Interview de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "Libération" le 18 mars 2000, sur la nécessité de réformer l'Organisation mondiale du commerce pour trouver un équilibre entre ouverture des marchés et régulation, réduire les inégalités dans les relations Nord-Sud, et instaurer un dialogue avec les représentants de la société civile.

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Trois mois après le fiasco de Seattle, les ministres du commerce extérieur de l'Union Européenne se réuniront ce week-end à Porto pour définir une proposition de réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Entretien avec François Huwart, secrétaire d'Etat au Commerce extérieur.
Quelles leçons tirez-vous de l'échec de la conférence de l'OMC ?
Avant le début des négociations, j'avais, compte tenu de la grande divergence des opinions des pays membres et de l'insuffisance du travail de préparation, un pronostic réservé sur le succès de cette réunion. Je n'ai donc pas été surpris outre mesure. Mais mieux valait une conférence ministérielle qui ne débouche pas sur un accord, qu'un mauvais accord. Rappelons qu'il a fallu trois réunions pour lancer le cycle de l'Uruguay. Ceci étant dit, nous devons en tirer toutes les conséquences. La plus évidente est sûrement le fait que la mondialisation est devenue, dans de nombreux pays, un sujet de débat public, une préoccupation qui concerne l'ensemble des citoyens. Il y a un avant et un après Seattle. En clair, cette négociation ne pourra plus jamais se dérouler comme les précédentes. Et c'est pour cette raison que nous devons réfléchir à l'avenir de l'OMC . C'est ce que nous faisons au niveau européen.
Les manifestations de Seattle ont donc obligé les gouvernements à entamer une réforme
de l'OMC ?
Absolument. Je pense que le souci des opinions publiques, notamment de celles qui se sont exprimées à Seattle, c'est que la mondialisation doit être humanisée et régulée. Cette exigence est désormais incontournable pour l'OMC. Nous n'avons d'autres choix que d'équilibrer l'ouverture commerciale et la régulation. Il est apparu clairement que le seul dialogue Etats-Unis-Europe ne suffit plus pour lancer un nouveau cycle. Il faut que les relations Nord-Sud deviennent une priorité. Dans ce sens, nous devons mettre fin aux procédures des "greens rooms", ces comités en nombre restreint où les plus forts décident à la place des autres, et qui ont provoqué le mécontentement de nombreux pays pauvres. De la même façon, nous ne pouvons plus donner le sentiment que l'OMC est un lieu où seuls des experts négocient entre eux, et à l'abri des regards.
Peut-on imaginer une structure, au sein de l'OMC, qui pourrait accueillir des représentants des ONG ?
La question est plus vaste. D'abord, même les gouvernements et par conséquent les ministres sont légitimes pour négocier, il faut néanmoins associer les représentants des Parlements. Parallèlement aux réunions des 136 représentants des pays membres de l'OMC, on doit pouvoir réunir régulièrement les parlementaires des pays membres pour qu'ils donnent leur avis sur telle ou telle question. Et bien sûr ceci est aussi valable pour les ONG. Nous pouvons imagier une structure qui soit réunie régulièrement. Elle pourrait donner son avis et discuter des sujets à l'ordre du jour de l'OMC. Il nous reste à définir la forme de cette structure. Le gouvernement français a très clairement dit qu'il souhaitait qu'on avance sur ce point.
Ne craignez-vous pas que les ONG et autres mouvements citoyens ne soient désormais braqués contre l'OMC au point de contester toutes ses initiatives ?
C'est justement pour cette raison que nous devons continuer le dialogue avec l'ensemble des représentants de la société civile, comme je l'ai fait avant, pendant et depuis Seattle. Il nous faut démontrer que la mondialisation telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, c'est-à-dire avec un certain nombre de dégâts, nécessite une régulation. Et c'est précisément l'OMC qui nous permettra d'humaniser et de réguler la mondialisation. Ce qui ne signifie pas que l'OMC ne doit pas travailler avec les autres organisations internationales. Mais il ne faut pas se tremper de cible et croire que l'OMC est là pour placer le commerce au-dessus de tout et considérer que les préoccupations commerciales doivent prendre le pas sur d'autres considérations. L'OMC est une instance jeune, et c'est là toute la difficulté.
A quand une nouvelle conférence ministérielle ?
Les élections américaines pèsent sur l'ouverture d'un nouveau cycle. Il n'est pas certain que les Etats-Unis, avec leurs préoccupations de politique intérieure, soient capables de trouver une attitude qui permette de réduire les divergences commerciales qui demeurent. Il faudra sans doute attendre 2001.
L'échec d'une seconde tentative de lancement d'un nouveau cycle pourrait-il signifier la fin de l'OMC ?
Ce serait un coup dur porté à l'OMC. Car si l'insuccès de Seattle n'est pas un drame, je pense qu'un second échec serait plus sérieux. Notamment du fait que nous agissons sous l'il de nos opinions publiques. Je le répète, les gouvernements doivent considérer les préoccupations légitimes des opinions publiques. Nous avons à les entendre et à ne pas les décevoir.
Recueilli par Vittorio de Filippis
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 10 avril 2000)