Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur l'action gouvernementale pour l'amélioration de la qualité des cours d'eau et de la pêche en eau douce, Paris le 16 novembre 1998.

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Intervenant(s) : 
  • Dominique Voynet - Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement

Circonstance : Assemblée générale de l'Union nationale pour la pêche et la protection du milieu aquatique, à Paris le 16 novembre 1998

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
L'année dernière, à l'occasion de votre 50ème anniversaire, j'étais venue devant vous pour faire votre connaissance et dégager les grands axes d'une collaboration, que je souhaitais la plus fructueuse possible entre le monde de la pêche associative et le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.
Après quelques mois de présence au gouvernement, il était légitime que je vous fasse part de mes bonnes intentions. Mais désormais, les bonnes intentions ne suffisent plus, il s'agit de vous présenter des actes.
Je viens donc pour vous convaincre qu'à tous les niveaux, le partenariat entre l'Union nationale pour la pêche et la protection du milieu aquatique, le Conseil Supérieur de la Pêche et mon département ministériel fonctionne bien. Ces trois piliers, qui soutiennent solidement la politique française de pêche et de protection de milieu aquatique, sont bien en place, et j'y suis plus que jamais attachée. Je souhaite que ce message parvienne aux 2,3 millions de pêcheurs que vous représentez.
Dans le domaine de l'eau et des milieux aquatiques, j'ai tracé, depuis un an, les axes d'une réforme que je souhaite ambitieuse. J'ai noté avec plaisir le soutien que votre président, M. Camille Solelhac, apporte aux principes de cette réforme.
Les grands axes sont les suivants : tout d'abord, ma priorité, qui est aussi la vôtre, c'est de reconquérir une eau et des rivières de qualité. D'autre part, je souhaite améliorer la transparence et l'équité du secteur de l'eau : distribution d'eau potable et assainissement. Qu'il y ait de l'eau potable au robinet, à un prix aussi raisonnable que possible, prix déterminé dans la plus parfaite transparence ; qu'il y ait des truites dans nos belles rivières et des plages où l'on puisse se baigner, voilà je crois l'attente légitime de nos concitoyens, voilà donc les objectifs que je me suis fixés depuis mon arrivée au gouvernement.
Je ne détaillerai pas aujourd'hui la question de la transparence du service public de l'eau et de l'assainissement, qui, si elle nous concerne tous en tant que citoyens et consommateurs d'eau, vous concerne moins directement en tant que pêcheurs.
La reconquête de la qualité de l'eau et des milieux aquatiques est par contre au cur de vos préoccupations quotidiennes : sans eau de qualité, pas de poissons et en particulier pas de poissons " nobles " tels que la truite fario ou les grands migrateurs. Sans poissons, pas de pêcheurs !
En la matière, le constat est mitigé. La qualité des grands cours d'eau a tendance à s'améliorer, parce que les principales sources de pollution urbaine et industrielle sont désormais en majorité traitées. De même, le recalibrage des cours d'eau et leur transformation en " fossés anti-chars " sont assez largement passés de mode, même si l'excès de zèle d'aménageurs locaux provoque encore, çà et là, la destruction d'importants tronçons de rivière.
Mais à côté de ces progrès indéniables, force est de constater que près de la moitié des cours d'eau ne satisfont pas encore à leur objectif de qualité. D'une manière générale, en amont des bassins versants, la qualité des petits cours d'eau, situés le plus souvent en zone rurale, ne s'améliore pas et régresse même par endroit.
C'est pourquoi je considère comme une priorité de parvenir à une meilleure application du principe pollueur-payeur. Les pollutions diffuses en zone rurale sont actuellement les moins bien traitées. En conséquence, l'application de ce principe aux pollutions agricoles me paraît prioritaire.
Un groupe de travail " eau - agriculture " a été constitué, réunissant les représentants des agriculteurs, les associations et les différents ministères concernés, afin d'étudier la pertinence et la faisabilité d'un régime d'écotaxe sur les engrais et les pesticides. Ce groupe de travail doit me rendre ses conclusions dans les prochains mois.
De même, le principe d'une taxation des aménagements et artificialisations des cours d'eau et des fonds de vallée a été retenu par le gouvernement. Ses modalités sont en cours de négociation, et le décret pourrait paraître au cours de l'année prochaine. Sont notamment concernés l'extraction de matériaux dans le lit majeur des cours d'eau et les nappes alluviales, les ouvrages dans les rivières et les zones inondables, l'imperméabilisation de surfaces importantes...
C'est dans la perspective d'une meilleure application du principe pollueur-payeur que s'inscrit la création de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), annoncée par le Premier ministre en septembre dernier. En 1999, cette taxe ne concernera que les redevances perçues par l'ADEME dans le domaine des déchets, mais elle a vocation à être élargie au domaine de l'eau.
L'application de la TGAP à ce secteur doit en effet permettre de mieux dissuader les comportements polluants, sans remettre en cause le système des agences de l'eau et des comités de bassin, et sans remettre en cause, surtout, ce qui en fait la force et l'originalité : une gestion globale de l'eau par bassin versant, un financement pluriannuel des politiques de dépollution, et la mise en place d'un dialogue entre l'ensemble des acteurs concernés, parmi lesquels évidemment les pêcheurs.
Cette extension de la TGAP au domaine de l'eau fait actuellement l'objet d'une vaste concertation. Je souhaite que nous puissions déboucher sur un consensus aussi large que possible, qui pourrait être intégré dans la loi de finances 2000. Je précise qu'aucun des scénarios actuellement à l'étude ne prévoit l'intégration de la taxe piscicole dans la TGAP.
Les taxes concernées à ce jour par notre réflexion sont en effet pour l'essentiel les redevances pollution perçues par les agences de l'eau, ainsi que les taxes à l'étude sur les engrais et les pesticides, et sur les aménagements et artificialisations des vallées que j'évoquais tout à l'heure.
Mais même une mise en uvre parfaite du principe " pollueur payeur " ne suffira pas pour reconquérir la qualité de l'eau et des milieux aquatiques. L'Etat doit renforcer la police de l'eau, de la pêche et des milieux aquatiques.
D'ores et déjà, les moyens consacrés à cette police vont être nettement augmentés : 140 MF supplémentaires seront attribués dès 1999 par les agences de l'eau, pour l'amélioration de la connaissance des milieux aquatiques, et le fonctionnement des services de police de l'eau. À ce titre, 50 MF seront versés au CSP, qui pourra ainsi prendre en charge la totalité des frais de fonctionnement des brigades de garderie. Grâce à cet allégement significatif de charge financière, vos fédérations pourront accroître les actions d'appui technique et de promotion du loisir pêche, qui vous tiennent à cur.
Par ailleurs, 28 postes supplémentaires de gardes-pêche seront créés, financés sur le budget de l'Etat. Vous déploriez à juste titre que les pêcheurs soient jusqu'à ce jour les seuls à porter le poids de cette action d'intérêt général qu'est l'exercice de la police de l'eau. Désormais, grâce à cet effort notable de l'Etat et de l'ensemble du monde de l'eau, ce ne sera plus le cas.
Dans ce contexte, il m'est apparu indispensable de clarifier les conditions de mise à disposition des gardes-pêche, par des conventions départementales entre l'Etat, les fédérations de pêche et le CSP. Je sais que la préparation d'un modèle de convention provoque chez vous une certaine inquiétude.
Je tiens à cet égard à vous rassurer : il ne s'agit certes pas dans mon esprit de couper les ponts entre les brigades et vos fédérations. Il s'agit simplement de préciser les modalités selon lesquelles ces brigades accomplissent des missions techniques pour votre compte, d'une part, et des missions régaliennes de police pour le compte de l'Etat, d'autre part.
Ainsi, comme vous l'a précisé tout à l'heure Gérard Tendron, ces conventions détermineront les conditions selon lesquelles les agents de la brigade sont mis à disposition du président pour l'ensemble des missions que la loi confie à la fédération. Elles indiqueront également les conditions selon lesquelles le responsable de la mission inter-services de l'eau (MISE) veillera à l'exécution des missions de police par les gardes-pêche. Je souhaite que ces conventions puissent continuer à être préparées dans la concertation et dans le climat de confiance réciproque qui, jusqu'à maintenant, ont régi nos rapports.
C'est dans ce même état d'esprit que l'importante question de la titularisation des gardes-pêche devra être étudiée. Celle-ci a surgi du fait de l'annulation du statut des gardes-chasse par le Conseil d'Etat. Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune menace sur les conditions d'exercice des missions confiées à ces agents, notamment les conditions dans lesquelles ils sont placés à votre disposition.
Vous devez au contraire voir cette titularisation éventuelle comme la possibilité d'assurer aux agents mis à votre disposition un statut et une évolution de carrière aussi satisfaisants que possible. Vous serez naturellement tenus étroitement informés des progrès de la réflexion lancée à ce sujet.
J'en viens maintenant aux questions plus spécifiques sur lesquelles, Monsieur Solelhac, vous m'avez interpellée. L'an dernier, vous aviez attiré mon attention avec force sur la prolifération des plans d'eau, sur la régulation des cormorans et sur l'application de l'article L. 235-5 du code rural. Il me semble que sur ces sujets aussi, nous avons ensemble beaucoup progressé.
1. S'agissant des plans d'eau, une circulaire a été adressée aux préfets le 16 février 1998, pour leur rappeler les orientations à adopter ainsi que le dispositif réglementaire applicable. Il a été notamment clairement réaffirmé que l'autorisation de créer un plan d'eau " à des fins de valorisation touristique " devait impérativement reposer sur un projet d'exploitation lié à une véritable activité économique. L'autorisation ne pouvant être accordée dans le cas où le plan d'eau n'est manifestement créé que pour échapper à la réglementation de la pêche.
Plus généralement, pour lutter contre les menaces que la prolifération anarchique des plans d'eau fait peser sur les écosystèmes aquatiques et sur les paysages, la modification des rubriques d'autorisation et de déclaration, au titre de la loi sur l'eau, est actuellement à l'étude, en concertation avec vos représentants. Sont ainsi prévues la diminution du seuil d'autorisation dans les bassins de première catégorie piscicole, ainsi que la définition des prescriptions générales applicables à la création et aux vidanges des plans d'eau soumis à déclaration.
2. La question des cormorans est pour vous, je le sais, encore plus sensible. L'arrêté autorisant les tirs de régulation des populations de cormorans pour la saison 1998-1999 a été publié le 14 août dernier. Son objectif est de permettre l'élimination de 12 % de la population hivernante.
Les opérations de tir sur les eaux libres sont en particulier reconduites, en privilégiant les sections de cours d'eau fréquentées par des espèces de poissons à haute valeur patrimoniale. Un quota de 50 oiseaux est en outre attribué à tout département susceptible d'être concerné par une telle régulation, sous réserve qu'un consensus aussi large que possible puisse être trouvé au sein du comité départemental de suivi.
Ces mesures s'ajoutent à celles décidées en 1997, notamment le retrait du cormoran de la liste européenne des espèces d'oiseaux nécessitant une protection particulière. Il me semble en conséquence que des progrès ont été enregistrés depuis deux ans pour la maîtrise de cette espèce.
3. L'an dernier, Monsieur le Président Solelhac, vous aviez fait de la parution du décret d'application de l'article L. 235-5 du code rural votre revendication principale. Je vous rappelle que cet article prévoit, lorsque des propriétaires riverains de cours d'eau non domaniaux demandent des subventions publiques pour la restauration ou l'entretien de leurs rivières, que le droit de pêche soit, en contrepartie, cédé gratuitement à une association de pêche.
Comme je m'y étais engagée, un projet de décret d'application a été préparé par mes services. Il est actuellement soumis à l'avis des différents acteurs concernés : les pêcheurs, bien sûr, mais aussi les agriculteurs et les représentants de la propriété agricole. La concertation se poursuit : une réunion de travail se tiendra ainsi au début du mois prochain. Je souhaite qu'elle puisse aboutir dans les meilleurs délais.
4. Par ailleurs, j'ai bien noté, Monsieur le Président, votre lassitude, et le mot est faible, devant le retard qu'a pris la mise en conformité légale des ouvrages hydroélectriques. Je partage pleinement votre impatience : il est urgent que ces ouvrages, en particulier les plus importants d'entre eux, qui sont soumis au régime de la concession, respectent enfin les obligations de débit réservé, et plus généralement de compensation des dommages qu'ils causent au milieu aquatique.
D'ores et déjà, à ma demande, une vingtaine de chutes bénéficient ou vont bénéficier d'une augmentation de leur débit réservé. De même, un accord international, signé en mai dernier, permettra de réduire l'impact des éclusées des ouvrages situés sur le Doubs frontalier.
Enfin, trois ouvrages ont été purement et simplement démolis, ce qui démontre le volontarisme de mon ministère pour reconquérir des eaux libres et courantes : il s'agit des barrages de Kernansquillec (sur le Léguer, dans les Côtes-d'Armor), de Saint-Etienne-du-Vigan (sur l'Allier, dans la Haute-Loire) et de Maisons-Rouges (sur la Vienne, en Indre-et-Loire).
Je compte sur l'appui des pêcheurs pour aller plus loin, de même que j'ai noté avec plaisir votre soutien pour débloquer enfin le projet de reconquête du saumon sur le haut Allier, actuellement mis en péril par le " chantage inadmissible " (ce sont vos mots, Monsieur Solelhac, et j'y souscris pleinement) qu'exerce l'EPALA.
Mesdames, Messieurs, cet exposé était long, mais je crois qu'il était nécessaire pour vous convaincre que, depuis un an et demi, nous avons déjà ensemble beaucoup progressé sur de nombreux chantiers qui nous tiennent à cur, à vous comme à moi. Je compte sur votre dynamisme à tous, notamment sur celui de tous les nouveaux élus que j'ai eu l'occasion de saluer le 3 juin dernier, pour mener à bien les importants chantiers qui sont ainsi ouverts. Il en va de l'avenir de la pêche et de la santé des rivières et des milieux aquatiques.
Je vous remercie de votre attention.

(source http://www.environnement.gouv.fr, le 20 septembre 2001)