Conférence de presse conjointe de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les priorités de l'action internationale et européenne de la France, Paris le 24 octobre 2005.

Prononcé le

Texte intégral

Philippe Douste-Blazy - Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir pour cette deuxième conférence de presse, qui vise à vous présenter les positions de la France sur les grands sujets de politique internationale du moment.
Je souhaiterais, dans mes propos liminaires, aborder trois thèmes d'actualité :
- l'action de notre pays dans les enceintes internationales, qu'il s'agisse des Nations unies avec le dossier du rapport Mehlis, de l'UNESCO avec la Convention sur la diversité culturelle ou encore de l'OMC où notre pays doit faire preuve de vigilance pour faire prévaloir les acquis de la réforme de la PAC et éviter que la négociation n'aille au-delà des sacrifices déjà consentis.
- Notre engagement dans les principaux conflits : Irak, conflit israélo-palestinien, Côte d'Ivoire ou encore Balkans.
- Enfin, notre mobilisation dans le domaine humanitaire et sanitaire : je pense en particulier au Pakistan et aux évolutions actuelles de la grippe aviaire.
A propos du cadre multilatéral d'abord, trois dossiers méritent l'attention :
Les négociations en cours à l'OMC sont essentielles pour l'avenir du commerce international car elles visent un triple objectif : venir en aide aux pays en développement - le cycle de Doha doit être le cycle du développement, comme l'ont déclaré ses promoteurs -, relancer la croissance mondiale en permettant une ouverture accrue des marchés, notamment dans le domaine des services et de l'industrie, trouver enfin un compromis en matière d'agriculture qui valorise les efforts considérables accomplis par l'Union européenne avec la réforme de la PAC.
Face à ce triple but, la situation actuelle nous préoccupe : on ne parle plus beaucoup de développement pour le moment à Genève ; l'équilibre entre les différentes corbeilles de la négociation - industrie, services, agriculture... - semble rompu et la Commission a proposé, dans le domaine agricole et sans concertation préalable avec les Etats membres, des offres en matière d'accès au marché, c'est-à-dire sur les droits de douane, qui vont, de notre point de vue, au-delà du mandat défini par la réforme de la PAC de 2003.
C'est la raison pour laquelle nous avons demandé une réunion spéciale du Conseil Affaires générales pour rappeler les lignes de conduite en ce domaine. Cette réunion a été très utile de notre point de vue :
- Nous avons pu renouveler à 25 l'engagement que la réforme de la PAC constitue la contribution finale de l'Europe aux négociations de Doha : toute la réforme mais rien que la réforme ;
- Il a été également réaffirmé, de la manière la plus claire possible, que la Commission a reçu un mandat des Etats membres, qu'elle doit s'y tenir et rendre compte régulièrement au Conseil, si nécessaire en tenant des consultations techniques avec les Etats membres quand une différence d'analyse peut apparaître. C'est ce qui a eu lieu mercredi dernier à Genève à propos de l'accès au marché et ce type de concertation doit avoir lieu chaque fois que nécessaire.
- Il a enfin été rappelé qu'un mandat existait, qu'il relevait de la seule décision des Etats membres et que ceux-ci conservent, tout au long de la négociation, un rôle politique de contrôle.
Nous allons donc poursuivre notre dialogue avec la Commission, avec le souci de faire prévaloir la vision du cycle de Doha telle qu'elle a été définie par le Conseil. Personne ne doit douter de notre vigilance en ce domaine.
Le rapport Mehlis enfin : il a été rendu public jeudi soir à New York et va faire l'objet d'un premier débat au sein du Conseil de sécurité, demain mardi.
Comme vous le savez, la communauté internationale est pleinement mobilisée depuis l'adoption de la résolution 1595 pour aider le gouvernement libanais à faire toute la lumière sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Je souhaite rendre hommage à l'indépendance, au professionnalisme et à l'impartialité de la Commission Mehlis. Je salue le travail considérable qu'elle a effectué, avec la pleine coopération du gouvernement libanais dont il faut saluer également la détermination à faire avancer la justice dans son pays.
Nous avons étudié avec beaucoup d'attention le contenu de ce rapport qui représente un travail patient et sérieux. Il apporte nombre d'éléments permettant de mieux appréhender la vérité sur la mort de Rafic Hariri qui avait suscité la condamnation de tous les Libanais comme de tous les membres de la communauté internationale.
Ce rapport avance deux conclusions principales :
- l'attentat contre l'ancien Premier ministre libanais est un crime politique, perpétré dans le cadre d'une organisation très complexe. L'ampleur de la préparation et le nombre des complicités qu'il a nécessité conduisent la commission à considérer qu'il n'a pu l'être sans l'accord ou l'implication d'un certain nombre de responsables sécuritaires libanais et syriens ;
- Deuxièmement, le rapport relève l'"absence de coopération effective", voire même des tentatives de manipulation de la part des autorités syriennes dans le cadre de l'enquête.
Face à ce double constat, la France entend faire prévaloir la recherche de la vérité et l'application de la justice. Au Conseil de sécurité, elle agira par conséquent avec un double souci :
- poursuivre d'abord l'enquête : nous approuvons pleinement la décision du Secrétaire général de prolonger le mandat de la commission jusqu'au 15 décembre ; il faut, en particulier, donner au juge Mehlis tous les moyens pour faire avancer, le plus efficacement possible, ses investigations. Par ailleurs, il sera nécessaire, le moment venu, d'aider la justice libanaise à aller jusqu'au bout de cette enquête, si les autorités de ce pays en font la demande.
- Exiger, d'autre part, des autorités syriennes qu'elles apportent toute leur coopération à cette enquête et s'engagent à collaborer pleinement avec la Commission Mehlis.
C'est autour de ces deux lignes directrices que la France souhaite, pour sa part, que les travaux du Conseil de sécurité s'engagent et permettent d'aboutir rapidement à un accord sur un texte de résolution dont nous espérons qu'il pourra être adopté à l'unanimité.
La Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle a été adoptée jeudi dernier par 148 voix contre 2 et 4 abstentions, ce qui n'est pas une mince victoire. A l'UNESCO, l'objectif poursuivi par ce texte est important : il garantit, dans le domaine de la culture, la liberté des Etats de définir et de mener des politiques pour préserver la diversité de leurs expressions culturelles.
En tant qu'ancien ministre de la Culture, je mesure aujourd'hui la satisfaction des professionnels du cinéma, de la musique et de l'édition. Le mandat pour la diversité culturelle relève d'une longue et ancienne mobilisation des autorités françaises et en particulier du président Jacques Chirac. Ce succès démontre que cette cause trouve aujourd'hui un écho de plus en plus large.
C'est grâce à son unité et à son action résolue que l'Union européenne a fait adopter ce texte qui inscrit dans le droit international le fait que les uvres culturelles ne peuvent pas être assimilées à des marchandises. C'est un succès pour l'Europe, mais aussi pour les pays francophones, qui se sont mobilisés pendant trois ans pour promouvoir leur conception d'un monde où la diversité doit avoir sa place.
Je tiens d'ailleurs à saluer à ce propos l'action déterminée du président Abdou Diouf, secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui a joué un rôle déterminant dans la mobilisation des Etats francophones. Il appartient désormais à chaque Etat membre de ratifier la convention dans les meilleurs délais de façon à ce qu'elle entre en vigueur le plus rapidement possible. Trente ratifications sont nécessaires pour une telle entrée en vigueur. La France y prendra toute sa part. C'est un élément majeur, la culture ne se définit que grâce aux autres cultures.
Je souhaiterai à présent aborder rapidement certains des conflits qui continuent d'affecter la vie internationale.
Au Proche-Orient, nous l'avons dit à Mahmoud Abbas lors de sa récente visite à Paris, la France entend continuer à apporter tout son soutien à l'Autorité palestinienne pour qu'elle ait les moyens de passer le cap décisif du retrait de Gaza. Mais nous devons, dans le même temps, nous mobiliser pour qu'un processus politique menant à la création d'un Etat palestinien, viable et vivant côte à côte avec l'Etat d'Israël dans la paix et la sécurité, se mette en place rapidement dans le cadre de la Feuille de route.
Nous devons donc réfléchir activement aujourd'hui aux moyens de réactualiser le calendrier de la Feuille de route qui doit rester notre document de référence parce qu'il pose de manière claire les conditions de l'établissement d'une paix juste et durable : il est important, d'une part, de parvenir au gel de la colonisation et à la conformité de la barrière de sécurité avec le droit international afin de ne pas entraver la création de l'Etat palestinien ; il faut, d'autre part, que cessent les actes de violence perpétrés par les groupes radicaux palestiniens. La France, pour sa part, en appelle à toutes les parties pour faire preuve de retenue. Elle reste disposée pour apporter avec l'Union européenne sa contribution à la sécurité et au développement économique dans cette région.
En Irak, le référendum constitutionnel qui a été organisé en Irak le 15 octobre 2005 est une étape supplémentaire dans le processus politique engagé, conformément à la résolution 1546.
Ce scrutin s'est déroulé dans des conditions satisfaisantes sur le plan de la sécurité et a mobilisé un nombre important d'électeurs, notamment au sein de la communauté sunnite. Nous attendons maintenant les résultats définitifs de ce scrutin.
Au-delà, il est important de surmonter le divorce croissant entre un processus politique qui suit son cours et une situation préoccupante sur le terrain, caractérisée par des actes de violence quotidiens et par la montée des tensions entre les différentes communautés. C'est la raison pour laquelle la France a plaidé pour la tenue d'une nouvelle conférence internationale, réunissant à la fois toutes les forces politiques irakiennes et les pays voisins, afin de garantir l'unité et la souveraineté de l'Irak. Je note que la Ligue arabe prend actuellement les contacts nécessaires en vue de convoquer une telle conférence.
Plus que jamais, l'objectif de la France est de permettre au peuple irakien de retrouver la pleine maîtrise de son destin. C'est dans cet esprit que nous entendons prendre toute notre part dans les prochains travaux du Conseil de sécurité qui devront définir la suite du processus politique au-delà de l'actuelle résolution 1546.
En Côte d'Ivoire, nous entrons désormais dans la phase la plus délicate et la plus exigeante, celle de la mise en uvre complète des engagements pris par les parties ivoiriennes depuis trois ans : des élections libres, transparentes et ouvertes à tous, le désarmement des forces rebelles et le démantèlement des milices, le retour de l'administration nationale sur l'ensemble d'un pays aujourd'hui coupé en deux. La possibilité pour le plus grand pays francophone d'Afrique de l'Ouest de faire l'économie de la guerre civile ou de l'enlisement durable se fonde d'abord sur la sincérité réelle des responsables politiques ivoiriens à respecter leurs engagements et ensuite sur la détermination de la communauté internationale et en particulier des Nations unies à accompagner la mise en oeuvre de ces engagements.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 21 octobre la résolution 1633 qui confirme les décisions prises par l'Union africaine à Addis-Abeba le 5 octobre : report d'un an au maximum des élections présidentielles ; maintien du président Gbagbo et mise en place d'un nouveau Premier ministre, acceptable pour toutes les parties, avec pleine autorité sur son gouvernement et mission de préparer les élections et de réaliser le désarmement.
Adoptée à l'unanimité, cette résolution confie aux Nations unies un rôle essentiel pour accompagner et garantir le bon déroulement de cette phase cruciale dans la crise. Il importe que les responsables politiques ivoiriens respectent leurs engagements et coopèrent résolument et en confiance avec les Nations unies.
C'est dans ce cadre que la France, présente sur le terrain sous mandat des Nations unies, et membre permanent du Conseil de sécurité, continuera à jouer tout son rôle.
Dans les Balkans enfin, où le Kosovo va revenir progressivement au cur de l'actualité internationale.
L'ambassadeur norvégien, M. Eide, mandaté par Kofi Annan, vient de rendre son rapport sur la situation dans cette province. Son évaluation était le préalable à un éventuel lancement des négociations sur le statut du Kosovo, placé depuis 1999 sous administration de l'ONU.
Ce rapport est, de notre point de vue, excellent. Il souligne les progrès accomplis, mais également - et surtout - ceux qui restent à accomplir, notamment dans le domaine très sensible et auquel je suis particulièrement attentif, de la protection des minorités. Sur la base de ce rapport, nous soutenons la recommandation de lancer les négociations sur le statut du Kosovo.
Cette négociation sera longue et difficile, tant les aspirations des Serbes et des Kosovars albanais sont différentes. C'est pourquoi il est essentiel à nos yeux que les deux parties acceptent de s'engager de façon constructive et durable dans ce processus.
C'est pourquoi aussi nous ne voulons, à ce stade, pas préjuger de la forme que prendra le futur statut du Kosovo. Plusieurs options existent, d'une grande autonomie à une certaine forme d'indépendance. C'est justement l'objet des négociations que de progresser vers une solution aussi consensuelle que possible.
En tout état de cause, et quelle que soit l'appellation du futur statut, il sera fondamental qu'il s'inscrive dans une perspective européenne, en respectant les normes et les valeurs qui sont celles de la famille européenne, qu'il préserve la stabilité de la région des Balkans, et qu'il protège strictement les droits des minorités.
Reste un dernier chapitre sur lequel je conclurai ces remarques liminaires, celui de la grippe aviaire et des grandes catastrophes naturelles. Face à ces phénomènes, il est clair que l'Union européenne doit, à l'avenir, jouer un rôle plus ambitieux pour mieux se mobiliser et développer à la fois une capacité de réaction rapide et des moyens de coopération plus efficaces. La France entend être à la pointe de cette action européenne qui permettra de renforcer l'influence de l'Europe dans le monde.
Face à l'épizootie de grippe aviaire, la transparence et la vigilance s'imposent à tous les pays. Une coopération internationale est indispensable afin de contrôler l'avancée de la pandémie en Europe et maintenir une mobilisation à la hauteur du danger.
Les appels lancés par la France pour un renforcement de la coordination européenne commencent à produire leurs effets; je me réjouis des conclusions du dernier Conseil européen des Affaires générales du 18 octobre, où le point grippe aviaire a été ajouté à notre demande. Je suis satisfait de noter que l'Union européenne va se doter très vite d'un plan d'action européen qui assurera une meilleure cohérence entre les actions mises en oeuvre par chacun des Etats membres.
La réunion informelle des ministres européens de la Santé qui vient de se tenir à Londres, les 20 et 21 octobre, a été une nouvelle étape dans cette action européenne. Des décisions importantes y ont été prises, notamment pour assurer la protection des populations face à un risque toujours possible de pandémie humaine.
Nous allons avoir, dans quelques jours, une réunion capitale à Genève, autour des trois institutions qui sont en première ligne pour la lutte contre la grippe aviaire : l'OAA/FAO, l'OIE et l'OMS. Les pays européens riches veulent-ils donner des informations mondiales de lutte contre l'épizootie ? Va-t-on être capables de donner de l'argent aux pays les plus pauvres, en particulier Africains et Asiatiques, pour prévenir un éventuel risque de mutation du virus ? Allons-nous être capables de donner plus pour la santé publique et pour la santé vétérinaire ?
La catastrophe humanitaire, qui fait suite au tremblement de terre, exige, là encore, la mobilisation de tous, Union européenne comme le reste de la communauté internationale, pour répondre au terrible défi qui se présente à nous.
Rappelons les chiffres : au Pakistan, 49.000 morts, 74.000 blessés et près de 3 millions de personnes déplacées. Muzaffarabad, capitale du Cachemire pakistanais - 80.000 habitants - est détruite à près de 80 %. En Inde : le bilan se stabilise autour de 1.400 morts, 6.000 blessés et environ 16.000 personnes touchées.
Après l'intervention d'urgence pour secourir les victimes directes du tremblement de terre, nous devons intervenir maintenant pour éviter qu'une nouvelle catastrophe humanitaire ne touche les 3 millions de sans abri. Un pont aérien a été mis en place par l'OTAN. La France y participe tant au niveau des avions de transport tactique de l'armée de l'air qu'au niveau du commandement de la composante aérienne.
Par ailleurs, la France, qui a acheminé dans les tous premiers jours des équipes médicales et 200 tonnes de fret humanitaire, procède actuellement à la relève de ces médecins par de nouvelles équipes en provenance des ONG.
Après le tsunami, cette catastrophe repose avec acuité la question d'une capacité de réaction rapide de l'Union européenne. Nous avons plaidé, la semaine dernière à Bruxelles, pour que ce sujet soit traité de façon approfondie au Conseil Affaires générales de novembre. La France fera des propositions très précises dans ce domaine.
Ce qui se joue ici, c'est la capacité de l'Union européenne à faire face avec rapidité et efficacité aux grandes épidémies et aux catastrophes naturelles. Il faut que l'Europe soit en mesure d'apporter son aide sans délai au cur de ces catastrophes et trouve sa place naturelle à côté des autres grandes institutions internationales. Il en va de son rôle et de son influence sur la scène internationale. Par là-même, le défi sanitaire et humanitaire est devenu un défi politique pour l'Union européenne. Le président de la République Jacques Chirac s'attache à cette force d'action rapide.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire au sujet des principales questions internationales.
Je cède à présent la parole à Catherine Colonna qui va évoquer devant vous les sujets plus particulièrement liés à l'Union européenne. Puis nous répondrons ensemble à vos questions.
Catherine Colonna - Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Après Philippe, qui vient de faire un tour d'horizon très complet de l'actualité internationale, je voudrais vous parler de l'action européenne du gouvernement.
Nous savons qu'il nous faut davantage faire l'Europe pour les citoyens, c'est-à-dire répondre à leurs attentes et à leurs préoccupations ; mais aussi faire l'Europe davantage avec les citoyens, c'est-à-dire mieux les associer aux décisions que nous prenons et qui les concernent.
Le gouvernement s'y emploie depuis le premier jour, depuis son installation. Je reviens brièvement sur ces deux points.
Dans le contexte actuel, ce dont les citoyens européens ont besoin, c'est d'une Europe qui les aide, une Europe des projets et des politiques concrètes, une Europe politique et solidaire à la fois, une Europe qui ne se trompe pas sur les vrais enjeux.
Quels sont ces enjeux ? Le plus important est la croissance et l'emploi. Le président de la République l'a à nouveau rappelé lors de son déplacement, jeudi dernier, à Lyon.
Dans ce domaine, les Etats ont en la matière une responsabilité certaine, la première, mais l'Europe constitue également un cadre d'action efficace pour accroître la compétitivité de nos économies et pour favoriser la croissance au service de la cohésion sociale, ce qui est notre objectif.
Je souhaite que nous sachions davantage promouvoir l'économie européenne en utilisant les outils que nous avons su créer, qui sont à notre disposition et que parfois nous n'utilisons pas suffisamment. Il faut mettre en place une meilleure coordination des politiques économiques, ce pour quoi la France plaide depuis longtemps. Il faut également renforcer à l'échelle de l'Europe nos efforts collectifs en matière de recherche et d'innovation, de politique industrielle, de politique énergétique, si nous voulons relever les grands défis de demain.
Seconde grande préoccupation de nos concitoyens : la sécurité. Philippe vient de vous en parler à propos de la grippe aviaire. Mais l'Europe agit déjà dans beaucoup d'autres domaines : environnement, sécurité civile, des choses ont déjà été faites mais doivent être poursuivies, lutte contre l'immigration clandestine, contre la grande criminalité ou contre le terrorisme. A nous tous de savoir utiliser davantage ce que l'Europe nous offre pour une meilleure protection.
Dans le calendrier européen, le Conseil européen informel qui se tiendra dans trois jours à Hampton Court, près de Londres, sera l'occasion d'aborder la plupart de ces sujets, qui sont autant de défis pour l'Europe à l'heure de la mondialisation. Ce rendez-vous est important. C'est en effet la première fois que les chefs d'Etat ou de gouvernement, donc les dirigeants européens, se retrouveront depuis le dernier Conseil européen des 16 et 17 juin dernier c'est-à-dire depuis l'échec à trouver un accord sur le budget de l'Union européenne et il ne fait pas de doute que les citoyens européens seront légitimement très attentifs au bon déroulement de ce sommet et aux orientations qui pourront en être dégagées. La France se rendra à ce Conseil dans un esprit constructif, avec la volonté d'aider la présidence pour faire de ce rendez-vous une réussite et n'en doutez pas de tracer des directions pour l'avenir.
Mais j'ai aussi souvent rappelé qu'il faut construire l'Europe autrement. En informant mieux nos concitoyens et en les associant mieux aux décisions qui les concernent. C'est ainsi que nous casserons cette image qui parfois existe d'une Europe parfois lointaine, éloignée des citoyens, désincarnée. Que ne dit-on pas sur Bruxelles ? Bruxelles, c'est nous, ce sont nos Etats, ce sont nos pays !
Des décisions ont déjà été prises dans ce domaine, pour permettre au Parlement de se prononcer sur davantage de textes européens ou pour offrir aux parlementaires qui le souhaiteraient des sessions de sensibilisation aux problématiques européennes à Strasbourg et à Bruxelles. C'est une action validée en Conseil interministériel que notre collègue Henri Cuq et moi-même avons proposée au président de l'Assemblée nationale et au président du Sénat. J'espère qu'un premier déplacement aura lieu dans les prochaines semaines.
Mais le président de la République a aussi demandé que les collectivités locales, les organisations syndicales, les partenaires sociaux et la société civile soient davantage associés aux processus de décision européens.
Nous avons donc réfléchi à un dispositif et fait des propositions concrètes au Premier ministre, qui les évaluera et les transmettra au président de la République. J'espère que ce point sera à l'ordre du jour de notre prochain comité interministériel sur l'Europe, à Matignon.
Nous réussirons si nous parvenons à entretenir un dialogue sur l'Europe, si nous nous efforçons, à chaque échelon, d'informer, d'expliquer, mais aussi d'écouter et de dialoguer avec nos compatriotes. Il y a eu un grand débat sur le référendum, ne le laissons pas retomber ! Je m'emploie à le faire modestement dans tous les déplacements que j'effectue sur notre territoire. Je souhaiterais en faire davantage. En effet, ce n'est pas en restant silencieux que nous saurons à nouveau convaincre, mais c'est en parlant concrètement de l'Europe, de ce qu'elle nous apporte, de ce qu'elle fait ou de ce qu'elle ne fait pas. C'est comme cela que l'on retrouvera l'adhésion de nos concitoyens.
Il faut aussi utiliser largement Internet, à la fois pour diffuser des informations sur l'Europe et comme forum de débats. Il a ainsi été décidé, lors du Comité interministériel sur l'Europe de septembre dernier, de créer bientôt un nouveau site portail interactif sur l'Europe.
J'ai aussi pu commencer une série de rencontres avec les partenaires sociaux pour écouter leurs préoccupations et recueillir leurs propositions. Je poursuivrai ces rencontres cette semaine. Je ne voyais pas en effet de bonne raison pour laquelle je verrais les syndicats au Danemark ou en Finlande et pourquoi je ne les verrais pas à Paris, dans notre pays. Ce n'était pas l'habitude mais j'ai commencé ces entretiens et j'espère qu'ils seront réguliers. Ceux que j'ai déjà vus sont d'accord. Par ailleurs, demain, je serai au Conseil économique et social pour parler du programme national de réformes (PNR), c'est-à-dire la stratégie française de croissance et d'emploi, la déclinaison nationale de la stratégie de Lisbonne que le Conseil européen de mars dernier avait demandé aux Etats membres de traduire plus concrètement dans leurs propres politiques nationales. Sur ces sujets, comme sur tant d'autres, il est essentiel de mener un dialogue approfondi avec tous les acteurs concernés.
Parlons d'Europe au-delà du cercle habituel des spécialistes. Vous avez aussi votre responsabilité pour nous aider à réussir.
Q - La Syrie ne partageant pas votre point de vue sur le rapport Mehlis dont vous venez de nous parler, dans la résolution que vous préparez pour la soumettre au Conseil de sécurité, allez-vous coupler l'appel à la Syrie pour coopérer et des sanctions automatiques comme les Américains le souhaitent, ou bien la France opterait-elle plutôt pour des sanctions qui frapperaient les personnes citées dans le rapport Mehlis ?
Philippe Douste-Blazy - Je comprends bien que l'on puisse penser que tout cela ne forme qu'un, mais en réalité, nous sommes devant un sujet très précis qui est celui d'une enquête criminelle. C'est donc une affaire de justice. Lorsque la résolution 1595 a été votée par le Conseil de sécurité, c'est bien une commission pour une enquête criminelle qui a été demandée. Elle a été demandée à un très grand juge, qui est très sérieux et très déterminé comme je l'ai dit, et qui a fait ses preuves et qui continue à les faire. Nous voulons que la justice passe, toute la justice, rien que la justice. Il n'y a pas d'arrière-pensée politique, il y a uniquement une nécessité qui est de punir ceux qui ont décidé de tuer le Premier ministre libanais, Rafic Hariri.
A partir de là, nous pensons que l'unité de la communauté internationale doit se faire sur un problème de justice. Je ne vois pas pourquoi un pays ou un autre mettrait en doute une commission indépendante. Bien sûr, la France souhaite marquer de toutes ses forces cela, montrer qu'il s'agit d'un problème de justice et ensuite, en effet, cela concernera le Conseil de sécurité, parce que M. Mehlis reviendra devant le Conseil de sécurité une fois qu'il aura continué son enquête et en particulier sur la coopération, comme je viens de le dire, avec la Syrie.
Puisque le précédent rapport montre qu'il y a une très faible coopération, que la Syrie n'a pas coopéré avec la commission, il est important de savoir, à la suite de la poursuite de cette enquête, si la Syrie coopère ou pas. Si elle ne coopère pas, M. Mehlis en fera part au Conseil de sécurité et là, il y a aura des suites. Mais, dans un premier temps, il ne faut que la justice, rien que la justice.
Q - (A propos de la présentation d'un projet de résolution)
Philippe Douste-Blazy - Nous commençons mardi la réunion du Conseil de sécurité, je ne vais pas en parler en avance. Il y a déjà quelque chose qui me paraît important, c'est que cela commence au niveau du Conseil de sécurité mardi. Il y aura une discussion entre les différentes délégations et je viens de répondre très précisément sur quel sujet nous voulons concentrer nos efforts, notre réflexion et éventuellement, bien sûr sur les conséquences.
Ensuite, il y aura bien évidemment une réunion des ministres, à un moment donné, nous verrons qui appuie la résolution mais pour l'instant, la discussion n'a pas encore commencé.

Q - La France et les Etats-Unis, depuis le début, étaient ensemble sur cette question. Nous formions une belle unité et dites-moi si je me trompe mais, maintenant, nous avons l'impression que l'approche est différente. En ce moment, discutez-vous spécialement avec les Américains ? Va-t-on proposer une résolution commune, co-parrainée par les Français et les Américains, comme c'est le cas depuis le début dans cette histoire ? Et s'il y a une différence, où se trouve-t-elle ? Est-ce uniquement sur ces questions de sanctions ? On entend dire que les Etats-Unis veulent condamner la Syrie plus globalement, notamment dans son rôle avec le terrorisme ?
Philippe Douste-Blazy -Dans la phase actuelle, il est normal que chacun réfléchisse à de possibles initiatives et à des textes de résolution. La France entend prendre toute sa place dans ce processus. Nous avons eu ce rapport pour lequel nous sommes en train de définir une ligne à partir de ses conclusions. Ce qui importe, c'est l'objectif, c'est-à-dire que la commission puisse aboutir à un résultat, que les enquêtes puissent se poursuivre et que nous parvenions à identifier et à traduire en justice les auteurs de cet attentat. Les moyens pour parvenir à cet objectif restent encore à discuter. Nous avons relevé des passages très clairs, que je cite:
"On peut raisonnablement penser que la décision d'assassiner l'ancien Premier ministre Hariri n'aurait pu être prise sans l'approbation de responsables de haut niveau de la sécurité syrienne et n'aurait pu être organisé sans la complicité de leurs homologues des services de sécurité libanais", paragraphe 123 du rapport.
Au paragraphe, 203, je cite : "Il y a des preuves convergentes, montrant à la fois l'implication libanaise et syrienne dans cet acte terroriste", je cite le rapport seulement.
Au paragraphe 206, je cite : "La Commission conclut que l'enquête doit être menée plus avant par les autorités judiciaires et la police du Liban".
Nous n'avons pas de différence sur ce sujet avec les Américains. Nous souhaitons, depuis le début, que la résolution 1595 soit une priorité, nous l'avons dit à Mme Rice. Nous l'avons dit aux Américains et en particulier à Mme Condoleezza Rice lorsqu'elle est venue ici rencontrer le président. Vous avez eu raison de dire qu'aujourd'hui, il y a une sorte de vision commune sur la nécessité de faire de la justice à partir de la Commission Mehlis.
Ensuite, en effet, il y a une sorte de stratégie par rapport à la question précédente : soit nous nous concentrons sur cette Commission Mehlis, ou nous nous tournons en priorité vers la résolution 1559 par exemple. Nous souhaitons qu'il puisse y avoir, maintenant, une réunion du Conseil de sécurité sur le rapport Mehlis.
Je voudrais aussi vous dire que le rapport de M. Roed-Larsen, qui concerne la résolution 1559, va être présenté.
En ce qui concerne la Commission Mehlis, il n'y a pas de divergence, il y a simplement une forte affirmation de la France disant que nous avons là une opportunité de faire justice avec une commission d'enquête indépendante. Alors, allons jusqu'au bout de cette commission d'enquête et s'il faut la prolonger, faisons-le.
Ensuite, tirons-en les conséquences, y compris dans la question qui a été posée tout à l'heure sur les sanctions. Regardons d'abord ce qui se passe, ne donnons pas l'impression d'une quelconque arrière-pensée politique, privilégions l'Etat de droit. Si vous restez sur le droit, l'unanimité de la communauté internationale sera là, y compris de certains pays arabes, car le droit, c'est le droit.
Q - Condoleezza Rice a demandé une réunion entre ministres des Affaires étrangères pour le Conseil de sécurité. Comptez-vous répondre à son appel ? Irez-vous à New York et quand ?
Philippe Douste-Blazy -Bien évidemment, nous sommes présents au Conseil de sécurité. Il y aura une réunion ministérielle bien sûr, il est très important que cette réunion ministérielle se fasse à la suite des concertations entre les différentes délégations, comme il se doit. Bien sûr je m'y rendrai.
Q - Permettez-nous de revenir sur ce que vous disiez tout à l'heure. La résolution 1595 a déjà appelé tous les pays, dont la Syrie, à coopérer avec la Commission Mehlis. Or, le rapport Mehlis constate que la Syrie n'a pas coopéré. Quelles seraient les raisons qui amèneraient la Syrie à coopérer maintenant alors qu'elle ne l'a jamais fait par le passé ? Quels moyens comptez-vous utiliser pour l'amener à coopérer ?
Philippe Douste-Blazy - Très simplement, M. Mehlis pense qu'il faut qu'il continue. Il est absolument nécessaire qu'il fasse le travail jusqu'au bout. C'est le travail de la justice et donc, laissons-le faire et profitons-en d'ailleurs pour demander à la Syrie de coopérer. Vous me dites qu'elle ne l'a jamais fait, donc elle ne le fera pas. Très bien ! M. Mehlis nous le dira. Et c'est proche, il n'y a pas besoin de beaucoup de temps, demain, quelques jours, il a, je crois, parlé du 15 décembre, c'est demain, c'est très proche. Donnons cette impression-là, ne donnons pas l'impression de faire de faux procès. Ensuite, les sanctions seront à la hauteur des résultats de la Commission Mehlis, c'est tout à fait normal.
Q - Le rapport Mehlis indique qu'il y a une implication directe de l'entourage du président de la République libanaise dans l'assassinat du Premier ministre, cela vous paraît-il normal que le pays continue de fonctionner dans un tel cas de figure ?
Philippe Douste-Blazy - Cette commission est internationale, elle est indépendante, elle conduit ses travaux à partir de son mandat défini par la résolution 1595 qui prévoit que tous les pays doivent coopérer à la conduite de cette enquête. Ensuite, si elle adresse une demande d'audition ou d'entretien à telle ou telle personne qu'elle souhaite entendre, nous n'avons pas à appuyer cette demande en particulier ou non. C'est à la commission d'apprécier, sachant qu'il y a une obligation de coopération qui s'impose à tous les pays.
C'est la raison pour laquelle, en répondant directement à votre question, nous souhaitons, puisque l'enquête continue, que la Syrie coopère. Si elle ne le fait pas, il faudra évidemment en tirer les conclusions. Vous me parlez d'une commission d'enquête criminelle et vous aboutissez à la légitimité d'un pouvoir, mais ce n'est pas la même chose.
Sur le pouvoir libanais, lorsque l'on regarde les résultats de la commission d'enquête criminelle aujourd'hui, il y a un satisfecit et il est évident que nous demandons au Liban d'aller peut-être encore plus vite dans les réformes qu'il doit réaliser. Nous l'avons félicité sur les réformes économiques et politiques qu'il a faites. Nous lui avons demandé de procéder à un véritable désarmement du Hezbollah. Reste qu'il y aura un certain nombre de personnes qui seront nommés, pour être suspectes, dans le cadre du rapport Mehlis. C'est évident, qu'ils soient Libanais, Syriens ou autre, qu'ils auront à répondre, si cela est le cas, devant la justice, y compris les personnes dont vous parlez.
Q - Concernant l'Europe, que peut-on attendre du Sommet de Londres jeudi prochain ? M. Blair a fait de grandes déclarations en juillet dernier, annonçant un programme de la présidence britannique très ambitieux. Deux mois après, il n'y a pas grand chose, et le thème du sommet semble être comme un fourre-tout où l'on parlera d'immigration, des problèmes Mandelson, OMC et Commission. On ne comprend pas exactement ce que l'on va faire à Londres ni ce que l'on attend de Londres.
Philippe Douste-Blazy - Je vous dis d'abord un mot global et ensuite, je laisserai la parole à Catherine Colonna qui connaît tout cela bien mieux que moi.
Il y a une crise institutionnelle évidemment depuis le référendum du 29 mai en France et celui des Pays-Bas - le "non" à la Constitution l'a emporté dans ces deux pays. La France se rend à ce sommet, Catherine Colonna l'a dit, non seulement avec confiance mais pour qu'il réussisse. Vu l'ordre du jour, quelle pourrait être la réussite ? Je crois que l'Europe doit, plus que jamais, confirmer sa spécificité. En effet, tout faire pour avoir un point et demi de croissance de plus qu'aujourd'hui, ce qui la différencierait des Etats-Unis. Cela me paraît fondamental et c'est là où, en effet, le modèle social européen est important, cet équilibre entre compétitivité des entreprises, droit du travail et protection sociale.
Où mettre le curseur ? C'est un élément majeur que nous devons nous poser dans l'avenir, quelle place pour l'Union européenne demain. C'est ce curseur-là.
Deuxièmement, sur le plan plus spécifique, c'est en effet l'idée que M. Blair avait annoncée au Conseil à Luxembourg, qui est celle qu'il y ait, en effet, liées à la croissance, les dépenses de l'Europe de demain, d'avenir, de croissance et de recherche. La France avait accepté, dans la nuit du 17 juin, un compromis à partir de la proposition de la Présidence luxembourgeoise. Je sais qu'à Hampton Court, il n'y aura pas de discussions sur le paquet budgétaire, je le sais. Mais nous espérons de tout cur qu'avant le 1er janvier, sous présidence britannique, il y ait un accord budgétaire.
Pour avoir un accord sur le paquet 2007-2013, il faut déjà savoir ce que l'on veut faire. Nous avons déjà dit ce que nous pensions du paquet 2007-2013 sur la PAC, les réformes sont faites, il n'est pas question de modifier la PAC ; par contre, le paquet luxembourgeois a présenté l'idée d'avoir 30, 32 % de plus de dépenses d'avenir, de croissance et de recherche.
La BEI avait accepté l'idée d'un emprunt, 10 milliards d'euros, là il y a des pistes. La France ne demande pas mieux que d'accompagner cette idée de dépenses du futur, de dépenses de recherche, de préparer l'avenir, de prendre ce point et demi de croissance.
Maintenant, c'est le président de la République qui va s'exprimer lui-même, et qui va mener la délégation puisque c'est lui qui s'y rend.
Catherine Colonna - Je terminerai, quoique l'essentiel ait été dit, donc qu'ajouter de plus ? D'abord, merci de cette question sur l'Europe puisque je vous rappelais vos responsabilités en introduction, donc merci. Si cela continuait, j'aurais été tentée de parler de sujets qui ne sont pas de ma compétence. Quoique sur le commentaire de Thomas, que j'ai entendu ce matin, ce n'est pas une compétence européenne mais il s'agit de la France et je veux en parler.
Je ne suis pas d'accord avec le commentaire que vous avez fait, avec tout le respect que j'ai pour votre liberté entière et absolue. La France n'a pour habitude ni de s'opposer au droit, ni de s'opposer à la justice. Et comme l'a dit Philippe Douste-Blazy, la réponse passe par le Conseil de sécurité.
Le ministre a dit l'essentiel et je m'étais efforcée également de tracer quelques directions. Ce que nous attendons de la Présidence, c'est qu'elle mène les travaux du Conseil européen informel, de façon à permettre de dégager un consensus sur les grands objectifs permettant à l'Europe de répondre de façon forte et équilibrée tout à la fois, au défi de la mondialisation.
Quel est son rôle ? Quelle est sa place dans la mondialisation ? Toutes nos sociétés occidentales sont confrontées au même défi, comment concilier davantage de dynamisme économique dont nous avons besoin, comment avoir davantage de croissance, donc d'emplois, tout en restant fidèles à nos valeurs européennes, tout en confortant la dimension sociale de l'Union européenne. Ce qui passe aussi par le rappel de l'esprit de solidarité et de l'exigence d'harmonisation en Europe.
Il ne s'agit pas d'opposer tel modèle à tel autre. Ce n'est pas dans un affrontement que nous trouverons les solutions. Au contraire, c'est tous ensemble, puisque nous sommes confrontés aux mêmes défis, que nous pouvons essayer de regarder, chez les uns ou chez les autres, quels enseignements il faut tirer de telle ou telle expérience. C'est dans cet esprit, je le disais, constructif et de coopération et de soutien des efforts de la Présidence que la France, le président de la République se rendra à Hampton Court pour que ce Conseil, même si c'est un conseil informel, même s'il ne dure qu'une journée, même s'il n'est pas destiné à prendre des décisions, puisse permettre, d'une part, un débat utile, un débat de fond, et permettre d'autre part de dégager les grandes orientations sur ces questions. C'est-à-dire, ce que nous faisons pour que l'Europe soit davantage un cadre de développement économique, tout en restant attachée à sa dimension sociale, ce que nous faisons pour la recherche et l'innovation qui sont les emplois de demain. Et les emplois de demain, il faut en jeter les bases aujourd'hui.
Sur la question de l'énergie, lorsque l'on voit le prix du pétrole, on se dit que l'Europe pourrait développer davantage sa réflexion et ses actions dans le domaine énergétique. Les défis auxquels nous sommes confrontés en matière de lutte contre l'immigration clandestine, mais aussi ce que nous devons faire pour le co-développement qui est l'une des façons d'y répondre.
Tous ces sujets sont à l'ordre du jour et ils ont en commun "quelle est la réponse de l'Europe à la mondialisation ?".
Espérons que la Présidence britannique sache faire en sorte que ce rendez-vous européen, le premier depuis l'échec du Conseil européen de juin, permette à l'Europe de trouver les moyens d'une nouvelle impulsion. Je ne peux pas le prédire mais voilà notre souhait.
Q - J'aurais souhaité que vous fassiez le point concernant les 7 alpinistes portés disparus dans le massif de l'Himalaya ? Pouvez-vous faire le point ? A-t-on bon espoir de les retrouver vivants et quels moyens avez-vous lancé pour les rechercher ?
Philippe Douste-Blazy - La mission de secours dépêchée hier pour essayer de localiser l'expédition portée disparue sur les pentes du mont Kang Guru a indiqué ce matin à notre ambassade que, compte tenu des caractéristiques de l'avalanche qui s'est abattue sur les 7 alpinistes français et leurs sherpas népalais, les chances de retrouver les survivants sont, malheureusement, très faibles. Une seconde mission de la Himalayan Rescue Association tente aujourd'hui de retrouver les 7 alpinistes et leurs sherpas. Nous sommes en contact permanent avec les familles, et comme indiqué hier, trois renforts rallient notre ambassade au Népal dont un officier du peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix qui apportera son concours aux opérations de recherches auxquelles les forces armées népalaises participent également.
En plus, je voudrais dire que deux spécialistes français de la haute montagne qui se trouve actuellement à Katmandou ont été mobilisés par notre ambassade.
Q - Je reviens sur l'Europe, la Commission européenne doit publier demain le rapport de suivi sur l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. Apparemment il n'y a pas eu de demande d'activer la clause de sauvegarde et de repousser l'adhésion dans l'année. Je voudrais savoir quelles sont les attentes de la France et si après la publication de ce rapport, vous allez déclencher la procédure de ratification du traité d'adhésion ?
Catherine Colonna - Madame, vous avez des informations que je n'ai pas sur le rapport de suivi de la Commission. Nous l'attendons, en effet, pour demain, 25 octobre et nous en tiendrons le plus grand compte. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons constaté que la Roumanie, comme la Bulgarie se préparent avec sérieux à l'adhésion, mais que le rapport précédent avait relevé un certain nombre de retards ou de lacunes.
Nous souhaitons, Philippe et moi, toutes les autorités françaises, que le chemin qui doit être suivi, soit suivi à bon rythme et donc que ce rapport permette de franchir une nouvelle étape dans l'adhésion de ces deux pays. Mais je n'en sais pas davantage sur le contenu du rapport. Il ne sera public que demain.
Q - Est-ce que la France est prête à faire usage de son droit de veto dans les négociations à l'OMC ?
Philippe Douste-Blazy - Nous n'en sommes pas là. La France a aujourd'hui clairement indiqué, en effet, qu'il est nécessaire d'avoir une négociation équilibrée entre quatre domaines, les trois classiques, c'est à dire l'agriculture, l'industrie, les services et le développement.
Deuxièmement, la France a indiqué que les chefs d'Etat et de gouvernement sont des hommes et des femmes politiques, alors que les commissaires négocient au nom de l'Union européenne, en vertu d'un mandat donné par le Conseil ; donc dans un cadre organisé. Nous avons pensé que sur certains sujets, en particulier agricoles et de frais de douane, M. Mandelson, et d'autres, avaient outrepassé leur mandat. Nous lui avions fait cette remarque, il nous a répondu. Je suis très heureux qu'il ait accepté qu'il y ait systématiquement des experts, que nous parlions entre experts, les experts de la Commission, les experts du Conseil.
A partir de là, la confiance est revenue et nous verrons dans les jours qui viennent, nous surveillerons, nous regarderons l'évolution.

Q - Sur l'Europe, est-ce que la stratégie retenue par la France de souvent attaquer la Commission européenne, notamment sur Hewlett Packard, sur l'OMC etc., est-ce qu'il n'y a pas un risque d'affaiblissement de la Commission ? L'autre question qui venait un peu de ce coin, c'était de savoir si quand même aujourd'hui nous avons une réaction sur les élections polonaises qui ont eu lieu hier avec des résultats surprises ?
Philippe Douste-Blazy - Sur la question de la Commission, je suis un Européen convaincu, nous sommes des Européens convaincus et nous estimons que nous devons montrer un très grand respect de toutes les institutions européennes. Nous respectons bien sûr le Conseil, le Parlement et bien sûr la Commission.
Permettez-moi de vous dire que la Commission européenne fait des propositions. Nous attendons. Je me souviens de l'époque où M. Delors par exemple faisait des propositions régulièrement. C'est le rôle de la Commission. Je suis donc tout à fait pour que la Commission fasse son travail, c'est à dire qu'elle nous fasse des propositions.
Concernant le risque d'affaiblissement, qui représente un vrai enjeu, je pense que ce qui affaiblit l'Union européenne, c'est que le citoyen ne voit plus, à un moment donné, que ses intérêts sont défendus, pas son intérêt personnel, mais l'intérêt général de la France et de l'Union européenne.
Ce qui m'a frappé dans la campagne du référendum, c'est cela. C'est que nos concitoyens ne montraient pas de patriotisme européen. Parce qu'il faut faire partager ce patriotisme européen. Les négociations de l'OMC, c'est être capables de dire que l'Union européenne doit être défendue face à l'Inde, face au Brésil, face aux Etats-Unis, pas contre. Lorsque la France parle de l'OMC, lorsqu'elle parle à M. Mandelson, lorsqu'elle parle à la Commission, lorsqu'elle parle à la Présidence britannique, elle ne parle pas des intérêts personnels. Elle parle de l'intérêt général, elle parle de sa vision de l'Europe, elle parle même de sa vision du monde. Car lorsque je dis que c'est le cycle du développement, c'est une vision du monde. Nous importons ici, dans l'Union européenne, dix fois plus de produits venant des pays du Sud que les Etats-Unis et cela personne ne le dit. Ce n'est pas contre la Commission, c'est pour une vision de l'Europe, c'est pour une vision du monde. La France n'est pas petite, repliée sur ses intérêts personnels. Ceux qui font croire cela mentent, cela les arrange. La France défend une vision européenne, un patriotisme européen, une place dans le monde.
Nous félicitons le président polonais. Je crois que ce qui est important pour la Pologne, ce qui est important aujourd'hui pour les pays qui viennent d'entrer dans l'Union européenne, c'est que l'Union européenne soit à la hauteur de l'élargissement qu'elle a voulu. Nous sommes en train de vivre probablement l'événement le plus important, les jours, les semaines les plus importantes de l'histoire de l'Union européenne depuis des dizaines d'années : c'est l'arrivée de nouveaux pays. Or cet élargissement ne peut réussir que s'il est financé. Je regrette que certains égoïsmes empêchent l'acceptation d'un budget européen pour 2007/2013. Et lorsque j'entends parler des élections présidentielles polonaises, je pense à cela en premier lieu.
Ensuite il y a les relations bilatérales, et je souhaite en effet, nous souhaitons nous rendre en Pologne rapidement, nous souhaitons reprendre les activités du "Triangle de Weimar". Nous souhaitons parler avec la Pologne en particulier de nos relations économiques qui sont excellentes.
Mais cela doit venir après, ce qui est important c'est la politique. La politique aujourd'hui, tous ces pays qui étaient sous joug communiste pendant une grande partie du XXème siècle, qui ont souffert et qui arrivent maintenant à la table de l'Union européenne ; il est honteux que nous ne trouvions pas le plus vite possible un accord.
Et lorsque nous nous rendons dans ces pays-là, on voit bien leurs demandes, ils sont heureux de voir qu'il a été décidé, grâce au président Chirac, qu'il y aurait 12 milliards d'euros de plus pour la période 2007/2013.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez bien exposé la situation entre Palestiniens et Israéliens. Je crois que dans quelques jours vous allez recevoir votre homologue israélien. Je souhaiterais juste attirer votre attention sur ce point : les Palestiniens n'ont pas les moyens d'hériter de ce qu'on appelle les actes terroristes. L'Autorité palestinienne est diminuée, elle n'a pas les capacités. Le désarmement, tout est bloqué et la politique de M. Sharon complique encore plus les choses. Même l'armée israélienne n'arriverait pas à entériner le terrorisme alors comment voulez-vous demander à l'Autorité palestinienne, qui n'a pas de moyens, d'imposer la sécurité ? J'espère que vous allez en discuter avec votre homologue. Que les Israéliens assouplissent la situation !
Philippe Douste-Blazy - Je m'en suis déjà entretenu avec mon homologue M. Shalom, que j'ai rencontré à Jérusalem, et également avec le Premier ministre Ariel Sharon. Je pense que la question que vous posez est centrale et que les financements accordés aux Territoires palestiniens sont nécessaires mais à une condition, c'est qu'ils aident à la formation d'un Etat de droit.
S'il n'y a pas de police, de justice, il ne peut pas y avoir d'embryon d'Etat, de démocratie, d'économie. Je crois donc, pour en avoir parlé à plusieurs de mes homologues européens, que, dans les mois qui viennent, il est nécessaire d'avoir un accord de part et d'autre, y compris de la part des Israéliens, pour qu'ils comprennent que Mahmoud Abbas a besoin d'une police palestinienne entraînée, professionnelle, commandée qui puisse faire respecter l'Etat de droit et en particulier, comme vous le dites, des armes. Je pense que c'est un élément majeur et je crois que les Israéliens doivent comprendre. Ils y ont tout intérêt. La communauté internationale y a tout intérêt car, si la sécurité ne revient pas, on voit bien que la Feuille de route n'est pas enclenchée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2005)