Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, vous avez rencontré votre homologue égyptien à New York. Quel bilan tirez-vous de votre passage à l'ONU et quelle est votre vision sur le nouveau visage de l'Egypte et la nouvelle démocratie égyptienne ?
R - J'ai naturellement été très heureux de pouvoir m'entretenir avec M. Aboul Gheit à New York à la fois parce qu'il est un diplomate très expérimenté et parce que l'Egypte joue un rôle central sur de nombreux sujets. Et puis vous savez quel prix nous attachons tous deux à la relation franco-égyptienne, toujours aussi excellente, sous l'autorité des présidents Moubarak et Chirac. En marge du Sommet et de la semaine ministérielle qui a suivi, j'ai eu de nombreux entretiens bilatéraux et réunions sur certaines questions régionales - le Liban, l'Iran, Haïti, la région des Grands Lacs - ainsi que sur les défis globaux comme l'environnement ou le VIH/sida.
Concernant les élections présidentielles qui ont eu lieu en Egypte le 7 septembre, et qui ont mené à la réélection de M. Hosni Moubarak, nous considérons qu'elles constituent un moment très important pour l'Egypte. La réforme constitutionnelle engagée par le président Moubarak a permis la tenue des premières élections présidentielles pluralistes. Nous nous félicitons du débat ouvert auquel elles ont donné lieu. Ces élections sont un signal positif pour la région. Elles ont été saluées par l'ensemble de la communauté internationale. Nous nous tenons aux côtés de l'Egypte pour la poursuite de ces avancées positives dans le sens de l'ouverture et de la démocratisation.
La tenue d'élections législatives au mois de novembre devrait être une étape supplémentaire dans ce processus important que nous suivrons avec beaucoup d'intérêt.
Q - Comment évaluez-vous la nature de la relation bilatérale franco-égyptienne ? Y-a-t-il une coopération diplomatique à propos des problèmes régionaux ou vous avez certaines divergences sur certains dossiers ?
R - Nos relations bilatérales sont très anciennes et profondément amicales. Il y a, vous la savez, une "égyptomanie" en France. Dans le domaine politique, la concertation entre nos deux pays est étroite et nos positions convergentes, notamment en ce qui concerne le Processus de paix israélo-palestinien, la situation en Irak, le dossier libanais et le terrorisme international qui frappe aveuglément à travers le monde et dont l'Egypte, comme on l'a malheureusement vu à Charm el-Cheikh le 23 juillet dernier, n'est pas exempte.
Au niveau économique et commercial, l'engagement de grands groupes français, l'importance des investissements réalisés et le renforcement des exportations égyptiennes en Europe et en France témoignent de l'importance de l'Egypte pour nos entreprises. J'ai notamment à l'esprit le contrat gazier qui lie nos deux pays pour les années à venir ; il s'agit du plus important contrat jamais signé entre la France et l'Egypte et qui confirme le rôle clef de ce secteur pour le développement économique de l'Egypte et pour la diversification de ses débouchés.
Notre présence culturelle constitue une dimension spécifique de notre relation avec l'Egypte. Il y a un réel dynamisme dans ce domaine, qu'il s'agisse de notre coopération dans le domaine de l'archéologie, de l'enseignement du français. L'Université française d'Egypte, qui a vu le jour en septembre 2002, est aujourd'hui en phase d'expansion grâce au soutien de nombreuses entreprises françaises et égyptiennes.
Q - Quel est le rôle de la France après le retrait israélien de la bande de Gaza ? On a observé votre excellente position en faveur du droit palestinien, vous êtes le seul ministre occidental qui a critiqué le retrait en le qualifiant d'insuffisant.
R - Je n'ai pas dit qu'il était insuffisant, j'ai dit au contraire que ce retrait était un acte positif et courageux de la part du gouvernement israélien. C'est un vrai succès pour les Israéliens et pour les Palestiniens. Ce que j'ai dit est qu'il s'agit d'une étape qui doit permettre de relancer le processus de paix dans le cadre de la Feuille de route. Je voudrais aussi saluer ici le rôle majeur qu'a joué l'Egypte pour que ce retrait soit un succès et pour assurer un contrôle efficace de la frontière de Rafah.
Q - Comment voyez-vous la situation actuelle et pensez-vous que Gaza peut devenir une grande prison ?
R - Comme vous le savez, j'ai effectué une visite officielle dans les Territoires palestiniens et en Israël les 7 et 8 septembre à ce moment historique. Mes entretiens avec les plus hauts responsables politiques israéliens et palestiniens m'ont convaincu qu'il existe aujourd'hui une véritable volonté de part et d'autre de faire du retrait de Gaza une véritable opportunité pour la paix. Gaza ne doit pas être une "grande prison". C'est pourquoi les questions de l'établissement d'un lien fixe vers la Cisjordanie, de l'ouverture d'un port et de la sécurisation des points de passage, en particulier vers l'Egypte, doivent être les priorités. Votre pays, je l'ai dit, a une action très positive dans ce domaine.
Q - Quelles sont les idées françaises pour avoir la solution d'une paix durable et définitive ? Comment la France peut-elle mettre son poids diplomatique dans la balance internationale pour participer à la fondation d'un Etat palestinien souverain et indépendant ?
R - Le texte de référence est la Feuille de route. Cela veut dire que les engagements que les Parties avaient pris avant le début du retrait sont toujours valables. Israël doit geler sa colonisation de la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Il s'agit d'un impératif absolu. Notre objectif final reste la création d'un Etat palestinien viable. Dans le même temps, les Palestiniens doivent montrer qu'ils font tous leurs efforts pour empêcher les groupes radicaux de faire échouer le processus qui démarre. Le peuple palestinien veut la paix et sait que la violence entraîne une violence en retour qui le frappe durement. Personne ne peut le souhaiter.
La France entend sur le plan diplomatique rappeler le principe du parallélisme des obligations qui s'impose aux deux parties. C'est un point essentiel pour la France et la condition de la mise en uvre de la Feuille de route ; chacun doit, à chaque étape du processus, faire sa part du chemin.
J'ai, lors de ma visite, réaffirmé notre engagement à aider les Palestiniens, avec nos partenaires européens, à reconstruire leurs institutions. J'ai rappelé notre plein soutien, que ce soit en matière de police, d'infrastructures, de création d'emplois, de formation des cadres et d'appui au secteur de la santé et de l'éducation. L'Etat palestinien doit aussi se construire sur le terrain.
Q - Quelle est votre vision en tant que médecin d'abord, ensuite comme ministre de la Santé et ministre des Affaires étrangères sur le rapport médical français indiquant la mort d'Arafat dû à un empoisonnement ? Avez-vous des informations pour nous éclairer ? Est-ce que la France peut ouvrir une enquête pour connaître la vérité ?
R - Comme vous le savez, un rapport médical est un document confidentiel qui ne peut en aucun cas être divulgué sans l'accord de la famille du défunt. Il s'agit là d'un droit élémentaire qui est très strictement appliqué en France. Ce que je sais de ce dossier est ce que les médecins ont été autorisés à dire et je n'ai rien vu qui se rapproche de cette thèse de l'empoisonnement.
Encore une fois, les seuls qui soient médicalement ou juridiquement habilités à émettre une opinion crédible sur ce dossier sont la famille du président Arafat et ceux qui l'ont soigné. Le reste n'est que spéculations.
Q - Quelle est la position de la France concernant le dossier iranien ? Est-ce que les négociations avec l'Europe ont échoué ? La fermeté des Iraniens peut-elle causer une nouvelle guerre ?
R - Les préoccupations que nous avons sur la finalité du programme iranien sont partagées par l'ensemble de la communauté internationale. La résolution adoptée à Vienne le 24 septembre envoie un message clair à l'Iran : il n'a pas respecté ses engagements internationaux, son comportement actuel nous préoccupe et il lui faut maintenant revenir à la négociation en prenant les mesures de confiance nécessaires. J'espère que l'Iran saisira cette occasion pour répondre aux inquiétudes de la communauté internationale et revenir au dialogue, auquel nous sommes toujours prêts.
Les Européens ont offert à l'Iran une voie lui permettant de dissiper les préoccupations internationales. Nous lui avons fait des propositions d'accord à long terme, qui comportaient les idées les plus ambitieuses en matière de coopération avec l'Europe qui aient été émises depuis la Révolution de 1979. Mais cette proposition de relations nouvelles avec l'Iran ne pouvait se développer que dans un climat de confiance retrouvée. Or l'Iran a décidé au contraire de ne plus respecter les engagements pris avec la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni dans l'Accord de Paris.
Les enjeux sont importants : il en va de l'autorité de l'AIEA, de l'intégrité du TNP, de la stabilité et de l'équilibre du Moyen-Orient et de l'Asie centrale, ainsi que de l'objectif d'établir au Moyen-Orient une zone exempte d'armes de destruction massive, initiative prise par le président Moubarak que nous soutenons. La communauté internationale doit relever ce défi. La résolution du 24 septembre préserve la possibilité de la négociation et garde ouvertes toutes les voies du dialogue. La main reste tendue vers l'Iran s'il prend les décisions nécessaires au rétablissement durable de la confiance.
Q - La communauté internationale n'a laissé aucune chance à la Syrie et interdit à Damas de se défendre. Pensez-vous que nous sommes à un pas d'une attaque militaire contre ce pays qui sera cette fois-ci couverte par le Conseil de sécurité ? Est-il exact que le président Chirac possède une cassette où il y a la preuve que Bachar el Assad menace Rafic Hariri ? Etait-ce le fondement de la résolution franco-américaine 1559 ?
R - La communauté internationale s'est mobilisée pour permettre au Liban de retrouver sa pleine souveraineté et son indépendance. C'est là le seul objectif de la résolution 1559, qui est de permettre au Liban de renforcer ses institutions hors des interférences étrangères. Nous n'avons aucun objectif hostile vis-à-vis de la Syrie. Nous souhaitions simplement que ce pays réponde aux demandes de la communauté internationale, ce qu'il a d'ailleurs commencé à faire en retirant ses troupes du Liban.
Quant à la cassette que vous mentionnez, qui concernerait une autre affaire importante, celle de l'enquête en cours de la commission internationale sur l'assassinat de M. Rafic Hariri, j'ignore son existence. Méfions-nous des rumeurs qui tiennent du roman d'espionnage.
Q - Quelle est votre vision de la nouvelle Constitution irakienne ? Croyez-vous que vos amis américains vont sortir définitivement d'Irak ou qu'ils vont devenir une force occupante et pas libératrice?
R - Il ne m'appartient pas de commenter ce projet, sur lequel il reviendra à l'ensemble des Irakiens de se prononcer lors du référendum du 15 octobre 2005. Je forme en revanche le vu qu'un véritable dialogue national puisse s'instaurer dans les semaines à venir à partir de ce texte, afin qu'un consensus se dessine entre les différentes composantes de la société irakienne sur les futures institutions du pays. Il est indispensable qu'aucune des parties de la population irakienne ne se sente exclue du processus politique. Il faut surtout qu'une solution politique permette de sortir du cycle de la violence dont la population civile est si tragiquement victime.
Cette exigence d'ouverture et d'inclusivité restera plus que jamais nécessaire au-delà du 15 octobre. Car l'évolution des institutions politiques irakiennes dépendra en grande partie des choix de la nouvelle assemblée et du nouveau gouvernement qui devront voir le jour avant la fin de l'année, aux termes de la résolution 1546.
Le retrait des troupes n'est pas à lui seul la clé de la sortie de crise en Irak. C'est, selon la résolution 1546, au gouvernement irakien de décider ce qu'il souhaitera à l'échéance du 31 décembre. Ce qui est essentiel, c'est que la perspective de retrait soit intégrée parmi les éléments du processus politique irakien, et que la population irakienne ait véritablement la perspective d'une issue politique qui lui donne la maîtrise de son destin.
Q - Pensez-vous que la Libye pétrolière peut remplacer l'Irak - qui était votre seul allié dans la région ?
R - Vous savez que la France entretient d'excellentes relations avec tous les pays de la région. Nos relations avec tel ou tel Etat n'obéissent pas à des logiques de "remplacement". La Libye n'est plus l'objet de sanctions de l'ONU et a renoncé à certains programmes d'armement et cela lui a permis de renouer des relations normales avec l'ensemble de la communauté internationale, y compris naturellement avec la France.
Q - Que pensez-vous du Plan Bush - le "Grand Moyen-Orient" - et croyez-vous que la démocratie en Orient doit être installée de l'extérieur par les chars selon le modèle irakien et afghan ?
R - Lors du Sommet des pays du G8 de Sea Island en 2004, nous nous sommes engagés ensemble à mieux accompagner les changements en cours dans le monde arabe, dans le cadre de l'initiative BMENA, afin de promouvoir un avenir partagé de paix, de démocratie, de prospérité et de sécurité.
Notre approche des réformes n'est pas d'imposer de l'extérieur un seul modèle de démocratie "clé en main" pour l'ensemble des pays de la région. Compte tenu de la diversité des situations, il faut se garder de toute approche globalisante. Il s'agit plutôt pour la communauté internationale, dans un esprit de partenariat, de mieux accompagner les projets de réformes institutionnelles, économiques et sociales menés par les Etats de la région qui se sont eux-mêmes engagés dans cette voie, notamment à travers la Déclaration du Sommet arabe de Tunis en 2004. L'Egypte a été un acteur majeur de cette démarche notamment avec les réunions d'Alexandrie, très riches et constructives. Pour autant, ce processus de réformes ne dispense pas de se réengager avec force dans le règlement des crises et des conflits régionaux.
Enfin, il est important aussi de rappeler le rôle essentiel joué par l'Union européenne à travers le processus de Barcelone, dont nous célèbrerons fin novembre le Xème anniversaire. Depuis dix ans, 9 milliards d'euros de dons et 12 milliards d'euros de prêts ont été consacrés par l'Union européenne dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen qui est pour nous un espace essentiel de coopération, de développement et de dialogue.
Q - Excellence, il y a une loi à l'Assemblée nationale qui dérange vivement les Algériens et a même empoisonné votre relation bilatérale - déjà tendue - à propos de la période coloniale. Est-ce que la France peut demander pardon à l'Algérie comme ce qu'elle a fait pour les juifs ? Pour effacer le passé douloureux et démarrer sur des nouvelles bases de coopérations économiques et politiques ?
R - Tout d'abord, la loi du 23 février 2005, à laquelle vous faites allusion, a pour principal objet de prendre d'importantes mesures à caractère fiscal et social, qui répond à des revendications anciennes et légitimes des Français rapatriés. C'est une loi française qui concerne des Français et qui n'a pas d'autre objet que ce que je viens de rappeler.
Par ailleurs à propos de la période coloniale, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il ne peut être question d'imposer une histoire officielle en France. La question de la mémoire relève du travail effectué en toute indépendance, objectivité et pluralité des points de vue par les historiens et chercheurs de tous les pays concernés. Il n'est pas question d'un quelconque oubli, au contraire mais il ne faut pas non plus que ce travail crucial pour nos deux pays soit détourné à d'autres fins. Ce travail de mémoire est important pour tous et doit être effectué par des chercheurs et des historiens.
S'agissant de notre partenariat d'exception avec l'Algérie, dont les lignes directrices sont celles de la Déclaration d'Alger signée par les deux chefs d'Etat en 2003, il doit être consacré par la conclusion prochaine d'un Traité d'amitié qui est une chance historique pour nos deux pays et nos deux peuples, deux peuples qui ont le souvenir des moments douloureux du passé mais qui sont aussi très proches l'un de l'autre. Songeons à la solidarité qu'ont manifestée les Français et les Algériens ces dernières années face à la période tragique qu'a vécue l'Algérie dans les années 1990, face au tremblement de terre de mai 2003. Pensons aussi à tous les Algériens qui contribuent à l'économie, à la recherche, à la culture et au sport français. C'est cette relation-là, cette proximité, que le traité d'amitié consacrera.
Q - Enfin, quelle est votre position à propos du Sahara occidental ?
R - S'agissant du Sahara occidental, nous continuons de soutenir les efforts du Secrétaire général des Nations unies et de son nouvel envoyé personnel, M. Van Walsum, pour parvenir, avec les parties concernées à une solution politique mutuellement acceptable dans le cadre des Nations unies.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2005)