Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la politique urbaine et les grandes options du développement des villes, Paris le 4 avril 2000.

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Circonstance : Clôture de la première Conférence des Villes, à Paris le 4 avril 2000

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai répondu à l'invitation de Jean-Pierre SUEUR, Pierre BOURGUIGNON et Jean AUROUX, qui ont organisé cette conférence des villes. Chacun d'eux préside une association d'élus, de femmes et d'hommes responsables de la gestion de villes dans notre pays. Chacun d'eux -comme vous- connaît les réalités de la démocratie locale et les enjeux de l'aménagement urbain. Comme eux, vous êtes animés de la volonté de faire vivre le débat sur les politiques urbaines, afin de contribuer à tracer des perspectives nouvelles.
Il est en effet aujourd'hui important de renouveler notre réflexion sur les villes. La place qu'elles tiennent dans notre vie quotidienne, la nécessité de mieux maîtriser leur croissance, le besoin d'y faire vivre les valeurs que nous partageons le justifient. C'est pourquoi j'ai voulu saisir l'occasion de cette Conférence pour rappeler quelle action le Gouvernement conduit en ce domaine, avant d'esquisser avec vous de nouvelles pistes pour l'avenir.
Nous voulons remettre les valeurs de la cité au cur des politiques urbaines.
Parce que les villes font la vie quotidienne de quatre Français sur cinq. Les résultats du dernier recensement le soulignent. La dernière décennie a vu se poursuivre la croissance de grandes aires urbaines. Pour autant, ce dynamisme n'est pas un phénomène nouveau. C'est depuis le XVIème siècle le même réseau urbain d'une remarquable stabilité -à quelques fondations et " villes nouvelles " près- qui organise notre territoire. Dans le vaste enchevêtrement des relations entre villes et bourgs, villes et villages, entre villes elles-mêmes, qui, comme l'écrit Fernand BRAUDEL, " inlassablement, tissent et retissent la vie matérielle essentielle de la France ", c'est la ville qui, avec ses marchés, ses industries et ses commerces, sa force de création, bat la mesure, donne le rythme, mène le train de la croissance et du développement. Elle entraîne dans cette dynamique les espaces ruraux environnants.
Mais nous assistons aussi à un profond bouleversement des réalités urbaines.
Sans doute les villes ont-elles " grandi trop vite ". Les trente dernières années ont vu la ville s'étendre sur un territoire de plus en plus vaste. Sa frontière avec la campagne devient plus incertaine. Pour des habitants qui résident de plus en plus nombreux au pourtour des agglomérations, l'accès au centre et à ses services est plus difficile. La ville se divise à mesure qu'elle croît, séparant lieux de vie et lieux de travail, lieux du commerce et lieux de détente ou de loisirs. Deux décennies de chômage de masse ont isolé plus fortement -et parfois relégué- dans leur quartier certains de ses habitants. De nouveaux besoins de déplacements en découlent, auxquels les villes dans leur forme et avec leurs moyens actuels ne sont pas toujours en mesure de répondre. La pression de l'automobile se fait plus forte. Les nuisances, la pollution, les difficultés qui en résultent dans la vie quotidienne sont accentuées.
Ces évolutions sont nées de l'action combinée de forces mal maîtrisées, mais aussi de stratégies individuelles et collectives insuffisamment concertées. Il s'agit aujourd'hui de redonner sens et direction au développement des villes.
C'est pourquoi nous voulons y réaffirmer les valeurs de la cité. C'est dans la cité que s'est inventée la démocratie. Repenser les politiques urbaines, c'est donc réinventer la cité dans la ville. C'est notamment renouer avec un patrimoine, une culture, un modèle -l'agora- dont beaucoup de nos villes ont conservé la trace dans leurs places publiques, leurs espaces de loisirs, d'activités marchandes et de sociabilité. Les centres doivent redevenir le lieu où tous se croisent et se rencontrent. Réinventer la cité, c'est faire prévaloir dans des politiques urbaines rénovées les valeurs de la République -la citoyenneté, la solidarité, la cohésion sociale, la fraternité. C'est aujourd'hui saisir la nouvelle donne de la croissance et des perspectives qu'elle ouvre, non seulement pour réparer les effets d'une expansion insuffisamment maîtrisée, mais encore afin de créer les conditions d'un développement durable, assurant un équilibre entre ville et campagne.
Pour plus de cohérence, plus de solidarité, plus de citoyenneté dans les villes le Gouvernement crée de nouveaux outils.
Nous offrons un cadre et des instruments plus cohérents aux politiques urbaines. Les lois du 25 juin 1999 sur l'aménagement durable du territoire et du 12 juillet 1999 sur l'intercommunalité font de l'agglomération l'espace pertinent de ces politiques. Elles prennent en compte le changement d'échelle des territoires urbains. En six mois, cinquante et une communautés d'agglomération se sont formées. L'écho considérable que cette structure portée par Jean-Pierre CHEVENEMENT rencontre auprès des acteurs locaux témoigne qu'il répond à des attentes très fortes et à des besoins réels.
Le projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains défendu par Jean-Claude GAYSSOT, Louis BESSON et Claude BARTOLONE donne davantage de cohérence aux territoires urbains à travers les schémas qu'il crée. Ces derniers appréhenderont pour la première fois de façon globale les questions urbaines : les programmes locaux de l'habitat, les plans de déplacements urbains, les schémas d'équipement commercial prendront place dans un cadre unique.
Cette loi consacre le droit au transport, le droit au logement et plus généralement à la qualité de la vie. Par son approche globale, elle permettra de faciliter et de réduire les déplacements quotidiens, notamment entre le domicile et le travail. Elle nous aidera aussi à réduire la pollution et les embouteillages en développant les transports en commun. Le Gouvernement a décidé de doubler les crédits réservés à ces derniers : ils augmenteront d'un milliard de francs dès l'année prochaine. En consacrant par ailleurs la notion de logement décent, la loi donnera à tout locataire les moyens de réclamer -et d'obtenir- les éléments de confort qui apparaissent aujourd'hui indispensables. Je parle de moyens. Je ne veux pas aborder les questions de fiscalité locale qui ont été peu discutées. Il est difficile de choisir entre la justice fiscale et l'autonomie communale. Nous verrons ce que nous dira la Commission MAUROY et le nouveau ministre de l'Economie et des Finances.
Enfin, cette loi vise à garantir la solidarité et l'équilibre des villes de demain. La solidarité entre les villes, entre les quartiers, est une nécessité que tous reconnaissent. Elle n'a pas été contestée, lors de l'examen de ce texte en première lecture à l'Assemblée nationale, même si ses modalités d'application ont fait l'objet de longues, et parfois vives, discussions. L'objectif qu'il fixe, -accueillir 20 % de logements sociaux- est légitime, réaliste et porteur d'égalité. Il ne signifie pas le retour à un urbanisme du passé. Il est curieux d'ailleurs de penser que le logement social devrait signifier tour ou barre. Toutes les communes sont aujourd'hui en mesure de réaliser des logements sociaux bien intégrés et de qualité. Elles pourront, si elles le veulent, acquérir et réhabiliter des logements.
Grâce à ces nouveaux outils, nous pourrons réinventer ensemble une citoyenneté urbaine. La loi sur la solidarité et le renouvellement urbain vise à approfondir la démocratie locale. Elle permettra de simplifier nombre de procédures. Elle renforcera les obligations de consultation préalable et d'enquête publique. Grâce aux plans locaux d'urbanisme, les projets d'aménagement seront désormais établis en concertation avec les habitants.
La citoyenneté c'est aussi le contrat.
Il s'agit aujourd'hui de négocier les grandes options du développement des villes. Nous mettons pour cela en place de nouvelles démarches contractuelles. La nouvelle génération de contrats de ville est actuellement en cours de négociation ou de signature. Les financements qui leur sont affectés, -près de dix-huit milliards de francs- ont doublé. Le Comité interministériel des villes a, le 14 décembre dernier, lancé 50 grands projets de ville et 30 opérations de renouvellement urbain.
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire élargit cette démarche, avec les contrats d'agglomération, instruments d'une politique urbaine négociée au plus près des besoins des habitants. Ces contrats permettront de mobiliser plus efficacement un ensemble de moyens jusqu'alors trop dispersés. Une expérimentation est en cours sur 14 agglomérations. Je suis convaincu qu'un nombre important de responsables locaux saisiront l'intérêt de cette démarche et s'y engageront.
Ces nouvelles formes de démocratie doivent être éclairées par une réflexion globale, collective et durable.
Car de nouvelles évolutions se dessinent. Notre population vieillit. Les styles de vie, la famille évoluent et se diversifient. Ils appellent une meilleure articulation entre le temps du travail et le temps de la vie privée. Le développement rapide des réseaux d'information fait entrevoir d'autres mutations de grande ampleur. La révolution du chemin de fer et des transports collectifs a marqué, en son temps, l'organisation et le plan de nos villes. Plus tard, les besoins de la circulation automobile ont fait élargir des rues, percer des boulevards et bâtir des "périphériques". Aujourd'hui l'accélération de la circulation de l'information, l'essor du commerce électronique, le développement de nouvelles activités et de nouvelles formes de travail -notamment à distance- modifieront les besoins de services, de logement et de déplacement des habitants des villes. Il faut accompagner ce mouvement.
La question urbaine est en outre devenue globale. L'urbanisation, mal maîtrisée dans les pays développés, relève souvent ailleurs, dans les pays en développement, d'une dynamique explosive. Nous devons être solidaires des femmes et des hommes qui en subissent les conséquences. Parce que c'est aussi dans les mégalopoles que se prépare l'avenir d'un monde qui s'unifie. L'accès à des ressources rares et la montée des pollutions sont des problèmes globaux. Et la définition collective, démocratique et négociée d'un mode de développement durable dans les villes doit être notre réponse à ces évolutions.
Il faut donc donner une nouvelle impulsion à la réflexion collective. Je veux saluer l'initiative que vous avez prise de réunir cette première Conférence des villes qui, je l'espère, se renouvellera. Plusieurs associations s'y sont jointes : l'Association française des villes nouvelles, l'Association des Présidents de communautés urbaines, la Fédération nationale des agences d'urbanisme et l'Agence des villes. Cette Conférence marque une prise de conscience : nous avons besoin de mettre en commun l'expérience de ceux qui conduisent des politiques urbaines.
L'Institut des Villes y contribuera. Nous en avons lancé l'idée au Comité interministériel des villes, en juin 1998. Il réunira dès le mois de septembre prochain l'Etat et les élus intéressés par la gestion des villes -dont vous êtes. De grands partenaires concernés par les questions urbaines -comme la Caisse des dépôts et consignations et l'Union nationale des fédérations HLM- pourront s'y joindre. De la confrontation des points de vue, du partage d'expériences, en particulier de celles qui sont conduites hors de nos frontières, peuvent se dégager les orientations d'une vision prospective.
Ces réflexions nourriront un projet européen pour les villes. Parce que le modèle européen de société que nous défendons doit être aussi un modèle européen de ville. Quatre Européens sur cinq vivent en ville. Notre continent possède le semis le plus dense de cités. Elles en ont façonné la civilisation. Les cités marchandes de Venise, Gênes et Florence, celles de la Hanse et des Flandres ont été les premiers relais d'une " économie-monde " et les foyers d'une culture diversifiée mais commune. Et aujourd'hui, dans la diversité des évolutions urbaines et des dysfonctionnements des villes d'Europe se lisent les mêmes questions : nous pouvons leur apporter ensemble des réponses.
Il est donc souhaitable de développer aussi entre Européens l'échange des expériences et des pratiques que nous projetons d'organiser dans notre pays. Nous souhaitons également promouvoir la vision d'une véritable politique urbaine en Europe, articulant entre elles des mesures locales, nationales, communautaires qui aujourd'hui s'additionnent. Depuis le sommet de Berlin, grâce au travail de Dominique VOYNET et Claude BARTOLONE, les villes bénéficient de crédits inscrits dans le schéma de développement de l'espace européen. Nous confirmerons cette impulsion sous la Présidence française. Je crois enfin nécessaire que les Gouvernements des Etats membres s'expriment d'une seule voix lors de la session spéciale de l'Assemblée générale des Nations Unies qui, en juin 2001, dressera le bilan du sommet d'ISTANBUL.
Mesdames, Messieurs,
Vos échanges de ce jour, ce débat, les réflexions que vous avez menées et que les trois présidents ont synthétisés devant moi sont essentiels. Ils doivent nourrir l'action et aider à bâtir des projets. Ceux-ci seront désormais soumis à la discussion et aux propositions des habitants des villes dont vous avez la charge. Le Gouvernement, en réformant le cadre législatif et réglementaire de la gestion des villes, met à votre disposition de nouveaux instruments. Ces instruments n'atteindront véritablement leurs buts que si nos concitoyens s'en saisissent et se les approprient. Pour exprimer leurs besoins. Pour prendre réellement part à la décision publique. Et instaurer ainsi une véritable démocratie participative, pour devenir co-bâtisseurs de la ville où ils vivent ou, pour parler comme Jean AUROUX qui contribue poétiquement au vocabulaire, instrumentistes de cette composition urbaine à propos de laquelle nous rêvons d'une harmonie retrouvée ou inventée.

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 avril 2000)