Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, à France 2 le 24 juin 2005, sur la répression de la délinquance dans les banlieues et sur le problème de la libération conditionnelle et de la récidive.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral


FRANÇOISE LABORDE
Nicolas SARKOZY, bonsoir et merci d'être avec nous
NICOLAS SARKOZY
Merci de m'avoir invité.
FRANÇOISE LABORDE
Alors on le voit il ne vous a pas échappé que votre formule sur le nettoyage a pu choquer, il y a eu des critiques qui ont été émises un peu partout
NICOLAS SARKOZY
A choqué qui, Françoise LABORDE ?
FRANÇOISE LABORDE
A l'Assemblée nationale, les gens des cités
NICOLAS SARKOZY
Non, non, juste un mot si vous me permettez, ça a choqué ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans cette cité, ça n'a pas choqué les habitants. J'ai passé deux heures et demie dans cette cité et qu'est-ce qu'ils m'ont dit, les habitants ? Qu'ils n'en peuvent plus et qu'ils ne comprennent pas pourquoi l'Etat tolère ce que nous ne tolérions nulle part ailleurs. Alors ce qui poussent des cris d'orfraie et qui sont choqués par le verbe " nettoyer ", je le confirme, mon devoir, c'est de nettoyer la Cité des 4000 des trafics et des trafiquants.
FRANÇOISE LABORDE
Vous maintenez vos termes.
NICOLAS SARKOZY
Mais bien sûr. Et vous savez ce qui me choque, moi ? C'est que des individus soient capables de tirer sur un petit garçon de onze ans et je n'ai pas à trahir de secret mais quand on voit le curriculum vitae des gens que nous avons déférés à la justice, j'avais promis qu'on arrêterait les coupables, nous en avons trois sur quatre et je n'arrêterai que quand on aura le quatrième. J'avais promis qu'on irait nettoyer la cité, tous les jours, nous envoyons la police pour obtenir des résultats parce que les plus pauvres et les plus démunis de nos compatriotes, ils ont besoin de la sécurité
FRANÇOISE LABORDE
Mais le fait d'envoyer la police, ce n'est pas ça sur quoi effectivement il a pu y avoir des critiques, c'est j'allais dire l'organisation des choses, le fait d'annoncer à l'avance une descente de police, la venue du raid, est-ce que c'est un gage d'efficacité ?
NICOLAS SARKOZY
Vous voyez le décalage phénoménal entre ce que disent certains responsables politiques et ce que vivent les Français ? Certains responsables politiques bien au calme et bien au chaud, qui ne connaissent pas les problèmes de l'insécurité, sont choqués par une expression que tout le monde emploie et que tout le monde comprend ; moi je suis choqué par la mort d'un enfant de onze ans et je ne l'accepte pas.
FRANÇOISE LABORDE
Les armes dans la cité, ils en ont retrouvé, les policiers ?
NICOLAS SARKOZY
Tous les jours, nous retrouvons des choses mais ce n'est qu'un début et je retournerai la semaine prochaine pour rencontrer les jeunes et pour essayer de mettre les bases d'une politique de sécurité. Alors vous pourriez me dire : pourquoi vous ne l'avez pas fait la dernière fois ? Je ne l'ai pas fait pour une raison simple, c'est que je n'ai pas l'intention de dialoguer pour rétablir l'ordre ; je veux qu'on rétablisse l'ordre et ensuite seulement on dialogue. Pas l'inverse. J'ai passé deux heures et demie là-bas, j'y retournerai. Et la Cité des 4000, les habitants doivent le savoir, ils auront droit à la même sécurité que les autres. C'est mon devoir, je le ferai. Voyez, c'est simple, j'essaie de me faire comprendre
FRANÇOISE LABORDE
Vous mettez la sécurité et après la prévention. Mais ce sera quoi, la prévention ? Parce qu'on dit beaucoup les associations justement prévention elles ont moins de moyens qu'avant etc, il y a une contradiction dans l'action gouvernementale ?
NICOLAS SARKOZY
Vous savez, la meilleure des préventions, c'est que les voyous qui trafiquent sachent et comprennent qu'enfin maintenant ils vont risquer quelque chose
FRANÇOISE LABORDE
C'est la peur du gendarme
NICOLAS SARKOZY
La peur de la répression, la peur de la punition. Comment voulez-vous que des jeunes se lèvent tôt le matin quand ils voient d'autres jeunes de la cité dealer et trafiquer de la drogue et gagner beaucoup plus que quelqu'un qui se lève tôt le matin ? ! Moi je respecte la France qui travaille et je n'ai pas l'intention de me laisser impressionner par les professionnels de la pensée unique qui depuis trente ans, décrivent les phénomènes de la violence, restent les bras croisés et abandonnent nos compatriotes les plus exposés à des situations intolérables.
FRANÇOISE LABORDE
Donc quand Carl LANG dit qu'il y a une lepénisation des esprits, c'est une formule que vous trouvez totalement déplacée ?
NICOLAS SARKOZY
Alors chaque fois qu'on dit quelque chose de bon sens, on se rapproche de monsieur LE PEN ? J'ai toujours combattu Jean-Marie LE PEN. C'est moi qui ai aboli la double peine, c'est moi qui ai voulu que les musulmans de France aient une instance, c'est moi qui me bats pour la discrimination positive. Et ceux qui ont profité de Jean-Marie LE PEN pendant les deux septennats de François MITTERRAND viennent me donner des leçons aujourd'hui ? ! Quand je veux lutter contre la voyoucratie, contre les délinquants ? ! Alors qu'est-ce qu'il faut faire ? Donner des leçons à tout le monde ? Oui, j'ai vu que le récidiviste, c'était moi à la une d'un journal, mon Dieu ! Quand il y a un gosse de onze ans Que m'a demandé la famille de ce gosse ? Qu'est-ce qu'ils m'ont dit ? Monsieur SARKOZY, arrêtez les coupables. Ils m'ont dit une deuxième chose : on en a assez que dans notre pays, les coupables soient arrêtés et qu'ils ne soient pas punis.
FRANÇOISE LABORDE
Mais là vous avez une obligation de résultats en l'occurrence, vous vous êtes engagé.
NICOLAS SARKOZY
Mais Françoise LABORDE, j'ai une obligation de résultats là et ailleurs. Pourquoi j'ai été nommé ministre de l'Intérieur ? Pour commenter les phénomènes ou pour les combattre ? Et je les combattrai. Et par ailleurs une des leçons du 29 mai, je vais vous le dire très simplement, c'est que les Français ne supportent plus d'avoir une classe politique qui emploie des mots que personne ne comprend. Il y a un trop grand décalage entre ce que vivent les Français et ce que nous disons.
FRANÇOISE LABORDE
Alors vous avez aussi secoué la magistrature si je puis dire lorsque vous avez
NICOLAS SARKOZY
Je n'ai rien secoué du tout !
FRANÇOISE LABORDE
Un peu quand même. Je rappelle les faits : le meurtrier d'une jeune femme, Nelly KREMEL, tuée d'une balle dans la tête alors qu'elle faisait son jogging à La Ferté-sous-Jouarre, ce meurtrier présumé donc était un criminel déjà condamné à la réclusion à perpétuité et qui avait bénéficié d'une libération anticipée. Vous avez dit alors que le juge d'application des peines devrait payer pour sa faute et voici les réactions suscitées par vos propos.
REPORTAGE
CAROLINE GAUTHIER
Le juge mis en cause par Nicolas SARKOZY, le voici : Alain HAHN (ph), en poste au tribunal de grande instance de Colmar. Si le magistrat n'a pas souhaité nous répondre, il réplique ce matin par voie de presse aux propos du ministre de l'Intérieur : c'est de la démagogie, dit-il, monsieur SARKOZY ferait bien de réviser son code de procédure pénale. Ce ton est aujourd'hui celui de l'ensemble des magistrats et en premier lieu le Conseil supérieur de la Magistrature. Cette institution est notamment chargée de sanctionner les juges. Le CSM s'alarme de telles déclarations.
VALERY TURCEY, MEMBRE DU CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE
Nous sommes inquiets des propos du ministre de l'Intérieur qui ne sont pas respectueux du principe de séparation des pouvoirs et qui ne correspondent pas à la réalité de ce qui s'est passé puisque ce n'est pas une décision qui a été prise par un juge, c'est une décision qui a été prise par trois magistrats sur avis conforme de l'administration pénitentiaire, du psychiatre et de tous les intervenants.
CAROLINE GAUTHIER
Face à l'émotion suscitée par les propos de Nicolas SARKOZY, Jacques CHIRAC ne pouvait rester silencieux. Recadrage ce matin avec ce rappel sous forme de communiqué : le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs et le respect de l'indépendance de la justice sont intangibles et essentiels au bon fonctionnement de nos institutions, j'en suis le garant. De son côté, Dominique de VILLEPIN rejoint le CSM mais entrouvre une porte à son ministre de l'Intérieur.
DOMINIQUE DE VILLEPIN, PREMIER MINISTRE
La loi a été appliquée ; néanmoins et c'est ça l'esprit de responsabilité, il faut s'interroger aujourd'hui sur la loi elle-même et c'est pour cela que j'ai demandé au Garde des Sceaux de bien vouloir très rapidement étudier un projet de loi - nous avons tous les éléments aujourd'hui pour le faire - de façon à prendre en compte les impératifs de la liberté conditionnelle
CAROLINE GAUTHIER
Qualifié de populiste par la gauche et une partie de la droite, Nicolas SARKOZY provoque non seulement l'ire des magistrats mais pose aussi problème au reste de l'exécutif.
FRANÇOISE LABORDE
Alors Nicolas SARKOZY, à la lumière des faits, cette remise en liberté était effectivement une erreur mais est-ce qu'il fallait parler de faute ? Parce que la procédure a été respectée ?
NICOLAS SARKOZY
Alors revenons aux faits si vous voulez. J'ai été à l'enterrement de madame KREMEL. Il y avait à côté du cercueil sa fille de douze ans et son mari d'une dignité remarquable. Je suis représentant de l'Etat. Comment vous dites à ce père et à cette petite fille que l'Etat a laissé un criminel condamné par une cour d'assises, souveraine, à la perpétuité parce qu'il avait déjà assassiné ; treize ans après, ce monsieur est libéré et on me dit : Monsieur SARKOZY, la loi est appliquée, il n'y a pas de problème ! Il est libéré et il assassine une jeune femme pour vingt euros dans des conditions d'une sauvagerie inacceptable. Moi je suis ministre de l'Intérieur. Qu'est-ce que je dis à ces gens ?
FRANÇOISE LABORDE
La loi est mauvaise.
NICOLAS SARKOZY
Alors il faut la changer ! Et combien de temps va-t-on tolérer qu'un individu condamné à la perpétuité parce qu'il a tué, ressort treize ans après pour retuer ? Alors je demande plusieurs choses : la première, c'est que les conditions de l'application des peines, il n'y ait pas que des magistrats qui décident
FRANÇOISE LABORDE
Il y en a trois normalement, il y a une collégialité.
NICOLAS SARKOZY
Parfait. Eh bien au lieu de décider entre eux, je propose une chose : qu'il y ait désormais systématiquement un représentant des victimes et des associations de victimes
FRANÇOISE LABORDE
Mais pas des victimes directes
NICOLAS SARKOZY
Non, des associations de victimes. Après tout, Madame LABORDE, les victimes ont peut-être leur mot à dire lorsqu'on relâche des assassins, des criminels ou des délinquants
FRANÇOISE LABORDE
Est-ce que ça ne risque pas d'entacher la sérénité de la justice qui doit prendre un peu de recul par rapport c'est un peu ça la règle du jeu ?
NICOLAS SARKOZY
Je vous rappelle qu'une femme a été assassinée par un récidiviste.
FRANÇOISE LABORDE
Tout le monde est d'accord là-dessus
NICOLAS SARKOZY
Ce n'est pas autre chose La deuxième chose que je veux dire, c'est que les multirécidivistes maintenant, ça suffit. Il faut prendre des mesures pour que ceux qui ne comprennent pas, comprennent enfin et je demande qu'il n'y ait plus de sursis lorsqu'il s'agit d'un multirécidiviste, qu'il n'y ait plus d'aménagement de peine lorsqu'il s'agit d'un multirécidiviste
FRANÇOISE LABORDE
C'est-à-dire qu'ils effectuent leur peine jusqu'au bout.
NICOLAS SARKOZY
Exactement, et qu'il y ait comparution immédiate quand il s'agit d'un multirécidiviste parce que les policiers et gendarmes, vous savez, ils en ont assez de courir pour arrêter les mêmes qui recommencent. Et puis il y a une troisième chose qui est le problème difficile de la responsabilité et j'aimerais qu'on y réfléchisse calmement
FRANÇOISE LABORDE
La responsabilité des magistrats, c'est ça que vous voulez dire ?
NICOLAS SARKOZY
Bien sûr, parce que là j'ai vu beaucoup de décisions et de déclarations corporatistes. Quand un médecin vous opère et qu'il commet une erreur d'appréciation, il est traîné devant les tribunaux et il est condamné. Quand un homme politique se trompe, il est condamné. Quand un Français se trompe dans sa déclaration sans intention, il doit payer les conséquences. Je voudrais poser calmement la question : est-ce qu'il peut exister un pouvoir, le pouvoir des juges, sans responsabilité ? L'un d'entre eux a dit quelque chose de formidable, de très intéressant, monsieur BILGER : la responsabilité, ce n'est pas une malédiction, c'est une chance. Alors j'ai voulu poser le problème parce qu'une erreur d'appréciation qui conduit à un meurtre, qui conduit à une famille dans le désastre le plus total, qu'est-ce qui est choquant ? Que je pose cette question ou que cette femme ait été assassinée ?
FRANÇOISE LABORDE
Disons que ce n'était peut-être pas la bonne formule
NICOLAS SARKOZY
Pardon ? La faute n'est pas une bonne formule ? Parce qu'une décision qui conduit à ce qu'une femme qui fait son jogging, est assassinée, vous appelez ça simplement une faute ? ! J'appelle ça un drame qui doit nous appeler à réagir et pour une fois à agir
FRANÇOISE LABORDE
Alors revenons sur la responsabilité des magistrats. Vous dites qu'en effet, on doit réfléchir, ça veut dire quoi ? Qu'il faut mettre des instances, que vous allez travailler là-dessus avec Pascal CLEMENT parce qu'après tout, c'est lui le Garde des Sceaux ? Comment vous envisagez les choses ?
NICOLAS SARKOZY
Ca veut dire qu'au moins, il faut poser le problème et réfléchir à la question. Alors on me dit que je mets en cause l'indépendance de la justice, mais c'est une plaisanterie ! J'ai mis en cause quelle indépendance ? Je dis simplement que quand on se trompe au point où se sont trompés ces trois magistrats - ça peut arriver
FRANÇOISE LABORDE
Mais il faut quoi ? Que le Conseil supérieur de la Magistrature prenne des sanctions ?
NICOLAS SARKOZY
Quand vous pensez que la jurisprudence du Conseil supérieur de la Magistrature s'interdit de donner des sanctions sur une erreur d'appréciation des juges Alors regardez, Françoise LABORDE, dans votre journal, il y a quelques mois, on a parlé d'Outreau où des gens ont fait trois ans de prison pour rien ; dans votre journal, on a parlé de l'affaire - pardon pour Dominique BAUDIS - il n'y était pour rien, on a brisé des vies parce que deux prostituées ont fait des déclarations invraisemblables. Eh bien permettez-moi de vous dire : dans le divorce qui existe entre la justice et les Français il y a aussi le sentiment que le Français de base est responsable et que le Français qui n'est pas de base, n'est pas responsable. Et je voudrais poser une question aux Français qui nous regardent : est-ce que ce n'est pas le rôle d'un responsable politique de poser des vraies questions ? De lancer ce débat ? Et le scandale, est-ce qu'il vient de la part de celui qui lance un vrai débat ou de ceux qui se sont trompés au point de se trouver devant la catastrophe à laquelle nous sommes confrontés ? Et je voudrais dire une dernière chose, c'est que j'ai été heureux que le président de la République annonce deux décisions importantes : qu'on revoie les conditions d'application des peines et qu'on travaille d'arrache-pied pour trouver une solution sur les multirécidivistes. Vous voyez, j'ai voulu qu'on agisse, le gouvernement décide d'agir ; alors les professionnels de la pensée unique, tous ceux qui parlent sans rien faire depuis si longtemps, eh bien aujourd'hui, ils doivent s'inquiéter parce qu'on a décidé d'agir.
FRANÇOISE LABORDE
Merci Nicolas SARKOZY d'être venu nous voir ce soir.
NICOLAS SARKOZY
Merci de m'avoir invité, au contraire.
FRANÇOISE LABORDE
Bonne soirée.
NICOLAS SARKOZY
Merci, vous aussi.
(Source http://www.u-m-p.org, le 28 juin 2005)