Texte intégral
Monsieur le Bâtonnier,
Je me réjouis d'être associée pour la première fois à la fête - pour reprendre votre expression - de la rentrée de la conférence du stage et du Barreau de Paris. Il s'agit d'une manifestation prestigieuse pour votre profession, comme le marque le nombre et la qualité des personnalités nationales et étrangères qui y assistent, et que je tiens à saluer. Je vous remercie, Monsieur le Bâtonnier, de m'avoir conviée à y prendre la parole.
Vous avez rappelé quelques uns des enjeux actuels de la justice. Vous avez également décrit la place particulière qui est celle des juristes, celle des hommes - et des femmes - de loi.
Je partage vos indignations, et vos aspirations. Oui, Monsieur le Bâtonnier, il est intolérable que des hommes et des femmes soient aujourd'hui dans le monde, mais aussi en Europe, victimes du racisme, de la xénophobie ou de l'antisémitisme. Que des lieux de culte soient profanés ou encore que les principes de la laïcité soient bafoués au nom d'idéologies qui entendent museler les droits de l'homme.
Je serai toujours présente à vos côtés pour mener le combat de la liberté, le combat DES libertés, celui pour la dignité aussi.
Car c'est un combat de tous les instants. Nos sociétés, se sont profondément et rapidement transformées ces dernières années, et le phénomène va en s'accentuant. Ces évolutions entraînent des bouleversements dans les conditions de vie de chacun d'entre nous, dans les rapports de l'individu à l'Etat et, plus généralement, dans les rapports sociaux.
Ils engendrent chez nos concitoyens un sentiment d'insécurité, qui atteint des domaines jusque là préservés. Je pense par exemple au domaine alimentaire et à la psychose actuelle de la "vache folle", ou des OGM.
Ces inquiétudes nouvelles s'ajoutent à celles, plus traditionnelles, que nous connaissons déjà.
Je pense à la peur du chômage. L'amélioration continue de la situation de l'emploi que nous connaissons depuis deux ans est certainement un des meilleurs remèdes à ce sentiment diffus d'insécurité, même si nombre de nos concitoyens ne bénéficient pas encore pleinement du retour de la croissance et des avancées constatées en matière d'emploi. La sortie de la crise économique nous laisse, comme le dit le Premier ministre, les stigmates de la crise sociale.
Mais rappelons que dans la lutte contre le chômage, on connaît le rôle joué par la loi. Les mesures législatives qui ont été prises ont conforté, orienté et amplifié les effets de la reprise économique. A cette occasion, le droit a encore montré qu'il est un instrument privilégié de l'organisation sociale.
Facteur d'apaisement, le droit l'est sans doute. Je tiens à dire que le droit doit apaiser une société traversée de violence. Il remplit ainsi une fonction essentielle de la régulation sociale. Le formidable développement de la demande de justice en témoigne.
Pour répondre à cette attente, l'institution judiciaire doit être un grand service public. C'est l'ambition du gouvernement, et c'est ma volonté de réussir.
Vous savez les efforts qui ont été consentis par l'Etat depuis 1997. En 4 budgets, les crédits du ministère de la justice ont augmenté de 17, 8 %. 729 postes de magistrats ont été créés, soit autant que dans les 17 années précédentes. Le nombre des postes effectivement pourvus dans les services judiciaires, qu'il s'agisse des magistrats ou des agents des greffes, n'a jamais été aussi élevé.
Pour les années à venir, les efforts de recrutement réalisés, notamment par l'école nationale de la magistrature, et un faible nombre de départs en retraite, permettront de nommer dans les juridictions environ 200 magistrats supplémentaires par an. Nous adapterons ainsi progressivement les moyens des juridictions aux besoins liés aux réformes votées par le Parlement.
Mais ne perdons jamais de vue, magistrats, auxiliaires de justice, élus, que pour que la démocratie vive, il est nécessaire que l'institution judiciaire soit respectée, quelle que soit la liberté de parole de chacun. La justice doit être rendue dans l'impartialité, la sérénité et le respect de son indépendance.
J'évoquerai brièvement ce rôle du droit en vous parlant de trois des piliers qui en constituent, à mes yeux, les fondements actuels et les développements prochains :
I/ L'année 2000 : un temps fort pour les libertés et les droits
Ainsi que vous l'avez souligné, Monsieur le Bâtonnier, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes - j'insiste sur cet aspect de la réforme, que l'on oublie trop souvent - constitue une grande loi de procédure pénale. Elle procède à un rééquilibrage général de notre droit en renforçant la protection des libertés individuelles.
Vous vous félicitez à juste titre des avancées extrêmement importantes qui ont été réalisées, dont certaines étaient attendues depuis si longtemps. Le barreau dans son ensemble a joué un rôle de premier plan dans l'adoption de ces dispositions, et je m'en réjouis. En mobilisant vos forces de proposition, vous avez pleinement exercé votre mission fondamentale de gardiens des libertés.
Cette loi opère une profonde réforme de la procédure pénale, qui va de la garde à vue jusqu'à l'audience.
J'en veux pour seul exemple, et c'est essentiel pour les droits de l'homme, que la privation de liberté soit désormais plus strictement encadrée, aussi bien pour la mise en garde à vue, avec l'intervention de l'avocat à la première heure, que pour le placement en détention provisoire. La création du juge des libertés et de la détention obligera au double regard sur la nécessité de cette privation de liberté.
Nous devrons tous oeuvrer ensemble pour que l'application de cette loi intervienne dans les meilleures conditions. Je m'y emploie et ne doute pas que vous serez particulièrement vigilants. Vous poursuivrez ainsi le combat qui a été le vôtre depuis de longues années, en veillant à la pleine effectivité de cette réforme.
II/ L'accès de tous au droit
La demande de connaissance et de reconnaissance de ses droits constitue pour chaque citoyen une exigence légitime.
Le "droit aux droits" est un principe essentiel du pacte démocratique, parce qu'il est la conséquence du principe d'égalité, parce qu'il participe de l'exercice effectif de la citoyenneté, parce qu'il est le garant de la dignité du citoyen.
A mes yeux - mais vous l'avez aussi exprimé, Monsieur le Bâtonnier - une justice au service des citoyens impose d'abord une justice plus accessible à tous. J'ai la ferme volonté de placer la justice au quotidien au centre de mon action.
Pour cela chacun - en particulier les plus démunis, les plus modestes, les plus faibles d'entre nous - doit avoir la possibilité d'accéder à l'assistance d'un avocat pour connaître ses droits et les faire reconnaître.
Nous devons parallèlement développer les mécanismes préventifs, pour éviter que les citoyens les plus marginalisés sortent de l'état de non-droit où ils se trouvent encore trop souvent. Je me félicite que votre Barreau ait développé des actions en ce sens, par exemple en élargissant dans les prisons le rôle de conseil des avocats.
J'entends assurer les conditions d'une véritable politique publique de la régulation sociale par le droit. En distinguant l'accès au droit de l'accès au procès, sans les opposer, nous devons offrir à chacun la possibilité de recourir à des modes diversifiés de règlement des litiges.
Vouloir régler un conflit autrement que par un procès - transaction, conciliation, médiation - a constitué et constitue encore une approche qui, pour le monde judiciaire, non seulement modifie parfois bien des habitudes, mais lui impose aussi une véritable révolution. Cette révolution est engagée. Il convient de l'amplifier.
Parce que dans la mise en oeuvre de cette politique, votre profession joue un rôle essentiel, cela pose très directement la question de l'aide juridictionnelle.
Après avoir déjà beaucoup écouté, j'ai la conviction, largement partagée - car c'est aussi votre analyse, Monsieur le Bâtonnier - que le système actuel est devenu archaïque ou, à tout le moins, qu'il n'est plus adapté aux nécessités actuelles d'un véritable accompagnement des justiciables, de tous les justiciables.
Je suis convaincue que l'accès au droit n'est plus exclusivement une question relevant de la sphère judiciaire. C'est devenu une vraie question de société, et c'est bien ainsi que j'entends l'aborder avec tous.
Ce système doit être effectivement repensé. A cet effet, j'entends constituer un groupe de travail, non pas pour " enterrer " la question, comme pourraient le suggérer des esprits chagrins, mais pour aboutir rapidement à une refonte complète et équilibrée du régime d'accès au droit.
J'ai entendu le " message " des barreaux. J'entends, pour y répondre, adopter une démarche pragmatique. Je recevrai le 23 novembre prochain l'ensemble des institutions et des syndicats d'avocats. Je définirai les axes du travail, important, que nous devons mener et demanderai à votre profession de me faire part de ses avis et de ses propositions.
III/ L'Europe
Vous avez, Monsieur le Bâtonnier, situé à juste titre vos propos dans un large cadre international et, plus particulièrement, européen.
L'an 2000 aura été marqué par la Présidence française de l'Union européenne qui, ouverte le 1er juillet, s'achèvera avec le siècle, le 31 décembre prochain.
La France aura joué un rôle moteur dans la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice institué par le Traité d'Amsterdam, suivant les conclusions du Conseil européen qui s'est tenu le 16 octobre 1999 à Tampere. Cela mérite d'être souligné.
Bien qu'il soit encore trop tôt pour dresser un véritable bilan de notre présidence dans le domaine de la justice, je crois pouvoir vous dire que les objectifs que nous nous étions assignés seront atteints dans leur quasi-totalité.
Le rapprochement des systèmes judiciaires des différents Etats membres, au profit du citoyen européen, sera facilité par les programmes destinés à mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, tant en matière civile que pénale.
Je pense particulièrement à la suppression de l'exequatur, au projet de règlement dit "Bruxelles 1", sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière patrimoniale, à la reconnaissance, tant attendue, des droits de visite des enfants de couples divorcés et au statut européen des victimes dans le procès pénal.
Je n'oublie bien entendu pas la lutte contre la criminalité organisée, et spécialement contre la délinquance financière, pour laquelle la France a présenté un projet de convention destinée à faciliter l'entraide judiciaire et a initié la création d'Eurojust aux côtés de celle d'Europol.
Le renforcement de la coopération européenne va en effet de pair avec le respect des libertés individuelles, des droits de la défense et l'application au sein de l'Union européenne des principes définis par la Charte des droits fondamentaux.
Vous avez évoqué, Monsieur le Bâtonnier, la nécessité de lutter contre le blanchiment. Les avocats doivent prendre leur place dans cette lutte, qui met en jeu l'avenir même de la démocratie et celui des libertés individuelles en repoussant la main-mise de groupes mafieux sur l'économie et sur la société.
Mais bien évidemment - et je le redis ici avec force - il ne peut être question de remettre en cause le respect du secret professionnel de l'avocat, inhérent à la mission de défense. L'accord politique du 17 octobre dernier, adopté sur la proposition de la France, est explicite sur ce point.
Monsieur le Bâtonnier, j'ai entendu votre appel contre la peine de mort. C'est un engagement fort. Il est aussi le mien.
Je constate que la France a su franchir le pas historique que représente pour une société l'abolition de la peine de mort.
Chacun, et ici particulièrement, a en mémoire les conditions de cette abolition et la force de la volonté de Robert BADINTER. Il était des vôtres. C'est pour moi un honneur d'assumer aujourd'hui les fonctions qui, hier, ont été les siennes. Je tiens à lui rendre personnellement hommage.
Sachez que le gouvernement n'est pas inerte, s'exprimant au nom de l'Union européenne lors de l'ouverture de l'Assemblée Générale, il a appelé les Etats qui ne l'ont pas encore fait, à adopter des moratoires, premier pas vers une abolition définitive de ce châtiment contraire à la dignité humaine.
Monsieur le Bâtonnier, sur cette question fondamentale comme sur bien d'autres qui touchent aux droits de l'homme comme à la justice du quotidien je vous invite, dans un esprit d'ouverture à oeuvrer ensemble pour améliorer la situation de nos concitoyens et, au delà de nos frontières, celle des hommes et des femmes qui souffrent sur notre planète.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 28 novembre 2000)
Je me réjouis d'être associée pour la première fois à la fête - pour reprendre votre expression - de la rentrée de la conférence du stage et du Barreau de Paris. Il s'agit d'une manifestation prestigieuse pour votre profession, comme le marque le nombre et la qualité des personnalités nationales et étrangères qui y assistent, et que je tiens à saluer. Je vous remercie, Monsieur le Bâtonnier, de m'avoir conviée à y prendre la parole.
Vous avez rappelé quelques uns des enjeux actuels de la justice. Vous avez également décrit la place particulière qui est celle des juristes, celle des hommes - et des femmes - de loi.
Je partage vos indignations, et vos aspirations. Oui, Monsieur le Bâtonnier, il est intolérable que des hommes et des femmes soient aujourd'hui dans le monde, mais aussi en Europe, victimes du racisme, de la xénophobie ou de l'antisémitisme. Que des lieux de culte soient profanés ou encore que les principes de la laïcité soient bafoués au nom d'idéologies qui entendent museler les droits de l'homme.
Je serai toujours présente à vos côtés pour mener le combat de la liberté, le combat DES libertés, celui pour la dignité aussi.
Car c'est un combat de tous les instants. Nos sociétés, se sont profondément et rapidement transformées ces dernières années, et le phénomène va en s'accentuant. Ces évolutions entraînent des bouleversements dans les conditions de vie de chacun d'entre nous, dans les rapports de l'individu à l'Etat et, plus généralement, dans les rapports sociaux.
Ils engendrent chez nos concitoyens un sentiment d'insécurité, qui atteint des domaines jusque là préservés. Je pense par exemple au domaine alimentaire et à la psychose actuelle de la "vache folle", ou des OGM.
Ces inquiétudes nouvelles s'ajoutent à celles, plus traditionnelles, que nous connaissons déjà.
Je pense à la peur du chômage. L'amélioration continue de la situation de l'emploi que nous connaissons depuis deux ans est certainement un des meilleurs remèdes à ce sentiment diffus d'insécurité, même si nombre de nos concitoyens ne bénéficient pas encore pleinement du retour de la croissance et des avancées constatées en matière d'emploi. La sortie de la crise économique nous laisse, comme le dit le Premier ministre, les stigmates de la crise sociale.
Mais rappelons que dans la lutte contre le chômage, on connaît le rôle joué par la loi. Les mesures législatives qui ont été prises ont conforté, orienté et amplifié les effets de la reprise économique. A cette occasion, le droit a encore montré qu'il est un instrument privilégié de l'organisation sociale.
Facteur d'apaisement, le droit l'est sans doute. Je tiens à dire que le droit doit apaiser une société traversée de violence. Il remplit ainsi une fonction essentielle de la régulation sociale. Le formidable développement de la demande de justice en témoigne.
Pour répondre à cette attente, l'institution judiciaire doit être un grand service public. C'est l'ambition du gouvernement, et c'est ma volonté de réussir.
Vous savez les efforts qui ont été consentis par l'Etat depuis 1997. En 4 budgets, les crédits du ministère de la justice ont augmenté de 17, 8 %. 729 postes de magistrats ont été créés, soit autant que dans les 17 années précédentes. Le nombre des postes effectivement pourvus dans les services judiciaires, qu'il s'agisse des magistrats ou des agents des greffes, n'a jamais été aussi élevé.
Pour les années à venir, les efforts de recrutement réalisés, notamment par l'école nationale de la magistrature, et un faible nombre de départs en retraite, permettront de nommer dans les juridictions environ 200 magistrats supplémentaires par an. Nous adapterons ainsi progressivement les moyens des juridictions aux besoins liés aux réformes votées par le Parlement.
Mais ne perdons jamais de vue, magistrats, auxiliaires de justice, élus, que pour que la démocratie vive, il est nécessaire que l'institution judiciaire soit respectée, quelle que soit la liberté de parole de chacun. La justice doit être rendue dans l'impartialité, la sérénité et le respect de son indépendance.
J'évoquerai brièvement ce rôle du droit en vous parlant de trois des piliers qui en constituent, à mes yeux, les fondements actuels et les développements prochains :
I/ L'année 2000 : un temps fort pour les libertés et les droits
Ainsi que vous l'avez souligné, Monsieur le Bâtonnier, la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes - j'insiste sur cet aspect de la réforme, que l'on oublie trop souvent - constitue une grande loi de procédure pénale. Elle procède à un rééquilibrage général de notre droit en renforçant la protection des libertés individuelles.
Vous vous félicitez à juste titre des avancées extrêmement importantes qui ont été réalisées, dont certaines étaient attendues depuis si longtemps. Le barreau dans son ensemble a joué un rôle de premier plan dans l'adoption de ces dispositions, et je m'en réjouis. En mobilisant vos forces de proposition, vous avez pleinement exercé votre mission fondamentale de gardiens des libertés.
Cette loi opère une profonde réforme de la procédure pénale, qui va de la garde à vue jusqu'à l'audience.
J'en veux pour seul exemple, et c'est essentiel pour les droits de l'homme, que la privation de liberté soit désormais plus strictement encadrée, aussi bien pour la mise en garde à vue, avec l'intervention de l'avocat à la première heure, que pour le placement en détention provisoire. La création du juge des libertés et de la détention obligera au double regard sur la nécessité de cette privation de liberté.
Nous devrons tous oeuvrer ensemble pour que l'application de cette loi intervienne dans les meilleures conditions. Je m'y emploie et ne doute pas que vous serez particulièrement vigilants. Vous poursuivrez ainsi le combat qui a été le vôtre depuis de longues années, en veillant à la pleine effectivité de cette réforme.
II/ L'accès de tous au droit
La demande de connaissance et de reconnaissance de ses droits constitue pour chaque citoyen une exigence légitime.
Le "droit aux droits" est un principe essentiel du pacte démocratique, parce qu'il est la conséquence du principe d'égalité, parce qu'il participe de l'exercice effectif de la citoyenneté, parce qu'il est le garant de la dignité du citoyen.
A mes yeux - mais vous l'avez aussi exprimé, Monsieur le Bâtonnier - une justice au service des citoyens impose d'abord une justice plus accessible à tous. J'ai la ferme volonté de placer la justice au quotidien au centre de mon action.
Pour cela chacun - en particulier les plus démunis, les plus modestes, les plus faibles d'entre nous - doit avoir la possibilité d'accéder à l'assistance d'un avocat pour connaître ses droits et les faire reconnaître.
Nous devons parallèlement développer les mécanismes préventifs, pour éviter que les citoyens les plus marginalisés sortent de l'état de non-droit où ils se trouvent encore trop souvent. Je me félicite que votre Barreau ait développé des actions en ce sens, par exemple en élargissant dans les prisons le rôle de conseil des avocats.
J'entends assurer les conditions d'une véritable politique publique de la régulation sociale par le droit. En distinguant l'accès au droit de l'accès au procès, sans les opposer, nous devons offrir à chacun la possibilité de recourir à des modes diversifiés de règlement des litiges.
Vouloir régler un conflit autrement que par un procès - transaction, conciliation, médiation - a constitué et constitue encore une approche qui, pour le monde judiciaire, non seulement modifie parfois bien des habitudes, mais lui impose aussi une véritable révolution. Cette révolution est engagée. Il convient de l'amplifier.
Parce que dans la mise en oeuvre de cette politique, votre profession joue un rôle essentiel, cela pose très directement la question de l'aide juridictionnelle.
Après avoir déjà beaucoup écouté, j'ai la conviction, largement partagée - car c'est aussi votre analyse, Monsieur le Bâtonnier - que le système actuel est devenu archaïque ou, à tout le moins, qu'il n'est plus adapté aux nécessités actuelles d'un véritable accompagnement des justiciables, de tous les justiciables.
Je suis convaincue que l'accès au droit n'est plus exclusivement une question relevant de la sphère judiciaire. C'est devenu une vraie question de société, et c'est bien ainsi que j'entends l'aborder avec tous.
Ce système doit être effectivement repensé. A cet effet, j'entends constituer un groupe de travail, non pas pour " enterrer " la question, comme pourraient le suggérer des esprits chagrins, mais pour aboutir rapidement à une refonte complète et équilibrée du régime d'accès au droit.
J'ai entendu le " message " des barreaux. J'entends, pour y répondre, adopter une démarche pragmatique. Je recevrai le 23 novembre prochain l'ensemble des institutions et des syndicats d'avocats. Je définirai les axes du travail, important, que nous devons mener et demanderai à votre profession de me faire part de ses avis et de ses propositions.
III/ L'Europe
Vous avez, Monsieur le Bâtonnier, situé à juste titre vos propos dans un large cadre international et, plus particulièrement, européen.
L'an 2000 aura été marqué par la Présidence française de l'Union européenne qui, ouverte le 1er juillet, s'achèvera avec le siècle, le 31 décembre prochain.
La France aura joué un rôle moteur dans la mise en place de l'espace de liberté, de sécurité et de justice institué par le Traité d'Amsterdam, suivant les conclusions du Conseil européen qui s'est tenu le 16 octobre 1999 à Tampere. Cela mérite d'être souligné.
Bien qu'il soit encore trop tôt pour dresser un véritable bilan de notre présidence dans le domaine de la justice, je crois pouvoir vous dire que les objectifs que nous nous étions assignés seront atteints dans leur quasi-totalité.
Le rapprochement des systèmes judiciaires des différents Etats membres, au profit du citoyen européen, sera facilité par les programmes destinés à mettre en oeuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, tant en matière civile que pénale.
Je pense particulièrement à la suppression de l'exequatur, au projet de règlement dit "Bruxelles 1", sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière patrimoniale, à la reconnaissance, tant attendue, des droits de visite des enfants de couples divorcés et au statut européen des victimes dans le procès pénal.
Je n'oublie bien entendu pas la lutte contre la criminalité organisée, et spécialement contre la délinquance financière, pour laquelle la France a présenté un projet de convention destinée à faciliter l'entraide judiciaire et a initié la création d'Eurojust aux côtés de celle d'Europol.
Le renforcement de la coopération européenne va en effet de pair avec le respect des libertés individuelles, des droits de la défense et l'application au sein de l'Union européenne des principes définis par la Charte des droits fondamentaux.
Vous avez évoqué, Monsieur le Bâtonnier, la nécessité de lutter contre le blanchiment. Les avocats doivent prendre leur place dans cette lutte, qui met en jeu l'avenir même de la démocratie et celui des libertés individuelles en repoussant la main-mise de groupes mafieux sur l'économie et sur la société.
Mais bien évidemment - et je le redis ici avec force - il ne peut être question de remettre en cause le respect du secret professionnel de l'avocat, inhérent à la mission de défense. L'accord politique du 17 octobre dernier, adopté sur la proposition de la France, est explicite sur ce point.
Monsieur le Bâtonnier, j'ai entendu votre appel contre la peine de mort. C'est un engagement fort. Il est aussi le mien.
Je constate que la France a su franchir le pas historique que représente pour une société l'abolition de la peine de mort.
Chacun, et ici particulièrement, a en mémoire les conditions de cette abolition et la force de la volonté de Robert BADINTER. Il était des vôtres. C'est pour moi un honneur d'assumer aujourd'hui les fonctions qui, hier, ont été les siennes. Je tiens à lui rendre personnellement hommage.
Sachez que le gouvernement n'est pas inerte, s'exprimant au nom de l'Union européenne lors de l'ouverture de l'Assemblée Générale, il a appelé les Etats qui ne l'ont pas encore fait, à adopter des moratoires, premier pas vers une abolition définitive de ce châtiment contraire à la dignité humaine.
Monsieur le Bâtonnier, sur cette question fondamentale comme sur bien d'autres qui touchent aux droits de l'homme comme à la justice du quotidien je vous invite, dans un esprit d'ouverture à oeuvrer ensemble pour améliorer la situation de nos concitoyens et, au delà de nos frontières, celle des hommes et des femmes qui souffrent sur notre planète.
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 28 novembre 2000)