Déclaration de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État, sur le développement de l'utilisation de logiciels libres par l'administration en ligne, Soissons le 26 mai 2005.

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Circonstance : 2eme édition de la remise des Trophées du logiciel libre organisée par Soissons Informatique Libre (www.sil-cetril.org), à soissons le 26 mai 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de prendre aujourd'hui la parole à l'occasion de cette deuxième édition des " Trophées du libre ", ici à Soissons, dans l'Aisne, territoire que j'affectionne tout particulièrement.
Dans quelques minutes, seront remis aux lauréats choisis parmi 156 projets, ces trophées destinés à récompenser les meilleures innovations dans le domaine du libre. Je vais donc m'efforcer de ne pas trop prolonger le supplice des nominés qui attendent le verdict final du jury !
1. Un projet local pour l'emploi et le développement économique dans un territoire en mutation.
Cet événement qui nous rassemble aujourd'hui et dont la portée est désormais mondiale, avec des projets émanant de 27 pays du monde entier, est pour moi l'occasion, avant tout, en tant qu'élu et en tant que citoyen, de saluer un projet d'initiative locale au service du développement économique et de l'emploi.
La Technopole de l'Aisne créé fin 2002 avec son Technoparc sur le secteur des logiciels libres et plus largement des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) a vocation a offrir d'ici à 2010 40 000 m de bureaux, en plein cur de Soissons, à moins d'une heure de Paris.
Ce vaste projet d'aménagement du territoire est porteur de dynamisme pour le territoire de l'Aisne et pour son tissu économique, si durement touchés par les restructurations industrielles.
C'est aussi un bel exemple de partenariat local réussi : la communauté d'Agglomération du Soissonnais, le conseil général de l'Aisne, le conseil régional de Picardie, les chambres consulaires du département, l'Etat, l'Europe, des centres universitaires et de nombreux partenaires publics ou privés, nombreuses sont les fées qui se sont penchées sur son berceau.
Je tiens à saluer aussi l'association SIL-CETRIL, son président, Jean-Marc Loire, ses membres et ses partenaires. Au-delà de son rôle d'organisateur de cette manifestation qui nous réunit aujourd'hui, SIL-CETRIL contribue fortement à l'animation économique de ce territoire et à sa revitalisation. Soissons Informatique Libre, met en effet en uvre le centre de ressources en logiciel libre de Soissons qui a reçu un label de l'Etat lors du CIADT du 18-mai 2000.
Il contribue ainsi à favoriser l'implantation d'entreprises innovantes sur le territoire Soissonnais, porteuses de création de richesses et d'emplois, mais aussi à développer les usages des TIC dans les entreprises et les administrations, pour développer le dynamisme et la compétitivité du territoire.
2. ADMINISTRATION EN LIGNE
En tant que ministre de la réforme de l'Etat, je me réjouis d'une telle vigueur, car vous le savez, l'administration se dématérialise à vue d'il ! Elle a donc besoin de produits performants, adaptés aux fonctions particulières qu'elle remplit.
Cette mise en ligne de l'administration est une révolution douce mais radicale, qui est en train de modifier profondément la relation des Français avec leur Etat, -de modifier aussi les manières de travailler au sein de la sphère publique.
Désormais, ce n'est plus l'Etat qui convoque le citoyen dans ses bureaux et devant ses guichets ; de plus en plus, c'est le citoyen qui convoque l'administration, chez lui, à l'heure qui lui convient !
Les nouveautés introduites par le programme Adèle 2004-2007 pour le développement de l'administration en ligne, illustrent bien ce nouvel esprit :
-le 3939, numéro unique de renseignement administratif, qui a déjà reçu plus d'un million d'appels et répond à une demande forte des usagers pour lesquels le téléphone reste le moyen privilégié pour obtenir une information sur leurs droits et démarches ;
-la dématérialisation des marchés publics, qui permet aux entreprises et aux administrations de faire d'importantes économies de paperasse ;
-la déclaration des revenus en ligne, qui a certes souffert un temps de son succès, mais prouve par là que les Français sont très demandeurs ! Plus de 3,7 millions de contribuables ont " télédéclaré " leurs revenus en 2005. C'est 3 fois plus qu'en 2004 et 6 fois plus qu'en 2003 !
-enfin, très récemment, le service de changement d'adresse en ligne, qui permet aux Français qui déménagent de communiquer leur nouvelle adresse en une seule fois aux administrations, sans multiplier les courriers et les appels téléphoniques ; en une semaine, 11 000 démarches de changement d'adresse ont été enregistrées et 17 000 dossiers ont été créés sans être pour l'instant validés. A titre de comparaison, en cette période, il y a un peu moins de 40 000 déménagements par semaine.
Ce développement accéléré manifeste une chose : l'âge " expérimental " de l'administration électronique est terminé - les chiffres n'ont en effet plus rien d'anecdotique ! Nous entrons vraiment dans une nouvelle ère de l'administration.
Longtemps en retard, la France a rattrapé d'un seul coup ses partenaires ; et la fameuse " fracture numérique " est en voie de réduction rapide dans notre pays !
Nos efforts sont d'ailleurs salués et ne passent pas inaperçus : après les compliments de la commission européenne l'année dernière, une récente enquête menée par le cabinet Accenture révèle que la France est désormais quatrième au monde pour la qualité des services en ligne offerts au public... Nous étions 8ème en 2004 et 12ème en 2003 !
Nous n'avons donc pas à rougir de la comparaison avec nos voisins, ce qui n'était pas le cas, il y a trois ans !
Evidemment, ces bons résultats nous encouragent à continuer !
Et nous allons y être de plus en plus encouragés par la demande croissante des usagers. Car le citoyen trouve son compte dans tous ces nouveaux services :
o moins de contraintes pour l'usager
o et, pour le contribuable, des gains de productivité qui seront à terme des baisses d'impôts.
Certains diront peut-être (pas ici !) ; " l'administration électronique est moins humaine, moins personnalisée ! "
C'est une vision erronée !
Car en créant des autoroutes de l'information, nous dégageons des moyens pour améliorer la qualité sur les aires d'accueil et de conseil de l'administration. C'est pourquoi d'ailleurs, je mène, parallèlement au développement de l'administration en ligne, une politique d'amélioration systématique de l'accueil dans les services publics (charte Marianne).
De manière générale, je crois que nous devons confier aux machines tout ce qui est machinal, et concentrer les hommes sur les relations personnelles avec les usagers. C'est là le sens même de l'histoire de notre civilisation.
3. LES LOGICIELS LIBRES ET LES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES
Et je crois que pour le développement de l'administration en ligne, les logiciels libres représentent une opportunité et un enjeu formidables. L'Etat, en tant qu'acheteur avisé, ne peut pas ne pas s'en désintéresser.
Vous le savez, une de nos préoccupations premières pour le développement des services en ligne, est la garantie d'interopérabilité.
Cette interopérabilité est essentielle pour proposer aux usagers une offre de services lisible et cohérente, malgré l'hétérogénéité des acteurs de l'administration électronique : ministères, collectivités locales, organismes de protection sociale, etc...
Il n'est pas question de reproduire avec l'administration en ligne les travers qu'a connu notre réseau téléphonique dans les années 70 avec le fameux " 22 à Asnières " résultat du morcellement et des cloisonnements des réseaux locaux.
Dans ce contexte, les technologies ouvertes sont pour nous une opportunité pour garantir cette interopérabilité, tout en préservant l'autonomie à laquelle les administrations sont naturellement attachées pour leurs choix stratégiques et techniques.
L'utilisation des logiciels libres représente aussi dans certains cas une opportunité en termes économiques.
La mutualisation, maître mot du programme Adèle, est aussi celui du monde du libre. Beaucoup d'administrations ont des besoins similaires, sans pouvoir, souvent se fédérer pour les couvrir. Je pense notamment aux collectivités locales.
Le recours aux logiciels libres permet de Réutiliser les développements effectués par une administration pour les enrichir, sans avoir à chaque fois à partir de zéro.
Le libre représente donc un enjeu d'économie des deniers publics.
Mais il faut se prémunir de l'idée encore trop répandue que " logiciel libre " = gratuité ! Ce ne sont pas les entreprises présentes ici qui vont me contredire.
L'utilisation des TIC dans un cadre professionnel et encore plus quand il s'agit d'une administration, suppose un certain nombre de garanties : la continuité, la sécurité, la pérennité, la maintenance des solutions. Ces garanties ont un coût et donc un prix !
Pour ces raisons, je crois que la diffusion des logiciels libres au sein des services de l'Etat augmentera sensiblement dans les prochaines années, coexistant avec les logiciels propriétaires.
D'ores et déjà, et rien que pour le front office, les réalisations sont considérables : le Ministère de l'Intérieur a fait le choix d'équiper 30 % de ses postes de travail en logiciels bureautiques libres. De même, la Direction Générale des Douanes a équipé 25 % de ses postes de travail. Et la Gendarmerie nationale a engagé un mouvement de migration totale de son parc bureautique.
Je suis certain que cette tendance va se poursuivre, mais je ne crois pas que toute l'administration se convertira au " libre ", même à moyen terme.
La prise en compte des logiciels libres dans les politiques d'achats informatiques des administrations publiques ne doit pas être systématique mais découler d'une approche avisée équilibrée et pragmatique. C'est à dire acquérir la solution logicielle la plus adaptée à ses besoins et à ses contraintes et la plus économique.
Maintenant que le modèle du libre a - je crois - fait ses preuves et fait l'objet d'un réel engouement de la part des entreprises comme des administrations, il faut réussir à sortir de l'approche un peu doctrinale et univoque qui irrigue encore trop souvent le débat entre logiciels libres et logiciels propriétaires.
Dans cette optique, ce qui compte est de faire jouer librement la concurrence et d'y faire participer pleinement les éditeurs du libre, sur la base d'un cahier des charges précis répondant aux besoins identifiés par les administrations.
Aussi, pour accompagner les administrations dans leurs décisions, l'ADAE a édité il y a deux ans un "Guide de choix et d'usage des licences de logiciels libres pour les administrations", guide qui est d'ailleurs en cours d'actualisation.
Je crois maintenant que le suspens a assez duré et qu'il est temps pour nous de découvrir et de féliciter les lauréats de cette deuxième édition des trophées du Libre...
Je vous remercie.
(Source http://www.sil-cetril.org, le 22 juin 2005)