Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur l'avenir de l'Europe bancaire et financière sur la construction d'un marché unique des services financiers et sur la préparation du passage à l'euro pour les particuliers, Paris, le 15 septembre 2000.

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Circonstance : Colloque Eurofi 2000 " L'Europe bancaire et financière après l'euro", à Paris, le 15 septembre 2000

Texte intégral


Mesdames, Messieurs,
Je veux d'abord saluer les organisateurs du colloque Eurofi 2000, et notamment MM. de Larosière et Lebègue, qui se sont donnés des objectifs ambitieux - tracer les contours de l'Europe bancaire et financière après l'euro - mais qui sont parvenus, je crois, à les atteindre grâce à la qualité des contributions. Je suis heureux que la présidence française ait permis de favoriser cette initiative.
L'achèvement du marché unique des services financiers, sous une apparence technique, est un enjeu essentiel pour la croissance et l'emploi en Europe. L'actualité nous montre bien, qu'il s'agisse des batailles en cours pour le contrôle des bourses en Europe ou du développement des services financiers en ligne, que tous les secteurs financiers européens sont sur le point de connaître de profondes mutations. Bien savant celui qui peut dire à quoi ressemblera exactement l'industrie bancaire européenne dans 10 ans, si l'on songe à la fois au développement d'Internet et aux alliances européennes qui vont se nouer pour profiter de ce qu'apporte l'euro. D'autre part, nous avons plus que jamais besoin d'un cadre clair pour tous (consommateurs, épargnants, investisseurs) et dans une Europe intégrée c'est au plan européen qu'il faut désormais concevoir les régulations souhaitables.
Je voudrais rapidement revenir sur plusieurs points :
1 - D'abord, il est essentiel que l'Europe se dote d'un marché financier dynamique et profond. C'est essentiel pour que nos entreprises européennes puissent lever des capitaux afin d'investir au moindre coût. C'est essentiel aussi pour que les emprunteurs bénéficient de modalités de financement plus souples et moins coûteuses.
La création de ce marché unique des services financiers soulève à l'évidence de nombreux défis :
- l'accès des épargnants et des investisseurs aux valeurs mobilières cotées dans les différents Etats membres va être considérablement facilité grâce à l'euro, mais ceci pose la question de la protection dont bénéficie l'épargnant, qui doit demeurer la plus élevée possible ;
- pour les émetteurs, l'accès à l'ensemble des investisseurs de la zone euro ne doit pas se traduire par un alourdissement des contraintes réglementaires en matière d'information financière qui les décourage d'utiliser cette opportunité nouvelle ;
- la question de la réglementation des marchés est également posée : les bourses européennes et d'autres acteurs prennent des initiatives spectaculaires qui modifieront profondément le paysage des marchés financiers en Europe : projets de fusions comme Euronext entre Paris, Bruxelles et Amsterdam, qui sera le 22 septembre la première bourse européenne à voir le jour et auquel je souhaite de continuer à aller de l'avant Il est essentiel que les régulateurs publics s'adaptent à ces évolutions de plus en plus rapides afin d'offrir un cadre clair et homogène aux intervenants.
2 - J'étais déjà convaincu en prenant mes fonctions que nous devons progresser rapidement. Devenu président de l'Ecofin, ma volonté n'en est que plus forte. Nous devons nous fixer deux principes pour le bon fonctionnement du marché financier européen :
- favoriser une allocation optimale de l'épargne à l'échelle européenne. Les décisions d'investissement doivent être fondées sur des choix économiques, non sur des arbitrages liés seulement aux contraintes réglementaires plus ou moins fortes qui existeraient dans certains pays et non dans d'autres. C'est ainsi que nous favoriserons la croissance et l'emploi dans l'Union ;
- garantir un haut niveau de protection pour les épargnants et les consommateurs. La construction européenne ne doit pas conduire à une " déréglementation compétitive ", mais plutôt à une consolidation, dans des normes communes, des meilleurs standards de protection.
Cette Europe financière que nous souhaitons construire doit être au service des citoyens européens. De ce point de vue l'introduction concrète des pièces et billets en euro dans 15 mois sera un événement considérable, dont chacun doit aider à la réussite. Quand nous aurons tous l'euro dans nos poches, de Lisbonne à Helsinki et de Paris à Berlin, notre identité européenne en sera renforcée. Je suis convaincu que cela exercera un puissant impact psychologique sur la construction européenne. Considérable aussi, parce que le passage à l'euro doit être synonyme d'opportunités et de sécurités nouvelles. C'est pourquoi trois buts m'apparaissent essentiels :
- pour le passage à l'euro pratique, l'organiser dans des conditions les plus favorables pour tous les citoyens et notamment les plus fragiles d'entre eux ;
- pour les paiements dans l'Union européenne, les doter de conditions de sécurité et de coût les meilleures possibles ;
- pour les services financiers de détail, aller vers une protection renforcée des consommateurs.
3 - Le passage à l'euro pour les particuliers :
Beaucoup de travaux ont été menés dans les Etats membres de l'Eurogroupe pour préparer le passage à l'euro des entreprises et des particuliers le 1er janvier 2002, je préfère dire le 31 décembre 2001 à minuit. Sans revenir évidemment sur le principe de subsidiarité, j'ai souhaité que la présidence française de l'Union européenne soit l'occasion de renforcer les travaux en commun pour accélérer et améliorer la préparation de cette échéance fondamentale.
L'Ecofin informel de Versailles, le week-end dernier, a été l'occasion de débats importants. Nous nous sommes mis d'accord sur plusieurs points fondamentaux :
- avancer activement dans la préparation des plans nationaux d'introduction des pièces et des billets en euro de façon que tous les citoyens disposent d'ici la fin de l'année d'une information claire et précise sur le déroulement des opérations ;
- confirmer la pré-alimentation des particuliers en pièces à partir du 15 décembre 2001 afin que chacun puisse se familiariser avec leur aspect et dispose de petite monnaie en euro début 2002 ;
- mettre en place un tableau de bord permettant de suivre chaque mois l'avancement de la préparation dans les différents pays de l'Eurogroupe, ce qui nous permettra notamment d'échanger sur les bonnes pratiques.
A la demande de la présidence française, la Commission européenne prépare une recommandation sur le passage à l'euro pratique dont nous débattrons à l'occasion de l'Ecofin du 17 octobre et qui sera l'occasion d'approfondir la réflexion sur les conditions de passage à l'euro pour les particuliers.
Les travaux ont débuté au conseil de l'Union européenne sur la question importante de la protection de l'euro contre la contrefaçon. La sécurité du passage à l'euro est en effet, dans tous ses aspects, une responsabilité des pouvoirs publics, essentielle pour établir la confiance dans notre nouvelle monnaie.
Je ne veux pas quitter le sujet de l'euro sans dire un mot de l'actualité des marchés. Il faut regarder les évolutions avec beaucoup d'attention mais en prenant aussi de la perspective. L'euro a joué le rôle de bouclier protecteur face aux turbulences monétaires liées aux crises asiatiques ou russe ; il nous donne des taux d'intérêt inférieurs aux taux américains. Comment ne pas faire le lien entre l'existence de l'euro et la croissance que connaît en ce moment la zone euro ?
Ayant dit cela, chacun sait que les turbulences actuelles sur les marchés sont une source de préoccupation pour la Présidence française de l'Union européenne et pour mes collègues. Dans ce contexte, la maîtrise des dépenses publiques ne doit pas se relâcher, ni sur le plan budgétaire ni pour les dépenses sociales, y compris bien sûr en France. A Versailles, un message très clair a été envoyé. Ce message doit être réaffirmé avec force.
4 - Les paiements dans l'Union européenne.
Pour que les citoyens puissent bénéficier pleinement de l'Europe financière, ils doivent pouvoir compter sur des systèmes de paiement fiables, sûrs, et peu coûteux.
Le débat s'est focalisé sur les virements de petit montant à l'intérieur de l'Union européenne, les " paiements transfrontaliers ". Les coûts élevés, parfois peu transparents, d'opérations qui portent désormais sur une même monnaie, ont été critiqués à juste titre, même si le sujet n'est pas simple techniquement.
Des travaux importants ont déjà été réalisés, tant par la profession bancaire que par les pouvoirs publics, pour contribuer à l'amélioration du système des virements transfrontaliers de petits montants. Ceux-ci doivent être accélérés, afin de parvenir rapidement à la mise en place effective d'un tel système, efficace, transparent et bien coordonné entre l'ensemble des banques européennes, au service des consommateurs.
Au-delà, la question de la sécurité des paiements dans l'Union européenne est un chantier fondamental : sécurité des paiements par carte, sécurité des paiements électroniques sur internet ou par téléphone, développement des porte-monnaie électroniques. Ces débats se développent au niveau national, mais la recherche de solutions communes au niveau européen est indispensable. Il en va du développement du commerce électronique dans l'Union européenne, qui est une des opportunités auxquelles le consommateur européen doit avoir accès sans craintes pour percevoir tout l'intérêt de l'Europe financière.
Demain, le consommateur européen aura accès à une offre quasi illimitée. Encore faut-il qu'il puisse en profiter dans la confiance. C'est pourquoi le cadre juridique doit être clarifié.
5 - Pour une régulation plus claire des relations entre fournisseurs et clients des services financiers. Les relations contractuelles entre fournisseurs et clients de services financiers s'insèrent dans des cadres juridiques et fiscaux qui restent très distincts d'un pays de l'Union à un autre. Là encore nous devons progresser vers plus d'harmonisation.
Nous savons que le besoin de protection du consommateur est l'un des aspects les plus importants de la problématique juridique soulevée par les prestations transfrontières. Ce besoin se trouve accru par l'émergence des moyens électroniques de fourniture de services financiers à distance. Or la confiance des consommateurs dans le déroulement des transactions est un gage du développement de ces prestations. Ce n'est pas au consommateur de s'adapter à l'offre, mais l'inverse, en particulier tant que cette offre n'est pas harmonisée entre les pays de l'Union.
Il est donc de l'intérêt commun des prestataires de services financiers et des consommateurs de parvenir à un cadre juridique clair :
- un cadre dans lequel le consommateur est parfaitement informé au préalable des conditions dans lesquelles les transactions vont se dérouler ;
- qui permet au consommateur de contracter dans le cadre d'un droit qu'il connaît ;
- qui permet au consommateur d'accéder à une juridiction du pays où il est domicilié.
Ce cadre juridique ne doit pas introduire une compétition réglementaire entre la prestation de services financiers " habituelle " (en face à face), celle par voie électronique et celle par les autres moyens à distance.
Aujourd'hui, la combinaison des directives sectorielles en matière de services financiers, de la directive " commerce électronique " et de la proposition de directive sur " les services financiers à distance " crée de nombreuses incertitudes et difficultés juridiques. Cette situation est préjudiciable aux consommateurs européens de services financiers et au développement de l'industrie financière en Europe.
La Commission s'est engagée à publier en novembre un livre vert sur le commerce électronique et les services financiers. Je compte aborder sur cette base un débat d'orientation au conseil Ecofin, afin que les ministres dégagent des orientations pour la poursuite des travaux communautaires sur ces questions.
Mesdames et messieurs,
MM. de Larosière et Lebègue ont souligné qu'il y a urgence à adapter l'organisation bancaire et financière européenne à l'euro ainsi qu'aux évolutions économiques et technologiques. Ils ont raison d'affirmer que la puissance de l'Europe bancaire et financière doit être rapidement mise au niveau de sa puissance économique.
La Présidence française s'attachera à mettre en uvre cette volonté. En suivant les orientations du Conseil européen de Lisbonne sur la mise en uvre du plan d'action pour les services financiers. Mais aussi en proposant à nos partenaires, ce qui fut fait en juillet, la mise en place du Comité des Sages présidé par M. Lamfalussy, que je salue.
Les directives fixent les principes de base de la régulation boursière, mais elles laissent le soin aux autorités nationales de mettre en uvre leur application pratique quotidienne. Le marché boursier européen reste donc régulé par une juxtaposition de quinze systèmes de régulation dont, admettons-le, la coopération est insuffisante pour que le marché soit totalement efficace pour les entreprises et pour les investisseurs. Il nous est donc apparu indispensable de compléter le plan d'action sur les services financiers par une réflexion sur les conditions d'application pratique des directives et sur la coopération entre régulateurs boursiers. Là comme ailleurs, la réponse pertinente se trouve désormais au niveau européen. M. Lamfalussy et son groupe nous remettront leurs premières conclusions en novembre. Il s'agira, j'en suis sûr, d'un pas essentiel vers une meilleure régulation des marchés financiers. Ainsi aurons-nous contribué tous ensemble à un progrès important.
Mesdames, Messieurs,
Vos travaux ont contribué à donner une nouvelle impulsion vers une Europe plus intégrée, et par ce moyen plus forte. La Présidence française ne ménagera pas ses efforts pour aller vers notre but commun. Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2000)