Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur la mise en oeuvre du protocole de Kyoto, l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) aux consommations intermédiaires d'énergie des entreprises et sur les mesures en faveur de la maîtrise de l'énergie, Paris le 6 octobre 2000.

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Circonstance : Colloque sur le thème "Fiscalité, accords volontaires, permis négociables : quels outils pour le développement durable ?", à Paris le 6 octobre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse que Nicole Bricq m'ait invitée à clôturer ce colloque. Je crois en effet qu'il arrive à un bon moment.
Il arrive à un bon moment, d'abord, parce que la négociation sur la mise en uvre du protocole de Kyoto devrait aboutir prochainement. Ce protocole constitue, au niveau international, un des outils majeurs pour le développement durable. Agir pour sa mise en oeuvre effective et rapide est une des priorités de la présidence française de l'Union européenne.
Il arrive à un bon moment, aussi, parce que depuis trois ans mon ministère travaille à moderniser ses modes d'intervention en matière de protection de l'environnement en cherchant à mettre en place de nouveaux outils, venant en complément de l'approche réglementaire traditionnellement utilisée. Je souhaite recourir de façon équilibrée à trois types d'instruments pour conduire ma politique : l'information et l'incitation à l'adoption de comportements respectueux de l'environnement, la réglementation, et la modernisation de la fiscalité pour en faire un outil de la politique environnementale.
2001 sera une étape importante en la matière, avec l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes aux consommations intermédiaires d'énergie des entreprises et la mise en uvre du programme de maîtrise de l'énergie auquel le gouvernement travaille actuellement
Mais avant de développer ces questions, je voudrais d'abord faire le point sur la mise en uvre du protocole de Kyoto comme m'y invite le thème choisi pour ce colloque.
Depuis trois mois, la France assure la présidence de l'union européenne. La lutte contre le changement climatique est l'une des principales priorités de cette Présidence, et je ne ménagerai pas mes efforts pour que la Conférence de La Haye, au mois de novembre prochain, soit un succès. Je souhaite aussi que pendant cette présidence l'Union européenne engage les actions nécessaires, dans chacun de ses Etats, pour réduire effectivement les émissions de gaz à effet de serre de 8% entre 1990 et la période 2008-2012.
Le premier conseil environnement formel de notre présidence aura lieu dans une semaine. J'y débattrai avec mes collègues des politiques et mesures de lutte contre l'effet de serre à mettre en place au niveau européen et de notre stratégie de négociation d'ici la Haye.
La Haye sera en effet une étape décisive. Nous devrons faire en sorte que le Protocole de Kyoto puisse être rapidement ratifié par un nombre d'Etats suffisant pour permettre son entrée en vigueur avant 2002, pour le dixième anniversaire du sommet de Rio, tout en veillant à obtenir un accord dont l'efficacité environnementale soit satisfaisante.
La conférence de Lyon qui s'est tenue le mois dernier a permis de progresser dans la formulation des solutions et de leurs modalités de mise en uvre.
Il reste, à l'issue de cette conférence, à réaliser un intense travail politique et diplomatique pour surmonter les difficultés qui subsistent.
Les orientations dégagées à Kyoto et Buenos Aires concernant l'architecture du protocole se confirment :
les engagements pris par les pays développés sont des engagements de résultats, avec des objectifs quantifiés assignés à chaque pays ;
chaque pays reste libre de choisir les moyens qu'il souhaite mettre en oeuvre pour respecter ses engagements ;
de la souplesse est introduite dans le système par les mécanismes de Kyoto ; en contrepartie, un régime de respect des engagements strict est mis en place pour assurer la crédibilité d'ensemble du dispositif ;
les mécanismes de Kyoto sont également utilisés pour favoriser les transferts de technologie vers les pays en développement.
Comme dans toute négociation, ce " paquet " global qui se dessine présente certaines lacunes. C'est le cas notamment de l'absence de coordination internationale des politiques et mesures de lutte contre l'effet de serre qui rend certaines mesures très difficile à prendre de manière unilatérale. Alors par exemple que la taxation du kérosène au niveau international serait le moyen le plus efficace d'infléchir la très forte croissance des émissions de CO2 du transport aérien, aucun pays ne semble prêt à prendre l'initiative de la mettre en place.
Mais un accord à la Haye constituerait un progrès spectaculaire : nous sommes en effet concrètement en train de mettre en place cette " autorité mondiale " pour la protection de l'atmosphère que la France appelait de ses voeux en 1989, à la Haye justement.
Dans ce paquet global, quelques points me paraissent particulièrement importants.
La mise en place du dispositif de surveillance et de sanctions, ce que l'on appelle l'observance, est indispensable pour garantir une pleine application du protocole. L'expérience que nous avons de la construction européenne nous conforte dans la conviction qu'un dispositif de sanctions visant l'ensemble des obligations du protocole et ayant des conséquences économiques significatives sur les pays qui s'écarteraient fortement de leurs engagements sera un facteur puissant de progrès environnemental.
La mise en place d'un tel régime de mise en conformité permettra de faire de la convention climat un " modèle " à l'égard des autres conventions environnementales. Elle sera également un progrès substantiel dans la construction d'un véritable système de régulation mondiale en matière environnementale.
Si le dispositif de surveillance est important, il n'y aura pas de véritable mise en uvre du protocole sans maîtrise des " échappatoires ". Il faut éviter le recours indu aux mécanismes de Kyoto qui servirait d'alibi à l'insuffisance de mesures domestiques. Nous n'y parviendrons pas sans un mécanisme concret et pertinent de " supplémentarité " permettant de s'assurer que les pays industrialisés mettent effectivement en uvre, chez eux, des mesures de réduction de leurs émissions.
La prise en compte laxiste des puits de carbone qui permettrait d'échapper à tout effort réel de maîtrise de l'énergie doit également être évitée.
Enfin, mais c'est un sujet majeur, la dynamique internationale ne se poursuivra que si nous définissons clairement les cadres de la coopération avec les pays du Sud, dont beaucoup seront les plus vulnérables aux conséquences des changements climatiques.
C'est pourquoi il me paraît nécessaire que des financements supplémentaires soient dégagés, aussi bien par l'intermédiaire de l'aide au développement que par la mise en place de sources de financement nouvelles, notamment par un prélèvement sur les mécanismes de Kyoto.
La France est déterminée à aboutir à un succès à la Haye. Elle est déterminée aussi à respecter les engagements qu'elle a souscrits à Kyoto. Notre pays est le premier pays industrialisé à avoir achevé la procédure interne d'autorisation de ratification du protocole. C'est aussi un des premiers pays à avoir adopté un programme national de lutte contre le changement climatique.
Ce programme national inclut divers outils, dont le recours aux instruments économiques que je m'efforce de développer depuis trois ans. Je crois nécessaire en effet que les pouvoirs publics diversifient leurs instruments et privilégient lorsque c'est possible l'incitation plutôt que la contrainte.
La fiscalité n'est pas seulement une taxation de la richesse produite en vue d'opérer une redistribution, elle peut devenir un élément orientant la manière dont la richesse est produite.
La taxation des carburants, qui a fait couler beaucoup d'encre ces dernières semaines, en fournit, me semble-t-il, un exemple clair. Historiquement plus élevée dans notre pays que chez nos partenaires de l'OCDE, la fiscalité sur les carburants a joué un rôle important dans la structuration de notre système de transports de voyageurs. Le fait que nos voitures consomment deux fois moins que les voitures américaines ou qu'un francilien consomme cinq fois moins d'énergie pour se déplacer qu'un habitant de Houston n'est pas dû qu'au hasard ou à la géographie !
On oublie d'ailleurs trop souvent que quand on achète un billet de train, on paie non seulement l'énergie nécessaire au transport, mais aussi les voies, les ponts et le personnel de la SNCF.
Une voiture ça ne peut rouler que sur une route et ça provoque des nuisances - je pense non seulement au bruit ou à la pollution mais aussi aux accidents de la route - qui ont un coût pour la société. Les économistes qui ont comparé ces dépenses et les rentrées procurées par les taxes sur les carburants et les péages autoroutiers estiment que les recettes ne couvrent qu'une partie de ces coûts lorsque l'on considère l'ensemble des usagers de la route, seuls les automobilistes payant globalement pour leurs trajets interurbains les coûts de la route.
C'est pourquoi, au-delà des mesures conjoncturelles qui ont été prises par le Gouvernement pour aider les particuliers et les acteurs économiques à passer un cap difficile, il me semble nécessaire de maintenir notre objectif qui doit être celui de la vérité des coûts dans le secteur des transports.
De manière plus large, la création, depuis le 1er janvier 1999, de la nouvelle "taxe générale sur les activités polluantes" (TGAP) résulte de la volonté de rénover et d'élargir les bases de la fiscalité environnementale.
En 1999, la TGAP ne concernait que les taxes recouvrées jusqu'à présent par l'ADEME :
- taxe sur le traitement et le stockage des déchets industriels spéciaux,
- taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique,
- taxe parafiscale sur les huiles de base,
- taxe d'atténuation des nuisances sonores,
- taxe sur le stockage des déchets ménagers et assimilés.
En 2000, la TGAP a été étendue à l'eau et à l'agriculture. La TGAP portant sur les produits phytosanitaires met en uvre pleinement le principe pollueur-payeur, afin d'encourager un usage raisonné de ces produits. Elle est, dans sa composition, le contraire d'une taxe aveugle : elle comporte 7 niveaux de taxation, fonctions du caractère plus ou moins toxique ou écotoxique des produits utilisés. Je suis, à cet égard, satisfaite qu'il y ait une première catégorie dont le niveau de taxation est nul et que les rentrées fiscales soient inférieures à celles attendues, ce qui laisse penser que la taxation a eu l'effet incitatif attendu en accélérant la commercialisation de produits plus propres.
L'extension, en 2001, de la TGAP à l'énergie et, par là même, à la prévention des émissions de gaz à effet de serre et la maîtrise de la demande d'énergie marquera une étape décisive.
Les taxes de financement, formes traditionnelles de la fiscalité de l'environnement, avaient pour objectif non pas de décourager les comportements polluants, mais simplement de dégager les financements nécessaires à la réparation partielle des dommages causés à l'environnement.
La TGAP, en rompant avec ce principe, permet au contraire d'adresser aux émetteurs d'activités polluantes le signal-prix adéquat pour les inciter à des comportements plus vertueux, soit en réduisant leurs activités polluantes, soit en mettant en uvre des technologies et des procédés de production plus respectueux de l'environnement.
Instrument d'incitation et de prévention, la TGAP a été instituée et développée à prélèvements constants. Les financements rendus disponibles par le rendement de la TGAP contribueront à la réduction des prélèvements obligatoires qui pèsent sur le travail.
Le gouvernement a maintenant défini les principales modalités d'extension de la TGAP aux consommations intermédiaires d'énergie des entreprises à compter du 1er janvier 2001.
L'élaboration du dispositif a fait l'objet d'une concertation approfondie avec l'ensemble des acteurs concernés et notamment les industriels. Le gouvernement a ainsi pris l'initiative, en juillet 1999, de publier un livre blanc invitant les acteurs économiques à donner leur opinion sur cette question.
C'est à partir de cette consultation et des échanges qui s'ensuivirent que le gouvernement a arrêté le dispositif qui sera soumis au Parlement dans le cadre du collectif budgétaire de fin d'année et qui concernera toutes les entreprises, sauf les plus petites, c'est-à-dire celles consommant moins de 100 tonnes d'équivalent pétrole par an. Au total, le produit attendu est de 4 milliards de francs.
Cette taxe concerne notamment certaines entreprises dont les procédés industriels sont fortement consommateurs d'énergie. Afin de préserver la compétitivité de l'industrie française, le gouvernement a souhaité que ces entreprises puissent bénéficier, comme dans les autres pays européens qui ont mis en place une écotaxe énergie, de modalités d'application du dispositif permettant de concilier l'objectif environnemental et le maintien de la compétitivité dans le cadre international.
Le gouvernement proposera donc au Parlement que les entreprises fortement consommatrices soient traitées dans le cadre d'un dispositif spécifique. Elles seront incitées dès 2001 à contracter avec l'administration des engagements volontaires de réduction. Les objectifs de réduction seront fixés en tenant compte des objectifs arrêtés par le gouvernement dans le programme national de lutte contre le changement climatique et des meilleures technologies disponibles à des coûts acceptables.
Pour les entreprises qui auront contracté de tels engagements en 2001, la taxe portera à partir de 2002 sur les consommations qui dépasseraient les objectifs fixés par les engagements volontaires. En attendant que de tels engagements soient contractés, les entreprises seront taxées sur leur consommation marginale au-delà d'une part forfaitaire de leur consommation de l'année 2000.
Le couplage entre la taxation et le recours à des engagements sanctionnables permettra ainsi de parvenir à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, y compris dans le cas des entreprises fortement consommatrices.
Le dispositif mis en place pourra intégrer, le moment venu, la faculté pour les industries concernées de participer à des échanges de crédits d'émission.
Conformément au programme national de lutte contre l'effet de serre, l'objectif à l'horizon 2010 est que 2,4 millions de tonnes de carbone soient ainsi économisées par an dans les secteurs de l'industrie et du tertiaire.
Les énergies fossiles seront taxées en fonction de leur contenu en carbone, sur la base d'un taux de 260 F par tonne d'équivalent carbone. L'électricité sera taxée forfaitairement au taux de 1,3 centime par kWh.
Certains s'étonneront que l'électricité soit taxée alors que sa production ne contribue que très peu, dans notre pays, aux émissions de gaz à effet de serre. Mais l'objet de cette taxe est autant d'améliorer notre efficacité énergétique en général que de réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Vous savez à cet égard que le Premier ministre a commandé en mai de l'année dernière une étude économique prospective de la filière nucléaire française jusqu'en 2050 à Messieurs CHARPIN, Commissaire au Plan, DESSUS, Directeur au CNRS et PELLAT, Haut Commissaire à l'Energie Atomique. Cette étude a été remise à Lionel JOSPIN le 28 juillet dernier.
Je ne vais pas bien entendu me livrer ici à une analyse approfondie de ce rapport. Je noterai juste quelques points :
d'abord, le retraitement des combustibles est une opération dont la logique économique n'est plus assurée. Au total sur la durée de vie du programme français cela pourrait coûter 164 milliards de francs pour éviter simplement 150 tonnes de Plutonium sur un total de l'ordre de 600 tonnes et au prix d'une complexification de la gestion de déchets. Plus on arrêtera rapidement cette opération, moins on perdra d'argent ;
Deuxième enseignement. Contrairement à une idée reçue, le fonctionnement des centrales représente 43 % du coût total ce qui n'est pas négligeable et donc relativise la question de la durée de vie ;
En troisième point et en prospective cette fois, l'étude montre que la composition du parc de production de l'électricité (plus ou moins de gaz ou de nucléaire) n'entraîne pas de différence significative du prix du kwh. La prospective économique ne discrimine pas les choix des sources d'énergie.
Quatrièmement, aucune décision de construction de nouvelles unités de production, au gaz ou nucléaire, n'est nécessaire avant au moins une quinzaine d'années pour les besoins français.
Enfin, s'agissant de la question de la maîtrise de l'énergie, parmi les scénarios étudiés, ce sont les scénarios à faible demande d'électricité qui procurent les gains les plus importants, évalués à 14 à 15 milliards de francs par an pendant 50 ans. Ces scénarios conduisent même à des coûts du kwh inférieur, du fait des économies réalisées sur les réseaux de transport d'électricité et de gaz. Il me semble que ce constat justifie pleinement une incitation à la maîtrise de nos consommations d'électricité, même si je n'ose pas rêver que nous y consacrions 14 à 15 milliards de francs par an.
De manière plus générale, les événements récents nous ont rappelé l'intérêt qu'il y avait à relancer nos efforts de maîtrise de l'énergie.
Le Premier ministre a annoncé, à Lyon le 11 septembre dernier, l'élaboration et la mise en uvre d'un programme d'économies d'énergie qui touchera l'ensemble des secteurs d'activité, avant la fin de cette année.
Je ne souhaite pas que ce programme soit un nouveau un catalogue de mesures constituant un plan supplémentaire qui viendrait s'ajouter à ceux qui existent déjà. Mon objectif est plus de faire fructifier le travail déjà réalisé, notamment le rapport d'Yves Cochet et le plan national de lutte contre le changement climatique, pour mettre en place un programme concret d'actions et de mobilisation des acteurs tenant compte de la conjoncture nouvelle créée par la flambée des prix du pétrole.
Je souhaite, après avoir identifié dans les principaux domaines d'intervention - le transport, l'habitat, l'industrie - les obstacles à la mise en uvre des solutions permettant d'économiser l'énergie, proposer des réponses intégrant dès l'origine les trois composantes suivantes qui me paraissent essentielles :
la sensibilisation des usagers et des consommateurs de biens et services afin qu'ils décident de " passer à l'acte "
les liens avec l'économie, le social et l'environnement
les aspects territoriaux et d'aménagement du territoire.
J'ai mis en place un panel d'expert, qui travaille avec la direction des études économiques et de l'évaluation environnementale de mon ministère et l'ADEME afin d'identifier les mesures les plus prometteuses.
Je suis convaincue que la réussite de ce programme dépendra de notre capacité à mobiliser l'ensemble des acteurs concernés, notamment les élus, les associations et les bureaux d'études. Il n'est en effet pas possible de s'en tenir à un exercice technocratique dont la réalisation dépendrait uniquement de la mise en uvre d'une série de mesures confiées à l'Etat ou à l'un de ses établissements publics.
Réussir la mobilisation de tous pour mieux consommer l'énergie et réduire aussi bien nos émissions de gaz à effet de serre que la production de déchets radioactifs est l'un des principaux enjeux du développement durable. Je suis convaincue que nous y parviendrons.
Je vous remercie de votre attention.
(Source : http://www.environnement.gouv.fr, le 9 octobre 2000)