Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, dans "Lutte ouvrière" les 7, 14, 21 et 28 octobre 2005, sur le bilan de la journée d'action du 4 octobre, sur la grève des travailleurs de la SNCM, sur le sens de la journée mondiale du refus de la misère, créée par l'ONU, sur le programme de privatisations du gouvernement.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

Lutte Ouvrière n°1940 du 7 octobre 2005
Le 4 octobre a été un succès. Il faut continuer
La journée du 4 octobre a été un succès. La participation aux manifestations a été importante, autant dans de nombreuses villes de province qu'à Paris, où, aux côtés des travailleurs de la SNCF, des transports en commun, des communaux, des postiers et de bien d'autres du service public, nombreux étaient les travailleurs du privé, et pas seulement ceux des entreprises menacées de plans de licenciements. C'est un encouragement pour tous les travailleurs.
Mais cela ne peut pas s'arrêter là. Une journée d'action n'inquiétera le gouvernement et surtout le grand patronat que s'ils ont des raisons de redouter que cela ne s'arrête pas là et que la classe ouvrière utilise à l'avenir sa force face à l'offensive du patronat et du gouvernement.
On ne peut plus compter les coups qui sont portés aux travailleurs, et par le patronat, et par le gouvernement. Les grandes entreprises, même celles qui croulent sous les milliards, licencient, bloquent les salaires et n'embauchent pratiquement plus qu'en intérim ou en contrats précaires. Le gouvernement leur facilite la tâche en supprimant le peu qui, dans la loi, protège encore les travailleurs. Il y ajoute ses propres mesures visant à réserver le maximum de son budget au grand patronat et aux bourgeois en tant qu'individus en faisant des économies sur les chômeurs, sur les assurés sociaux, sur les retraites, c'est-à-dire sur le monde du travail.
Et cela dure comme cela depuis des années. Les gouvernements passent, leur étiquette change, mais les coups contre les travailleurs continuent.
Alors, il faut que les travailleurs réagissent. Ceux de la SNCM ont réagi au projet de brader leur entreprise pour un dixième de sa valeur à un fonds spéculatif, avec des centaines de licenciements à la clé. Avec le soutien des travailleurs des ports de Marseille et de Corse, ils ont montré qu'ils n'ont nullement l'intention de se laisser égorger en silence. Ils ont obligé le gouvernement à reculer en relâchant les marins emprisonnés et en promettant que l'État garde un quart du capital de la SNCM. Les travailleurs de la SNCM continuent et ils ont raison de continuer tant que l'État n'abandonnera pas son projet de privatisation et surtout tant que la menace des licenciements pèsera sur plusieurs centaines de travailleurs de cette entreprise.
Nous défendre nous-mêmes, voilà la seule voie. C'est vital car, si on ne les arrête pas, le patronat et le gouvernement continueront. Ils n'ont pas confiance en leur propre économie. Ils savent que ce n'est pas la peine d'investir si le marché n'est pas prometteur. Ils préfèrent gagner toujours plus d'argent en dépensant moins en investissements ou en recherches, mais en exploitant toujours plus les travailleurs. Leurs profits actuels, proprement extravagants malgré la marche poussive de l'économie, sont réalisés sur notre dos. Ce sont les profits dégagés dans les entreprises par l'exploitation des travailleurs qui font marcher tout le reste: toutes leurs bonnes affaires, toutes leurs spéculations, tout ce qui fait que tant de bourgeois, grands, moyens et même petits, ont de l'argent à ne pas savoir qu'en faire tandis que le monde du travail est poussé vers la misère. Alors, si cela ne dépend que d'eux, ils continueront.
Et à cette volonté patronale de faire du profit coûte que coûte et d'accroître coûte que coûte les dividendes des actionnaires, il n'y a qu'une façon de s'opposer: c'est de menacer les patrons dans leurs profits, là où ils sont sensibles.
Il n'y a pas d'autre espoir pour nous que cela. Ceux qui nous chantent déjà les élections de 2007 cherchent à nous tromper. Au train où vont les choses, combien de mesures antiouvrières supplémentaires d'ici 2007? Et qu'est-ce qui nous garantit que cela s'arrêtera à cette date? Si c'est Sarkozy qui est élu, cet homme qui ressemble de plus en plus à Le Pen, la réponse est évidente. Mais même si c'est un notable du Parti Socialiste, un quelconque Fabius, quel travailleur pourrait croire qu'il nous défendra face au grand patronat?
La participation aux manifestations et aux grèves du 4 octobre a été comparable à celle du 10 mars. Cela montre que, malgré les coups portés depuis aux travailleurs, leur détermination n'a pas faibli. Les directions syndicales ont cependant attendu presque sept mois pour donner une suite au 10 mars.
Eh bien, il faut une suite au 4 octobre, pas dans des mois, mais à brève échéance. Il faut que ceux des travailleurs qui sont encore hésitants se rendent compte de la force que le monde du travail représente et aient l'occasion de rejoindre les plus déterminés. Il faut battre le fer tant qu'il est chaud et continuer la mobilisation jusqu'à ce que la classe ouvrière dans son ensemble soit prête à se mobiliser et engage la lutte jusqu'à satisfaction de ses objectifs vitaux: l'augmentation générale des salaires, l'arrêt de la précarisation du travail, l'interdiction des licenciements collectifs et l'annulation de toutes les mesures réactionnaires prises par le gouvernement.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 10 octobre 2005)
Lutte Ouvrière n°1941 du 14 octobre 2005
Vive les travailleurs de la SNCM!
À l'heure où nous écrivons la grève des travailleurs de la SNCM entre dans sa quatrième semaine. Ils n'acceptent pas la privatisation de leur entreprise et les 400 suppressions d'emplois qui vont avec. Leur courage et leur combativité méritent le respect de l'ensemble des travailleurs.
Au début, c'est une privatisation pure et simple qui a été annoncée, mais la détermination des grévistes a amené le gouvernement à reculer en annonçant qu'il garderait 25% du capital, puis que la participation des salariés passerait à 9%. C'est encore la détermination des grévistes qui a imposé la libération des marins du Pascal-Paoli. Le gouvernement vient de promettre qu'il n'y aura pas de licenciements secs et que l'entreprise ne sera pas démantelée.
Mais en même temps il agite la menace du dépôt de bilan et de 2200 licenciements, si le travail n'a pas repris avant vendredi soir.
Malgré tout cela, les travailleurs de la SNCM continuent. Ils ont raison de penser que même une participation de l'État à 25% n'empêchera pas des suppressions d'emplois puisque 100% de participation, comme c'est le cas jusqu'à nouvel ordre, ne les ont pas empêchées. Et chaque travailleur sait que la promesse de "pas de licenciements secs" n'empêche pas des propositions de mutation, qui reviennent au même.
Les ministres se succèdent à la télévision pour mener une campagne de propagande contre la grève et les grévistes. Des patrons pleurent sur les millions d'euros que les grèves leur font perdre. Ce qui prouve au moins que ces millions, ils ne les gagnent que grâce au travail de tous ceux qui participent à la production comme au transport de leurs marchandises. Les politiciens vitupèrent contre "la minorité violente" qui bafouerait la démocratie en tenant en "otage" l'économie.
Minorité, les grévistes? Mais, lorsque le chef du gouvernement décide d'attribuer la SNCM, dont la valeur est estimée à 450 millions d'euros, pour la somme de 35 millions d'euros au PDG d'un fonds de spéculation, son ami personnel, en promettant de surcroît que l'État prendra en charge le paiement des dettes et les frais des licenciements prévus, contre la volonté non seulement des travailleurs de la SNCM, mais de toute une région, qu'est-ce donc si ce n'est une poignée d'individus qui imposent leur diktat à tous?
Violents, les grévistes? Mais annoncer des centaines de licenciements, c'est-à-dire autant de travailleurs poussés au chômage, n'est-ce pas une violence contre ces travailleurs et contre leurs familles?
Pour la bourgeoisie, lorsqu'une grande entreprise, publique comme la SNCM ou privée comme Hewlett-Packard, décide de mettre à la rue des centaines de travailleurs, c'est normal. Mais que les travailleurs menacés se défendent, c'est une violence inadmissible.
Et combien d'autres mensonges pour essayer de dresser l'opinion publique contre les travailleurs de la SNCM? Les subventions versées à la SNCM constitueraient un "gouffre" que l'État ne peut plus supporter? Pourquoi donc le déficit de la SNCM, service public utile en direction de la Corse et du Maghreb, serait-il insupportable? Mais il n'est pas question de toucher au programme d'avions de combat Rafale, cher à Dassault... et surtout coûteux pour les contribuables, alors qu'il creuse un gouffre autrement plus important dans le budget!
Sous la pression, certaines organisations syndicales, FO et la CGC, qui comptent de nombreux officiers dans ces rangs, ont fini par appeler à la reprise du travail. Lors d'une assemblée générale des sédentaires, la reprise du travail a été demandée par le représentant de la CGT. Les marins doivent à leur tour être consultés de la même façon.
Quoique décident ceux de la SNCM, leur lutte mérite le respect de tout les travailleurs.
Le patronat et le gouvernement, auraient bien voulu avoir affaire à des travailleurs qui acceptent en silence les coups qu'on leur donne!
Eh bien, les travailleurs de la SNCM ne l'ont pas entendu ainsi! Ce sont eux qui ont raison!
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 7 novembre 2005)
Lutte Ouvrière n°1942 du 21 octobre 2005
Vaincre la pauvreté, c'est mettre fin au capitalisme
À défaut d'éradiquer la misère, une "journée mondiale du refus de la misère" a été inventée, qui s'est déroulée le 17 octobre. C'est une journée patronnée par l'ONU, dont on ne peut vraiment pas dire qu'au cours de ses soixante ans d'existence elle ait fait reculer la pauvreté. Durant une journée, les médias font mine de se pencher sur le sort des plus pauvres, publient quelques témoignages et statistiques accompagnés de phrases lénifiantes. Puis les choses continuent comme avant.
Mais pourquoi la misère s'accroît-elle? Pourquoi la croissance économique elle-même, si elle enrichit les riches, ne diminue-t-elle pas la pauvreté, mais augmente-t-elle le nombre de pauvres?
Ici même, en France, pays parmi les plus riches du monde, 7,4 millions de personnes, plus d'une personne sur dix, vivent avec moins de 615 euros par mois, 3,5 millions n'ont qu'un logement dégradé ou malsain, et 80000 pas de logement du tout.
Mais la pauvreté n'est pas un fléau de la nature. Ce n'est pas une maladie. Il y a des responsables et on sait pertinemment qui ils sont. Comment prétendre "refuser la misère" et accepter que des entreprises qui font des profits considérables puissent licencier et pousser vers le chômage et la pauvreté une partie de leurs travailleurs, simplement pour augmenter le prix de leurs actions en Bourse et la fortune de leurs actionnaires? Et pourquoi la pauvreté frappe-t-elle, au-delà des chômeurs, de plus en plus de travailleurs? Parce que les salaires sont bloqués et que de plus en plus nombreux sont ceux qui n'ont qu'un emploi précaire, avec une paie qui permet tout juste de survivre, même en travaillant. C'est tout le fonctionnement économique qui, pour fabriquer du profit pour quelques-uns, écrase ceux qui travaillent et broie impitoyablement ceux qui ne peuvent plus travailler, soit parce que l'âge, un handicap ou une maladie les empêchent de le faire, soit parce que c'est le système économique lui-même qui les rejette sur le bord du chemin.
Et il en est ainsi à l'échelle du monde. Depuis la création de l'ONU, justement, il y a soixante ans, la richesse produite par la collectivité humaine s'est accrue dans des proportions considérables, mais les inégalités bien plus encore. Alors que 2,5 milliards d'individus sur Terre doivent survivre avec moins de deux euros par jour, quelques dizaines d'autres possèdent plus que la richesse nationale de la plupart des pays. Ces enfants du Niger au corps squelettique, mourant de faim, le désespoir de ceux qui errent autour de ces enclaves européennes sur le sol marocain que sont Ceuta et Melilla et se jettent sur les barbelés en tentant de pénétrer en Europe, pour chercher simplement du travail qu'ils ne sont pas sûrs de trouver : c'est le Tiers Monde. Mais le Tiers Monde, c'est la majorité de la planète et il se prolonge jusqu'au coeur des pays riches.
À quoi bon la croissance économique, au nom de laquelle on impose les sacrifices aux travailleurs, si elle signifie l'appauvrissement de ceux qui en sont les artisans? À quoi sert une journée d'émotion, sincère peut-être de la part des associations qui essaient d'aider les plus démunis, mais d'une écoeurante hypocrisie de la part de ceux qui gouvernent le monde?
La misère est le résultat de la guerre de classe que mène la classe capitaliste, qui domine l'économie pour faire du profit avec tout, pour s'accaparer tout, quitte à ce que l'humanité en crève. Ne plus la laisser faire est la seule façon de combattre la pauvreté!
Faire reculer la pauvreté, c'est imposer au grand patronat et au gouvernement l'interdiction des licenciements, la répartition du travail entre tous, la fin de la précarité et un salaire correct pour tous ceux qui travaillent. Mais tant que la direction de la société appartient aux groupes capitalistes qui ne cherchent qu'à maximiser leurs profits, l'humanité en sera réduite à verser quelques larmes sur les morts et les blessés d'une économie qui fait plus de victimes que les catastrophes naturelles.
Pour vaincre la pauvreté, il faudra une autre organisation sociale que celle basée sur l'exploitation.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 7 novembre 2005)
Lutte Ouvrière n°1943 du 28 octobre 2005
Cadeaux aux riches, prélèvements sur les pauvres : Il faut les stopper!
Le gouvernement a commencé la privatisation d'EDF. Il ne peut même pas prétendre, comme il l'a fait récemment, mensongèrement, pour la SNCM, qu'il s'agit de "sauver" de la faillite une entreprise d'État. EDF est largement bénéficiaire au point de racheter des entreprises ailleurs dans le monde.
Même nationalisée, EDF rendait service surtout aux grandes entreprises, c'est-à-dire au grand patronat. Mais ses bénéfices aguichent les groupes privés auxquels le gouvernement s'apprête à la livrer. EDF sera cotée en Bourse, actionnaires et boursicoteurs pourront faire du profit privé sur la production et la distribution de l'électricité, produit de première nécessité qui, comme la distribution de l'eau, devrait être un service public.
La privatisation se traduira inévitablement par des restructurations, des suppressions d'emplois et une aggravation des conditions de travail des agents EDF.
Les ténors du Parti Socialiste font mine de protester contre la privatisation d'EDF. Mais comment oublier que les ministres socialistes, de Strauss-Kahn à Fabius, ont appelé de leurs voeux l'ouverture d'EDF aux capitaux privés? L'accord sur l'ouverture complète du marché du gaz et de l'électricité a été cosigné par Chirac et Jospin, encore Premier ministre.
La privatisation d'EDF intervient peu après le vote à l'Assemblée nationale de cet autre cadeau aux possédants qu'est l'allégement de l'impôt sur la fortune.
Grâce à ce petit cadeau entre amis du même monde, cette seule mesure permettra, par exemple, à Desmarets, PDG de Total, d'économiser 325000 euros par an. L'ex-PDG de Carrefour, Daniel Bernard, y gagnera encore plus: 820000 euros, à peu près ce que gagnent deux travailleurs payés au SMIC durant toute leur vie active.
Les laquais politiques des riches qui, au Parlement, ont voté cette mesure ont eu le culot d'expliquer que c'était pour "préserver l'emploi"! Et tout est comme cela: pas une semaine ne passe sans qu'à travers une loi, un amendement, d'apparence anodine, une nouvelle catégorie de possédants ne touche des cadeaux considérables.
Au même moment, l'Assemblée se prépare à instaurer un forfait de 18 euros à la charge du malade pour tout acte médical d'un montant supérieur à 91euros. Combien de travailleurs mal payés, de chômeurs, de retraités ou d'handicapés se soigneront plus mal ou plus du tout?
Ils ont le culot de prétendre que c'est pour sauver la Sécurité sociale déficitaire. Mais pourquoi est-elle déficitaire? La part patronale des cotisations pour la Sécurité sociale n'a pas augmenté depuis 17 ans, elle a même baissé! Dans le même temps, la part des salariés est passée de 12,6% à 15,4% du salaire brut. Si la part patronale avait augmenté dans la même proportion que celle des salariés, il n'y aurait pas de déficit de la Sécurité sociale. De plus, le patronat est dégrevé d'une partie des charges sur les salaires inférieurs à 1,5 fois le smic, c'est-à-dire la majorité des salariés.
Ce nouveau forfait de 18 euros, c'est faire financer par les plus démunis les cadeaux ainsi faits au grand patronat.
Le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy ne cache pas son jeu: c'est aux possédants grands et petits qu'il veut plaire. Toute sa politique, tous ses gestes s'inscrivent dans ce choix fondamental.
Mais ceux qui espèrent qu'il suffit de changer de président de la République et de gouvernement se trompent. Car les alternances périodiques entre la gauche et la droite n'ont jamais arrêté ni la croissance des prélèvements sur les classes populaires, ni les allégements de charges pour le patronat, ni le rythme des privatisations.
La seule issue pour les travailleurs, c'est de contraindre le gouvernement quel qu'il soit à changer de politique. Cela exige la mobilisation de l'ensemble du monde du travail, des manifestations, des grèves assez fortes pour faire reculer le gouvernement et pour atteindre le patronat là où il est sensible, en menaçant ses profits. Ce sera dur mais, à tout prendre, bien moins que de continuer à subir les coups.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 7 novembre 2005)