Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre, à TF1 le 28 mai 1995, sur les orientations de sa politique, notamment en matière d'emploi des chômeurs de longue durée.

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Texte intégral

EXTRAITS -
Q - Monsieur le Premier ministre, on a appris aussi aujourd'hui la mort du ministre bosniaque des Affaires étrangères au-dessus de Bihac dans un hélicoptère. On ne sait pas encore s'il s'agit d'un attentat ou s'il s'agit d'un accident ?

R - Je le connaissais bien. Je l'avais rencontré à plusieurs reprises à Paris et à Sarajevo également.

Q - Pourriez-vous déjà, dès à présent, donner des nouvelles des Casques bleus, français notamment ? Le gouvernement sait-il exactement ou à peu près où ils sont ? A-t-on pu entrer en contact avec eux ? Que pouvez-vous dire aujourd'hui de leur situation ?

R - Nous avons des informations par le canal du commandement des Nations unies qui est toujours en contact sur place. Les contacts n'ont pas été interrompus. Et j'imagine l'angoisse des familles dont des fils sont ainsi détenus et je peux leur dire, avec toutes les précautions d'usage, qu'ils sont, selon nos informations, actuellement traités comme des prisonniers de guerre.

Q - Lorsque vous avez vu ces images que l'on vient de remontrer, que vous avez vues tout le week-end, qu'avez-vous ressenti et comment qualifieriez-vous ces actes ? Diriez-vous que c'est du terrorisme international ? Sont-ce des crimes de guerre ? Est-ce du banditisme ? Qu'avez-vous envie de dire ?

R - J'ai ressenti beaucoup d'indignation et de révolte. Vous savez que pendant les deux dernières années, en tant que ministre des Affaires étrangères, j'ai essayé de faire tout ce que j'ai pu pour qu'un règlement de paix se dessine en Bosnie et de façon générale en ex- Yougoslavie. Ces efforts ont visiblement échoué. Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier le comportement de ce qu'on appelle les Bosno-serbes, les chefs militaires serbes de Bosnie, que le mot de barbarie. Cela me rappelle ce qui s'est passé il y a quelques années en Irak, avec le comportement de Saddam Hussein qui utilisait aussi des boucliers humains. Ceci n'est plus acceptable et c'est la raison pour laquelle le Président de la République et le gouvernement français ont demandé aux Casques bleus de se défendre et de réagir, ce qu'ils ont fait avec un courage qui mérite admiration.

Je voudrais les saluer tous, m'incliner évidemment devant ceux qui sont morts, penser à leurs familles, toutes ces familles qui, depuis le début de ce qui n'était pas une guerre - car nos soldats ne sont pas là-bas pour faire la guerre, ils y sont pour maintenir la paix, ce qui confère à ces événements un caractère plus dramatique encore - se sont comportées avec une extraordinaire dignité.

Q - Avant de venir aux moyens que vous comptez mettre en oeuvre pour essayer de libérer les Casques bleus, vous venez d'employer vous-même la comparaison avec Saddam Hussein et la guerre du Golfe. C'est vrai que le parallèle vient à l'esprit, notamment avec les boucliers humains. Qu'est-ce qui fait qu'on a, - "on", c'est à dire la communauté internationale - su agir à ce moment-là au Koweït ? Et qu'est-ce qui fait que, depuis trois ans, les Occidentaux sont impuissants, humiliés aujourd'hui et en danger ?

R - Je fais ce parallèle comme vous l'avez fait parce que nous avons encore en tête ces images insoutenables de boucliers humains mais les situations sont évidemment très différentes. Ce que nous avons joué, au sens non pas de jeu gratuit mais d'action diplomatique dans l'ex-Yougoslavie, c'est de rechercher un règlement de paix parce que nous avons la conviction que personne n'est prêt, personne ne veut et personne ne peut s'engager dans une opération proprement militaire. Cela a été la logique de notre action. Et la présence des Casques bleus, je l'ai dit, était une présence pacifique. Il s'agissait de s'interposer et, à la fois, d'avoir une action humanitaire et une action de paix. C'est ceci qui est bafoué par les Bosno- serbes qui doivent donc être isolés et condamnés avec la plus extrême rigueur.

Q - Comment comptez-vous obtenir la libération des Casques bleus ? Vous, c'est à dire la communauté internationale, parce que les Français sont bien sûr concernés au premier chef mais des Anglais ont été pris en otage aujourd'hui même. Est-ce qu'une réplique militaire est toujours envisagée ? Et en maintenez-vous la menace alors que les Serbes continuent leur chantage et disent : on ne libérera les Casques bleus que si la menace est levée de raids aériens ?

R - L'ultimatum des frappes aériennes doit être utilisé après réflexion et préparation. Lorsque nous l'avions fait au mois de février 1994, nous avions planifié ce qui se passait après d'éventuelles frappes. Et je dois dire que, vendredi dernier, cet ultimatum et ces frappes aériennes n'ont pas été bien préparés et elles ont fait courir à nos Casques bleus des risques inconsidérés.

Q - La responsabilité appartient à qui ? A l'ONU qui l'a demandé de manière inconsidérée, à l'OTAN ?

R - C'est le commandement des Nations unies qui a pris cette décision. Et je crois qu'il ne faut pas recommencer ce type d'opérations dans les conditions où elles se sont déroulées vendredi dernier. Nos soldats sont des soldats, ils sont courageux, ils sont prêts à prendre des risques mais nous n'avons pas le droit de les exposer à des risques inconsidérés. Et donc, première priorité, renforcer la FORPRONU : c'est ce que nous avons demandé en exigeant la convocation du Conseil Atlantique, l'OTAN, la convocation du Conseil de sécurité, la convocation du Groupe de contact qui va se réunir au niveau des ministres demain. Alors que nos partenaires traînaient un petit peu des pieds, il a fallu les en convaincre. L'action du Président de la République a été déterminante grâce aux coups de fils qu'il a passés à la fois auprès du Président Clinton, auprès du Président Eltsine et également du Premier ministre britannique et de plusieurs autres chefs d'Etat et de gouvernement concernés.

Ce renforcement de la FORPRONU, cela veut dire quoi ?

Q - On va y venir si vous voulez bien. Je voudrais juste que l'on reste un peu sur les moyens que l'on a de libérer les Casques bleus, parce que le renforcement de la FORPRONU, c'est dans le cadre de la définition des Forces des Nations unies pour les semaines qui viennent.

R - Cela peut être également dans le cadre de la libération de nos otages. Car pour libérer les otages, il faut que nous sachions doter la FORPRONU, le cas échéant, d'une force dé réaction qui nous permette d'éviter ce que nous avons vécu depuis 48 heures.

Q - Cela peut prendre très longtemps.

R - S'il y a une volonté politique, et c'est cela qu'il faut voir, dès demain, dès le début de la semaine prochaine, cela peut aller vite.

Q - Faut-il donner, pour les Casques bleus encore une fois, un délai en disant : "on peut accepter qu'ils soient, notamment ceux qui servent de boucliers humains, pris en otage, enchaînés...

R - On ne peut pas accepter quelque délai que ce soit. Ce que nous réclamons, c'est leur libération immédiate. A côté du renforcement de la FORPRONU que je viens d'évoquer, à côté des mesures que nous avons prises nous-mêmes avec notamment l'envoi de notre porte- avions que vous avez évoqué tout à l'heure, il y a également le terrain diplomatique. Et c'est la raison pour laquelle les différentes initiatives dont je vous ai parlé ont été prises.

Le Président Milosevic - le Président de Serbie Monténégro qui est à Belgrade -, a condamné cette opération des Serbes de Bosnie.

Q - Enfin !... Il a mis du temps.

R - Il a accepté le plan de paix il y a quelques mois et, maintenant, ces moyens de pression sur les Bosno-serbes sont très importants. Nous avons donc fait comprendre avec beaucoup de détermination qu'il fallait les utiliser pour obtenir la libération de nos otages.

Q - Est-ce que la preuve n'est pas faite, et on voit que les Serbes de Bosnie continuent aujourd'hui encore de bombarder Tuzla, de prendre des otages, de tirer sur les avions de l'OTAN qui partent en reconnaissance, que les Serbes n'ont strictement rien à faire de nos plans de paix, de nos menaces et de nos frappes ?

R - On peut dire cela. On peut dire aussi que, depuis deux ans, nous avions stabilisé la situation et que les principes du règlement pacifique que nous avions posés ont fini par être peu à peu acceptés. Ma conviction, c'est que nous sommes assez prêts en réalité d'un règlement de paix, à la fois entre la Serbie et la Bosnie et au sein même de la Bosnie. C'est cela qu'il faut continuer également à poursuivre avec beaucoup de détermination. C'est à l'ordre du jour des réunions que j'ai évoquées tout à l'heure et notamment de la réunion du Groupe de contact.

La France a proposé en particulier que nous puissions désigner un médiateur unique parce que ces discussions à cinq sont très difficiles à mener de façon à reprendre une discussion qui a été tout prêt d'aboutir il y a quelques semaines. Nous sommes en permanence au bord de la conflagration mais aussi au bord de la paix. Et c'est cette carte diplomatique qu'il faut continuer à exploiter au maximum.

Q - Pour en terminer avec le chapitre des Casques bleus, je retiens que, pour vous, il n'y a même pas de délai, que c'est tout de suite, donc c'est dans les prochaines heures que doit se passer une offensive diplomatique qui pourrait régler la question. Cela veut-il dire que vous écartez, - vous dites : "il faut les préparer" -, l'idée d'une riposte aérienne ? Je sais bien que c'est une décision très difficile à prendre parce que cela met en jeu la vie des Casques bleus mais est-ce que ce n'est pas indispensable ?

R - Vous parlez d'initiatives diplomatiques à prendre. Elles sont prises.

Q - Alors des résultats, pardon, des résultats diplomatiques ?

R - J'ai parlé de toutes les initiatives prises par le Président de la République et par le gouvernement et qui sont en train de se concrétiser sur le terrain par des démarches dans toutes les directions.

Quant au résultat, je ne peux évidemment pas imaginer que nous puissions donner des délais. Nous l'exigeons tout de suite et nous allons poursuivre avec détermination cet objectif.

Q - Que se passe-t-il si, dans la semaine, les otages sont toujours otages ?

R - Nous avons pris des dispositions, je l'ai dit, pour étudier d'autres solutions, mais l'action, - j'en ai l'absolue conviction -, ne peut être que collective. C'est la raison pour laquelle la communauté internationale et notamment l'OTAN qui est défiée par cette situation doit maintenant se décider.

Si nous n'arrivons pas à obtenir le renforcement de la FORPRONU pour qu'elle poursuive sa mission, eh bien alors il faut poser la question de son retrait et du dispositif qu'il faut mettre en place pour la retirer. Vous savez qu'il existe un plan pour cela. Nous poserons là aussi la question de la mise en oeuvre.

Q - La France demande, Alain Juppé, une redéfinition de la mission de l'ONU et un renforcement de ses moyens. Redéfinir la mission, qu'est-ce que cela veut dire exactement ?. Elle était humanitaire au départ, elle est devenue d'interposition. Vous voulez qu'elle ait une autre fonction ou qu'elle retrouve simplement sa faculté d'interposition ?

R - Ce sont surtout les moyens des Nations unies qu'il faut changer car nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle où, on le voit bien, nous sommes d'une certain manière, vous l'avez dit vous-mêmes, et l'expression convient, pris au piège puisque nous avons sur le terrain 24.000 hommes qui n'ont pas les moyens de mener une mission de caractère militaire.

Q - Les moyens, vous voulez dire, en hommes, en matériels ?

R - Ce que nous demandons maintenant, et c'est l'objet des réunions qui se tiennent à la fois depuis aujourd'hui et demain, c'est que l'on étudie précisément, - cela fait beaucoup de semaines que nous le demandons, j'espère que cette crise va permettre de débloquer la situation -, deux ou trois aspects précis.

Premièrement, le dispositif sur le terrain. On ne peut pas continuer à laisser les petites unités de Casques bleus isolées au milieu des troupes serbes. C'est cela qui s'est passé vendredi et samedi. Des petits groupes de soldats français souvent mais aussi d'autres nationalités, dix ou quinze, étaient au milieu des troupes serbes. Eh bien cela, ce n'est plus possible. Il faut donc les regrouper parce que des unités plus importantes sont naturellement plus faciles à protéger et davantage capables de se défendre.

Deuxièmement, il faut les doter de moyens de se défendre ou de moyens en armement en particulier ou en moyens de transport pour qu'elles ne soient pas aussi vulnérables qu'elles le sont.

Troisièmement, cela fait l'objet aussi d'une proposition française : il faut imaginer la mise au point d'une force de réaction rapide qui serait placée sous doubles clés de l'ONU et de l'OTAN et qui permette de faire face à des situations de crise comme celle que nous avons connue hier où nous avons bien vu que l'ordre donné aux soldats français de ne pas accepter l'humiliation dont ils étaient l'objet a été efficace, hélas ! prive la vie d'un de nos soldats, mais nous étions dans une situation très difficile. Il faut donc se donner les moyens supplémentaires dans cet esprit.

Q - Et la mission est une mission qui doit être d'interposition, de réaction, de reprise
des positions conquises par les uns ou par les autres ?

R - La mission ne peut pas être, dans l'état actuel des choses et même si on renforce les moyens de la FORPRONU, de faire la guerre. Et c'est là qu'il y a une ambiguïté depuis le début, une incompréhension d'ailleurs entre les parties. Les Nations unies ne sont pas allées là-bas pour faire la guerre contre une camp au profit de l'autre. Les Nations unies sont allées pour faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire et essayer de calmer le jeu sur le terrain, ce qu'elles ont fait. Car ces soldats que nous avons perdus, - et leur disparition nous étreint tous bien entendu, ne sont pas morts en vain-, ils ont évité que ce drame ne dégénère depuis deux ou trois ans.

Je ne pense pas aujourd'hui que nous soyons en mesure de transformer complètement la mission de la FORPRONU. Je pense d'ailleurs que ce n'est pas opportun, pour en faire une force de guerre. Mais ce que nous ne pouvons pas accepter c'est que même en tant que force de paix, ce qu'elle doit rester, elle soit exposée comme elle l'est à la barbarie des chefs bosno- serbes dont on vient de voir quelques manifestations. Donc la première des priorités pour nous, c'est cela : il faut que l'on mette fin à cet éparpillement sur le terrain et à cette vulnérabilité.

Si on n'y parvient pas, ce sont les instructions qui ont été données à nos ministres qui nous représenteront demain au Conseil de l'Atlantique nord ainsi qu'au Groupe de Sécurité, la France dit très clairement : "Si on n'y parvient pas, alors il faut envisager de déclencher le plan de retrait des Forces des Nations unies, qui a été mis au point avec l'OTAN", qui est une opération très difficile, que nous ne souhaitons pas. Malheureusement, elle risque d'avoir des conséquences dramatiques pour les populations mais elle est indispensable si nous n'obtenons pas satisfaction à notre première demande.

J'espère que c'est clair : ou bien le renforcement de la Force ou bien alors son retrait.

Q - Dernière précision, vous parliez de délai tout à l'heure pour les prises d'otages, là, je vous parle de délai pour l'obtention du renforcement des moyens. Quel délai donnez-vous à la communauté internationale pour qu'elle puisse se mettre d'accord, sinon le retrait ?

R - Ces décisions doivent être prises dans les jours qui viennent, sur le principe. Leur mise en uvre demandera sans doute un peu plus de temps mais il faut que l'Alliance atlantique qui est la plus grande Alliance militaire de l'Histoire, nous dit-on, ne se laisse pas bafouer avec les Nations unies comme elle est bafouée maintenant depuis plusieurs semaines. Et le Président de la République a dit très clairement que si la France n'était pas entendue, alors nous envisagerions de dire très clairement que nous n'assurerions plus la relève de nos contingents au sein des Nations unies. Le moment maintenant est venu de crever l'abcès d'une certaine manière et de dire que nous ne pouvons plus tolérer que des soldats soient humiliés ou tués, hélas ! dans les circonstances où ils l'ont été.

Q - Pour redéfinir cette mission et ces moyens, on a besoin de l'accord de toutes les grandes puissances qui peuvent être impliquées dans la région, c'est-à-dire notamment des Russes et des Américains. En ce qui concerne les Russes, ils ont évidemment des préférences côté serbe, ils ne sont pas tout à fait neutres, c'est peut-être là-dessus que vous compter, mais c'est vrai aussi qu'ils condamnent les raids de l'OTAN. Peut-on vraiment compter sur Boris Eltsine ?

R - Ils n'ont pas condamné les raids de l'Otan, ils ont simplement protesté contre le fait qu'ils n'étaient pas associés à la décision alors qu'ils ont aussi des hommes sur le terrain.

Q - Ils ont dit : "On va faire notre mission de médiation à condition qu'il n'y ait plus de
frappes"...

R - Je vous ai dit, en ce qui me concerne, que des ultimatums ou des frappes comme celles qui ont eu lieu vendredi et samedi, il vaut mieux s'en passer parce qu'on a vu les résultats.

Je voudrais en revenir maintenant à l'aspect diplomatique des choses. Je viens d'évoquer l'aspect de terrain, l'aspect militaire mais il y a aussi un aspect diplomatique. Parce que je reste habité par la conviction, comme je le suis depuis deux ans, qu'il n'y a pas de solution militaire par une intervention de la communauté internationale. La communauté internationale peut défendre les Casques bleus qui sont là, elle ne doit pas admettre qu'ils soient traités comme ils sont traités, mais une guerre pour imposer une solution serait folle. Donc, il faut reprendre le processus diplomatique qui n'est pas interrompu et qui est tout prêt d'aboutir comme je le disais tout à l'heure.

Ceci met en jeu la responsabilité de nos grands partenaires. Vous avez parlé des Russes. C'est vrai qu'ils ont, pour des raisons historiques, religieuses, des affinités particulières avec le régime de Belgrade. Le Président Eltsine a dit au Président de la République française qu'il était prêt à faire le maximum pour convaincre Milosevic d'aller jusqu'au bout de la logique de paix qu'il semble avoir adoptée.

Mais je voudrais aussi parler des Américains. Les Américains ont aussi, pour parler de préférences, des préférences qu'ils ont exprimées à plusieurs reprises, c'est vrai. Et de ce point de vue je partage leurs sentiments que les agresseurs doivent être désignés et, aujourd'hui, les agresseurs, ce sont les Bosno-serbes. Mais les Américains ont une possibilité là aussi d'influence sur le gouvernement de Sarajevo pour qu'on puisse progresser vers un plan de paix.

Je parlais de Milosevic à l'instant, il dit qu'il condamne ce qui vient de se passer. Il dit qu'il veut la paix. Eh bien ! il a une façon de le démontrer, simple, qui peut être concrétisée demain, c'est de reconnaître la Bosnie-Herzégovine dans ses frontières internationales. S'il reconnaît la Bosnie-Herzégovine, cela veut dire que le rêve fou de la grande Serbie, qui est à l'origine de tout ce conflit, est terminé. Et ceci permettrait de débloquer la situation. Ceci permettrait à la communauté internationale de commencer à lever les sanctions sur la Serbie.
Alors qu'il le fasse !

Q - S'il reconnaît la Bosnie-Herzégovine, vous faites complètement confiance à sa
bonne foi ?

Quelle action a-t-il sur les Serbes de Bosnie, donc sur Radovan Karadzic ? Est-ce que les dissensions qui existent dans le clan serbe, à votre avis, sont réelles ? Et si elles sont réelles, à ce moment, quelle action a-t-il sur les bancs des Bosno-serbes dont vous parliez ?

R - Dans un conflit comme celui-là qui a dépassé les limites de l'atroce, ce n'est pas une question de confiance dans les hommes, c'est une question de réalisme et de comportement.
Milosevic a accepté le plan de paix, ça, c'est un fait. S'il reconnaît la Bosnie-Herzégovine, puis la Croatie, parce qu'il faut aussi qu'il reconnaisse la Croatie, ce sera un pas supplémentaire dans la direction de paix. Il a accepté de boucler la frontière entre la Serbie-Monténégro et la Bosnie. Devant ces faits, s'ils se confirment, - notamment pour la reconnaissance -, je crois, et c'est la thèse que la France développe depuis longtemps, que la communauté internationale doit en tenir compte et donc suspendre les sanctions. Mais avec une clause permettant de réimposer ces sanctions si Milosevic violait ses engagements. Voilà où on en est.

Ma conviction, je le répète encore, c'est que nous sommes à quelques centimètres de l'accord de paix entre la Serbie-Monténégro et le Groupe de contact. Il faut donc que cette crise, insoutenable, soit vraiment le facteur déclenchant de cet accord qui ne réglera pas tout parce que, ensuite, il faudra passer, vous l'avez dit à juste titre, au règlement en Bosnie même, c'est-à-dire aux relations entre ce qu'on appelle Pale, la capitale des Serbes de Bosnie, et puis Sarajevo. Mais au moins on aura franchi un pas dans le sens de la détente et du règlement pacifique.

Q - A propos de nos partenaires diplomatiques, on parlait des Russes, n'y a-t-il pas une sorte de paradoxe étrange à demander à Boris Eltsine d'être médiateur alors que son pays, lui-même, se livre en Tchétchénie à des actions que la communauté internationale réprouve ?

R - On ne lui a pas demandé d'être médiateur. Il se trouve que nous sommes au sein du Groupe de contact, ensemble, pour essayer de trouver une solution dans l'ex-Yougoslavie et que nous avons besoin de toutes les pressions pour parvenir à cette fin. Cela ne modifie en aucune manière le jugement que nous portons sur ce qui se passe en Tchétchénie et que j'ai exprimé à plusieurs reprises.

Q - Vous avez parlé ce soir avec infiniment de fermeté de la barbarie bosno-serbe. Si on avait dit ce genre de choses plus tôt et si on avait nommé l'agresseur plutôt que de se tenir, comme on l'a toujours fait dans la communauté internationale, à égale distance entre les Serbes et les Bosniaques, cela n'aurait-il pas déjà pu être un moteur pour changer des choses ? Parce que qui assiège Sarajevo ? Qui bombarde Sarajevo ? Qui massacre Tuzla ? Ce sont
les Serbes.

R - On l'a fait 20 fois. Je l'ai fait, moi-même, 20 fois et l'ultimatum de Sarajevo qui est la seule mesure qui a réussi ...

Q - En février 1994...

R - Et qui a apaisé la situation pendant un an, cela a duré un an, pas plus, a été dirigé contre les chefs bosno-serbes. Bien entendu, nous n'avons jamais manqué l'occasion de dénoncer l'obstination, l'entêtement de Karadzic et des gens qui l'entourent. Nous avons d'ailleurs pour cela rompu tout contact avec eux à la fin de l'année dernière lorsqu'ils ont encore refusé d'accepter le plan de paix. Donc on ne peut pas reprocher à la communauté internationale de ne pas avoir fait preuve de fermeté dans son propos.

J'en reviens au fond du problème : sommes-nous, oui ou non, décidés pour faire plier ceux qui sont responsables de la situation actuelle, c'est-à-dire les Bosno-serbes, à déclencher une opération militaire de reconquête ? Eh bien ! vous vous rendez compte que la réponse à cette question, qu'elle vienne des Etats-Unis ou qu'elle vienne d'Europe et a fortiori de la Russie, n'est pas positive. Ce que nous devons aujourd'hui faire, c'est mettre un terme à la prise d'otages, c'est mettre un terme à la situation de la FORPRONU, c'est essayer de débloquer le processus diplomatique. Et, si tout cela échoue, nous orienter vers le retrait des casques bleus qui, paradoxalement, malgré leur courage et leur sens de l'honneur, finiraient par bloquer les évolutions sur le terrain.

Q - Je crois que nous avons été aussi complets que possible sur cette page de crise que vit en ce moment la communauté internationale et la France.

R - Il y aurait encore sans doute beaucoup à dire et je suis parfaitement conscient de l'angoisse et de la frustration que peuvent éprouver les familles qui nous écoutent parce que, ce qu'elles aimeraient que je puisse leur dire, c'est : "voilà le calendrier qui va se passer". Qu'elles comprennent bien que, malgré la détermination dont nous faisons preuve, malgré l'engagement du Président de la République et du gouvernement, malgré notre obsession d'obtenir cette libération je ne peux vous dire aujourd'hui : ce sera demain, après-demain. Le plus tôt possible bien sûr.


(Source http://www.diplomatis.gouv.fr, le 11 octobre 2002)