Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la consolidation du marché intérieur communautaire, la participation des citoyens et des consommateurs aux processus d'élaboration réglementaire concernant ce marché et le défi de l'élargissement pour le marché communautaire, Bruxelles le 28 novembre 2000.

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Circonstance : Forum "Le marché intérieur au service des citoyens et des consommateurs", à Bruxelles le 28 novembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord vous dire le plaisir que j'ai à vous retrouver ce soir, à Bruxelles, pour participer aux travaux du premier forum sur le marché intérieur au service des citoyens. C'est finalement un retour aux sources, en tout cas un retour aux bases mêmes de notre communauté européenne. Le marché intérieur, dont les fondements ont été posés dès le Traité de Rome, pour être ensuite développé et approfondi avec l'adoption de l'Acte unique européen, représente sans aucun doute l'acquis le plus tangible de la Communauté européenne. A l'heure où l'énergie des responsables européens est tendue vers la réussite de la réforme de nos institutions et la préparation d'une Europe à 28 ou à 30, il peut être utile de se pencher sur les clés du succès des premières politiques communes.
Mais, avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais remercier les nombreuses personnalités, issues des trois institutions de l'Union, qui ont contribué à l'organisation, sous la Présidence française, de cette manifestation originale, et tout particulièrement les commissaires Frédéric Bolkestein et David Byrne, ainsi que la présidente du Parlement européen, Mme Nicole fontaine, et la présidente de la Commission juridique et du marché intérieur, Mme Ana Palacio.
Ma première réflexion sera de dire que les bienfaits économiques du marché intérieur sont partout et, pourtant, n'apparaissent nulle part dans les statistiques. C'est la première difficulté que nous rencontrons pour convaincre nos concitoyens de la nécessité d'un approfondissement permanent de ce marché.
L'intégration successive de quinze marchés nationaux en un marché unique a représenté le plus fort stimulant de la croissance en Europe depuis quarante ans. Les effets d'offre ont été considérables, à travers l'abaissement continu des coûts de production et les rendements d'échelle dont les entreprises ont bénéficié. Les effets de demande ont été également massifs, à travers la possibilité de consacrer une partie toujours plus importante du revenu à de nouveaux produits, plus innovants et plus performants. Au total, le marché intérieur a produit un surcroît de croissance et d'emplois, en Europe, très certainement supérieur à ce qui a pu être obtenu à travers des politiques sectorielles, menées dans un cadre national, sans doute plus visibles et tangibles pour les citoyens, mais à l'efficacité plus limitée.
Le premier défi auquel nous devons faire face dans les années qui viennent est donc le suivant : comment continuer, comment poursuivre l'intégration des marchés de manière à assurer l'environnement le plus favorable à la consolidation de la croissance européenne ?
Nous aurions tort de penser que le marché intérieur est une politique qui aurait épuisé ses effets. Nous vivons une période d'innovation technologique sans précédent, avec une véritable troisième révolution industrielle. Les innovations techniques, les innovations de processus industriels et les innovations de produits s'accélèrent à un rythme qui donne parfois le vertige. L'ancrage de nos industries sur ces nouveaux marchés conditionne fortement l'avenir économique de l'Europe.
Or, cet ancrage n'est possible que dans le cadre d'une stratégie européenne d'ensemble qui permette aux entrepreneurs, aux industriels et aux fournisseurs de services de penser d'emblée leur développement à l'échelle européenne. Si des barrières à la libre circulation subsistent, ou si des restrictions à l'intégration des marchés demeurent, beaucoup d'investissements ne se feront pas et nous en subirons politiquement le coût en termes de croissance et d'emplois.
C'est l'une des raisons pour lesquelles les conclusions adoptées au Conseil européen de Lisbonne doivent faire l'objet de toute notre attention. Elles préfigurent une véritable stratégie économique et sociale de l'Union européenne pour la décennie à venir. Elles identifient les principaux chantiers qui relèvent de la responsabilité directe des instances européennes.
Dans le domaine du marché intérieur, nous avions ainsi une feuille de route assez chargée pour notre Présidence : mise en oeuvre de la première phase de l'initiative e-Europe 2002, avec le dégroupage de la boucle locale et l'entrée de plain-pied dans l'Internet à haut débit ; législation communautaire sur le commerce électronique et les services financiers à distance ; ouverture progressive du marché postal - et j'ai bon espoir que mes collègues du Conseil Télécommunications parviendront à un accord le 22 décembre prochain ; réflexion d'ensemble sur la capacité des services d'intérêt général à contribuer à la croissance avec, notamment, une nouvelle communication de la Commission, dont je salue à nouveau la grande qualité. Cette première étape sera suivie de beaucoup d'autres, avec les Présidences suédoise et belge notamment. Mais je dois souligner ici combien il est plus facile de progresser sur ces sujets à partir d'une perspective d'ensemble claire, conciliant progrès économique et cohésion sociale, perspective qui est précisément celle de l'agenda de Lisbonne.
Mais nous devons également répondre à un deuxième défi, celui-là même qui justifie pleinement l'initiative de ce forum. Les citoyens et les consommateurs souhaitent être mieux associés au processus d'élaboration de normes règlementaires et législatives communautaires dès lors qu'ils ont pleinement conscience que l'organisation du marché intérieur a un impact sur leur vie de tous les jours.
Jusqu'à présent, le réflexe premier des citoyens est de se tourner vers les autorités nationales, perçues comme garantes de la sécurité des produits, perçues comme protectrices des titulaires de droits - notamment en matière de propriété intellectuelle ou artistique -, perçues également comme garantes de l'égal accès à la fourniture des services de base - l'énergie, le transport.
Mais, de plus en plus, les citoyens perçoivent aussi que les autorités nationales répondent à leurs attentes en se tournant elles-mêmes vers les instances communautaires : elles demanderont à la Commission de prendre une initiative en matière de sécurité alimentaire ; elles engageront une négociation au Conseil en matière de protection des droits d'auteur dans la société de l'information ; elles plaideront devant la Cour de justice des communautés européennes pour éliminer un abus de position dominante. En réalité, les citoyens et les consommateurs demandent aux Etats de se faire les représentants, dans les instances communautaires, de leurs attentes et de leurs préoccupations.
Mais, aujourd'hui, ce mode de fonctionnement traditionnel ne les satisfait pas totalement. L'émergence d'une composante sociétale forte dans de nombreux dossiers du marché intérieur pousse incontestablement à l'établissement d'un dialogue direct entre les producteurs de normes - la Commission, le Conseil, le Parlement européen- et les 300 millions de consommateurs européens auxquels elles s'appliquent.
Lorsque le Conseil ou le Parlement européen légifèrent sur les OGM, sur les normes de sécurité en matière de jouets, sur les services publics ou sur le commerce électronique - et je n'évoque là que quelques-uns des dossiers en cours de discussion actuellement - il est normal et sain qu'un contre-pouvoir citoyen se mette en place au niveau européen, pour aiguillonner dans la bonne direction la réflexion des instances communautaires.
En clair, nous avons un devoir d'approfondissement de la démocratie économique dans l'Union. L'organisation d'un dialogue régulier entre les citoyens, les entreprises, les instances de régulation et les autorités communautaires, est un impératif catégorique, dès lors que nous nous fixons pour objectif que le marché intérieur nous permette d'atteindre, non seulement l'optimum économique, mais aussi l'optimum social.
Je sais que des premières propositions ont été formulées dans le cadre des premières tables rondes qui se sont tenues aujourd'hui. Ce forum est l'une des premières manifestations concrètes de ce dialogue direct. Il apporte sa contribution à la construction d'une Europe des citoyens, qui permettra aussi de mieux faire partager le projet européen par le plus grand nombre de nos concitoyens dans chacun de nos pays.
A ce titre, je salue cette première réalisation, puisque vous savez que la France a placé l'approfondissement de l'Europe des citoyens parmi les principales priorités de sa Présidence de l'Union. Mais je souhaite surtout que cette initiative s'inscrive dans la durée, sous des formes à déterminer et que vous proposerez sans doute en clôture de vos travaux.
En tout cas, la contribution informelle du forum aux travaux du Conseil, de la Commission ou du Parlement européen, me paraît souhaitable, à tous égards, de façon à ce que le forum puisse agir comme instance de représentation des citoyens et des consommateurs européens. Pour ma part, j'ai déjà proposé à mes collègues du Conseil marché intérieur - consommateurs, lors de la session du 28 septembre dernier - et vous me pardonnerez d'avoir un peu anticipé sur les événements- d'utiliser le forum du marché intérieur comme instance d'évaluation du fonctionnement des services d'intérêt général en Europe. Cette proposition va dans le sens d'une meilleure qualité du dialogue entre les usagers des services publics et les instances de régulation chargées de faire respecter les règles de la concurrence. J'espère qu'elle sera approuvée par le Conseil marché intérieur-consommateurs, après-demain.
Enfin, nous avons un troisième défi à relever : le défi de l'élargissement. Dans quelques années, le marché intérieur sera étendu à 100 millions de citoyens/consommateurs supplémentaires, soit une augmentation de près d'un tiers, ce qui donne la mesure du défi à relever. De surcroît, nous savons tous que les standards de niveau de vie, de qualité de vie aussi, les exigences en matière de santé publique ou de protection de l'environnement, ne sont pas comparables dans la plupart des pays candidats à ce qui se pratique au sein du marché intérieur.
L'intégration de ces nouveaux Etats-membres doit donc respecter pleinement les acquis du marché intérieur. Les phases de transition doivent permettre un rattrapage étalé dans le temps, avec un objectif qui peut lui-même être mouvant, puisque nous appelons aussi à un renforcement de la prise en compte des exigences citoyennes dans notre marché intérieur à Quinze.
Alors que nous nous efforçons, au sein des Quinze, de promouvoir les pratiques des pays les mieux-disant pour ce qui est des modes de production respectueux de l'environnement ou de la sécurité des produits, nous manquerions cruellement de cohérence en acceptant, de facto, des pratiques moins-disantes dans le cadre de l'Europe élargie.
Nous sommes prêts à aider nos amis d'Europe centrale et orientale à relever ce défi, notamment dans le cadre des partenariats d'adhésion et des programmes ISPA et SAPARD, pour accélérer la mise aux normes de leur potentiel productif. L'Union européenne est prête à consentir l'effort de cohésion et de solidarité financière accrue que réclame l'élargissement, précisément parce que l'objectif central reste d'amarrer définitivement ces pays à l'acquis considérable que représentent quatre décennies d'approfondissement du marché intérieur.

Mesdames, Messieurs,
Nous devons agir simultanément dans ces trois directions : poursuivre l'intégration des marchés des Quinze ; mieux associer les citoyens et les consommateurs au processus de production normative ; faire de l'adhésion des pays candidats un élément de renforcement du marché intérieur.
Négliger l'une de ces trois composantes conduirait à déséquilibrer cette grande politique de base de la Communauté européenne.
L'agenda de Lisbonne nous donne le cadrage politique indispensable pour poursuivre dans la voie de l'intégration économique.
J'espère que le futur Traité de Nice comportera les réformes institutionnelles indispensables pour dégager la route de l'élargissement et créer les conditions d'une confiance politique renforcée avec les pays candidats. Croyez que j'y consacre, ces jours-ci, toute mon énergie aux côtés du président de la République, Jacques Chirac, et du Premier ministre, Lionel Jospin.
Il reste aussi à renforcer le dialogue avec les citoyens sur le marché intérieur, et le forum qui nous réunit aujourd'hui et demain, peut apporter une contribution décisive à l'émergence d'une citoyenneté économique européenne, sans laquelle aucun progrès vers l'intégration ne sera possible.
Je vous remercie de votre attention

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er décembre 2000)