Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux, Monsieur le Président, de renouer ce soir, pour la quatrième fois, notre échange à l'occasion de ce dîner annuel, qui est un moment important de la vie publique française. Même si les liens personnels d'estime et d'amitié qui nous unissent sont beaucoup plus anciens, le dialogue que nous poursuivons sur un plan officiel depuis le dîner du 29 novembre 1997 - vous en tant que président du Conseil représentatif des Institutions juives de France, moi comme Premier ministre -, me paraît toujours aussi utile et fécond. Dans la sincérité qu'autorise la sympathie authentique, nous pouvons avancer ensemble dans la réflexion sur des sujets qui intéressent au premier chef nos compatriotes juifs mais qui, au-delà, concernent la Nation tout entière. J'ajouterai que j'éprouve toujours un vif plaisir à retrouver, dans cette atmosphère si chaleureuse que vous avez su créer, nombre de visages amis et des personnalités respectées.
En cette date anniversaire de la mort d'Itshak Rabin, mes pensées vont d'abord vers le grand combattant de la paix qu'il fut, celui qui choisit avec courage d'ouvrir, à Oslo, la voie du dialogue avec les Palestiniens et leur chef, Yasser Arafat, la voie de la paix.
Or malgré cette initiative, le sort de la paix au Proche-Orient et encore au cur de nos préoccupations et même, cette fois, de nos plus graves inquiétudes.
L'an dernier, dans mon propos, je me réjouissais que de grandes raisons d'espérer dans la conduite du processus de paix nous fussent alors venues du Proche-Orient - et notamment d'Israël. Je disais l'espoir mis par le gouvernement français dans le choix fait par le peuple israélien de porter aux responsabilités une équipe nouvelle, animée par Ehud Barak. Tout en n'ignorant pas le nombre et l'importance des obstacles qui restaient à franchir - ceux concernant notamment le statut de Jérusalem ou le sort des réfugiés - , j'exprimais alors le vu de la France que les deux parties fassent preuve de sagesse, de souplesse, de largeur de vues et d'imagination. J'ai répété ce vu et cet espoir lors du voyage que j'ai entrepris en Israël et dans les Territoires palestiniens. Je n'ai pas oublié, Monsieur le Président, que vous étiez à mes côtés.
Malheureusement, alors que le sommet de Camp David était, pour tous les partisans de la paix, porteur d'espoir, les événements récents ont suscité déception, inquiétude et angoisse. Je ne méconnais pas, croyez-le, Monsieur le Président, la sensibilité que vous avez exprimée en parlant de la détresse du peuple israélien qui désespère de la paix. Je n'ignore pas non plus que du côté du peuple palestinien, la violence qui s'exerce exprime souvent le désespoir de ceux qui ont le sentiment que le temps passe sans que l'Etat attendu, dans des conditions de dignité et de liberté, voie le jour.
Ainsi, le délicat travail entamé par Anouar El Sadate et Menahem Begin, poursuivi par Itzhak Rabin, Shimon Péres et Yasser Arafat, travail fondé sur la confiance de chacun dans la capacité de l'autre à tenir ses engagements, s'est-il brutalement métamorphosé en langage de haine et en actes de violence. La France, qui est - vous le savez - l'amie d'Israël, continue à soutenir qu'il n'y a pas pour les deux peuples d'autre chemin possible que celui du dialogue et de la recherche de la paix. Je rappelais, il y a maintenant deux ans, ces mots d'Itshak Rabin : "les risques de la paix sont de très loin préférables aux sombres certitudes qui attendent chaque nation en temps de guerre". Dans cette période troublée, cette conviction doit continuer à nous animer et à guider les principes qui sont à la source de notre action diplomatique. Ehud Barak l'a avec sagesse souligné hier en indiquant qu'il se refusait à "désespérer de la paix".
C'est pourquoi dès les premiers affrontements dans les Territoires palestiniens, la France et l'Union européenne ont appelé les deux parties à tout faire pour mettre un terme à la violence, pour préserver les acquis de Camp David et reprendre le dialogue. Nous les avons exhortées à mettre en oeuvre des mesures parallèles permettant d'enrayer l'escalade puis de faire retomber les tensions. L'Union européenne a continué de faire entendre la voix de la raison et de l'apaisement au sommet réuni à Charm el-Cheikh, où la Présidence française avait demande à M. Javier Solana de la représenter.
La tonalité générale du communiqué final du sommet arabe du Caire illustre, pour nous, la gravité de la situation actuelle. Ce texte exprime toutefois le vu que la négociation permette une solution globale, juste et durable, pour mettre fin aux conflits qui meurtrissent le Proche-Orient. C'est pourquoi, dès que le calme sera revenu, les parties devront envisager de reprendre les discussions sur le fond. Le peuple palestinien doit pouvoir regagner foi en un avenir meilleur. Israël doit être définitivement assuré des conditions de sa sécurité.
Le gouvernement français continuera à plaider en faveur de l'application de tous les accords signés. Dans la situation dramatique où nous nous trouvons, l'Autorité palestinienne et les dirigeants d'Israël doivent faire des gestes significatifs dans le sens de l'apaisement. C'est là l'esprit de l'accord intervenu entre Shimon Pérès et Yasser Arafat dans la nuit de mercredi à jeudi. Cet accord a repris l'essentiel des arrangements décidés à Charm el-Cheikh : retrait des tanks israéliens aux alentours de Gaza et de Ramallah, intervention de la police palestinienne pour contenir les manifestations, désengagement progressif des forces israéliennes et levée du bouclage, reprise de la coopération entre les deux parties pour les questions de sécurité. Il faut poursuivre en ce sens. Malgré l'émotion soulevée par l'attentat meurtrier de Jérusalem et la persistance d'affrontements sporadiques, nous espérons que la décrue de la violence se confirmera.
Monsieur le Président,
Les événements survenus récemment au Proche-Orient ont eu dans notre pays des conséquences graves et déplorables.
Vous venez à juste titre de souligner l'inquiétude, voire parfois l'angoisse, suscitées par les agressions commises ou les menaces ayant pesé sur des synagogues, des écoles ou des centres culturels juifs, des commerces ou des habitations appartenant ou censés appartenir à des personnes juives.
Je partage votre émotion devant ces violences inadmissibles. Je partage aussi l'indignation soulevée chez ceux qui ont vu, en France, au début de ce nouveau millénaire, plus d'un demi-siècle après les incendies de synagogues allumés par le nazisme en Europe, des incendies ou des tentatives d'incendie perpétrés contre des synagogues.
Certes, personne ne songerait à assimiler en quoi que ce soit des périodes si totalement différentes, ni à rapprocher des politiques systématiques et des exactions isolées. Mais j'ai déjà eu l'occasion de souligner la détermination absolue du gouvernement de lutter contre de tels actes. Ce soir, je le fais à nouveau, solennellement, devant vous. La protection des cultes est un devoir fondamental de la République laïque, comme l'est le combat contre toute manifestation raciste ou antisémite. Il appartient au gouvernement d'y veiller avec attention, diligence et constance. C'est aussi que face à ces menaces et ces violences le ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, a arrêté un ensemble de mesures de sécurité, qui ont été présentées aux représentants de la communauté juive. Ce dispositif n'a certes pu empêcher toutes les agressions, mais il a joué un rôle dissuasif incontestable. Les services de police et de gendarmerie, sous la direction des magistrats, ont conduit des enquêtes dont plusieurs ont d'ores et déjà permis l'interpellation des auteurs de violences.
Dans une démocratie, il est assurément naturel que des solidarités puissent s'exprimer - vous vous êtes vous-même exprimé il y a un instant, Monsieur le Président, en soulignant l'étendue des liens familiaux, culturels et affectifs qui unissent nombre des Juifs français l'Etat d'Israël -, mais aucune d'entre elles ne saurait se traduire par une opposition puis une agressivité à l'égard de concitoyens. Si chacun de nous est libre de ressentir son appartenance à telle ou telle famille d'esprit, ce sentiment doit s'effacer devant la conviction d'être citoyen d'un seul et même ensemble, qui nous englobe tous pour nous inspirer les mêmes droits et les mêmes devoirs la communauté nationale. C'est cela, le pacte républicain. C'est pourquoi j'ai tenu à recevoir les responsables religieux des principaux cultes de notre pays catholique, protestant, musulman et juif qui ont unanimement rappelé que la tolérance est notre valeur commune. Je compte sur l'esprit de responsabilité de chacun pour qui les combats qui affligent le Proche-Orient ne soient pas répercutés, et comme "mimés" sur le sol de la République. En particulier, le gouvernement s'opposera de toute sa volonté et de toutes ses forces à l'antisémitisme, quelles que soient ses causes. Mon engagement personnel sur ce point est, vous le savez, total.
Monsieur le Président,
Le lien profond entre les institutions que vous représentez et la communauté nationale est attesté par l'histoire. Histoire faite de pages glorieuses et de pages sombres. Depuis que nous nous entretenons sous cette forme, nous évoquons régulièrement ces dernières et particulièrement celles qui ont été souillées par les crimes antisémites du régime de Vichy.
Vous venez de le rappeler, la Commission Matteoli m'a rendu le 17 avril dernier, après trois ans de travail assidu, son rapport définitif.
Ses travaux viennent d'être édités à la Documentation française. Ils constituent une somme de huit volumes auxquels il faut ajouter un Guide à la recherche historique et un Recueil des principaux textes concernant les spoliations et les restitutions, déjà parus auparavant.
Je me réjouis de la décision du CRIF d'attribuer à l'ensemble des membres de la commission son prix annuel. Vous marquez ainsi de façon éclatante l'importance que revêt l'uvre accomplie. Je m'associe en mon nom personnel, et au nom de l'ensemble du gouvernement, à ce témoignage de reconnaissance collective. Je veux saluer le rôle joué par tous les membres de la commission, la part décisive qu'y ont prise les historiens en son sein et redire combien l'autorité morale de son président, M. Jean Matteoli, et de son vice-président, le professeur Ady Steg, ont contribué à asseoir sa crédibilité nationale et internationale.
Le soutien total apporté par le gouvernement aux travaux de la Commission Matteoli était fondé sur la conviction qu'il convenait de répondre aux injustices, héritées du passé. Parce que les juifs ont été, partout en Europe, victimes de la barbarie, il était légitime qu'interviennent dans ce débat ceux qui se sont donnés pour mission de défendre les droits des communautés juives, partout dans le monde. Mais parce que cette histoire est pour nous, d'abord, l'histoire de la France qu'il nous faut éclairer et comprendre, il était nécessaire, pour nous, de prendre en charge, lucidement, ce passé.
Lors de ses rapports d'étape et au terme de son rapport définitif qui établit avec rigueur l'ampleur du processus de spoliation entrepris par l'Etat français de Vichy dès la mise en place du statut des Juifs mais également l'importance des restitutions décidées par la République après sa restauration, la Commission Matteoli a fait un certain nombre de recommandations. Le gouvernement veille à ce que celles-ci soient suivies d'effet. Trois de ces recommandations ont particulièrement retenu son attention compte tenu de leur importance.
La première concerne l'instauration d'une Commission chargée de répondre aux demandes de restitutions présentées par des personnes victimes de spoliations. Cette Commission, composée de magistrats, de professeurs de droit et de personnalités qualifiées, a été mise en place par un décret du 10 septembre 1999. Comme pour la Commission Matteoli, nous avons veillé, en étroite liaison avec son président, M. Pierre Drai, et son directeur, le préfet Lucien Kalfon, à lui donner, au fur et à mesure de sa mise en place, les moyens nécessaires à son action. Compte tenu du nombre de demandes qui lui sont parvenues, la Commission a ainsi vu s'accroître le nombre de ses rapporteurs, aujourd'hui placés sous l'autorité de M. Jean Geronimi, ancien avocat général honoraire à la Cour de cassation, ancien inspecteur général des services judiciaires. La possibilité lui a été récemment donnée de siéger en formations restreintes, ce qui va lui permettre d'accélérer sensiblement l'examen des dossiers. La Commission vient de s'installer dans de nouveaux locaux, permettant un meilleur accueil du public. Elle va développer sa communication, ce dont je me réjouis, notamment à travers la mise en place d'un site Internet qui lui permettra de faire connaître son action aussi bien en France que partout dans le monde, notamment aux Etats-Unis et en Israël.
Comme je m'y étais engagé, le gouvernement a jusqu'à présent toujours suivi les recommandations de la Commission. Celle-ci les a formulées dans un esprit de justice, en veillant en particulier à permettre l'indemnisation des biens qui ne l'auraient pas déjà été par le passé. Je me félicite de ce que l'ensemble des institutions privées susceptibles d'être concernées par les travaux de la Commission aient adopté la même attitude que celle du gouvernement.
J'avais annoncé ici même, l'an dernier, la deuxième mesure, qui concerne l'indemnisation des orphelins des déportés juifs. Après un travail interministériel minutieux, le gouvernement a publié le 13 juillet 2000 un décret instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. D'ores et déjà, près de 2.500 décisions d'attributions d'indemnités, revêtent soit la forme d'une rente soit celle d'un capital, ont été prises.
Je sais que ce décret a suscité une part d'incompréhension, notamment de la part des associations représentant les déportés résistants. Je voudrais redire ici que le gouvernement n'a nullement entendu mettre en balance des souffrances individuelles dont il sait combien elles ont été pour chacun lourdes et douloureuses à porter. A l'égard de ceux qui se sont battus pour elle, dont beaucoup sont morts en déportation, la France a une dette immense. Ils ont sauvé son honneur. Par son initiative, le gouvernement a simplement entendu s'inscrire dans un processus spécifique engagé avec la reconnaissance tardive de la responsabilité de la France dans la persécution des Juifs. Je dois rappeler ici ce que je disais l'an dernier : ma conviction est que doit être prise en compte spécifiquement la situation si douloureuse des enfants, orphelins de la déportation, qui ont connu, outre la difficulté d'être juif dans un pays où existait en permanence pour eux la menace des rafles, de la déportation et de l'extermination, la douleur et les lourdes conséquences sur leur jeunesse et au-delà sur leur vie de femme ou d'homme, de la perte d'un de leurs parents et très souvent de leurs deux parents. Cette situation appelle cinquante ans après, de la part de la République, une forme particulière - si imparfaite soit-elle - de réparation.
La Commission Matteoli a enfin recommandé de créer une fondation destinée à accueillir les fonds publics et privés qui ne pourront pas être revendiqués par des personnes privées. M. François Bernard, conseiller d'Etat, m'a remis un rapport, particulièrement complet, dont le contenu a été très largement approuvé tant par les institutions juives - dont le CRIF - auxquelles il avait été communiqué, que par les différents ministères. Ces concertations ont permis l'établissement d'un texte qui est aujourd'hui soumis, comme il est de règle en matière de fondations, à l'examen du Conseil d'Etat. L'intention du gouvernement est que les statuts puissent être publiés au plus tard au début du mois de décembre prochain afin que la Fondation puisse être installée dès le début de l'an prochain. Il reviendra à son Conseil d'administration de choisir son président. Avec votre accord, Monsieur le Président, et celui de plusieurs autres institutions qui seront représentées au sein de la Fondation, j'ai indiqué à Mme Simone Veil, que je salue ce soir, que le gouvernement serait très heureux qu'elle accepte cette responsabilité.
L'objet de cette Fondation sera de développer les recherches et de diffuser les connaissances sur les persécutions antisémites et les atteintes aux droits de la personne humaine perpétrées durant la Seconde guerre mondiale, ainsi que sur les victimes de ces persécutions. A ce titre, il est prévu expressément que la Fondation soutiendra le Centre de documentation juive contemporaine et le Mémorial du martyr juif inconnu, dont les travaux d'extension sont en cours avec le soutien résolu du gouvernement - je m'y étais engagé dès 1997 -, comme de la ville de Paris et de la Région Ile de France. La Fondation aura également un objectif social. Elle devra notamment soutenir les initiatives des associations de secours aux victimes des persécutions. Elle sera tenue informée des efforts entrepris en vue de restituer à leurs propriétaires les biens - notamment les uvres d'art - spoliés par les nazis.
Grâce à toutes ces actions, la Fondation sera à même de garantir la pérennité des recherches historiques entreprises sur cette période - je pense en particulier à la recherche, chaque jour plus urgente, de témoignages oraux. Dans le même esprit, elle participera également à l'éducation de nos enfants sur cette période et pourra être associée à certains des programmes d'intervention en milieu scolaire qui existent aujourd'hui. D'ores et déjà, le ministre de l'Education nationale, Jack Lang, a, vous l'avez rappelé, apporté son soutien à une très large diffusion dans les établissements scolaires d'un ouvrage sur la Shoah.
Je voudrais insister sur le fait, Monsieur le Président, qu'outre l'Etat, qui apportera à la Fondation une dotation de 1,475 milliard de francs, conformément aux recommandations de la Commission Matteoli, l'ensemble des institutions publiques et privées concernées par la question des spoliations ont fait connaître au gouvernement leur plein accord quant à leur contribution à la fondation. Certaines d'entre elles, notamment les banques françaises et la Caisse des Dépôts et Consignations, ont même choisi d'aller au-delà des sommes fixées par la Commission. Avec une dotation de 2,578 milliards de francs, la Fondation ainsi créée sera la plus importante jamais instituée en France. Cela n'est, pour le passé, que justice, puisque les sommes qui constituent sa dotation sont issues de la spoliation. C'est aussi, pour l'avenir, souligner la capacité considérable d'intervention de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et la responsabilité qui sera la sienne.
Ainsi, grâce aux recommandations de la Commission Matteoli, la France peut s'honorer d'avoir mis en place un ensemble de mesures de réparation, en y associant les instances représentatives de la communauté juive et l'ensemble des institutions publiques et privées concernées. Depuis trois ans, le gouvernement a expliqué le sens de sa démarche, dans la transparence, aux organisations juives et aux autorités étrangères, notamment américaines et israéliennes. Les contacts que j'ai eus au début de l'année à Stockholm avec le président du Congrès juif mondial, M. Bronfmann, les entretiens récents du secrétaire d'Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, M. Michel Duffour, avec M. Eizenstadt, sous-secrétaire d'Etat américain au Trésor responsable dans son pays : du dossier des spoliations, m'autorisent à penser que cette démarche est désormais comprise.
Afin d'assurer l'information la plus complète des ayants droit des victimes des spoliations, un décret a été pris le 19 octobre dernier. Celui-ci autorise les associations ayant pour objet de perpétuer le souvenir des persécutions consécutives aux législations antisémites et de défendre les intérêts matériels et moraux des victimes, à consulter les listes nominatives des comptes bloqués établies dans le cadre des travaux de la Commission Matteoli. Ainsi, dans la mesure où tout juif victime de spoliations en France peut aujourd'hui obtenir réparation à travers les mécanismes que nous avons mis en place, il est incompréhensible qu'un juge américain se soit reconnu compétent pour traiter des litiges entre quelques plaignants américains et les banques françaises pour des faits concernant cette période. C'est pourquoi le gouvernement français, sous la forme d'un mémoire, a invité le juge à revoir sa position. C'est pourquoi aussi le ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, a confié à M. Andreani, ambassadeur de France et ancien ambassadeur aux Etats-Unis, une mission destinée à faire savoir au gouvernement américain que ces procédures judiciaires seraient non seulement inutiles mais néfastes aux processus de réparation des dommages subis par les victimes.
Pour beaucoup de juifs ayant vécu en France durant la guerre, pour ces enfants qui vécurent cachés dans l'angoisse d'une rafle, je comprends que les mesures arrêtées par le gouvernement puissent apparaître, malgré leur ampleur sans précédent, insuffisantes. Je sais la souffrance de ceux qui m'ont écrit en demandant des mesures allant au-delà des recommandations de la Mission. Mais tout ne peut pas être réparé. Cette souffrance individuelle et collective est, par essence, irréparable. La France a aujourd'hui reconnu et pris ses responsabilités. C'est à la Fondation pour la mémoire de la Shoah qu'il appartiendra désormais de prendre en charge certaines de ces demandes, lorsqu'elles correspondront à des situations de détresse.
Monsieur le Président,
Je souhaiterais, avant de conclure, formuler une réflexion sur le rapport de notre Nation à l'Histoire.
La France a sans doute mis du temps et éprouvé quelque difficulté à regarder sa propre histoire avec lucidité -la lucidité, ce courage de l'intelligence. Regarder vers le passé, c'était se souvenir qu'en des heures sombres, les institutions de notre pays avaient failli. Le discours prononcé le 16 juillet 1995 par le président de le République et la mise en place par mon prédécesseur de la Commission Matteoli ont permis de faire oeuvre de lucidité et, partant, oeuvre de mémoire. Je suis convaincu que le processus entamé depuis bientôt trois ans sera regardé par les historiens comme exemplaire. Je veux ici souligner l'ampleur de la tâche accomplie. Non pour nous en glorifier - il n'était que temps et ce n'était là que justice -, mais pour rappeler qu'en ce domaine, en particulier, la volonté politique peut beaucoup.
Aussi nous appartiendra-t-il sans doute demain de veiller à ce que d'autres moments sombres de notre histoire nationale fassent l'objet du même effort. Mon gouvernement l'a entrepris en ce qui concerne les événements tragiques du 17 octobre 1961, qui ont provoqué la mort à Paris de dizaines d'Algériens. La France devra continuer de le faire, avec la même exigence. Je pense en particulier à l'appel qui vient d'être lancé par plusieurs intellectuels concernant l'emploi de la torture pendant la guerre d'Algérie avec l'aval de certaines autorités françaises. Je suis convaincu que ce travail de vérité n'affaiblit pas la communauté nationale. Au contraire, il la renforce en lui permettant de mieux tirer les leçons de son passé, pour construire son avenir.
Monsieur le Président,
La culture et la tradition représentées par vos institutions portent un message qui dépasse le religieux. Il s'agit de valeurs spirituelles, qui renvoient aux exigences de liberté et de justice. Celles-ci exigent de notre part un engagement quotidien. En France, celui-ci prend la forme de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, du combat pour l'éducation et la culture, de l'action en faveur de la justice sociale. Dans le monde, ce combat est celui des Droits de l'Homme, de la démocratie et de la mise en place d'une justice internationale.
Au moment où la France assume la présidence de l'Union européenne, nul ne doit oublier que c'est en Europe, espace de civilisation, que sont pourtant nés le fascisme et le nazisme, que c'est sur ce continent, si riche de ses cultures, que s'est manifesté le Mal absolu. C'est pourquoi la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, approuvée par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Biarritz les 13 et 14 octobre derniers, a plus qu'une valeur symbolique : elle inscrit au cur même du projet européen la dignité humaine, la liberté, l'égalité et la solidarité. Elle affirme que l'Europe repose sur la démocratie, l'Etat de droit et le respect de la personne humaine.
Je suis sûr, Monsieur le Président, que vous voyez là avec moi, dans cette construction d'une Europe unie autour de ces valeurs, la promesse de la, paix, de la liberté et de la fraternité auxquelles l'Humanité aspire et pour lesquelles nous devons, chacun à notre place, continuer à lutter./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06/11/2000)
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux, Monsieur le Président, de renouer ce soir, pour la quatrième fois, notre échange à l'occasion de ce dîner annuel, qui est un moment important de la vie publique française. Même si les liens personnels d'estime et d'amitié qui nous unissent sont beaucoup plus anciens, le dialogue que nous poursuivons sur un plan officiel depuis le dîner du 29 novembre 1997 - vous en tant que président du Conseil représentatif des Institutions juives de France, moi comme Premier ministre -, me paraît toujours aussi utile et fécond. Dans la sincérité qu'autorise la sympathie authentique, nous pouvons avancer ensemble dans la réflexion sur des sujets qui intéressent au premier chef nos compatriotes juifs mais qui, au-delà, concernent la Nation tout entière. J'ajouterai que j'éprouve toujours un vif plaisir à retrouver, dans cette atmosphère si chaleureuse que vous avez su créer, nombre de visages amis et des personnalités respectées.
En cette date anniversaire de la mort d'Itshak Rabin, mes pensées vont d'abord vers le grand combattant de la paix qu'il fut, celui qui choisit avec courage d'ouvrir, à Oslo, la voie du dialogue avec les Palestiniens et leur chef, Yasser Arafat, la voie de la paix.
Or malgré cette initiative, le sort de la paix au Proche-Orient et encore au cur de nos préoccupations et même, cette fois, de nos plus graves inquiétudes.
L'an dernier, dans mon propos, je me réjouissais que de grandes raisons d'espérer dans la conduite du processus de paix nous fussent alors venues du Proche-Orient - et notamment d'Israël. Je disais l'espoir mis par le gouvernement français dans le choix fait par le peuple israélien de porter aux responsabilités une équipe nouvelle, animée par Ehud Barak. Tout en n'ignorant pas le nombre et l'importance des obstacles qui restaient à franchir - ceux concernant notamment le statut de Jérusalem ou le sort des réfugiés - , j'exprimais alors le vu de la France que les deux parties fassent preuve de sagesse, de souplesse, de largeur de vues et d'imagination. J'ai répété ce vu et cet espoir lors du voyage que j'ai entrepris en Israël et dans les Territoires palestiniens. Je n'ai pas oublié, Monsieur le Président, que vous étiez à mes côtés.
Malheureusement, alors que le sommet de Camp David était, pour tous les partisans de la paix, porteur d'espoir, les événements récents ont suscité déception, inquiétude et angoisse. Je ne méconnais pas, croyez-le, Monsieur le Président, la sensibilité que vous avez exprimée en parlant de la détresse du peuple israélien qui désespère de la paix. Je n'ignore pas non plus que du côté du peuple palestinien, la violence qui s'exerce exprime souvent le désespoir de ceux qui ont le sentiment que le temps passe sans que l'Etat attendu, dans des conditions de dignité et de liberté, voie le jour.
Ainsi, le délicat travail entamé par Anouar El Sadate et Menahem Begin, poursuivi par Itzhak Rabin, Shimon Péres et Yasser Arafat, travail fondé sur la confiance de chacun dans la capacité de l'autre à tenir ses engagements, s'est-il brutalement métamorphosé en langage de haine et en actes de violence. La France, qui est - vous le savez - l'amie d'Israël, continue à soutenir qu'il n'y a pas pour les deux peuples d'autre chemin possible que celui du dialogue et de la recherche de la paix. Je rappelais, il y a maintenant deux ans, ces mots d'Itshak Rabin : "les risques de la paix sont de très loin préférables aux sombres certitudes qui attendent chaque nation en temps de guerre". Dans cette période troublée, cette conviction doit continuer à nous animer et à guider les principes qui sont à la source de notre action diplomatique. Ehud Barak l'a avec sagesse souligné hier en indiquant qu'il se refusait à "désespérer de la paix".
C'est pourquoi dès les premiers affrontements dans les Territoires palestiniens, la France et l'Union européenne ont appelé les deux parties à tout faire pour mettre un terme à la violence, pour préserver les acquis de Camp David et reprendre le dialogue. Nous les avons exhortées à mettre en oeuvre des mesures parallèles permettant d'enrayer l'escalade puis de faire retomber les tensions. L'Union européenne a continué de faire entendre la voix de la raison et de l'apaisement au sommet réuni à Charm el-Cheikh, où la Présidence française avait demande à M. Javier Solana de la représenter.
La tonalité générale du communiqué final du sommet arabe du Caire illustre, pour nous, la gravité de la situation actuelle. Ce texte exprime toutefois le vu que la négociation permette une solution globale, juste et durable, pour mettre fin aux conflits qui meurtrissent le Proche-Orient. C'est pourquoi, dès que le calme sera revenu, les parties devront envisager de reprendre les discussions sur le fond. Le peuple palestinien doit pouvoir regagner foi en un avenir meilleur. Israël doit être définitivement assuré des conditions de sa sécurité.
Le gouvernement français continuera à plaider en faveur de l'application de tous les accords signés. Dans la situation dramatique où nous nous trouvons, l'Autorité palestinienne et les dirigeants d'Israël doivent faire des gestes significatifs dans le sens de l'apaisement. C'est là l'esprit de l'accord intervenu entre Shimon Pérès et Yasser Arafat dans la nuit de mercredi à jeudi. Cet accord a repris l'essentiel des arrangements décidés à Charm el-Cheikh : retrait des tanks israéliens aux alentours de Gaza et de Ramallah, intervention de la police palestinienne pour contenir les manifestations, désengagement progressif des forces israéliennes et levée du bouclage, reprise de la coopération entre les deux parties pour les questions de sécurité. Il faut poursuivre en ce sens. Malgré l'émotion soulevée par l'attentat meurtrier de Jérusalem et la persistance d'affrontements sporadiques, nous espérons que la décrue de la violence se confirmera.
Monsieur le Président,
Les événements survenus récemment au Proche-Orient ont eu dans notre pays des conséquences graves et déplorables.
Vous venez à juste titre de souligner l'inquiétude, voire parfois l'angoisse, suscitées par les agressions commises ou les menaces ayant pesé sur des synagogues, des écoles ou des centres culturels juifs, des commerces ou des habitations appartenant ou censés appartenir à des personnes juives.
Je partage votre émotion devant ces violences inadmissibles. Je partage aussi l'indignation soulevée chez ceux qui ont vu, en France, au début de ce nouveau millénaire, plus d'un demi-siècle après les incendies de synagogues allumés par le nazisme en Europe, des incendies ou des tentatives d'incendie perpétrés contre des synagogues.
Certes, personne ne songerait à assimiler en quoi que ce soit des périodes si totalement différentes, ni à rapprocher des politiques systématiques et des exactions isolées. Mais j'ai déjà eu l'occasion de souligner la détermination absolue du gouvernement de lutter contre de tels actes. Ce soir, je le fais à nouveau, solennellement, devant vous. La protection des cultes est un devoir fondamental de la République laïque, comme l'est le combat contre toute manifestation raciste ou antisémite. Il appartient au gouvernement d'y veiller avec attention, diligence et constance. C'est aussi que face à ces menaces et ces violences le ministre de l'Intérieur, Daniel Vaillant, a arrêté un ensemble de mesures de sécurité, qui ont été présentées aux représentants de la communauté juive. Ce dispositif n'a certes pu empêcher toutes les agressions, mais il a joué un rôle dissuasif incontestable. Les services de police et de gendarmerie, sous la direction des magistrats, ont conduit des enquêtes dont plusieurs ont d'ores et déjà permis l'interpellation des auteurs de violences.
Dans une démocratie, il est assurément naturel que des solidarités puissent s'exprimer - vous vous êtes vous-même exprimé il y a un instant, Monsieur le Président, en soulignant l'étendue des liens familiaux, culturels et affectifs qui unissent nombre des Juifs français l'Etat d'Israël -, mais aucune d'entre elles ne saurait se traduire par une opposition puis une agressivité à l'égard de concitoyens. Si chacun de nous est libre de ressentir son appartenance à telle ou telle famille d'esprit, ce sentiment doit s'effacer devant la conviction d'être citoyen d'un seul et même ensemble, qui nous englobe tous pour nous inspirer les mêmes droits et les mêmes devoirs la communauté nationale. C'est cela, le pacte républicain. C'est pourquoi j'ai tenu à recevoir les responsables religieux des principaux cultes de notre pays catholique, protestant, musulman et juif qui ont unanimement rappelé que la tolérance est notre valeur commune. Je compte sur l'esprit de responsabilité de chacun pour qui les combats qui affligent le Proche-Orient ne soient pas répercutés, et comme "mimés" sur le sol de la République. En particulier, le gouvernement s'opposera de toute sa volonté et de toutes ses forces à l'antisémitisme, quelles que soient ses causes. Mon engagement personnel sur ce point est, vous le savez, total.
Monsieur le Président,
Le lien profond entre les institutions que vous représentez et la communauté nationale est attesté par l'histoire. Histoire faite de pages glorieuses et de pages sombres. Depuis que nous nous entretenons sous cette forme, nous évoquons régulièrement ces dernières et particulièrement celles qui ont été souillées par les crimes antisémites du régime de Vichy.
Vous venez de le rappeler, la Commission Matteoli m'a rendu le 17 avril dernier, après trois ans de travail assidu, son rapport définitif.
Ses travaux viennent d'être édités à la Documentation française. Ils constituent une somme de huit volumes auxquels il faut ajouter un Guide à la recherche historique et un Recueil des principaux textes concernant les spoliations et les restitutions, déjà parus auparavant.
Je me réjouis de la décision du CRIF d'attribuer à l'ensemble des membres de la commission son prix annuel. Vous marquez ainsi de façon éclatante l'importance que revêt l'uvre accomplie. Je m'associe en mon nom personnel, et au nom de l'ensemble du gouvernement, à ce témoignage de reconnaissance collective. Je veux saluer le rôle joué par tous les membres de la commission, la part décisive qu'y ont prise les historiens en son sein et redire combien l'autorité morale de son président, M. Jean Matteoli, et de son vice-président, le professeur Ady Steg, ont contribué à asseoir sa crédibilité nationale et internationale.
Le soutien total apporté par le gouvernement aux travaux de la Commission Matteoli était fondé sur la conviction qu'il convenait de répondre aux injustices, héritées du passé. Parce que les juifs ont été, partout en Europe, victimes de la barbarie, il était légitime qu'interviennent dans ce débat ceux qui se sont donnés pour mission de défendre les droits des communautés juives, partout dans le monde. Mais parce que cette histoire est pour nous, d'abord, l'histoire de la France qu'il nous faut éclairer et comprendre, il était nécessaire, pour nous, de prendre en charge, lucidement, ce passé.
Lors de ses rapports d'étape et au terme de son rapport définitif qui établit avec rigueur l'ampleur du processus de spoliation entrepris par l'Etat français de Vichy dès la mise en place du statut des Juifs mais également l'importance des restitutions décidées par la République après sa restauration, la Commission Matteoli a fait un certain nombre de recommandations. Le gouvernement veille à ce que celles-ci soient suivies d'effet. Trois de ces recommandations ont particulièrement retenu son attention compte tenu de leur importance.
La première concerne l'instauration d'une Commission chargée de répondre aux demandes de restitutions présentées par des personnes victimes de spoliations. Cette Commission, composée de magistrats, de professeurs de droit et de personnalités qualifiées, a été mise en place par un décret du 10 septembre 1999. Comme pour la Commission Matteoli, nous avons veillé, en étroite liaison avec son président, M. Pierre Drai, et son directeur, le préfet Lucien Kalfon, à lui donner, au fur et à mesure de sa mise en place, les moyens nécessaires à son action. Compte tenu du nombre de demandes qui lui sont parvenues, la Commission a ainsi vu s'accroître le nombre de ses rapporteurs, aujourd'hui placés sous l'autorité de M. Jean Geronimi, ancien avocat général honoraire à la Cour de cassation, ancien inspecteur général des services judiciaires. La possibilité lui a été récemment donnée de siéger en formations restreintes, ce qui va lui permettre d'accélérer sensiblement l'examen des dossiers. La Commission vient de s'installer dans de nouveaux locaux, permettant un meilleur accueil du public. Elle va développer sa communication, ce dont je me réjouis, notamment à travers la mise en place d'un site Internet qui lui permettra de faire connaître son action aussi bien en France que partout dans le monde, notamment aux Etats-Unis et en Israël.
Comme je m'y étais engagé, le gouvernement a jusqu'à présent toujours suivi les recommandations de la Commission. Celle-ci les a formulées dans un esprit de justice, en veillant en particulier à permettre l'indemnisation des biens qui ne l'auraient pas déjà été par le passé. Je me félicite de ce que l'ensemble des institutions privées susceptibles d'être concernées par les travaux de la Commission aient adopté la même attitude que celle du gouvernement.
J'avais annoncé ici même, l'an dernier, la deuxième mesure, qui concerne l'indemnisation des orphelins des déportés juifs. Après un travail interministériel minutieux, le gouvernement a publié le 13 juillet 2000 un décret instituant une mesure de réparation pour les orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites. D'ores et déjà, près de 2.500 décisions d'attributions d'indemnités, revêtent soit la forme d'une rente soit celle d'un capital, ont été prises.
Je sais que ce décret a suscité une part d'incompréhension, notamment de la part des associations représentant les déportés résistants. Je voudrais redire ici que le gouvernement n'a nullement entendu mettre en balance des souffrances individuelles dont il sait combien elles ont été pour chacun lourdes et douloureuses à porter. A l'égard de ceux qui se sont battus pour elle, dont beaucoup sont morts en déportation, la France a une dette immense. Ils ont sauvé son honneur. Par son initiative, le gouvernement a simplement entendu s'inscrire dans un processus spécifique engagé avec la reconnaissance tardive de la responsabilité de la France dans la persécution des Juifs. Je dois rappeler ici ce que je disais l'an dernier : ma conviction est que doit être prise en compte spécifiquement la situation si douloureuse des enfants, orphelins de la déportation, qui ont connu, outre la difficulté d'être juif dans un pays où existait en permanence pour eux la menace des rafles, de la déportation et de l'extermination, la douleur et les lourdes conséquences sur leur jeunesse et au-delà sur leur vie de femme ou d'homme, de la perte d'un de leurs parents et très souvent de leurs deux parents. Cette situation appelle cinquante ans après, de la part de la République, une forme particulière - si imparfaite soit-elle - de réparation.
La Commission Matteoli a enfin recommandé de créer une fondation destinée à accueillir les fonds publics et privés qui ne pourront pas être revendiqués par des personnes privées. M. François Bernard, conseiller d'Etat, m'a remis un rapport, particulièrement complet, dont le contenu a été très largement approuvé tant par les institutions juives - dont le CRIF - auxquelles il avait été communiqué, que par les différents ministères. Ces concertations ont permis l'établissement d'un texte qui est aujourd'hui soumis, comme il est de règle en matière de fondations, à l'examen du Conseil d'Etat. L'intention du gouvernement est que les statuts puissent être publiés au plus tard au début du mois de décembre prochain afin que la Fondation puisse être installée dès le début de l'an prochain. Il reviendra à son Conseil d'administration de choisir son président. Avec votre accord, Monsieur le Président, et celui de plusieurs autres institutions qui seront représentées au sein de la Fondation, j'ai indiqué à Mme Simone Veil, que je salue ce soir, que le gouvernement serait très heureux qu'elle accepte cette responsabilité.
L'objet de cette Fondation sera de développer les recherches et de diffuser les connaissances sur les persécutions antisémites et les atteintes aux droits de la personne humaine perpétrées durant la Seconde guerre mondiale, ainsi que sur les victimes de ces persécutions. A ce titre, il est prévu expressément que la Fondation soutiendra le Centre de documentation juive contemporaine et le Mémorial du martyr juif inconnu, dont les travaux d'extension sont en cours avec le soutien résolu du gouvernement - je m'y étais engagé dès 1997 -, comme de la ville de Paris et de la Région Ile de France. La Fondation aura également un objectif social. Elle devra notamment soutenir les initiatives des associations de secours aux victimes des persécutions. Elle sera tenue informée des efforts entrepris en vue de restituer à leurs propriétaires les biens - notamment les uvres d'art - spoliés par les nazis.
Grâce à toutes ces actions, la Fondation sera à même de garantir la pérennité des recherches historiques entreprises sur cette période - je pense en particulier à la recherche, chaque jour plus urgente, de témoignages oraux. Dans le même esprit, elle participera également à l'éducation de nos enfants sur cette période et pourra être associée à certains des programmes d'intervention en milieu scolaire qui existent aujourd'hui. D'ores et déjà, le ministre de l'Education nationale, Jack Lang, a, vous l'avez rappelé, apporté son soutien à une très large diffusion dans les établissements scolaires d'un ouvrage sur la Shoah.
Je voudrais insister sur le fait, Monsieur le Président, qu'outre l'Etat, qui apportera à la Fondation une dotation de 1,475 milliard de francs, conformément aux recommandations de la Commission Matteoli, l'ensemble des institutions publiques et privées concernées par la question des spoliations ont fait connaître au gouvernement leur plein accord quant à leur contribution à la fondation. Certaines d'entre elles, notamment les banques françaises et la Caisse des Dépôts et Consignations, ont même choisi d'aller au-delà des sommes fixées par la Commission. Avec une dotation de 2,578 milliards de francs, la Fondation ainsi créée sera la plus importante jamais instituée en France. Cela n'est, pour le passé, que justice, puisque les sommes qui constituent sa dotation sont issues de la spoliation. C'est aussi, pour l'avenir, souligner la capacité considérable d'intervention de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et la responsabilité qui sera la sienne.
Ainsi, grâce aux recommandations de la Commission Matteoli, la France peut s'honorer d'avoir mis en place un ensemble de mesures de réparation, en y associant les instances représentatives de la communauté juive et l'ensemble des institutions publiques et privées concernées. Depuis trois ans, le gouvernement a expliqué le sens de sa démarche, dans la transparence, aux organisations juives et aux autorités étrangères, notamment américaines et israéliennes. Les contacts que j'ai eus au début de l'année à Stockholm avec le président du Congrès juif mondial, M. Bronfmann, les entretiens récents du secrétaire d'Etat au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle, M. Michel Duffour, avec M. Eizenstadt, sous-secrétaire d'Etat américain au Trésor responsable dans son pays : du dossier des spoliations, m'autorisent à penser que cette démarche est désormais comprise.
Afin d'assurer l'information la plus complète des ayants droit des victimes des spoliations, un décret a été pris le 19 octobre dernier. Celui-ci autorise les associations ayant pour objet de perpétuer le souvenir des persécutions consécutives aux législations antisémites et de défendre les intérêts matériels et moraux des victimes, à consulter les listes nominatives des comptes bloqués établies dans le cadre des travaux de la Commission Matteoli. Ainsi, dans la mesure où tout juif victime de spoliations en France peut aujourd'hui obtenir réparation à travers les mécanismes que nous avons mis en place, il est incompréhensible qu'un juge américain se soit reconnu compétent pour traiter des litiges entre quelques plaignants américains et les banques françaises pour des faits concernant cette période. C'est pourquoi le gouvernement français, sous la forme d'un mémoire, a invité le juge à revoir sa position. C'est pourquoi aussi le ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, a confié à M. Andreani, ambassadeur de France et ancien ambassadeur aux Etats-Unis, une mission destinée à faire savoir au gouvernement américain que ces procédures judiciaires seraient non seulement inutiles mais néfastes aux processus de réparation des dommages subis par les victimes.
Pour beaucoup de juifs ayant vécu en France durant la guerre, pour ces enfants qui vécurent cachés dans l'angoisse d'une rafle, je comprends que les mesures arrêtées par le gouvernement puissent apparaître, malgré leur ampleur sans précédent, insuffisantes. Je sais la souffrance de ceux qui m'ont écrit en demandant des mesures allant au-delà des recommandations de la Mission. Mais tout ne peut pas être réparé. Cette souffrance individuelle et collective est, par essence, irréparable. La France a aujourd'hui reconnu et pris ses responsabilités. C'est à la Fondation pour la mémoire de la Shoah qu'il appartiendra désormais de prendre en charge certaines de ces demandes, lorsqu'elles correspondront à des situations de détresse.
Monsieur le Président,
Je souhaiterais, avant de conclure, formuler une réflexion sur le rapport de notre Nation à l'Histoire.
La France a sans doute mis du temps et éprouvé quelque difficulté à regarder sa propre histoire avec lucidité -la lucidité, ce courage de l'intelligence. Regarder vers le passé, c'était se souvenir qu'en des heures sombres, les institutions de notre pays avaient failli. Le discours prononcé le 16 juillet 1995 par le président de le République et la mise en place par mon prédécesseur de la Commission Matteoli ont permis de faire oeuvre de lucidité et, partant, oeuvre de mémoire. Je suis convaincu que le processus entamé depuis bientôt trois ans sera regardé par les historiens comme exemplaire. Je veux ici souligner l'ampleur de la tâche accomplie. Non pour nous en glorifier - il n'était que temps et ce n'était là que justice -, mais pour rappeler qu'en ce domaine, en particulier, la volonté politique peut beaucoup.
Aussi nous appartiendra-t-il sans doute demain de veiller à ce que d'autres moments sombres de notre histoire nationale fassent l'objet du même effort. Mon gouvernement l'a entrepris en ce qui concerne les événements tragiques du 17 octobre 1961, qui ont provoqué la mort à Paris de dizaines d'Algériens. La France devra continuer de le faire, avec la même exigence. Je pense en particulier à l'appel qui vient d'être lancé par plusieurs intellectuels concernant l'emploi de la torture pendant la guerre d'Algérie avec l'aval de certaines autorités françaises. Je suis convaincu que ce travail de vérité n'affaiblit pas la communauté nationale. Au contraire, il la renforce en lui permettant de mieux tirer les leçons de son passé, pour construire son avenir.
Monsieur le Président,
La culture et la tradition représentées par vos institutions portent un message qui dépasse le religieux. Il s'agit de valeurs spirituelles, qui renvoient aux exigences de liberté et de justice. Celles-ci exigent de notre part un engagement quotidien. En France, celui-ci prend la forme de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, du combat pour l'éducation et la culture, de l'action en faveur de la justice sociale. Dans le monde, ce combat est celui des Droits de l'Homme, de la démocratie et de la mise en place d'une justice internationale.
Au moment où la France assume la présidence de l'Union européenne, nul ne doit oublier que c'est en Europe, espace de civilisation, que sont pourtant nés le fascisme et le nazisme, que c'est sur ce continent, si riche de ses cultures, que s'est manifesté le Mal absolu. C'est pourquoi la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, approuvée par les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Biarritz les 13 et 14 octobre derniers, a plus qu'une valeur symbolique : elle inscrit au cur même du projet européen la dignité humaine, la liberté, l'égalité et la solidarité. Elle affirme que l'Europe repose sur la démocratie, l'Etat de droit et le respect de la personne humaine.
Je suis sûr, Monsieur le Président, que vous voyez là avec moi, dans cette construction d'une Europe unie autour de ces valeurs, la promesse de la, paix, de la liberté et de la fraternité auxquelles l'Humanité aspire et pour lesquelles nous devons, chacun à notre place, continuer à lutter./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 06/11/2000)