Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 15 octobre 2000, sur le processus de paix au Proche-Orient et le rôle des Etats-Unis, de l'UE et de la France dans ce processus, l'appui de l'UE à la Yougoslavie après l'élection de M. Kostunica et les négociations pour la réforme des institutions communautaires.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - La Chaîne Info - RTL - Télévision

Texte intégral

Q - Après 10 jours de violence et d'horreur au Proche-Orient, nous sommes tous traumatisés disait le président Chirac. Le sommet de Charm el-Cheikh qui se tiendra demain apparaît comme une lueur même si les participants à la rencontre sont unanimes pour dire qu'il ne faut pas en attendre beaucoup. Vous nous direz, vous, ce que vous pensez de cette rencontre et si véritablement il faut en espérer quelque chose.
La Yougoslavie, l'Europe a adoubé Vojislav Kostunica en plaçant en lui tous les espoirs d'un retour à la démocratie en Serbie. La France, et vous en particulier, avant même les élections de fin septembre en Yougoslavie, avez décidé de soutenir celui qui devait finalement être déclaré vainqueur par le peuple serbe.
La peur de la guerre au Proche-Orient, l'espoir dans les Balkans, nous en parlerons longuement dans ce Grand Jury ainsi que de l'Europe puisqu'il y a eu le sommet de Biarritz.
Alors Monsieur Védrine, tout d'abord le Proche-Orient, le sommet de Charm el-Cheikh, c'est une lueur, plus que cela ?
R - D'abord je voudrais rappeler que si le président de la République a pu dire que nous étions tous traumatisés, c'est parce que depuis quelques semaines il se passait quelque chose de tout à fait neuf au Proche-Orient et que depuis la rencontre de Camp David à la mi-août, les Palestiniens et les Israéliens avaient accepté d'envisager des compromis, des changements de position beaucoup plus considérables que tout ce qu'ils avaient accepté auparavant, donc là il y avait plus qu'une lueur d'espoir, il y avait un espoir véritable qui était en train de se concrétiser malgré les difficultés extraordinaires et que chacun a à l'esprit concernant notamment la question de Jérusalem.
Et nous étions en train de travailler, quand je dis nous, c'est évidemment les Israéliens et les Palestiniens qui sont quand même les principaux intéressés, les protagonistes, les responsables au bout du compte, les Américains qui sont en position centrale au Proche-Orient depuis 50 ans, évidence que certains redécouvrent périodiquement mais qui est centrale, mais aussi la France et aussi l'Egypte et qui avaient apporté une contribution je crois significative dans cette discussion qui n'a pas été très publique dans le détail parce qu'il faut préserver la capacité de discussion sur des sujets ultrasensibles, mais nous avancions en réalité depuis la mi-août sur ces sujets très, très compliqués.
Et à un moment donné, il y a eu cette opération menée par M. Sharon, je crois pour des raisons délibérées, au moment le plus délicat, le plus sensible où il fallait évidemment que chaque camp s'abstienne de tout geste capable de remettre en cause les engrenages que l'on connaît, qui sont là en permanence.
Q - C'est vraiment cela la cause pour vous, et uniquement cela ?
R - En tout cas c'est la cause du déclenchement des événements des derniers temps, ce n'est pas cela qui est à la source des tensions parce qu'il y a des tensions intrinsèques à la société israélienne, il y a des tensions intrinsèques à la société palestinienne, il y a mille causes de rancoeur, de volonté de revanche, de douleur et il y a des désaccords au sein de chaque camp sur la ligne à suivre, la recherche de la paix qui est un nécessaire compromis au bout du compte.
Donc c'est un terrain terrible mais précisément quand on sait que le terrain est comme cela, on ne va pas jeter une allumette.
Q - Est-ce que vous pensez que Barak a eu tort de laisser Sharon faire cette visite ?
R - Je ne veux pas rentrer dans une sorte de jugement sur la séquence au point par point, je crois qu'il y a eu un certain nombre de défaillances de chaque côté en fait, pas de la même nature et encore une fois, je ne suis pas un juge, je n'ai pas une balance et je ne veux pas dire quelles sont les proportions exactes.
Je sais en tout cas qu'ils se sont laissés prendre dans une sorte d'engrenage dans lequel les rancoeurs légitimes peut être, ou infondées peut être également, l'emportent sur tout cela et on se retrouve dans cette situation volcanique qui est la situation naturelle du Proche-Orient tant que l'on n'aura pas fait la paix.
Q - Alors on va revenir sur cette situation volcanique. Est-ce qu'on peut en espérer en retirer quelque chose ?
R - J'ai fait un petit retour en arrière mais c'était pour rappeler pourquoi il y avait plus qu'une lueur d'espoir, il y avait un espoir véritable et pourquoi tout le monde est absolument consterné, a vraiment le coeur serré en voyant ce qui se passe. Depuis que tout cela a pris l'ampleur que l'on connaît, une centaine de morts, des milliers de blessés, des efforts innombrables venus du monde entier mais qui ne peuvent pas se substituer à la décision des principaux protagonistes, il ne faut pas être paternaliste avec le Proche-Orient.
Au bout du compte ce sont les Israéliens et les Palestiniens qui décident ou qui ne décident pas, qui font ou qui ne font pas mais ils ont quand même entendu que partout dans le monde, à quelque très rares exceptions près, on leur disait "reparlez d'urgence, parlez-vous, parlez aux opinions, parlez au peuple de l'autre et aux deux peuples, et trouvez les mesures et les gestes qui soient capables de faire baisser cette tension".
Et après plusieurs efforts infructueux, cette rencontre a lieu. C'est très important qu'elle ait lieu, ce serait très inquiétant qu'elle ne puisse pas avoir lieu encore, mais je pense que les Israéliens et les Palestiniens et les autres, à commencer par les Américains, et nous aussi, tout le monde a raison d'être très prudent et très réaliste.
Q - Et qu'est-ce que vous attendez de cette rencontre ?
R - Ce qu'on en attend ce sont des mesures acceptées de part et d'autre pour stopper la violence, une série de mesures pour restaurer le calme, chacun n'est pas tout à fait dans la même situation, les Israéliens, les Palestiniens. Vous avez un Etat constitué de tous les moyens, vous avez une sorte d'Etat en gestation du côté palestinien mais enfin chacun doit faire sa part du travail par rapport à cela donc il faut restaurer le calme. Il y a une revendication palestinienne à laquelle les Israéliens, d'une façon ou d'une autre, devront accepter de répondre, qui est de trouver un mécanisme qui permette de faire le jour et d'établir comment cela c'est passé au début et précisément quelle était la nature de cet enchaînement et de cet engrenage...
Q - Donc la commission d'enquête !
R - Vous m'interrogiez mais je ne vais pas me substituer à ce travail qui doit être fait, ne serait ce que pour empêcher que cela recommence dans 15 jours ou dans un mois. Et l'autre élément qu'on peut en attendre mais peut être est ce que je vais déjà un peu trop loin et que je déborde de la prudence qui s'impose aujourd'hui encore qui est de reprendre la négociation sur le fond.
Mais moi je crois que c'est indissociable et je crois que la tension au Proche-Orient est d'autant plus grande et d'autant plus prête à réexploser que vous n'avez pas de mécanisme de discussion sur le fond et que vous n'avez pas de vision d'avenir, sauf l'antagonisme qui est toujours là et qui en général prêt à affleurer mais qui là a explosé.
Voilà ce qu'on peut attendre de cette rencontre de Charm el-Cheikh, il faudrait dire Charm El-Chir, c'est en Egypte. Si elle se déroule bien. Voilà.
Q - Alors on va peut être revenir sur le fond, sur la manière dont peut se résoudre ce problème a terme.
Mais sur les acteurs de cette rencontre, il y aura les deux protagonistes, les Palestiniens, il y aura M. Barak, le Premier ministre israélien, il y aura M. Clinton. L'Union européenne sera représentée, si je ne me trompe, par M. Javier Solana, c'est cela ? Pourquoi est ce que la présidence française comme telle n'est pas représentée. Je crois que c'était un souhait notamment des Palestiniens. Et c'était aussi un souhait du Premier ministre espagnol si je ne me trompe ?
R - Je suis toujours un peu attristé à propos du Proche-Orient quand cette question qui a l'air d'être un peu protocolaire, qui a l'air d'être un peu de photo en quelque sorte, ressort sans arrêt à propos de l'Europe. A quoi est-ce qu'on s'intéresse ici ? On s'intéresse à la paix au Proche-Orient ?
Q - Est-ce que c'est une question protocolaire ou est ce que c'est une question d'efficacité ?
R - Oui justement, la question se pose. On s'intéresse à la paix au Proche-Orient. Que l'Europe ait de grandes ambitions, c'est très bien, je suis le premier à le ressentir comme cela, intensément et je m'y emploie constamment. Que l'Europe ait le projet d'élaborer, petit à petit, une vraie politique étrangère commune qui finira par peser dans le monde de telle façon qu'un jour viendra où plus rien ne pourra se régler sans elle en quelque sorte, est un objectif qui nous est commun et auquel nous travaillons. Mais nous sommes dans la réalité historique d'aujourd'hui, qui découle de la réalité historique de plusieurs décennies.
Ca fait plusieurs décennies que le seul pays, enfin du moins les deux seuls pays qui ont une influence déterminante au Proche-Orient, ont été ce qu'on appelait les deux superpuissances pendant la guerre froide.
Les Etats-Unis et l'URSS, c'est d'ailleurs eux qui au moment de Suez, ont signifié de façon brutale et claire aux Français et aux Britanniques que le moment des initiatives était terminé, c'était d'ailleurs une initiative absurde à l'époque.
A partir de 1956 les Européens en tant que tels n'ont plus d'influence déterminante au Proche-Orient quoi qu'ils se racontent à eux-mêmes pour enjoliver leur propre rôle. Qu'ils aient l'ambition de le retrouver c'est très bien ; simplement je pense que c'est totalement stérile, chaque fois qu'il se passe quelque chose au Proche-Orient de ramener cette obsession parce que c'est perçu comme la plupart des participants...
Q - Pourquoi vous...
R - Attendez, j'ai l'occasion de le dire, c'est un sujet sensible, cela ressort sans arrêt comme un coucou suisse cette question, tout le temps, je pense que cela n'a pas de rapport vrai avec l'utilité de la paix au Proche-Orient.
Nos ambitions sont connues, nous avons ces derniers temps réussi à acquérir dans le fond du sujet, c'est à dire dans la discussion avec les Israéliens, les Palestiniens et les Américains, ce qui n'était jamais arrivé avant, une place par la force de nos propositions, sur Jérusalem par exemple, sur d'autres choses, bon.
Aujourd'hui à Charm el-Cheikh, nous voudrions aller plus loin, certes, mais nous ne voulons pas en faire une revendication, comment dire, protocolaire ou d'apparence qui soit de nature à compliquer un sommet parce que, je le dis avec une sorte d'abnégation par rapport à cela, la priorité absolue c'est qu'ils se réunissent.
Et s'ils étaient capables d'être réunis par les Chinois pour faire la paix, j'applaudirais.
D'accord, la revendication européenne est très importante et nous la soutiendrons de toutes les façons mais je dois vous dire carrément qu'il y a un ordre de priorité.
Q - Il y a 10 jours, la réunion, le précédent sommet, s'était fait à Paris parce que la France préside l'Union européenne !
R - Non, non, cela n'a aucun rapport. La rencontre de Paris s'est faite pendant quelques heures parce que Mme Albright était à Paris et que le président Clinton a convaincu M. Barak et M. Arafat de venir à Paris, que Paris joue un rôle suffisamment positif sur le fond avec le souci de la paix et de la valeur ajoutée qui fait que les protagonistes se sentent, en principe, en confiance à Paris.
Ils sont venus là quelques heures, ils ont pris des engagements qu'ils n'ont pas voulu mettre par écrit, cela a continué ailleurs. De toute façon que ce soit là ou ailleurs, ce n'est pas cela qui est important, encore une fois, nous ne sommes pas une chaîne de congrès en concurrence avec une autre.
J'aimerais bien qu'en France on arrive à se guérir de cette maladie. Ce n'est pas le fond du sujet et quelles que soient les puissances qui font la paix, ce qui est important ce n'est pas le lieu où cela se fait, ce n'est pas qui est sur la photo, ce qui est important c'est qui fournit les idées clé qui permettront au bout du compte à ces deux peuples de s'articuler.
Quant à la politique étrangère commune, la politique de l'Europe, laissez-lui le temps de se constituer, de se fortifier, vous savez très bien que les quinze ont des approches assez différentes sur cette question du Proche-Orient, que quand on fait la synthèse à 15 des positions européennes, on arrive à quelque chose qui est beaucoup moins fort que ce que dit la France.
Il suffit de le voir dans les déclarations et dans les communiqués, donc laissez à l'Europe le temps de se fortifier et pour le moment, dans la réalité du monde tel qu'il est aujourd'hui en octobre 2000, faisons le mieux possible et le fait que les protagonistes aient accepté qu'à la demande de la présidence française, M. Solana, haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, qui vient de faire une tournée dans la région, à ma demande ces derniers jours, soit présent, c'est de toute façon un énorme progrès par rapport à leur attitude d'avant et cela montre que l'Europe est mieux accueillie, mieux perçue. Je suis convaincu que cela aura de bons résultats et que cela aura des suites.
Q - Alors simplement une précision, laissons les photos et laissons les lieux. Est-ce que l'attitude qui a été celle de la France à Paris a pu convaincre l'un des protagonistes qu'il valait mieux par exemple que la France ne soit pas représentée à Charm el-Cheikh ? Je veux dire qu'on a dit quelquefois, les Israéliens ont estimé que la position de la France était partisane.
R - Il y a eu une polémique après, je crois qu'il faut la mettre sur le compte de la tension qui règne en ce moment à ce sujet mais il faut repartir des réalités.
Les Etats-Unis sont centraux, cela ne vous plaît peut-être pas, cela ne plaît pas à beaucoup de gens, d'autres gens trouvent cela bien, les Etats-Unis sont centraux au Proche-Orient et depuis que l'Union soviétique n'existe plus, les Etats-Unis sont seuls à avoir une influence déterminante. Pour les Israéliens, c'est déjà une concession que d'accepter que les Etats-Unis s'en occupent. La vraie politique israélienne c'est que personne ne devrait s'occuper de leurs affaires.
Ils font une concession par rapport aux Etats-Unis pour des raisons évidentes, à cause du poids américain, de l'assistance qu'ils leur apportent.
C'est le huitième sommet parrainé par le président Clinton depuis qu'il est là, c'est un président américain qui s'est engagé énormément et qui a d'ailleurs recadré la politique américaine à tel point qu'il a établi avec les dirigeants arabes et notamment avec M. Arafat, une relation forte, personnelle, qu'aucun président américain n'avait établi avant lui et il n'est pas là pour très longtemps.
Q - Il va bientôt quitter la présidence. Justement, sur cette action de Clinton...
R - Il n'est pas là pour très longtemps c'est pour cela que cette période est très importante, cette période encore donc...
Q - Est-ce que l'action personnelle de Bill Clinton vous paraît déterminante ?
R - Je salue son engagement ainsi que celui de Mme Albright, pour le moment cela n'a pas été conclusif puisque la paix n'est pas faite mais je dis simplement qu'aucun président américain avant lui, même si certains ont fait des choses remarquables, comme M. Carter et M. Bush et M. James Baker sur un autre plan, aucun président américain n'aura fait autant.
Ca ne suffit pas parce que c'est peut être l'affaire la plus compliquée qu'on ait à régler aujourd'hui dans le monde et que pour chacun des deux peuples, au bout du compte ce sont eux qui sont responsables encore une fois, il faut sortir de cette idée où la paix va être faite par les Américains, non par les Européens, ce n'est pas une concurrence. Ce sont eux qui feront la paix ou qui ne feront pas la paix, or elle suppose des concessions terribles pour chaque peuple.
Q - Justement c'est une chose qu'on a du mal à comprendre, il n'y a plus les deux supergrands, il y a un seul supergrand, l'Union soviétique n'est plus là, donc il n'y a plus d'alliés dans la région de chacun de ces deux supergrands qui peuvent être armés, mobilisés pour défendre, disons, chacun son camp. On voit les chefs d'Etat arabes qui tous, sans exception, à l'exception peut être de Saddam Hussein, mais tous téléphonent à Washington, y compris les Syriens, on voit Bill Clinton s'entremettre, on voit l'ONU en cause, il y a une mobilisation pratiquement internationale et générale pour imposer la paix et on voit quand même les Israéliens et les Palestiniens s'étriper, il n'y a pas d'autre terme.
Comment cela se fait il qu'on ne puisse pas imposer l'arrêt des violences ?
R - Mais il y a des tas de conflits dans le monde, celui-là est un des plus vif pour des tas de raisons historiques et politiques et symboliques, il y a des tas de conflits dans le monde où tout ce que l'on appelle la communauté internationale, même si vous additionnez toutes les bonnes volontés, on n'arrive pas à imposer la paix.
On n'arrive pas à imposer la paix, au Proche-Orient, on n'arrive pas à régler des nombreuses affaires de l'Asie centrale, on n'arrive pas à régler les questions de l'Afrique des Grands lacs, il y a des tas de choses qui ne se règlent pas comme cela. La communauté internationale, surtout quand on est dans le monde occidental, est un peu enivrée de sa propre puissance. La réalité c'est qu'il y a des peuples qui ne tiennent pas compte de ce qu'on peut dire, et d'autres qui sont confrontés à de tels sacrifices, à de tels compromis que les bons conseils ne suffisent pas. C'est une réalité. Je crois que si on n'a pas intégré cette donnée, on ne peut pas faire comprendre ce qui se passe dans le monde et on est même pas utiles par rapport à cela. Il faut entrer dans leur psychologie en fait. La psychologie de chacun des deux peuples pour mieux comprendre les mécanismes sur lesquels on peut tenter de jouer.
Q - Cette psychologie justement, est ce qu'ils ont encore des choses à se dire et est-ce qu'il y a encore une possibilité de les rassurer, de leur faire comprendre que finalement ils n'ont rien à gagner à ce conflit ?
R - D'abord ils n'ont pas le choix. Ils sont là côte à côte dans un espace qui au total n'est pas grand. Ils sont imbriqués. Alors évidemment il y a l'idée de l'Etat palestinien auquel se sont ralliés tous les dirigeants israéliens responsables parce qu'ils voient bien que la coexistence pour commencer, passe par la séparation, chacun dans son Etat pour apprendre à coexister, à voisiner, un jour à coopérer mais c'est quand même petit mais il y a pas d'autre choix. Pas d'autre choix que de reprendre le processus de paix, même maintenant au plus fort des tensions.
Q - Et au fond est-ce que derrière ce qui s'est passé de terrible depuis 10 jours, les conditions qui avaient été atteintes à Camp David sont toujours là ? Est-ce que le processus peut être repris ou bien comme semble le dire la présidence du gouvernement israélien, est-il arrivé en bout de course ?
R - Non je crois que cela ce sont des paroles de circonstances, qui découlent de la tension et de la difficulté des décisions qu'ils ont à prendre. Déjà ce n'était pas évident pour eux d'aller à cette rencontre, cela c'est la pression internationale de tout le monde, à la fois les tournées sur place, les coups de téléphones où tout le monde et l'Europe y a pris très largement sa part et la présidence française notamment. Ils y vont mais chacun a des raisons de ne pas y aller parce que dans chaque camp il y a des mécanismes différents qui se sont mis en place, des maximalistes, des jusqu'auboutistes, qui disent non, pas maintenant, c'est intolérable après ce qui s'est passé, les conditions ne sont pas réunies pour parler.
Donc il y a un certain courage de la part de M. Barak et peut être plus encore de la part de M. Arafat compte tenu même des menaces qu'il entend dans son propre camp, d'y aller, d'aller à cette réunion de demain. Mais est-ce qu'ils ont le choix de reprendre la discussion ? Ils peuvent de toute façon, ils ne peuvent pas changer les données, l'autre peuple sera toujours là. Il y aura toujours deux peuples pour cette terre donc de toute façon, d'une façon ou d'une autre, même si le traumatisme est immense et la rancoeur et si la douleur se sont réveillées, - et la peur surtout auquel vous faisiez allusion et qui est derrière tout cela, la peur de l'autre même si tout cela s'est réveillé -, les dirigeants n'ont pas d'autre possibilité, d'autre ligne possible que de reprendre la discussion. Il faut trouver un arrangement alors on va retomber sur le fond de la question, j'espère qu'on le fera très vite, très vite parce que le temps perdu est une occasion offerte aux provocateurs et aux passions. Il n'y a pas d'autre solution.
Q - Mais justement tout à l'heure vous parliez d'espoir véritable avant ces événements. Est-ce que cela signifie que vous avez des informations, vous qui avez suivi de près cette question ?
R - Et participé...
Q - Et participé... Qu'après Camp David, au font la majorité des points de désaccord était quasiment réglée et restait simplement ce problème sinon de Jérusalem, même plus étroit que Jérusalem, le problème des Lieux saints ?
R - On ne peut pas dire que tout était réglé parce que les ouvertures qu'ont faites les uns et les autres à Camp David étaient en fait dépendantes d'accords qu'ils espéraient obtenir sur d'autres points donc chacun disait "je pourrais admettre de faire ceci à condition que", voyez c'est comme une négociation, cela ne se conclut qu'à la fin. Par exemple, les Palestiniens avaient fait une concession importante pour eux, ils acceptaient qu'il y ait une redéfinition des frontières permettant à environ 80% des colons qui se sont installés dans les territoires occupés, d'appartenir après à Israël à condition d'avoir des compensations sur d'autres territoires.
C'est une concession forte pour eux mais cela dépendait du reste.
En sens inverse, M. Barak avait fait une ouverture tout à fait considérable à propos de Jérusalem en envisageant pour la première fois qu'il y ait, alors il y a un débat sur le mot, souveraineté, pas souveraineté, responsabilité, etc... mais que les Palestiniens en réalité aient l'autorité nécessaire sur une partie de Jérusalem, c'est une ouverture énorme, énorme...
Q - Mais qui visiblement n'a pas été considérée comme suffisante pour les Palestiniens !
R - Mais ils le disaient, je pourrais accepter cela à condition que sur d'autres sujets on se mette d'accord, donc cela a pas été conclu, on ne peut pas dire qu'il y avait plusieurs sujets conclu, il ne restait que cela en fait.
Mais c'étaient des ouvertures qui n'avaient jamais été faites et qui ont, je pense, traumatisé les extrémistes dans les deux camps, qui se sont organisés après pour essayer d'arrêter ce mécanisme qui était en route.
Mais enfin, sur le fond, puisque vous me demandiez s'il y a une autre solution, il n'y a pas d'autre solution, ils n'ont pas d'autre solution, ne nous mettons pas à leur place sans arrêt, ils n'ont pas d'autre solution que de reprendre la discussion, je le pense même maintenant, même au pire de la tension, je pense qu'ils n'ont pas d'autre solution et qu'ils devraient pouvoir reparler, je ne vois pas ce qui les empêche de reparler vite des sujets de fond, c'est vraiment le courage politique.
Q - Il y a tout de même deux niveaux de réaction : il y a du côté des Israéliens et y compris de ceux qui souhaitent la paix, vous le disiez tout à l'heure, un grand doute, certains disent peut être même a-t-on redécouvert que du côté arabe il y a des gens qui veulent la destruction de nouveau de l'état d'Israël et ceux là ont tendance à se replier sur eux même et à désirer finalement qu'Israël montre sa force.
Et puis du côté palestinien, il y a ceux qui s'arrêtent sur la communauté internationale comme Leila Chahid qui représente la Palestine en France et qui dit que la communauté internationale a traité Israël comme un Etat au-dessus du droit, il y a des tas de résolutions qui ont été votées, qui n'ont jamais été réellement appliquées, on en a assez. Alors cet appel à la communauté international est-il plus légitime quand il est lancé par les Palestiniens que par les Israéliens ?
R - Je me demande surtout à quoi cela conduit concrètement les différentes déclarations des uns et des autres. Est-ce que cela conduit à un mécanisme plus sûr et plus rapide pour faire la paix ? Non je ne crois pas. La seule façon c'est d'admettre que ces deux peuples sont placés par l'histoire dans une situation compliquée, plus inextricable que d'autres et qu'ils n'ont pas d'autre solution possible que de trouver un arrangement entre eux.
Q - Mais quand vous entendez les Palestiniens dire "on ne nous a pas traité comme les Israéliens, il y a des résolutions, il y a des votes à l'ONU mais ça fait 50 ans que cela dure".
R - Oui, je sais tout cela, je connais toutes ces résolutions, nous savons très bien pourquoi aucune de ces résolution n'est appliquée telles quelles, il y a beaucoup d'autres endroits où les résolutions ne sont pas appliquées telles quelles, elles indiquent une espérance en général et nous sommes prêts à nous inspirer autant qu'il est possible dès lors que cela concoure à une solution de paix. Mais je ne pense pas que Mme Chahid conteste le fait que le président Arafat cherche un arrangement malgré tout et aille dans ces négociations et cherche, disons le moins mauvais accord possible pour eux. De toute façon c'est un compromis, ni les uns, ni les autres n'auront totalement satisfaction par rapport aux déclarations que vous citez.
C'est un compromis et c'est pour cela qu'au bout du compte, même si on est amis, facilitateurs, tout ce qu'on veut, c'est eux qui, devant l'histoire, et je comprends que ce soit à un moment donné, vertigineux, et devant leur peuple, auront à prendre la décision de dire "oui ou non" à des concessions qui les amèneront à renoncer à une partie des ambitions d'Israël, une partie des ambitions des Palestiniens parce que la coexistence sera à ce prix. Cela on ne peut pas le faire à leur place. Et je reconnais que c'est terrible, terrible comme choix mais il n'y a pas d'autre solution sinon ils ne seraient pas dans ce processus de paix depuis 8 ans, qui avance, qui s'arrête, qui avance, qui s'arrête, balayé par des moments de folie et de passion et qui reprend quand même parce que, encore une fois, il y a pas d'autre chemin.
Q - Est ce que le rôle de Kofi Annan, y compris pour obtenir la réunion de ce sommet de Charm el-Cheikh est une indication que peut être le centre de gravité des négociations entre israéliens et palestiniens pourrait se déplacer un peu des Etats-Unis ou de Washington vers l'ONU ?
R - Non parce que de toute façon c'est le même effort, l'effort des Américains, avec des poids différents mais l'effort des Américains, de l'Union européenne, de la présidence française et de tous les autres Etats engagés dans cette action. L'effort de Kofi Annan qui représente en quelque sorte tous les autres à lui tout seul, cela va dans une seule et même direction donc cela passe pas de l'un à l'autre. C'est comme quand il y a une réunion dans un pays, ce pays ne devient pas brusquement la capitale des efforts de la paix, ça tourne, ce qui est important c'est que tous les pays du monde, pressent dans cette direction, ont pressé cette réunion. Il y a eu aussi l'appel lancé par le Conseil européen de Biarritz, un appel vraiment pressent je crois, émouvant par certains côtés, à une réunion immédiate, tout le monde l'a dit et les efforts américains, considérables, sans doute déterminants et incessants. Mais après, encore une fois cela revient à une décision prises par les Israéliens, aujourd'hui par M. Barak, est-ce qu'il veut y aller, pas y aller ? Il compare les risques, les avantages, les deux solutions, la position de Yasser Arafat et cela se passe dans chaque camp. Alors ils nous ont entendu tous, ils savent très bien ce qu'on attend d'eux, ils savent très bien ce qu'on leur propose, ils savent très bien la main qu'on leur tend.
En ce qui concerne l'Europe, nous avons dit tout ce que nous pouvions dire à propos de l'effort que nous apporterons à la construction du Proche-Orient en paix, quand le tournant aura été fait, le vrai tournant de la paix. Mais à un moment donné, ils sont un peu face à eux-mêmes, aussi bien les Israéliens que les Palestiniens, et c'est là où on voudrait être dans leur âme, dans leur esprit et à l'intérieur de leur système politique pour leur dire ayez confiance et en vous et en l'autre et retrouvez la capacité du courage et sachez accomplir les gestes et les mots contre les fanatismes. Mais il y a des moments où il y a des sortes de traînées de poudre qui balayent tout cela. J'espère que le sommet de Charm el-Cheikh va amorcer une décrue, un tournant et que ayant pris des décisions sur l'arrêt de la violence et la restauration du calme et le reste de ce que nous avons cité au début, le processus d'une négociation sur le fond pourra reprendre. Je reste prudent mais je l'espère beaucoup.
Q - Alors par delà le sommet de Charm el-Cheikh, le Premier ministre israélien a évoqué la possibilité d'un gouvernement d'urgence dans lequel entrerait le chef du Likoud, M. Ariel Sharon. Après ce que vous avez dit de M. Ariel Sharon qui, dont la démarche a été provocatrice si j'ai bien compris dans cette affaire, est ce que cela ne compromettrait pas toute chance de reprise des négociations et de reprise du processus de paix ?
R - Je note et c'est peut être une indication qui éclaire votre question, enfin qui n'a pas besoin de l'être parce qu'elle est claire mais une indication complémentaire. Je note que M. Barak a évoqué l'hypothèse d'un gouvernement d'urgence nationale qui consisterait à rassembler les différents partis dans cette phase aiguë de la crise mais qu'il a essayé jusqu'ici d'éviter la notion de gouvernement d'union nationale. La différence c'est que le gouvernement d'urgence nationale serait constitué pour un temps très court pour faire face à cette crise mais autour du programme de M. Barak.
Un gouvernement d'union nationale c'est différent, dans ce cas là M. Barak considère qu'il ne travaille plus sur la base du programme pour lequel il a été élu, essentiellement pour faire la paix.
Q - Mais comment est ce que ça peut ne pas être ressenti comme une provocation par la partie adverse, les Palestiniens ?
R - Je sais mais il ne l'a pas fait encore, il n'arrive pas à Charm el-Cheikh en ayant fait cela. Compte tenu de la politique intérieure israélienne, je ne veux pas m'ingérer dans la politique intérieure israélienne mais il y a des pressions, des rapports de force qui l'amènent à envisager des positions de repli.
Il a amené cette distinction parce que je crois encore aujourd'hui que M. Barak veut préserver son programme et sa capacité d'agir pour la paix et s'il se plaint de manquer de partenaires pour la paix, je ne dis pas qu'il a raison, que les Palestiniens auraient tort, que c'est faux mais s'il dit cela c'est bien que par rapport à son propre camp il est toujours en train de chercher la paix.
Q - A propos de M. Sharon, il avait été question qu'il vienne à Paris, finalement il ne vient pas. On lui a dit, nous, qu'on ne voulait pas le voir sur le territoire français ?
R - On a fait ce que nous devions faire.
Q - C'est à dire ? On lui a fait savoir qu'on ne voulait pas le voir ?
R - Ah non il s'agit pas de parler à lui personnellement...
Q - C'est à dire ? Vous avez dit aux organisations juives qui souhaitaient l'inviter en France que cette invitation n'était pas bienvenue ?
R - Non parce qu'elles nous ont pas demandé !
Q - Donc alors ?
Alors qu'est ce que vous avez fait concrètement ?
R - On a fait ce qu'il fallait.
Q - Oui c'est à dire pour qu'il ne vienne pas !
R - J'en resterai là.
Q - Pour qu'il ne vienne pas, très bien. Alors...
Si par hasard, encore une précision, si par hasard ce sommet de Charm el-Cheikh, contrairement à ce que tout le monde espère, ne donnait pas de résultats immédiats, c'est à dire que la violence se poursuive au Proche-Orient, est-ce qu'une hypothèse comme celle qui a été évoquée par Nabib Chaath, le ministre de la Coopération internationale de M. Arafat, souhaitant...
R - Son ministre des Affaires étrangères en fait.
Q - Oui son ministre des Affaires étrangères, souhaitant la venue d'une force d'interposition, soit d'observateurs, soit de militaires, peut être prise en compte pour séparer les protagonistes si la violence se poursuit ?
R - Il faudrait qu'elle soit acceptée. Il faut un accord entre les deux parties qui essaieraient de calmer le jeu et qui auraient besoin d'une force d'interposition, on n'est pas du tout dans cette hypothèse là.
Q - Oui, on vient de l'apprendre, le président de l'autorité palestinienne, Yasser Arafat a dit qu'il n'irait pas à Charm el-Cheikh s'il n'y avait pas un accord sur un ordre du jour précis. On a le sentiment qu'il faut traduire : si on ne parle pas de la commission d'enquête ?
R - Probablement, oui. Il faut savoir que Yasser Arafat est soumis à une pression très forte au sein du monde palestinien. Manifestations et déclarations pour ne pas y aller. Et on lui reproche d'y aller avant un sommet arabe qui doit se tenir dans quelques jours. Donc, il a déjà du courage et du mérite d'y aller. Le point de désaccord auquel il doit penser, c'est ça, c'est la commission internationale d'enquête qu'il a demandée. Les Américains ont proposé qu'il y ait une discussion sur un mécanisme d'établissement des faits pour éviter que cela ne se reproduise, ce n'est pas tout à fait la même chose. C'est déjà un sujet qui avait été abordé dans des conditions tendues dans les quelques heures de conversation de Paris.
Donc, je pense que cela porte là-dessus. Je suppose quand même qu'une solution sera trouvée en terme d'ordre du jour, pour que la discussion ait lieu. A cet égard, je crois qu'en plus les Américains, M. Kofi Annan qui a joué un rôle très précieux ces derniers jours en liaison constante avec la présidence française de l'Europe, devrait pouvoir apporter sa contribution et M. Solana aussi, que nous avons envoyé là-bas dans ce but, et je pense plutôt que ce problème sera surmonté.
Pour la discussion elle-même, je ne ferai pas de pronostics car je reste très prudent.
Q - On reste naturellement au contact des dépêches qui tombent et s'il y a de nouveaux développements, nous vous en ferons part.
Parlons de la Yougoslavie. Dès le 3 septembre dernier, c'est à dire 21 jours avant les élections en Yougoslavie, vous aviez vous-même publiquement montré votre préférence, au nom de la France et au nom de l'Europe pour Vojislav Kostunica. Vous avez placé en lui beaucoup d'espoir pour le rétablissement de la démocratie. Vous l'avez rencontré à Belgrade, vous l'avez rencontré à Biarritz. Pour le moment, il tient ses promesses ? Il vous apparaît comme effectivement un garant du retour de la démocratie en Serbie et en Yougoslavie ?
R - Il faut voir d'où on vient. On vient donc de la Yougoslavie de Milosevic qui, pendant des années et des années, a emmené toute la région dans une situation absolument tragique et enfermé le peuple serbe dans une sorte de trappe et qui a eu des conséquences épouvantables non seulement pour le peuple serbe mais pour tous ses voisins.
Donc, on vient de très loin et malgré la politique de sanction qui souvent, d'ailleurs ne marche pas, on le sait bien, on ne voyait pas de perspective pour l'écarter à court terme. Sur ce, il y a eu ces élections qui étaient une manipulation de Milosevic pour rester au pouvoir malgré la fin de son mandat de président de la Yougoslavie.
Nous avons hésité sur l'attitude à adopter à l'égard de ces élections. Nous avons consulté l'opposition démocratique yougoslave et eux-mêmes après avoir beaucoup hésité, réfléchi, ont conclu qu'il fallait tenter le coup. A partir de là, nous avons accordé notre stratégie par rapport à la leur, parce que la priorité absolue c'était d'écarter Milosevic.
Q - Tenter le coup, ça veut quoi exactement ? Vous avez été en contact avec l'opposition ? Vous avez travaillé ?
R - C'était accepter les élections. Ils auraient pu dire "de toute façon elles vont être truquées, donc on n'y va pas". Ils ont dit "on ne peut pas laisser passer cette occasion, même si ça va être manipulé". Ils y sont allés.
Et alors, nous avons fait deux choses : nous avons établi un contact que j'ai établi très tôt au moment de la président française avec M. Kostunica et deuxièmement, nous avons décidé d'utiliser ces sanctions dont beaucoup d'Européens pensaient qu'elles étaient finalement inadéquates, mais puisqu'elles existaient, nous les avons utilisées comme étant un argument fort pour le peuple serbe, de vouloir changer et de rétablir la démocratie.
Et nous avons, nous Français, proposé à nos partenaires des 15 qui ont accepté, début septembre, un message au peuple serbe, en leur disant : "si la démocratie l'emporte à Belgrade, et bien la politique européenne changera complètement". Et c'est devenu un argument de campagne très fort et c'est comme ça d'ailleurs que le contact a été établi avec M. Kostunica, parce qu'il m'a fait dire - certains de mes collaborateurs étaient déjà en contact - mais il m'a fait dire personnellement, en disant "merci pour ce message". C'est exactement le ton qu'il fallait adopter pour que les Serbes soient mobilisés sur ce plan.
Q - Et vous l'avez eu au téléphone très tôt ?
R - Non, je l'ai eu au téléphone un peu plus tard. Ça, c'était par des intermédiaires début septembre. Le contact s'est noué, disons une quinzaine de jours plus tard, et s'est intensifié pendant les événements que vous connaissez.
Donc, à partir de là, quelle est notre priorité absolue ? C'est de consolider cette démocratie qui a submergé par un effort extrêmement impressionnant de ce peuple serbe qui a été voter en masse, dans le sens que l'on sait, malgré ce régime et ces menaces. Il faut consolider l'installation de la démocratie qui n'est pas complète encore, parce qu'ils ne contrôlent pas la Serbie. Ils contrôlent des structures fédérales, mais ils ne contrôlent pas la Serbie. Il y avait un désaccord avec le Monténégro. Ils ne contrôlent pas le parlement de la Serbie, ni le gouvernement. Ils ne sont pas sûrs des administrations. Tout cela a basculé en une journée, mais c'est quand même les mêmes.
J'ai été tout de suite à Belgrade, dès le lendemain du conseil des quinze qui a décidé la levée des sanctions, pour le voir, commencer à parler des problèmes de fond. D'ailleurs, c'est pour ça que le président de la République l'a invité tout de suite à Biarritz où lui-même et Lionel Jospin se sont entretenus longuement avec lui. Ensuite les dirigeants des autres pays l'ont accueilli très chaleureusement dans un tour de table qui est en même temps un déjeuner. Donc, la France sait bien qu'il y aura encore demain des problèmes à traiter : il y a la question de Milosevic, il y a la question du Kosovo, la question des relations avec les autres pays issus de l'ex-Yougoslavie, tout cela existe naturellement, nous le savons. Mais la priorité des priorités, c'est qu'ils se consolident. C'est ça le sens de notre politique aujourd'hui.
Q - Précisément, vous dites que vous avez commencé à avoir des discussions de fond. Je crois qu'en arrivant à Biarritz, M. Kostunica s'est défini comme un nationaliste défensif. Quand vous avez abordé ces questions avec lui, vous avez j'imagine, parlé du Monténégro et du Kosovo. Vous avez commencé à voir comment il envisageait les choses ?
R - Oui, nous avons commencé à en parler à Belgrade et à Biarritz. En effet, il se présente comme vous l'avez dit, d'ailleurs il ne s'en cache pas. C'était dans sa campagne électorale. Il a fait à tous les participants de Biarritz, je crois pouvoir le dire, l'effet d'un homme pondéré, responsable, raisonnable, réfléchi, la tête ne lui tourne pas après ce qui lui est arrivé.
Q - Mais nationaliste
R - Il parle franchement. Il dit qu'il est nationaliste, comme beaucoup d'autres le sont, comme les Américains par exemple.
Q - Cela ne signifie rien de plus, d'après vous ? Dans le cas de la Serbie, compte tenu de l'histoire que vous rappeliez ?
R - Nous en sommes au début, encore une fois. Je ne dis pas que les problèmes disparaissent comme par enchantement. Bien sûr, ce n'est pas possible. Mais nous avons affaire à quelqu'un qui incarne clairement et évidemment, avec une immense légitimité aujourd'hui, une volonté de ce peuple serbe de tourner la page de l'époque Milosevic. Il y a un désir de se rapprocher de l'Europe qui est très puissant. Donc, ce qu'il entend en ce moment de la part des Européens est très important aussi.
Alors, il a des projets. Il veut adapter la structure constitutionnelle de la République de la Yougoslavie. Donc, repenser les rapports avec le Monténégro. En ce qui concerne le Kosovo, ils veulent partir de la résolution 1244, qui est notre loi à tous, - celle du Conseil de sécurité - établir un dialogue avec les autorités de l'ONU.
Q - Est-il prêt à faire un geste concernant les prisonniers Kosovars qui se trouvent en Serbie ? C'est quelque chose qui est fortement demandé, par exemple par Bernard Kouchner ?
R - Oui, je sais. Je lui en ai d'ailleurs parlé, il y est très sensible. Mais il m'a dit qu'il fallait qu'on soit sensible également à la question des réfugiés serbes qui ont été chassés du Kosovo, qui ne peuvent pas rentrer pour des raisons d'insécurité, et qu'il fallait dans le cadre d'un dialogue entre les nouveaux responsables yougoslaves et les Nations unies qui ont en charge le Kosovo, en ce moment, parler de toutes ces questions.
Il n'a éludé aucune difficulté. Il ne m'a paru fermé sur rien. Il m'a expliqué les problèmes qu'il a. Aujourd'hui, c'est un président fédéral, il n'a pas de gouvernement. Il n'y a pas de gouvernement.
S'il fallait demander une rencontre, il n'y a pas de ministre à qui il pourrait demander d'aller voir Kouchner ou d'avoir des discussions sur quoi que ce soit.
Il n'est pas sûr de l'administration, c'est pour ça qu'on en revient à la priorité des priorités. Il doit se consolider.
Il dit : "j'entends ce que vous dites. Je comprends, vous avez votre approche, je vous explique la mienne. On va parler. Rien n'est insoluble, mais il faut que je m'installe. C'est une question d'étapes".
Q - Sur la formation de ce gouvernement, est-ce que vous lui avez fait passer des messages aussi sur les personnalités qui, peut être, aux yeux des Européens, ne pourraient pas faire partie de ce gouvernement ?
R - Il y a une question de ton à adopter. Vous avez quand même affaire à un peuple qui a été en quelque sorte emprisonné et emmené dans les pires voies par Milosevic. Ce peuple vient de reprendre son destin en main, après un effort et un sursaut démocratique impressionnant.
Ce n'est pas au moment où il vient d'écrire une des plus belles page de l'histoire démocratique de l'Europe moderne, qu'il faut en quelque sorte lui confisquer cette souveraineté, cette dignité nouvelle, cette situation démocratique et civique. Ayons confiance un peu en ce processus démocratique. Il y a un certain nombre de choses qui n'apparaissent pas encore comme évidentes au peuple serbe, parce qu'ils ont été complètement enfermés dans une propagande extrémiste, un nationalisme outrancier et meurtrier, etc.
Mais les choses vont venir. Il ne demande qu'à s'ouvrir, il ne demande qu'à parler. Dès qu'il a été invité par le président Chirac à Biarritz, il n'a eu qu'une idée, c'est de venir. Il a saisi cette occasion. Il entend ce qu'on lui dit.
Mais vous ne pouvez pas aujourd'hui lui poser des conditions avant même qu'il ne soit installé, comme si c'était un gouvernement ayant l'ensemble des moyens.
Q - Cela veut dire qu'on laisse de côté l'existence d'un Tribunal pénal international ? Le fait qu'un certain nombre de dirigeants serbes, dont Milosevic, soit attendu devant ce tribunal ?
R - Si vous m'avez bien écouté, on ne laisse rien de côté. Mais comme l'a dit le président du Tribunal pénal international, lui-même, M. Jordan, il y a un temps pour tout. Chaque chose en son temps.
Donc, est-ce que notre intérêt, aujourd'hui, d'Europe démocratique, qui voulons au bout du compte, consolider la démocratie dans les Balkans, et au-delà, européaniser les Balkans comme je le dit depuis des années, c'est de conditionner ou de consolider ? Nous avons répondu que notre intérêt immédiat, pour tous, était de consolider, tout en parlant de tous les sujets. Parce que tous les sujets ont déjà été abordés avec lui. Donc, nous lui avions dit ce que nous pensions, à propos de Milosevic, à propos du Kosovo, quelle est la situation légale de la Yougoslavie, ses obligations par rapport au tribunal, sur tous ces sujets, nous avons parlé, nous avons été par tout à fait clairs par rapport à ça.
Mais il répond : "je vous entends, je vous écoute. Nous avons notre vision sur certaines choses, je vous demande de nous écouter comme moi je vous écoute. Mais surtout, je dois me consolider et m'installer".
C'est pour ça qu'il veut faire des élections pour prendre le contrôle du Parlement serbe.
Q - Le 24 décembre, ce n'est pas trop tard ?
R - Attendez, mettez-vous à leur place. Allez faire un tour à Belgrade et regardez, tout ça ne se décrète pas comme ça, par un coup de baguette magique.
Q - Et il est sûr de sa force par rapport à Milosevic ? Milosevic est toujours là ?
R - Vous posez deux questions qui se détruisent toutes les deux.
Q - Jusqu'au 24 décembre, Milosevic peut réorganiser ses forces.
R - Non, ils sont tous convaincus que Milosevic est en voie de marginalisation rapide. Aucun d'entre eux n'a dit qu'il devait garder un rôle politique. Ça ce sont les Russes qui l'ont dit à un moment x, ça n'a jamais été dit par des responsables yougoslaves et au contraire, Monsieur Kostunica a dit clairement hier à Biarritz, que Milosevic n'a pas d'avenir politique, sans parler du reste, après. La façon dont il aura, évidemment, à rendre des comptes. Ils sont tous déterminés à ce qu'il rende des comptes. Ils commencent à discuter entre eux sur la chronologie, comment rendre des comptes, avec qui d'abord, avec qui ensuite ? Il y a une discussion qui s'entame. Le gouvernement n'est même pas constitué, même pas constitué. Donc, il ne faut pas le laisser s'installer au sens, vous voyez, tranquille du terme, mais il faut qu'il puisse prendre les contrôles de tous les rouages. Que nous ayons vraiment cette Yougoslavie démocratique. C'est ça que nous avons voulu encourager, accélérer par notre politique européenne. On va accompagner ça maintenant jusqu'à un sommet qui aura lieu à Zagreb fin novembre. La France a pris également l'initiative, où il y aura la nouvelle Yougoslavie et tous les pays des Balkans occidentaux, donc cela permettra de traiter de toutes ces questions régionales.
Et les questions que vous posez, entre temps, ils auront réfléchi entre eux, aussi. Monsieur Kostunica, mais il y a les leaders des 17 partis démocratiques aussi qui sont là.
Q - Je reviens au sommet de Biarritz. Vous étiez donc réunis au sommet de Biarritz avec un ordre du jour qui était celui de la réforme des institutions, notamment, entre autres, en préparation du sommet de Nice, de décembre prochain. Lionel Jospin a dit : " il faut faire le ménage dans la maison ". Il parlait des institutions. Jacques Chirac a dit : " il faut arriver à un accord substantiel de haut niveau, d'ambition ". Est-ce qu'en réalité - ne nous cachez rien - on n'a pas avancé d'un pouce sur cette affaire des institutions ? Est-ce que vous n'êtes pas très préoccupé sur les chances d'aboutir à un accord d'ici à deux mois ?
R - Non, non, là vous êtes trop négatif.
Q - Non, je ne suis pas négatif. Je pose une question.
R - Alors, je vais répondre. Début septembre, j'ai commencé à être inquiet, parce que j'ai trouvé que la négociation n'avait pas avancé d'un pouce, depuis qu'elle avait été ouverte au début de l'année sous présidence portugaise. Bon, Pierre Moscovici et moi-même, courant septembre, après nous nous sommes beaucoup dépensés, je crois, dans beaucoup de réunions, pour essayer de faire bouger les choses, mais naturellement, c'est au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement que se passent les choses décisives. Et à Biarritz, il me semble qu'on a vraiment bougé sur l'extension de la majorité qualifiée dans les domaines communautaires, ce qui est indispensable pour que ça fonctionne mieux.
Q - Là où ça ne fait pas mal.
R - Non, vous ne pouvez pas dire ça. Chacun des sujets est important et si c'est le sujet où ça ne fait pas mal, il n'y aurait pas tellement besoin qu'il se promène en Europe en disant que c'est le point décisif. Bon. C'est ce que pensent beaucoup de gens.
Q - Quand vous dites : "on a avancé". Chacun a fait des concessions ? Par exemple, la France a fait quelle concession ?
R - Sur la majorité qualifiée...
Q - Sur la liste des thèmes ?
R - Oui, on voit que sur un certain nombre de mesures, par exemple, fiscales, d'adaptation par exemple dans la lutte sur le blanchiment, on trouvera un accord, même si les grandes mesures fiscales resteront à l'unanimité, ce qui veut dire qu'il n'y aura pas d'accord. Il semble qu'en matière sociale, à condition qu'on ne touche pas aux grands principes de la sécurité sociale qui ne sont pas forcément libellés de la même façon d'un pays à l'autre, en matière de relations du travail, on arrivera à bouger. En matière de justice et questions intérieures, on voit qu'on va trouver des solutions sur la coopération judiciaire, ce qui est très important. Regardez l'impact de toutes les questions de divorces, quand il y a des couples de plusieurs pays.
Donc, il y a des exemples comme ça, mais vous me questionnez sur l'ensemble. Ça, c'est un des quatre sujets.
Alors, sur la majorité qualifiée, je crois qu'on peut dire aujourd'hui qu'on aperçoit les contours de l'accord possible à Nice.
Sur les coopérations renforcées, je crois que là aussi on a bougé et qu'on voit comme on pourrait avoir un dispositif suffisamment assoupli pour que ça puisse fonctionner.
Il est clair qu'il y a deux points durs, mais le Sommet de Biarritz a l'immense avantage de les avoir clairement identifiés.
Q - Ah oui, on en a entendu parler. Il paraît que ça s'est chamaillé.
R - C'est fait pour ça. Sinon, qu'est-ce que vous auriez dit ? Vous auriez dit, mais ce Sommet ne sert à rien, les problèmes ont été masqués. On passe à côté des choses. A quoi ça sert de se réunir pour ne pas traiter les vraies difficultés.
Q - Le président de la République avait dit : "il faut se défouler". Il paraît que tout le monde s'est défoulé, au dîner.
R - On parle très franchement. Il n'y a pas moins diplomatique que toutes ces réunions et ces sommets, même au niveau des diplomates, ça n'est pas du tout diplomatique au sens courant du terme. On se dit des choses vraies, claires et nettes.
Donc, il y a deux points sur lesquels on a vraiment progressé. Il y a deux sujets sur lesquels, alors là, il y a des options assez différentes, qui sont sur la table. C'est le grand avantage que cette rencontre de Biarritz, qu'on avait mis exprès en octobre, pour qu'il y ait une sorte de prise de conscience, de mobilisation et nous avons maintenant huit semaines, avant Nice.
En huit semaines, on peut trouver des solutions. A condition que tout le monde soit conscient du fait qu'il y a un temps pour exposer les intérêts nationaux, légitimes. Nous l'avons tous fait. Très bien.
Et il y a un temps pour faire prévaloir l'intérêt général supérieur de l'Europe. Ce moment est venu. La vraie négociation commence maintenant, grâce à Biarritz, y compris sur la commission et sur la pondération des voix, où il y a des options différentes.
Q - Après le défoulement, vous voyez des lueurs quand même ?
R - Ce que vous appelez le défoulement, qui n'est jamais qu'une conversation directe, claire et nette, à ce moment là, on sait sur quoi on va discuter.
Ce n'était pas si clair, sinon vous n'auriez pas eu ces échos qui sont faussement traduits, comme si cela avait été un affrontement. Ce n'est pas un affrontement, c'est une explication dans laquelle au lieu de faire des discours amphigouriques, les gens disent : " moi je peux accepter ça, ça je ne peux pas ".
Q - Mais vous voyez des ébauches de solutions ?
R - Oui, nous nous avons notre préférence de toute façon sur les deux sujets. Par exemple, sur la Commission. Il y a une chose très simple. On dit que si on laisse la commission grandir au fur et à mesure que l'Europe s'élargit à 27, 30 et puis tous les pays des Balkans vont être candidats, maintenant. On va avoir un monstre ingérable qui ne pourra pas remplir sa fonction. Ça n'est d'ailleurs pas tellement l'intérêt des grands pays. Si on était simplement accroché de façon étroite à l'intérieur des grands pays, on laisserait la commission s'élargir au point de devenir complètement impuissante.
On dit l'inverse. On dit "il nous faut, parce que c'est l'originalité d'une scène européenne, qu'il y ait une commission forte, dynamique, énergique". Donc, on propose de la plafonner et même avec un système d'alternance, après. Donc, on fait des sacrifices tout à fait extraordinaires par rapport à ça.
Bon, mais il y a tout un groupe de pays, peut être encore la moitié aujourd'hui qui dit : "il n'est pas question que l'on renonce à notre commissaire". Nous, nous pensons qu'ils se trompent, que leur influence ne s'exerce pas sur leur commissaire. Que d'ailleurs, ce n'est pas leur commissaire, car dans l'esprit des traités, chaque commissaire doit défendre des intérêts généraux de l'Europe et pas l'intérêt de tel ou tel pays en particulier.
Voilà, il y a deux options. Mais nous, on a annoncé clairement la couleur, sinon on ne ferait pas bien notre rôle de président. Quant à la pondération des voix, c'est vrai que nous continuons à dire qu'il faut une repondération substantielle, pour que le poids des grands pays soit mieux représenté.
Alors là sur ce point, mais sur seulement sur ce point (1 sur 4), là il y a un clivage entre les grands pays et les autres.
Q - Vous dites les autres, vous êtes très diplomate. Parce qu'on dit les petits d'habitude.
R - Oui, parce qu'il y a les moyens aussi.
Q - Sur les coopérations renforcées, concrètement, qu'est-ce qui va se passer dans les mois qui viennent ? Qu'est-ce qui va apparaître comme innovations dans ce domaine et quels pays vont y être associés ?
R - Il n'y a pas une liste cachée de sujets de coopérations renforcées. Il s'agit de créer un mécanisme qui part de l'idée que quand l'Europe sera composée de 27 ou 30 pays, il est assez illusoire que l'on puisse démarrer une nouvelle politique commune avec tout le monde d'un seul coup. C'est pour ça qu'on ne veut pas avoir des mécanismes qui empêchent la naissance de toute nouvelle politique commune. Bon, on peut toujours prendre des initiatives, hors traité, si les choses sont complètement bloquées, mais ce n'est pas le plus souhaitable.
Donc, on va avoir un mécanisme, permettant à un petit nombre de pays, parce qu'on aura réussi à le réduire, avec moins de veto préalable, donc ça sera plus facile de démarrer, contrairement au traité actuel, de laisser une initiative nouvelle.
Il ne s'agit pas de porter atteinte aux politiques communes qui existent déjà. Il s'agit de faire des choses nouvelles. Mais je ne peux pas vous dire aujourd'hui ce qui apparaîtra comme indispensable à 3 ou 4 pays dans quelques années, après la ratification du Traité de Nice. Parce que ça ne fonctionne qu'après la ratification du Traité de Nice. Donc, ça nous mène à début 2003, puisque c'est l'échéance que nous nous sommes fixés pour avoir fini de ratifier et être prêts à accueillir les pays candidats qui seraient prêts à ce moment là, qui auraient adhéré, qui auraient fait eux-mêmes leurs réformes, leur préparation.
Q - Est-ce que vous avez évoqué à Biarritz la suggestion du chancelier Schroeder qui est : "même si on arrive à un accord sur une première réforme ou une deuxième réforme des institutions, de toute manière, il faudra au lendemain, refaire une Conférence intergouvernementale pour mettre en oeuvre une constitution" ?
R - Non, cela n'a pas été abordé. C'est une question qui sera abordée, je pense, à Nice, puisque certains pays européens, certains responsables vont demander qu'il y ait une suite avec d'ailleurs une optique assez différente sur ce plan. Parce qu'il y a ceux qui demandent qu'on aille plus loin dans l'évolution de l'union fédéraliste et ceux qui demanderont, qu'au contraire, on la bloque. C'est ce que demandent les Allemands par exemple et peut être d'autres. Et ça, c'est la question d'après Nice et il ne faut pas tout mélanger. Le débat sur l'avenir de l'Europe est extrêmement intéressant.
J'ai eu l'occasion au printemps de dire à plusieurs reprises ce que j'en pensais, sur chacun des points. Mais il faut réussir Nice d'abord. Réussir Nice, c'est régler les problèmes dont je vous ai parlé tout à l'heure. Quand on aura la conclusion de Nice, on verra dans quels termes nous nous mettons d'accord à 15 pour définir comment ce débat nécessaire sur l'avenir se poursuit.
Mais il ne faut pas faire interférer les deux, ce ne serait pas utile à la poursuite de la négociation. Sur les quatre points clefs de la Conférence intergouvernementale, elle rentre dans sa phase décisive, donc je voudrais qu'on concentre nos forces entre Biarritz et Nice, sur ce point.
Q - Et sans interférer sur les résultats de Nice, est-ce qu'au cours de cette rencontre, vous avez eu l'occasion de dire à M. Romano Prodi, de ce que vous pensiez de ses déclarations sur la nécessité de mieux faire fonctionner l'Europe sur son triangle institutionnel et de faire moins de coopérations inter-étatiques et davantage de coopérations intercommunautaires en évitant de se disperser, en donnant à la commission à faire la politique étrangère et aussi bien à représenter le pôle économique.
R - Cela aussi, ça fait partie du débat sur l'avenir de l'Europe. Donc, ça n'a pas été spécialement abordé. L'ordre du jour de Biarritz était très chargé et si les conseillers européens n'arrivent pas à tenir l'ordre du jour parce qu'ils sont toujours distraits par une déclaration récente, ils ne feraient pas leur travail.
Q - Qu'est-ce que vous en pensez de ces déclarations de M. Prodi ?
R - Donc, ça sera traité après. En Europe, un certain nombre de gens pensent que la commission doit jouer un rôle accru et d'autres pensent qu'elle joue déjà un rôle actif.
Q - Mais qu'est-ce que vous pensez-vous ?
R - Moi, ce que je pense, c'est que je soutiens les commissaires qui, à l'heure actuelle, font des efforts pour que la commission telle qu'elle est aujourd'hui fonctionne mieux. Ça, ça devrait réconcilier tous les points de vue. Et par exemple, la présidence française travaille très bien avec le commissaire Patten qui est en charge de l'action extérieure de l'union européenne qui marche très mal. Très mal. Il faut des années, des années et des années pour faire arriver l'argent pour le moindre projet concret. Dix huit mois pour les opérations d'urgence, cela ne va pas du tout. Au lieu qu'il y ait une dispute entre les Etats membres et la commission, on travaille avec lui la main dans la main, pour rendre cette Europe plus efficace.
C'est une réponse concrète, immédiate, peut être plus utile encore que le débat théorique pour l'après.
Q - Les Européens se sont mis d'accord, vous le disiez tout à l'heure, sur la rédaction d'une charte des valeurs européennes et pour autant, on voit qu'après la levée des sanctions en Autriche, le parti de M. Haider continue ses agissements, dit que les étrangers posent toujours problème, les journalistes de la télévision autrichienne sont en but à des menaces et en Belgique, on voit l'extrême droite flamande faire une percée remarquée lors des élections municipales. L'Europe et la charte des valeurs ? Ces élections et la charte des valeurs, c'est compatible.
R - Il ne faut pas tout mélanger. En faisant la charte, les Européens rassemblent dans un document politique qui devrait avoir un vrai retentissement, les principes fondamentaux qui sont les leurs, notamment politique bien sûr, mais aussi économique et social. Et nous avons réussi à convaincre nos partenaires récalcitrants d'y faire figurer un certain nombre de choses fortes en matière sociale et en matière de nouveaux droits. Donc, ça je crois que c'est une démarche qui est bonne, parce qu'elle est claire, elle est lisible. Ça peut parler à tout le monde.
En général, d'ailleurs ce sont des choses qui sont bien traitées par les législations nationales, mais de façons tellement différentes qu'on ne peut comparer. Donc, il fallait un texte fort et simple, politique et il a été remis par la convention qu'il l'avait préparé à Biarritz, il devrait être adopté à Nice.
Pour le reste et ce ne sont pas des documents ou des chartes, ou des mécanismes juridiques qui vont arrêter le combat politique qui se poursuit partout. Il faut avoir en Europe, surtout dans cette Europe démocratique et ambitieuse par rapport à sa propre démocratie, une vigilance, une mobilisation qui fait que tous les extrémistes qui utilisent les peurs des gens, les peurs réelles ou imaginaires, ou n'importe quel prétexte, tous les populismes nouveaux, toutes les xénophobies nouvelles. Il faut être très vigilant par rapport à ça.
Moi, j'ai une très grande confiance dans l'Europe démocratique d'aujourd'hui. Je pense que c'est bien de perfectionner les mécanismes, d'alerte, de vigilance et de suivi, mais le fond de ma confiance ne repose pas sur des mécanismes de ce type, parce que je ne crois pas à la judiciarisation de la politique. Je crois à la détermination des peuples. Je pense tout simplement qu'il y aura forcément à un moment donné des partis marginaux, et à l'utilisation de façon irresponsable de ce type de thèmes.
Mais je crois qu'ils n'auront tous qu'un temps. Qu'un jour ou l'autre, ils seront écartés, balayés comme l'a été l'extrême-droite chez nous.
Donc, je crois fondamentalement à la vitalité profonde de l'Europe démocratique d'aujourd'hui. Je crois que c'est plus fort que tout cela. Il faut avoir cette confiance aussi.
Q - Pour terminer cette émission, retour au Proche-Orient. Je livre à cette réflexion ces deux dernières nouvelles.
Donc, M. Chaath, ministre palestinien des Affaires étrangères, en quelque sorte dit : "on veut un ordre du jour clair, incluant le retrait de l'armée israélienne des positions occupées après le 28 septembre, la levée du blocus du port de Gaza, la création d'une commission d'enquête internationale et le retour aux négociations sur la base des résolutions 242 et 338 des Nations unies, c'est à dire des pourparlers de paix".
Mais de son côté, le ministre égyptien des Affaires étrangères, M. Amr Moussa dit : "je suis certain que Yasser Arafat va venir au sommet, même s'il est vrai qu'il existe un problème d'ordre du jour".
R - Si vous voulez que je réagisse immédiatement, je pense plutôt comme M. Moussa. Je pense qu'il y a des vrais problèmes d'ordre du jour, qu'il y aura peut être au fond une discussion préalable à la rencontre elle-même, sur le fait de savoir sur quoi il vont discuter, un peu comme cela s'était passé à Paris où Mme Albright avait fait la navette pendant quelques heures avant de pouvoir les réunir tous les trois. Donc, ça peut se passer comme ça en Egypte. Mais je pense qu'au bout du compte, ils ne feraient pas ce genre de déclaration, s'ils n'avaient pas l'intention d'y aller. Mais ils veulent démontrer qu'ils y ont été sur des bases claires, par rapport à des opinions qui, de part et d'autre, s'interrogent sur les risques de ce sommet, sur les concessions possibles. On sait bien qu'ils sont sur une corde raide. Donc, je pense que c'est plutôt une déclaration de préparation.
Q - Merci Monsieur Védrine.
R - Et je souhaite que ça marche quand même.
Q - Et bien, on va terminer ce grand jury sur cette espérance et ce souhait. Merci M. Védrine. Bonne soirée à tous./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2000)