Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur la coopération intercommunale, notamment au niveau des pays et des agglomérations, et sur le projet de loi d'orientation d'aménagement et de développement durable du territoire, Paris le 15 octobre 1998.

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Circonstance : 9ème convention nationale de l'assemblée des districts et des communautés de France, Paris le 15 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
" Intercommunalité et nouvelle donne des territoires ", votre sujet de l'après-midi est au cur de l'action du gouvernement. Il l'est bien sûr à travers le projet de loi sur la simplification et le renforcement de la coopération intercommunale, dont vous avez débattu ce matin. Il l'est aussi dans le projet de loi d'orientation d'aménagement et de développement durable du territoire.
En effet, le monde change, et notre façon de l'appréhender aussi. Ce changement porte sur la dimension du développement, sur l'échelle d'activité des entreprises et des échanges, sur les flux de biens et de services, sur la perception du monde par la population, ou encore sur les interactions entre territoires.
Dans le champ de l'économie, ce changement de dimension et d'échelle tend à déconnecter les entreprises des territoires : les grands groupes adoptent des stratégies internationales, achètent ou vendent les entreprises au gré de leurs intérêts et compliquent les facteurs de la décision. L'organisation de la production réduit les stocks, s'organise en flux tendus, renforce les dépendances logistiques, et se traduit par une croissance rapide des transports.
Les petites et moyennes entreprises sont soumises à une pression accrue en termes de qualité et d'innovation. Elles sont ainsi appelées à développer de nouvelles relations inter-industrielles et des coopérations inter-entreprises, qui les amènent à revoir profondément leur organisation. Cet élargissement renforce le besoin et l'importance stratégique de l'information.
Dans le champ social, ces évolutions renforcent les mobilités professionnelles et géographiques, et aggravent les disparités sociales et territoriales. La destructuration des réseaux de sociabilité est génératrice de phénomènes d'exclusion pour de nombreux individus.
Mais ces brusques évolutions créent aussi de nouveaux réseaux, sur des logiques culturelles nouvelles. Elles renforcent donc le rôle de la formation, de même que la nécessité de recréer du lien social et des repères culturels communs. Elles appellent des actions de proximité, qui interpellent directement l'organisation territoriale. Pour faire face aux nouveaux besoins des habitants, générateurs de nouveaux services et de nouvelles activités, il faut une plus grande qualité de l'offre territoriale.
Dans le domaine de l'environnement, ces évolutions modifient la dépendance des activités à l'égard des matières premières. La prise de conscience de la finitude des ressources naturelles (eau, air, sols et sous-sol) renforce leur notion de coût, et se traduit aussi par une volonté grandissante de ménager ces milieux et ces ressources. Par ailleurs, la qualité de l'environnement dans les facteurs de satisfaction des populations ou de localisation des acteurs mobiles est un critère qui a de plus en plus de poids.
Dans le champ démocratique enfin, le développement de la formation et l'ouverture de l'horizon culturel engendrent de nouvelles exigences de connaissance, de débat et de participation, auxquelles les collectivités territoriales et l'Etat doivent répondre. Les processus de décision publique s'en trouvent modifiés et induisent de nouvelles modalités de représentation, et des possibilités nouvelles d'expression collective.
Ces changements fixent le cadre, les contraintes et les ressources d'un développement territorial durable.
L'intégration des activités redéfinit l'organisation et l'articulation des territoires. Vous en avez, dans vos débats d'aujourd'hui, repéré les termes et identifié certaines contradictions.
LA COMMUNE
La commune constitue la cellule institutionnelle de base et le lieu par excellence de la proximité. Elle est le premier lieu de représentation et de reconnaissance démocratique pour la majorité de nos concitoyens. Elle présente toutefois, au-delà du nombre élevé de communes, une très grande hétérogénéité de situation : les 32 000 petites communes, disposant de peu de moyens, se comparent difficilement aux 4 000 plus grandes communes : celles-ci doivent mettre en place des dispositifs subsidiaires de proximité ou de solidarité dans leurs quartiers. Leur nombre et leur diversité appellent à leur tour des processus et des mécanismes de solidarité et de cohésion.
Très différentes par leurs richesses, leurs potentiels fiscaux, leurs charges, leurs efforts fiscaux, les communes doivent être adaptées, regroupées, solidarisées. De nouvelles relations doivent s'établir entre villes-centres et banlieues, entre agglomérations et campagnes.
Une des réponses à ces évolutions réside dans la constitution de territoires de solidarité et de projets. Le principe de subsidiarité invite à construire des cohésions successives entre quartiers ou communes à l'échelle d'agglomérations et de pays, entre territoires locaux et départements au sein des régions, puis aux échelles nationales et européennes. Le principe de subsidiarité engage aussi à ne pas court-circuiter ces mêmes échelles de cohésion. Les fonds européens ou nationaux ne peuvent compenser efficacement les inégalités internes aux régions et aux agglomérations ou pays qu'à la condition que ces territoires se mobilisent. La politique de la ville, les programmes de conversion industrielle, les mécanismes correctifs des zones rurales en difficulté n'ont de sens que s'ils se déploient sur un terrain rendu fertile par les projets et par la conscience des nécessaires solidarités internes.
C'est ce constat qui justifie au premier chef les démarches d'agglomérations et de pays.
LES AGGLOMÉRATIONS
Le projet de loi d'aménagement et de développement durable du territoire prévoit la possibilité de contractualiser pour les agglomérations. Cette disposition prépare et anticipe l'organisation intercommunale relevant du projet de loi sur l'intercommunalité. À cet effet, il définit l'agglomération comme un territoire formulant un projet sur les sujets essentiels au développement durable, et qui constituerait, ultérieurement, les domaines de compétence de l'agglomération : le développement économique, l'aménagement spatial, l'organisation des transports et des déplacements, la politique de l'habitat et la cohésion sociale par les contrats de villes, la gestion de l'eau et celle des déchets participant de l'écologie urbaine, et enfin les programmes structurants dans les domaines culturels, sportifs, etc.
La construction de ce projet suppose un diagnostic partagé et une élaboration concertée. Ouverte aux aires urbaines de plus de 50 000 habitants, (et d'au moins 15 000 habitants pour la ville-centre), cette démarche doit aboutir sur une base cohérente avec l'organisation de cet ensemble urbain. Elle doit également ouvrir la voie à une solidarité économique et fiscale, par la taxe professionnelle unique. Anticipant la structuration intercommunale, le projet de contrat incite à la mise en place d'un conseil d'agglomération partenarial, en capacité de nourrir le projet local puis d'en accompagner le suivi, la mise en uvre et l'évaluation.
Vous suggérez de remplacer les critères quantitatifs par le degré d'intégration des compétences à l'échelle intercommunale, pour définir le montant de l'aide incitative. Cette suggestion, pertinente en termes d'intéressement à la démarche, aurait probablement pour effet de la rendre moins accessible, ou d'affaiblir la dynamique d'organisation des milieux urbains. La préparation des contrats de plan suscite et accélère le processus prévu dans la loi préparée par le ministère de l'Intérieur.
Cette dynamique permet des élections directes aux communautés urbaines, communautés d'agglomérations ou de communes. Je suis favorable à cette avancée démocratique.
LES PAYS
Les pays, quant à eux, n'ont pas vocation à être des structures intercommunales au sens habituel. L'objectif est d'instaurer une nouvelle relation entre ville et campagne autour d'un projet solidaire de développement. Le pays se constitue autour d'une démarche partenariale de projet, qui s'appuie sur les communes et surtout sur les structures de coopération déjà présentes. Développant un projet, il affirme le rôle et l'assise d'un territoire, il fédère des énergies, mais ne met pas en uvre des compétences.
C'est la raison pour laquelle il est proposé, au-delà de la période de préfiguration, qui peut se concevoir dans un cadre peu formalisé ou associatif, d'appuyer le pays sur un syndicat mixte. Cette structure offre un cadre souple et ouvert aux acteurs, mais suffisamment formel, et garant du maniement des fonds publics.
Les moyens d'action du pays s'appuient sur l'engagement de ses composantes, sur les moyens de la contractualisation avec l'Etat et la région, si possible sur le département, et sur la possibilité de mobiliser les fonds européens.
J'ai noté l'attente et l'intérêt que suscite le pays, et votre adhésion à ces principes. Vous souhaitez disposer d'une grande liberté pour le constituer. Pour moi, un pays se fond sur un projet et sur la rencontre des acteurs, et non sur une définition statistique des relations et des déplacements entre communes.
La liberté ne signifie pas l'incohérence. La définition du périmètre du pays est importante : le projet construit les solidarités entre des territoires liés entre eux, et ne peut se résumer à l'addition de quelques communes ou cantons, sur une thématique partielle. Il doit reconnaître et permettre l'existence et la contribution de chacune de ses composantes.
C'est pourquoi je considère, comme vous, qu'il doit englober les structures intercommunales que sont les communautés de communes, et que seront demain les communautés d'agglomérations et les communautés urbaines. C'est pourquoi, également, les espaces ruraux d'un pays doivent pouvoir être identifiés et organisés, notamment au sein de communautés de communautés, et avoir une place déterminée dans le dispositif du pays.
Le projet de loi sur l'intercommunalité confirme le principe du regroupement des communes rurales au sein de communautés de communes, aptes à mettre en place un mécanisme de solidarité économique et fiscal, par l'adoption de la taxe professionnelle unique.
J'ajouterai un dernier mot au sujet des pays : le projet de loi prévoit l'articulation des pays avec les parcs naturels régionaux. Ces derniers constituent, sur 10 % du territoire, une préfiguration de démarches de développement durable. En effet, dans leur charte, les parcs font de la qualité de l'environnement et du territoire, un facteur de développement et un point d'appui pour des zones rurales initialement à la recherche d'un projet ou en difficulté. Fondés sur l'unité géographique et la qualité des milieux, ils ne répondent pas exactement à la logique qui prévaut pour les pays, mais leur délimitation est reconnue et respectée, les pays devant s'harmoniser avec les parcs.
TERRITOIRES, DÉVELOPPEMENT DURABLE ET CONTRATS
Cette logique de développement durable, qui inclut la solidarité, traverse l'ensemble de la politique de contractualisation projetée par l'Etat.
Elle conduit à réexaminer les modalités du soutien aux réseaux de villes. Les coopérations et les complémentarités entre agglomérations, voire entre pays, doivent s'accroître et s'inscrire dans la logique des schémas régionaux de développement.
Agglomérations et pays constituent aussi un cadre de référence pour l'organisation des services publics. J'ai demandé aux préfets de départements d'établir l'état des transformations et des regroupements des services publics, afin de pérenniser leur présence sur le territoire. En effet, la superposition des processus de rationalisation des services publics conduit, si l'on n'y prend pas garde, à démunir les mêmes territoires de plusieurs services aux populations et aux entreprises, et à les fragiliser.
La LADDT renouvelle fortement les processus d'élaboration des politiques publiques. L'élaboration simultanée des schémas de services collectifs par l'Etat, des schémas régionaux d'aménagement par les régions, ainsi que la consultation sur le maillage du territoire en agglomérations et en pays, conduit à la construction interactive de l'aménagement du territoire. La phase actuelle rompt ainsi avec le schéma descendant classique, qui déduit les projets locaux des schémas régionaux, eux-mêmes déduits d'un schéma national imposé.
Il innove aussi par la prise en compte, dans les schémas de service, des besoins et des échéances de long terme, et par la prise en considération concomitante de la performance économique, de la justice sociale et de la qualité de l'environnement. Il repose sur une logique de projet, et non sur une logique de guichet.
LES ENJEUX ET LES OBJECTIFS
Le gouvernement a mis en uvre une stratégie unique pour la contractualisation Etat-Région et les documents uniques de programmation européens. Ils portent sur une durée de 7 ans, pour la période 2000-2006, avec mise à jour à mi parcours, en 2003.
Cette date, 2003, constitue la limite pour l'inscription des contrats d'agglomérations et des contrats de pays dans le volet territorial de ces programmes, qui est significativement revalorisé. Les contrats de villes, élaborés dès l'année 1999, sont incorporés dans les contrats d'agglomérations. Les parcs naturels régionaux s'inscrivent dans la même procédure que les pays.
Les priorités du gouvernement portent sur l'emploi, le développement durable, et sur la cohésion sociale et territoriale.
- Les contrats de plan Etat-Région participent en priorité à l'amélioration de la situation de l'emploi, par le renforcement des dynamiques et des systèmes productifs régionaux et locaux, par le soutien aux initiatives de développement local et de création d'activité, et par la prise en compte de l'effet des investissements en termes d'emplois. L'efficacité économique et la création de nouveaux emplois passent par la convergence des politiques publiques et des initiatives locales porteuses d'innovations, et par l'inscription des acteurs et des territoires dans les échanges internationaux.
- Mettre en uvre un développement durable, c'est respecter ses acteurs et les habitants, et fonder les activités sur une utilisation pérenne des ressources naturelles (eau, air, sol, biodiversité), et sur la recherche de la qualité environnementale. Les projets seront donc appréciés de manière globale, en matière d'investissement et de fonctionnement, d'impact social et environnemental, de réponse aux besoins des équipements existants, et de réduction à la source des consommations de ressources.
- Les contrats Etat-Région contribuent à la cohésion territoriale, à la citoyenneté et à l'intégration des populations, par une attention particulière à la réduction des inégalités sociales dans leur traduction spatiale, et à la solidarité au profit des populations et territoires les plus fragiles, ou confrontés à des mutations profondes.
Ces contrats prévoient les dispositifs d'élaboration partenariale, de suivi des actions et d'évaluation des programmes, appuyés sur les conseils de développement des pays et sur les comités de pilotage d'agglomération. Il convient d'identifier les moyens leur permettant de mener en propre ces fonctions avec le concours de l'Etat, de la région, et du territoire, ainsi que des fonds européens.
Dans les contrats de territoire, ces objectifs et les principes de schémas de services collectifs se traduisent par un projet de développement local. Ce projet se déclinera en interventions sur l'aménagement de l'espace et l'organisation des transports - notamment, pour les agglomérations, en plans de déplacements urbains -, en chartes d'écologie urbaine ou en agendas 21 du territoire, en outils de conduite de la politique du logement et de l'organisation des services de proximité, en contrats de ville, etc.
Je retire de vos travaux le sentiment d'une convergence entre vos réflexions et nos objectifs. Je note avec satisfaction votre intérêt pour la démarche des pays et des agglomérations, pour une avancée dans la représentation démocratique et l'élaboration participative des projets, et votre souhait d'une plus grande solidarité économique et fiscale à l'échelle intercommunale.
(source http://www.environnement.gouv.fr, le 21 septembre 2001)