenariat avec le 1 % : sécurisation en cas d'accession à la propriété, sécurisation pour les propriétaires ou investisseurs qui s'engagent dans le cadre du statut du bailleur privé. C'est une voie certainement décisive pour l'avenir.
Conjuguer droit au logement et droit à la ville, c'est aussi le fil conducteur de la politique menée en matière de logement social. En ce domaine, un défi majeur se présente à nous : faire coïncider l'image et la réalité du logement social d'aujourd'hui pour que sa vocation sociale - qui est sa raison d'être - ne soit plus synonyme de ségrégation. Les réformes en profondeur conduites depuis juillet 1997 vont toutes en ce sens. Je tiens à y insister, devant les élus locaux que vous êtes, puisque les contenus du projet de loi SRU en cours de débat au Parlement, rendent particulièrement d'actualité cette démarche et en confirment l'ambition.
Nous savons produire du logement social, de qualité, bien intégré à la ville et accueillant une diversité de populations. Les moyens pour agir en ce sens ont été sensiblement renforcés depuis deux ans et demi.
C'est le sens de la création du PLUS qui est ouvert, en termes de critères de ressources, à près des trois quarts de nos concitoyens et dont le niveau de loyer est mieux solvabilisé par l'aide personnalisée au logement. Dans le même temps le relèvement des plafonds de ressources a porté le pourcentage des ménages éligibles au parc social HLM ou PLA de 57 à 64 %.
C'est le sens aussi des mesures, sans précédent, prises pour faciliter l'acquisition de logements et d'immeubles existants par les bailleurs sociaux, à travers des prêts à 50 ans pour l'acquisition immobilière, à travers des subventions majorées, à travers une exonération de 15 ans de TFPB. Par ce recyclage dans le parc social de logements existants - au besoin réhabilités - on peut tout à la fois produire du logement social là où le foncier disponible est rare, contribuer à la requalification de quartiers anciens et garantir une excellente insertion urbaine à ce parc HLM parfaitement banalisé.
Aujourd'hui, la taille moyenne des opérations HLM dans le neuf est de l'ordre de 30 logements et leur qualité architecturale n'a rien à envier aux programmes privés.
Et pourtant aujourd'hui, certains refusent la construction de logement social dans leur commune au nom d'images dépassées et d'un égoïsme peu républicain. On ne peut pas parler d'urbanité, de qualité de vie en ville, de préservation du modèle européen de la ville, si c'est pour en exclure une partie de nos concitoyens.
C'est le sens et la légitimité des mesures du projet de loi SRU qui visent à donner droit de cité au logement social dans toutes les communes. Le projet de loi prévoit d'ailleurs que cette recherche d'un meilleur équilibre en matière d'habitat au service d'une meilleure intégration urbaine, se fasse à l'échelle de l'agglomération, sur la base d'un accord négocié entre l'ensemble les collectivités concernées, dans le cadre d'un PLH intercommunal.
Mais améliorer l'image et la réalité du logement social, c'est aussi prendre à bras-le-corps le problème de la transformation en profondeur de certains quartiers HLM hérités des années 60 et 70. Il est clair qu'une partie d'entre eux n'offrent pas à leurs habitants des conditions de vie satisfaisantes et que certains quartiers ne sont habités que par défaut, faute de mieux. D'où le développement de la vacance et de phénomènes de relégation.
Il faut donc mener la requalification en profondeur de certains quartiers HLM dans le cadre de la politique de la ville impulsée par Claude BARTOLONE, pour leur redonner la qualité urbaine, l'urbanité qui font défaut. Il faut dans le même temps, renouveler l'offre HLM en menant de front la relance de la construction et la requalification, sans écarter la démolition de l'offre obsolète lorsque nécessaire. C'est un chantier majeur pour l'avenir du logement social, dont dépend sa place dans la ville et dans notre société, pour les années à venir.
Mais l'urbanité d'un quartier, dépend aussi de la qualité de sa gestion au quotidien. Et force est de constater que trop souvent les quartiers HLM souffrent d'une gestion d'exception, hors des cadres de droit commun des autres quartiers de la ville.
Est-il normal - par exemple - que dans des quartiers qui ont parfois la taille d'une petite commune, les espaces qui ailleurs sont publics et entretenus comme tels, soient propriété de l'organisme HLM et que leur gestion pèse exclusivement sur la quittance des locataires ?
Pour faire évoluer ces quartiers dans la ville, il faut aussi changer cette réalité. Pour être efficaces à long terme, les projets de requalification qui vont s'engager dans le cadre des contrats de ville et des GPV doivent intégrer pleinement cette orientation.
Développer l'urbanité de ces quartiers, c'est aussi être à l'écoute de ceux qui y vivent, comme citadins et comme locataires. C'est pourquoi nous avons souhaité développer dans le projet de loi SRU de nouveaux cadres de concertation décentralisée dans le parc HLM. C'est pourquoi les projets de renouvellement urbain doivent associer ceux pour lesquels ils sont conçus, c'est à dire les habitants.
J'ai beaucoup parlé du parc HLM, mais je suis également convaincu que le parc privé a une place déterminante à jouer dans une politique sociale et urbaine de l'habitat. Deux angles d'approche me semblent particulièrement importants.
D'abord valoriser le parc privé existant, ce qui est fondamental en matière de renouvellement urbain. L'enjeu est à la fois urbain et social. Il s'agit de préserver l'attractivité, la vitalité, voire de reconquérir des tissus urbains anciens qui se dégradent, alors qu'ils représentent un formidable potentiel urbain.
Il s'agit aussi de donner des conditions de logement décentes à des familles qui subissent parfois une situation d'un autre âge. Améliorer leurs conditions de logement sans pour autant les chasser du quartier où elles sont installées.
Pour favoriser l'action de revalorisation, nous mettons en place des outils financiers et juridiques puissants. Depuis deux ans et demi, nous avons amélioré très sensiblement les aides financières à la réhabilitation du parc privé : augmentation des crédits de la PAH et de l'ANAH, TVA à 5,5 % pour les travaux des particuliers. La réforme de l'ANAH, prévue par le projet de loi SRU, permettra d'avoir un outil unifié pour mener une politique globale d'amélioration de ce parc.
Parallèlement, le projet de loi renforce les outils juridiques en matière de prévention et de traitement des copropriétés dégradées, il réforme les procédures d'insalubrité et de péril et il introduit la notion de logement décent, ce qui nous donnera de nouveaux moyens d'action face à des marchands de sommeil qui entretiennent la spirale de dégradation de certains quartiers, parce qu'ils exploitent le marché de la misère.
Mais la contribution du parc privé à l'urbanité de nos villes, vaut aussi pour la construction neuve, c'est à dire pour la ville qui est en train de se faire sous nos yeux.
Comment donner plus de qualité urbaine aux lotissements qui se construisent, pour éviter de nouvelles formes de ville monotones, sans grâce, sans diversité, sans espaces publics qui font la ville et la rencontre ? Comment mieux intégrer ces nouveaux îlots au reste de la ville, en liant mieux extension urbaine et desserte en transports collectifs ? Sur ce dernier point les schémas de cohérence territoriale devraient pouvoir nous aider.
Comment rendre le logement collectif plus attractif par rapport aux aspirations de nos concitoyens, pour concilier les avantages d'une bonne intégration à la ville avec une qualité d'usage qui se rapproche de celle de l'habitat individuel par d'avantage d'autonomie et moins de standardisation ?
Voilà des chantiers pour les architectes, les urbanistes et les maîtres d'ouvrage : donner plus de diversité, d'harmonie et donc d'urbanité à la ville, en rompant avec les réponses trop souvent répétitives, rigides, sans qualité urbaine suffisante, réponses auxquelles nous aurions tort de nous résigner collectivement.
Comme vous le constatez, les pistes d'action et de réflexion sont très riches. Nous avons ensemble les moyens de faire bouger la ville, nos villes, à travers des politiques locales de l'habitat et de l'urbanisme inventives et décloisonnées. C'est un chantier passionnant dans lequel beaucoup d'entre vous sont déjà engagés et qui, je l'espère, pourra - avec les moyens renforcés et les outils renouvelés que nous mettons en place - prendre une nouvelle dimension dans les années à venir.
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 5 avril 2000)
Le débat qui vient d'avoir lieu était placé sous le signe de la recherche d'une nouvelle urbanité pour nos villes face aux défis urbains et sociaux qui les traversent. J'en ferai volontiers le fil conducteur de mon propos. Poser la question de nos villes sous l'angle de l'urbanité, c'est en effet aller au cur du sujet : c'est parler de la qualité de la vie en ville et de la manière de vivre ensemble, c'est évoquer ce qui a fait, historiquement, de la ville un lieu d'affranchissement puis de progrès, économique, social et culturel.
Cette réalité est toujours d'actualité : globalement nos concitoyens se sentent bien dans leur ville.
En témoigne le récent sondage publié dans le Moniteur selon lequel 90 % des citadins se déclaraient satisfaits de leur qualité de vie en ville. Ce satisfecit ne doit pas, pour autant, conduire à minorer les défis actuels et de long terme, qui se posent à nos villes, et que vous venez d'évoquer.
Défis sociaux d'abord. Nos concitoyens sont inégaux face à la ville et au logement. Une grande majorité a le choix de son logement, de son quartier et grâce aux progrès de la mobilité, peut vivre la ville "à la carte", pour son travail, ses loisirs, ses achats.
Une partie de nos concitoyens vit au contraire au quotidien la précarité sociale et sa traduction dans l'usage de la ville : l'absence de choix en matière de logement, l'inégalité face à la mobilité, un moindre accès à ce qui fait la valeur de la ville, ses services, la qualité de son cadre urbain.
Ces inégalités ont aussi une traduction forte dans le tissu urbain. Je pense à certains quartiers, conçus dès l'origine en marge de la ville, sans qualité urbaine et selon des règles de gestion et d'occupation spécifiques, en un mot ségrégatifs. Je pense aussi à certains quartiers plus anciens qui servent de refuge aux exclus du droit au logement, dans un habitat dégradé et menacé d'insalubrité.
Comment concilier droit au logement et droit à la ville ? Comment faire en sorte que le progrès économique, social, culturel, urbain, ait un rôle d'entraînement pour tous nos concitoyens, dans toutes les parties de la ville ? Comment surmonter certaines tendances au chacun chez soi et pour soi, qui conduit par exemple à un rejet du logement social ? Voilà les questions fondamentales auxquelles nous sommes confrontés.
Second défi : le caractère durable du développement de nos villes. Certes nos concitoyens sont satisfaits de leur qualité de vie en ville mais ils ont aussi des aspirations, parfois contradictoires, qui témoignent d'une réalité : nos villes sont dans un équilibre fragile, à court terme et plus encore, à long terme.
Equilibre fragile du fait des problèmes induits par l'éclatement urbain, dans une ville placée sous le signe de la mobilité, mais qui est menacée de pollution et de congestion.
Equilibre fragile entre les différentes composantes de villes que les citadins vivent à l'échelle de l'agglomération, du bassin de vie mais qui se développent souvent sans cohérence voire en concurrence.
Equilibre fragile aussi face à la contradiction entre l'aspiration à vivre au vert, au calme, et l'exigence de services urbains coûteux dont le financement est parfois mal assuré et surtout mal partagé.
Pour concilier à long terme l'évolution de nos modes de vie avec les équilibres durablement nécessaires de nos villes, en termes d'environnement, de cohésion sociale, de qualité urbaine, d'efficience des services publics, il est nécessaire d'avoir un véritable projet d'avenir, avec des lignes d'action claires. Toutes nos politiques urbaines - en matière d'urbanisme, de transports, d'habitat - doivent être relues à cette aune, à contre courant parfois de l'évolution au fil de l'eau.
Notre manière de gouverner, de piloter nos agglomérations est aussi en cause. Comment concilier la proximité et la maîtrise à la bonne échelle de problèmes urbains dont la solution se trouve souvent au-delà des limites communales ? Comment assurer une réelle solidarité territoriale, à contre courant de certaines tentations ? Comment impliquer nos concitoyens dans les choix qui font le quotidien ou l'avenir de nos villes ? Comment moderniser les relations de l'Etat et des collectivités locales dans la mise en uvre des politiques urbaines ?
Les questions posées sont essentielles et elles interpellent nos cadres institutionnels et les formes actuelles de la démocratie urbaine.
Les enjeux de la ville, les réponses à leur apporter, ont des dimensions multiples. Je m'en tiendrai pour ma part aux problèmes d'urbanisme et d'habitat, pour rappeler que dans le prolongement de la loi Chevènement et de la LOADDT, de nouvelles perspectives sont ouvertes aux politiques urbaines par le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain. Un projet qui, vous le savez, devrait être adopté par le Parlement d'ici l'été.
Comme la loi d'orientation foncière l'a fait il y a trente ans, mais sur un champ plus large puisqu'il embrasse les politiques d'urbanisme, de transports, d'habitat, l'objectif est de mettre en place les outils pour la ville des décennies à venir. Des outils, des cadres qui prennent leur sens autour d'orientations politiques fortes en faveur de la cohérence des politiques urbaines, de la solidarité, du renouvellement urbain, du développement durable et de la participation citoyenne.
Je ne reviendrais pas en détail sur les dispositions du projet de loi, qui sont désormais connues de beaucoup d'entre vous.
Je rappellerai simplement qu'il renouvelle les cadres de la planification urbaine pour permettre une meilleure cohérence des démarches sectorielles (P.D.U., P.L.H., schéma commercial) à l'échelle des agglomérations et pour favoriser une expression plus lisible du projet urbain des communes. Il met l'accent sur les transports collectifs et l'intermodalité, il donne des outils au renouvellement urbain - mais j'y reviendrai -. Il affirme enfin fortement l'objectif de mixité de l'habitat, en donnant droit de cité au logement social dans toutes les communes. Il apporte ainsi des réponses, certes perfectibles et bien sûr à compléter, à ces défis urbains et sociaux, à cette recherche d'une nouvelle urbanité, qui nous préoccupent tous.
Je souhaite insister sur un point : ce projet définit des orientations claires et constitue une boîte à outils mise au service des collectivités locales, des élus que vous êtes, en première ligne sur les problèmes urbains. Beaucoup d'entre vous ont d'ores et déjà anticipé dans leur action sur les orientations du projet de loi, et pour concevoir ce dernier, nous avons d'ailleurs puisé dans vos expériences. Il est évident que l'effet de levier de la loi pour améliorer la vie urbaine dépendra beaucoup de la façon dont vous vous l'approprierez.
Il s'agit là d'un chantier essentiel engagé dans la durée, mais un chantier qui s'inscrit en pleine cohérence avec les actions menées, notamment en matière de logement depuis juin 1997.
A ce titre, je souhaite préciser la contribution de la politique de l'habitat à la construction de cette nouvelle urbanité que nous appelons tous de nos vux. Une contribution qui est à mes yeux très importante, car le logement est une matière première majeure de la ville.
Construire, réhabiliter, ce n'est pas seulement - même si c'est déjà beaucoup - répondre à des aspirations individuelles et des besoins sociaux. C'est aussi fabriquer de la ville. La qualité du cadre de vie urbain, le dynamisme démographique de nos villes, leur diversité sociale, tout cela est en lien étroit avec les politiques d'habitat qui sont menées.
Développer une politique urbaine et sociale du logement, une politique au service du droit au logement, de la diversité de l'habitat et du renouveau urbain, voilà l'objectif que nous poursuivons depuis presque trois ans.
D'abord à travers le soutien apporté à l'offre de logement dans toute sa diversité, car il s'agit de permettre une meilleure liberté de choix : entre le locatif et l'accession, entre le parc ancien et le neuf, entre le logement social et le parc privé. de la production annuelle de logement est aidée sous une forme ou une autre, sur les différents segments de l'offre, qu'il s'agisse du PTZ, du statut du bailleur privé qui s'applique au neuf et à l'ancien, des aides au logement social.
Second axe, tout à fait essentiel pour concrétiser le droit au logement, c'est l'appui renforcé aux familles les plus modestes, auxquelles le seul jeu du marché, ne permet pas d'accéder au logement dans de bonnes conditions. C'est le rôle capital des aides personnelles au logement, dont le pouvoir d'achat depuis juin 1997 a été revalorisé de plus de 5 milliards de francs, et qui devront continuer à être améliorées pour mieux répondre aux évolutions sociales que constituent le développement de l'emploi précaire et à temps partiel, le poids des charges, les nouveaux statuts familiaux
Le droit au logement, c'est aussi la sécurité face aux aléas de la vie. Nous vivons dans une société plus riche mais aussi plus instable en termes de parcours professionnel et personnel. Avec des répercussions parfois dramatiques en matière de logement.
Nous avons cherché à répondre aux situations les plus graves à travers la loi d'orientation et de prévention des exclusions et le doublement en deux ans des crédits du FSL. Nous avons aussi commencé à nous engager dans la voie nouvelle de la sécurisation, grâce au partenariat avec le 1 % : sécurisation en cas d'accession à la propriété, sécurisation pour les propriétaires ou investisseurs qui s'engagent dans le cadre du statut du bailleur privé. C'est une voie certainement décisive pour l'avenir.
Conjuguer droit au logement et droit à la ville, c'est aussi le fil conducteur de la politique menée en matière de logement social. En ce domaine, un défi majeur se présente à nous : faire coïncider l'image et la réalité du logement social d'aujourd'hui pour que sa vocation sociale - qui est sa raison d'être - ne soit plus synonyme de ségrégation. Les réformes en profondeur conduites depuis juillet 1997 vont toutes en ce sens. Je tiens à y insister, devant les élus locaux que vous êtes, puisque les contenus du projet de loi SRU en cours de débat au Parlement, rendent particulièrement d'actualité cette démarche et en confirment l'ambition.
Nous savons produire du logement social, de qualité, bien intégré à la ville et accueillant une diversité de populations. Les moyens pour agir en ce sens ont été sensiblement renforcés depuis deux ans et demi.
C'est le sens de la création du PLUS qui est ouvert, en termes de critères de ressources, à près des trois quarts de nos concitoyens et dont le niveau de loyer est mieux solvabilisé par l'aide personnalisée au logement. Dans le même temps le relèvement des plafonds de ressources a porté le pourcentage des ménages éligibles au parc social HLM ou PLA de 57 à 64 %.
C'est le sens aussi des mesures, sans précédent, prises pour faciliter l'acquisition de logements et d'immeubles existants par les bailleurs sociaux, à travers des prêts à 50 ans pour l'acquisition immobilière, à travers des subventions majorées, à travers une exonération de 15 ans de TFPB. Par ce recyclage dans le parc social de logements existants - au besoin réhabilités - on peut tout à la fois produire du logement social là où le foncier disponible est rare, contribuer à la requalification de quartiers anciens et garantir une excellente insertion urbaine à ce parc HLM parfaitement banalisé.
Aujourd'hui, la taille moyenne des opérations HLM dans le neuf est de l'ordre de 30 logements et leur qualité architecturale n'a rien à envier aux programmes privés.
Et pourtant aujourd'hui, certains refusent la construction de logement social dans leur commune au nom d'images dépassées et d'un égoïsme peu républicain. On ne peut pas parler d'urbanité, de qualité de vie en ville, de préservation du modèle européen de la ville, si c'est pour en exclure une partie de nos concitoyens.
C'est le sens et la légitimité des mesures du projet de loi SRU qui visent à donner droit de cité au logement social dans toutes les communes. Le projet de loi prévoit d'ailleurs que cette recherche d'un meilleur équilibre en matière d'habitat au service d'une meilleure intégration urbaine, se fasse à l'échelle de l'agglomération, sur la base d'un accord négocié entre l'ensemble les collectivités concernées, dans le cadre d'un PLH intercommunal.
Mais améliorer l'image et la réalité du logement social, c'est aussi prendre à bras-le-corps le problème de la transformation en profondeur de certains quartiers HLM hérités des années 60 et 70. Il est clair qu'une partie d'entre eux n'offrent pas à leurs habitants des conditions de vie satisfaisantes et que certains quartiers ne sont habités que par défaut, faute de mieux. D'où le développement de la vacance et de phénomènes de relégation.
Il faut donc mener la requalification en profondeur de certains quartiers HLM dans le cadre de la politique de la ville impulsée par Claude BARTOLONE, pour leur redonner la qualité urbaine, l'urbanité qui font défaut. Il faut dans le même temps, renouveler l'offre HLM en menant de front la relance de la construction et la requalification, sans écarter la démolition de l'offre obsolète lorsque nécessaire. C'est un chantier majeur pour l'avenir du logement social, dont dépend sa place dans la ville et dans notre société, pour les années à venir.
Mais l'urbanité d'un quartier, dépend aussi de la qualité de sa gestion au quotidien. Et force est de constater que trop souvent les quartiers HLM souffrent d'une gestion d'exception, hors des cadres de droit commun des autres quartiers de la ville.
Est-il normal - par exemple - que dans des quartiers qui ont parfois la taille d'une petite commune, les espaces qui ailleurs sont publics et entretenus comme tels, soient propriété de l'organisme HLM et que leur gestion pèse exclusivement sur la quittance des locataires ?
Pour faire évoluer ces quartiers dans la ville, il faut aussi changer cette réalité. Pour être efficaces à long terme, les projets de requalification qui vont s'engager dans le cadre des contrats de ville et des GPV doivent intégrer pleinement cette orientation.
Développer l'urbanité de ces quartiers, c'est aussi être à l'écoute de ceux qui y vivent, comme citadins et comme locataires. C'est pourquoi nous avons souhaité développer dans le projet de loi SRU de nouveaux cadres de concertation décentralisée dans le parc HLM. C'est pourquoi les projets de renouvellement urbain doivent associer ceux pour lesquels ils sont conçus, c'est à dire les habitants.
J'ai beaucoup parlé du parc HLM, mais je suis également convaincu que le parc privé a une place déterminante à jouer dans une politique sociale et urbaine de l'habitat. Deux angles d'approche me semblent particulièrement importants.
D'abord valoriser le parc privé existant, ce qui est fondamental en matière de renouvellement urbain. L'enjeu est à la fois urbain et social. Il s'agit de préserver l'attractivité, la vitalité, voire de reconquérir des tissus urbains anciens qui se dégradent, alors qu'ils représentent un formidable potentiel urbain.
Il s'agit aussi de donner des conditions de logement décentes à des familles qui subissent parfois une situation d'un autre âge. Améliorer leurs conditions de logement sans pour autant les chasser du quartier où elles sont installées.
Pour favoriser l'action de revalorisation, nous mettons en place des outils financiers et juridiques puissants. Depuis deux ans et demi, nous avons amélioré très sensiblement les aides financières à la réhabilitation du parc privé : augmentation des crédits de la PAH et de l'ANAH, TVA à 5,5 % pour les travaux des particuliers. La réforme de l'ANAH, prévue par le projet de loi SRU, permettra d'avoir un outil unifié pour mener une politique globale d'amélioration de ce parc.
Parallèlement, le projet de loi renforce les outils juridiques en matière de prévention et de traitement des copropriétés dégradées, il réforme les procédures d'insalubrité et de péril et il introduit la notion de logement décent, ce qui nous donnera de nouveaux moyens d'action face à des marchands de sommeil qui entretiennent la spirale de dégradation de certains quartiers, parce qu'ils exploitent le marché de la misère.
Mais la contribution du parc privé à l'urbanité de nos villes, vaut aussi pour la construction neuve, c'est à dire pour la ville qui est en train de se faire sous nos yeux.
Comment donner plus de qualité urbaine aux lotissements qui se construisent, pour éviter de nouvelles formes de ville monotones, sans grâce, sans diversité, sans espaces publics qui font la ville et la rencontre ? Comment mieux intégrer ces nouveaux îlots au reste de la ville, en liant mieux extension urbaine et desserte en transports collectifs ? Sur ce dernier point les schémas de cohérence territoriale devraient pouvoir nous aider.
Comment rendre le logement collectif plus attractif par rapport aux aspirations de nos concitoyens, pour concilier les avantages d'une bonne intégration à la ville avec une qualité d'usage qui se rapproche de celle de l'habitat individuel par d'avantage d'autonomie et moins de standardisation ?
Voilà des chantiers pour les architectes, les urbanistes et les maîtres d'ouvrage : donner plus de diversité, d'harmonie et donc d'urbanité à la ville, en rompant avec les réponses trop souvent répétitives, rigides, sans qualité urbaine suffisante, réponses auxquelles nous aurions tort de nous résigner collectivement.
Comme vous le constatez, les pistes d'action et de réflexion sont très riches. Nous avons ensemble les moyens de faire bouger la ville, nos villes, à travers des politiques locales de l'habitat et de l'urbanisme inventives et décloisonnées. C'est un chantier passionnant dans lequel beaucoup d'entre vous sont déjà engagés et qui, je l'espère, pourra - avec les moyens renforcés et les outils renouvelés que nous mettons en place - prendre une nouvelle dimension dans les années à venir.
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 5 avril 2000)