Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à France info et LCP le 3 novembre 2005, sur le terrorisme et la situation au Proche et Moyen-Orient.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info - La Chaîne parlementaire-Assemblée nationale - Télévision

Texte intégral

Q - Bonsoir et bienvenue à Question d'info.
Iran, Syrie, Côte d'Ivoire, la diplomatie française est en première ligne. Quelles réponses européennes au terrorisme, que faire face à la radicalisation du pouvoir iranien et où va la France en Côte d'Ivoire.
Notre invité aujourd'hui est M. Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères. (...)
Faites-vous un parallèle entre ce qui se passe aujourd'hui, ici dans les banlieues et ce qui peut se passer dans un certain nombre de Républiques islamiques ?
R - Je n'ai pas dit que ce sont les mouvements radicaux qui sont aujourd'hui au départ des mouvements dans les banlieues, je n'ai pas dit cela.
Q - Vous dites qu'ils cherchent à en tirer profit, oui.
R - Bien sûr, c'est exactement cela. Le trouble qui peut exister dans les banlieues, cette sorte de désespoir qui peut être, aujourd'hui, la seule solution pour certains, ce désespoir va malheureusement trouver sa solution dite "politique" dans certains mouvements radicaux.
Q - Mais là vous parlez des banlieues ?
R - Mais partout, je veux à tout prix l'éviter. Regardez aujourd'hui ce qui se passe au Pakistan, après ce tremblement de terre, quand on voit le drame humanitaire qui se prépare, pour une seconde fois, une catastrophe effrayante avec la situation d'une population qui a des problèmes d'alimentation, des problèmes de santé publique, pas d'hôpitaux, regardons ce qui est à l'uvre. Il y a des gens qui font partie de mouvements radicaux et qui s'intéressent également à cela.
Attention donc, soyons républicains, au-delà des différences partisanes, derrière le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, derrière le Premier ministre, parce qu'il s'agit de l'essentiel pour la France, il s'agit de la République.
Q - Vous êtes en train de nous dire qu'il y a un danger islamiste ?
R - Vous apprenez cela maintenant, le fait qu'il y ait un danger islamiste dans le monde ?
Q - Je vous pose simplement la question.
R - Un risque de radicalité, mais les extrémistes de "tous poils" sont partout, vous le savez comme moi. Le monde est devenu de plus en plus dangereux et vous connaissez le nombre d'attentats terroristes en Occident ou ailleurs, vous ne pouvez donc pas apprendre aujourd'hui qu'il y a des risques d'extrémisme.
Prenez le conflit du Proche-Orient, il y a des extrémistes des deux côtés et c'est pour cette raison que nous ne parvenons pas à avancer.
Q - Faut-il prendre au sérieux les menaces du président iranien qui dit qu'il faut rayer Israël de la carte ?
R - J'ai été choqué par ces propos que je trouve inacceptables, pour deux raisons : d'abord, les propos de M. Ahmadinejad, président de l'Iran, remettent en cause l'existence même de l'Etat d'Israël. Personne n'a le droit de remettre en cause l'existence de l'Etat d'Israël, personne.
Ensuite parce que cette décision de créer un Etat en Israël est une décision de l'Assemblée générale des Nations unies. C'est donc le droit international, et le droit international s'impose à tous.
Q - Comment expliquez-vous cette radicalisation du régime iranien ?
R - Le président iranien est un conservateur, je l'ai entendu aux Nations unies avec un discours assez proche de celui-ci. Le sujet aujourd'hui n'est pas un sujet de politique intérieure iranienne, c'est un sujet de politique internationale, c'est-à-dire celui du dossier nucléaire iranien.
Q - Pensez-vous que ce régime iranien pèse sur la paix du monde aujourd'hui ?
R - Tout régime pèse sur la paix du monde.
Q - Oui, mais avec ces ambitions nucléaires et cette menace ?
R - Je crois qu'il faut faire très attention et ne pas considérer l'Iran comme un petit pays subalterne, ce serait une erreur considérable. L'Iran est un très grand pays, une très grande et ancienne civilisation, un très grand peuple.
Nous respectons l'Iran et c'est parce que nous le respectons que nous voulons négocier avec lui. Nous demandons à l'Iran de suspendre ses activités nucléaires sensibles.
Q - Ce sont des négociations mais ensuite ?
R - Nous faisons des propositions. Le 24 novembre, au Conseil des gouverneurs de l'Agence, nous entendrons ce que M. El Baradeï nous dira. Nous demandons à l'Iran de suspendre ses activités nucléaires sensibles et, s'il ne le fait pas, alors oui, il y aura un rapport de l'Agence qui pourra être transmis au Conseil de sécurité des Nations unies sans qu'on puisse dire à quel moment.
Q - Peut-on imaginer des sanctions contre l'Iran, un ultimatum, voire une exclusion de l'Iran de l'ONU ?
R - Vous allez trop vite. Aujourd'hui, nous avons rendez-vous le 24 novembre. M. El Baradeï et ses contrôleurs étaient en Iran hier encore. C'est un sujet absolument majeur et nous demandons instamment à l'Iran de suspendre ses activités nucléaires sensibles.
Q - Estimez-vous qu'une opération militaire contre l'Iran est envisageable par les Etats-Unis ou par Israël ?
R - Ce n'est pas d'actualité.
Q - Mais serait-ce un danger, cette opération militaire ou non ?
R - Ce n'est pas d'actualité.
Q - Cela peut-il le devenir ?
R - Ce n'est pas d'actualité puisque nous avons, de la part des Trois Européens, une négociation en cours avec les Iraniens et nous nous sommes parlés avec les Américains. Au dernier Conseil des gouverneurs, l'Inde a voté avec nous sur une résolution assez ferme.
Il vous faut savoir que nous cherchons plusieurs choses : la fermeté vis-à-vis de l'Iran, dans le cadre de la non-prolifération, l'unité de la communauté internationale et que l'Iran suspende ses activités nucléaires sensibles.
Q - Cette opération militaire contre l'Iran est-elle totalement exclue ?
R - Aujourd'hui, nous sommes dans un processus diplomatique de négociations. Je vous ai dit que si l'Iran ne nous entend pas, alors un rapport de l'AIEA pourra être transmis au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Lundi, vous étiez au Conseil de sécurité, faites-vous confiance au président syrien Al Assad pour faire la lumière sur l'assassinat de Rafic Hariri ?
R - D'abord, je suis heureux que la diplomatie française ait permis d'aboutir à ce vote de la résolution du Conseil de sécurité, à l'unanimité. Aujourd'hui, l'ensemble de la communauté internationale a demandé à la Syrie et à son président de coopérer avec M. Mehlis, ce juge allemand qui est président de la Commission d'enquête criminelle sur l'assassinat du Premier ministre libanais Rafic Hariri. Je pense que la Syrie n'a pas d'autre solution que de coopérer car, si elle ne le fait pas, au 15 décembre, M. Mehlis reviendra devant le Conseil de sécurité et, s'il dit que la Syrie n'obtempère pas, alors, il y a une possibilité de sanctions.

Q - Estimez-vous que la stabilité du Proche-Orient passe par le maintien du président syrien au pouvoir actuellement ?
R - Nous sommes sur la résolution 1595, c'est-à-dire une Commission d'enquête criminelle. Nous ne voulons que la justice, toute la justice, rien que la justice. Nous ne voulons pas faire de politique dans cette affaire, nous ne sommes pas là pour savoir si tel ou tel régime est le bon ou pas. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'Algérie, qui représente le groupe arabe aux Nations unies, a voté cette résolution.
Q - Concernant Ingrid Betancourt, sommes-nous proches de sa libération ?
R - Il ne se passe pas un jour sans que nous ne travaillions sur ce dossier douloureux, pour Mme Betancourt et pour les autres otages qui sont avec elle car il ne faut pas non plus les oublier. La Cour suprême, en modifiant la Constitution, a permis au président Uribe de se présenter pour un deuxième mandat. Comme vous le savez, jusqu'à maintenant, un président de la République colombien ne pouvait pas se représenter. Il va pouvoir se présenter à nouveau. Je vous rappelle que le président Uribe a dit qu'il était d'accord pour redéfinir les conditions d'un accord avec les FARC sur le plan humanitaire.
Q - Vous avez donc de l'espoir ?
R - Nous ne pouvons que l'encourager. Vous le comprendrez, la discrétion est la meilleure des méthodes, aujourd'hui, en matière d'otages.
Q - Sur la situation en Côte d'Ivoire, où va la France ? Peut-on envisager un retrait de l'armée française à terme de ce pays d'Afrique ?
R - Aujourd'hui, nous sommes dans la phase la plus difficile pour la Côte d'Ivoire, c'est-à-dire la mise en uvre des engagements de Pretoria et de Marcoussis. Je souhaite qu'il y ait un Premier ministre le plus vite possible. Le Conseil de sécurité, les Nations unies dans leur ensemble, se sont mobilisés, j'ai envie de dire qu'ils se sont enfin mobilisés. Le président Gbagbo doit savoir qu'il faut évidemment nommer un Premier ministre dès que possible.
Q - Comment expliquez-vous cette perte d'influence de la France en Afrique ? Cela ne pose-t-il pas un problème pour la diplomatie française ? Se faire un peu détrôner par les Américains !
R - J'aurai l'occasion de préciser cela très prochainement, avec le président de la République, à Bamako, vous verrez que la France joue un rôle de plus en plus important en Afrique.
Q - Ma dernière question concerne le Quai d'Orsay. Deux ambassadeurs français ont été mis en examen dans l'affaire "pétrole contre nourriture" en Irak. Estimez-vous que vous vous êtes suffisamment exprimé à ce sujet, c'est tout de même une affaire extrêmement grave ?
R - J'ai publié une tribune dans le journal "Libération" qui est parue il y a une dizaine de jours pour expliquer que la justice doit évidemment passer. C'est majeur. D'ailleurs Paul Volcker, le président de la Commission des Nations unies qui enquête sur le programme "pétrole contre nourriture", a félicité le gouvernement français sur sa coopération avec cette commission. Nous voulons toute la vérité, et si deux ambassadeurs, anciens ambassadeurs de haut rang ont fauté, c'est la justice qui le dira. Pour l'instant, ils sont innocents, mais si la justice estime qu'ils ont commis une erreur, évidemment, je suis pour que la justice passe et qu'ils soient punis. Mais ne jetons pas le discrédit sur la diplomatie française. Vous savez, il y a peu d'appareils d'Etat comme celui-ci. Ce n'est pas parce que je suis à sa tête aujourd'hui que je dis cela, mais parce que le monde entier le reconnaît.
La diplomatie française, ce sont des femmes et des hommes qui travaillent jour et nuit au service de l'Etat, qui ont un grand sens de l'Etat et je ne laisserai personne les salir. Je vous le dis avec mes "tripes", personne ne l'a fait, aucun juge, aucun journaliste ne s'est permis de le faire, et c'est pour une raison, c'est parce que ce sont des gens très propres, très transparents. C'est une maison de verre. Bien sûr, la diplomatie se fait parfois loin des caméras.
Q - Bien sûr, Monsieur le Ministre, la maison de verre est-ce la "grande muette", encore plus que l'armée française, est-ce une question d'honneur ou une question d'omerta ?
R - Vous ne pouvez pas dire cela. Notre dossier est ouvert à n'importe quel moment, n'importe où et pour n'importe quel juge. La diplomatie française est une des plus transparentes au monde. La seule chose, c'est vrai, est que nous devrions dire plus souvent que la diplomatie évite de faire des guerres, permet de retrouver des otages, de jeter des ponts entre les cultures, les civilisations, les religions. Mais de cela, les journalistes ne parlent pas assez. Je veux bien que nous parlions de l'armée, que nous parlions de la police, mais il faudrait aussi que nous parlions un peu plus de nos diplomates, qui en ont besoin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2005)