Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à France-Inter le 11 mars 2004, sur les élections régionales 2004 et les enjeux de la représentation des Verts dans la gauche, la charte de l'environnement, le principe de précaution face à l'introduction d'OGM, l'écologie et le mouvement de protestation des chercheurs.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- P. Weill-. Les élections régionales, dans un peu plus d'une semaine. Tous les sondages l'annoncent pour ce scrutin : l'abstention devrait battre des records. Elle va peut-être devenir la première force politique du pays. Que pouvez-vous expliquer ce matin à ces électeurs qui semblent dire à la classe politique : "vous ne nous intéressez pas !".
R- "La première réflexion que l'on doit avoir, c'est de s'interroger, effectivement sur ce désenchantement des Français vis-à-vis des politiques. Ils ont le sentiment de l'impuissance. D'ailleurs, à force de leur avoir répété que c'était la faute à l'Europe, que ce n'était jamais de notre faute s'il arrivait des problèmes et si le chômage amplifiait, si la précarité augmentait, ils finissent par se dire que les politiques ne servent à rien. Je pense qu'il n'y a rien de pire dans une démocratie, nous sommes le 4ème pays le plus riche du monde. Il faut expliquer aux Français que s'il n'y avait pas la politique, nous ne pourrions pas réguler nos conflits et nos débats de manière civile et pacifiée. Aujourd'hui, nous devons tous nous interroger, quelle que soit notre appartenance partisane, sur ce désenchantement des Français. Cela veut dire que les uns et les autres - en tout cas, je parle des partis qui sont aujourd'hui considérés comme des partis démocratiques et républicains -, nous avons failli. Ce sont nos renoncements, nos facilités avec un certain nombre d'idées très démagogiques qui ont conduit à cette situation.Et je crains fort, qu'effectivement, nous soyons en train d'écrire, sans le savoir, un nouveau 21 avril, avec des élections régionales dans lesquelles, peut-être, il y aura une sanction de ce Gouvernement, ce qui sera après tout assez normal, mais où la gauche n'aura pas à tirer gloriole d'une victoire acquise sur une abstention qui aura été, effectivement, le premier vainqueur de ces élections régionales."
Q- Les Verts organisent samedi une journée d'action sur le thème de l'environnement et de la santé. Est-ce que ce n'est pas un thème que le Gouvernement prend en compte, avec cette fameuse charte de l'environnement, qui va être examinée par le Parlement - 10 articles. La défense de l'environnement va faire partie de la Constitution française ; c'est quand même une consécration pour votre cause ! Vous soutenez cette initiative de J. Chirac ?
R- "On ne va pas se plaindre que l'environnement soit introduit dans la Constitution. Cela dépend évidemment de la manière dont c'est fait. Je ne sais si vous vous souvenez, si vous avez suivi avec attention la commission qui était chargée de préparer cette charte de l'environnement ; elle a été divisée. Je me souviens en particulier des positions prises par monsieur Coppens, qui n'est pas le dernier des chercheurs et qui avait fait reproché au Gouvernement, finalement, de travestir le travail qui avait été fait par cette commission, dans la mesure où l'on ne va pas réellement introduire le principe de précaution dans la charte de l'environnement. Et d'ailleurs le ministre de l'Agriculture de ce Gouvernement vient de nous donner un exemple de la manière dont il perçoit et dont il conçoit le principe de précaution. Vous avez vu cette affaire du Régent ST avec la firme BASF. Le ministre de l'Agriculture, dans une grande envolée lyrique, nous dit : "J'applique le principe de précaution en interdisant la mise sur le marché de ce Régent ST qui est dangereux pour l'environnement, dangereux pour la santé". Mais comme les agriculteurs ont encore quelques stocks, alors ils vont pouvoir continuer. Donc, il faut savoir : est-ce que c'est dangereux, ou est-ce que cela ne l'est pas ?"
Q- Il faut dire un mot de ce qu'est le principe de précaution. Je résume en gros : si des découvertes scientifiques risquent de menacer l'environnement, on enquête, on évalue les risques ?
R- "Le principe de précaution, c'est se donner le temps du recul pour connaître l'impact d'un nouveau produit, d'une nouvelle molécule."
Q- Mais elle est bien cette mesure ; cela ne vous convient pas ?
R- "Sauf que le principe de précaution n'est pas appliqué. Je vous donne un autre exemple : les OGM. Les écologistes, contrairement à ce que l'on dit, n'ont jamais été contre la recherche fondamentale, à condition qu'elle soit financée par l'argent public. C'est tout l'objet de la rébellion, de la résistance très juste que mènent aujourd'hui les chercheurs face au Gouvernement, qui, dans un cynisme absolu, les traite de négociateurs "à la petite semaine". Les OGM, aujourd'hui, sont cultivés en champs ouverts, financés par de grandes entreprises, par de grands semenciers, comme les firmes chimiques telles que BASF ou Bayer, c'est Aventis, Monsanto ou quelques autres. C'est uniquement fait pour satisfaire les semenciers qui veulent continuer à cartéliser l'agriculture mondiale. Mais on ne prend pas le temps du recul, on ne se donne pas le temps de savoir quel sera l'impact sur l'environnement. Et nous savons aujourd'hui qu'il y a près de 100 000 molécules chimiques qui sont sur notre planète depuis 50 ans. On a étudié l'impact d'à peu près 10 % d'entre elles. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le professeur Belpomme, qui a été chargé par le président de la République d'une mission sur son grand chantier concernant le cancer. Avec les OGM, on risque de vivre des choses totalement irréversibles et qui peuvent porter atteinte à l'espèce humaine."
Q- Les Verts ont fêté en janvier dernier leurs vingt ans. Faisons un peu le bilan : vous avez trois députés, 33 mairies, à peu près 8 500 adhérents, vous avez obtenu 5,3 % à la présidentielle de 2002. C'est quand même un bilan mitigé. On a l'impression que l'on aime bien vos idées mais que les Français ne vous font pas vraiment confiance pour les appliquer.
R- "On ne peut pas dire que notre bilan est négatif, quand on connaît notre système électoral qui pénalise les petites formations. Regardez ce qui se passe en Allemagne : quand les Verts font 7,5 % de moyenne aux élections législatives, en raison d'un système électoral qui marie la proportionnelle et le système majoritaire, ils ont 51 députés. Et ils peuvent agir sur leurs partenaires - parce que la politique, c'est un rapport de force - et par exemple, obtenir de sortir progressivement du nucléaire sur 20 à 25 ans. Quand les Verts français font exactement la même moyenne en 1997, ils ont 7 députés. La réalité, c'est qu'aujourdhui, on a un système électoral qui nous pénalise et nous n'avons que 20 ans ; 20 ans, c'est l'âge de la maturité. Tous les grands partis politiques, à côté de nous, ont près d'un siècle d'existence. Je crois qu'effectivement, nous sommes très appréciés des Français mais nous ne leur avons pas encore donné le goût des urnes. Je crois que le goût des urnes, ils l'obtiendront parce qu'ils voient bien les conséquences de la catastrophe, de la crise écologique, économique et sociale que nous traversons, qui touchent d'ailleurs les plus pauvres. Il faut que le système électoral permette une juste représentation de ce que nous sommes. Je rappelle que depuis les présidentielles - ce n'est pas de l'orgueil que de le dire -, nous sommes aujourd'hui le 2ème parti de la gauche française, nous sommes sous-représentés dans la gauche. C'est facile de nous considérer après comme des strapontins."
Q- Mais il y a aussi chez vous pas mal de querelles de personnes, c'est vrai. Les vedettes du parti sont N. Mamère, D. Voynet qui elle n'a plus aucune fonction officielles. Et puis les Verts, c'est quand même le seul parti dont le secrétaire national - je ne veux pas le vexer - G. Lemaire, est totalement inconnu. Vous fonctionnez bizarrement...
R- "C'est facile à dire qu'on se chamaille tout le temps. Disons que la différence avec les autres partis, qui se chamaillent aussi, mais qui savent mieux réguler politiquement leurs conflits, sous forme de boutade, je dirais que quand l'un attaque l'autre, il appelle la presse pour savoir si la presse a bien entendu qu'il avait attaqué. Je pense qu'il faut peut-être sortir de cela, parce que cela n'arrange pas, effectivement, notre image. Je pense que nous avons, dans ce parti, une immense majorité qui partage les mêmes orientations, les mêmes objectifs et le même projet de société. C'est à cela qu'il faut s'attacher."
Q- A droite, comme à gauche, on se mobilise pour ces régionales, mais tout le monde pense à la présidentielle de 2007 et F. Hollande, le chef des socialistes, veut que dans quelques mois, la gauche commence la préparation de cette échéance, avec un thème : l'unité. Etes-vous favorable à la création d'une sorte de grande confédération de gauche, dans laquelle vous devriez vous dissoudre, une sorte d'UMP de gauche ?
R- "Je n'y suis absolument pas favorable. Je n'ai pas envie que nous devenions les Bayrou de la gauche, où on se défend comme on peut pour sauver une famille politique. L'idée de la grande alliance de F. Hollande, elle est peut-être bonne pour le PS ; elle n'est pas bonne pour les Verts. Il faut que le PS se convainque d'une chose : avec l'affaiblissement du PCF, le seul allié sur lequel il puisse compter pour transformer la société aujourd'hui, c'est le parti Verts. Nous n'avons pas l'intention d'être politiquement biodégradable dans la sociale-démocratie. Donc, ce que nous voulons, c'est affirmer cette notion politique qui, aujourd'hui, est trop affaiblie dans notre démonstration : c'est l'autonomie contractuelle. Pour nous, la question..."
Q- C'est compliqué !
R- "C'est très simple à comprendre : on nous pose souvent la question que vous ne n'avez pas posée aujourd'hui et je vous en remercie, sur les régionales, entre "pourquoi vous êtes autonomes à tel endroit et pourquoi vous êtes en liste d'union ?". Parce que pour nous, c'est une question tactique et non par une question stratégique. On s'allie lorsque le contrat est de bonne qualité sur les objectifs et sur la représentation des Verts, et on reste autonomes parce que l'on considère que c'est aux électeurs, et non pas aux appareils, de décider la place des Verts dans la gauche..."
Q- On a vu en 2002 que lorsque la gauche est divisée, elle perd.
R- "Ce n'est pas vrai de dire que parce qu'il y avait un Mamère, une Taubira ou un Chevènement, la gauche a perdu !"
Q- C'est ce que pense Jospin.
R- "Peut-être que L. Jospin pense cela, même si, avec son Gouvernement nous avons fait un certain nombre de choses, qui montrent bien la différence, aujourd'hui, entre la droite et la gauche. Mais si la gauche a perdu, c'est parce qu'elle a oublié une grande partie de son électorat. Je pense aux 6,5 millions d'ouvriers et d'employés qui se sont retrouvés complètement oubliés, humiliés, qui ont eu le sentiment qu'on faisait des efforts pour la classe moyenne, que l'on recherchait l'équilibre. Je ne comprends pas que la gauche se soit laissée entraîner dans la spirale de l'insécurité, alors qu'elle avait bien d'autres choses à dire. Aujourd'hui, vous avez des types comme Le Pen qui sont en train de nous voler ce que nous avons inventé avec des sociologues, comme R. Castel, qui s'appelle "l'insécurité sociale". Est-ce que la gauche ne pouvait pas donner ces lettres de noblesse à ce combat qui est aujourd'hui le combat de tous ceux qui se sentent précarisés par un Gouvernement de régression sociale. Est-ce qu'on avait le droit de laisser cela à Le Pen. La réponse est non. C'est parce que nous avons failli que nous sommes tombés et que nous avons perdu. Ce n'est pas en tapant sur la droite que la gauche se reconstruira et redonnera confiance à ceux qui attendent d'elle qu'elle transforme vraiment leur vie."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 mars 2004)