Texte intégral
II m'appartient de clore ce Colloque. II me prouve que nous savons beaucoup de choses et que nous avons déjà de quoi fonder notre action sur des bases techniques solides
Mais, si vous le permettez, revenons un instant en arrière. C'est au plus fort de la sécheresse de 1989, c'est-à-dire au mois d'août dernier, qu'au milieu des difficultés qui assaillaient les agriculteurs, j'ai ressenti très fortement comme une exigence de ma responsabilité, la nécessité de réfléchir à ce que nous faisons en matière de répartition de l'eau, à ce que nous saurons aussi faire dans l'avenir des ressources en eau de notre pays. C'est de cette préoccupation qu'est né le présent Colloque puisque j'ai demandé, dès le mois de septembre, au CEMAGREF, de le préparer. Je voudrais donc remercier tous ceux qui ont permis directement ou indirectement, que ce Colloque prenne une telle ampleur et je les invite, s'ils veulent bien à venir à nos prochaines rencontres.
Je crois qu'il faut aujourd'hui éviter de s'hypnotiser sur la sécheresse de l'été 89, et celle dans laquelle nous sommes toujours. Conjoncture climatique pénible, révélatrice, mais sans doute, du moins je l'espère, temporaire. La sécheresse de 1989 aura eu au moins le mérite de nous réveiller, de nous alerter les uns et les autres. Et il serait fâcheux qu'une fois revenus à la normale, nous retournions à nos anciennes habitudes.
Pourtant, il est clair que la poursuite de l'intensification de la production agricole durant les dernières décennies conduit aujourd'hui à une situation que nous savons de moins en moins bien gérer, dominer, avec les moyens techniques, juridiques et institutionnels, dont nous disposons aujourd'hui. En effet, cette agriculture intensive moderne, se révèle de plus en plus fragile face aux aléas, aussi bien du point de vue de ses résultats techniques que de ses résultats économiques. II y a déjà longtemps que nous le savons et nous le disons. Elle est donc conduite à adopter ce que les économistes appellent des techniques contre-aléatoires : l'usage massif et parfois exagéré de fertilisants, de pesticides, et dans beaucoup de régions, recours croissant à l'irrigation.
Ce comportement, du point de vue de la société économique dans laquelle nous vivons, et dans laquelle les agriculteurs et les autres travailleurs produisent, est-il si absurde que cela ? II est en fait parfaitement logique et rationnel du point de vue de l'agriculteur, si l'on veut bien tenir compte des conditions socio-économiques qui s'imposent à lui. Mais il ne pouvait manquer d'avoir à la longue, des effets néfastes sur l'environnement ? Où est la responsabilité des agriculteurs, dans la pression qui s'est exercée sur eux depuis plus de 40 ans, pour nourrir une population croissante, avec de moins en moins de bras, à un prix de plus en plus bas ?
S'agissant du thème de notre Colloque, cette agriculture nous pose question sur la qualité de l'eau qu'en tant qu'activité économique, elle restitue à l'ensemble de la société, mais aussi, peut-être encore davantage à moyen terme, sur le volume des disponibilités en eau dans notre pays.
C'est une question peut-être plus grave encore. Une chose est de parler de la pollution de l'eau, mais je voudrais aussi que l'on parle des perspectives extrêmement inquiétantes en matière de distribution d'eau. Dans un certain nombre de petits villages en France, l'on sera peut-être, dans les années qui viennent, obligé de fermer la distribution d'eau, parce que les réseaux d'adduction d'eau et d'assainissement seront arrivés à bout de course et que nous ne pourrons pas les remplacer.
Vous vous êtes, tout à fait judicieusement, interrogés sur la fragilité grandissante de beaucoup d'exploitations face aux aléas du climat, et aux moyens d'y remédier. C'est là l'objet d'une de vos tables rondes.
En cette matière, tout comme en matière de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates, nous n'obtiendront de résultat ni par la coercition, ni par je ne sais quel retour à des pratiques agricoles du supposé bon vieux temps. Je voudrais que sur ce problème, comme le disait très justement tout à l'heure Hubert CURIEN, on n'en reste pas à l'aspect émotionnel des choses. La question de la pollution et du rapport à l'environnement, ce n'est pas simplement un problème de culture, mais c'est aussi un problème économique. Et, je voudrais qu'à cette occasion, on pose la question dans l'ensemble de ses termes.
Réduire l'utilisation des engrais en agriculture, rien de plus facile ! Réduire l'utilisation des pesticides et des fongicides, c'est à la portée de tout un chacun. Mais, avec quelles conséquences ? Des diminutions de rendements de l'ordre de 30-40-50 %. Des augmentations de prix comparables. II faut aussi que nous débattions de cet aspect de choses ; parce que c'est justement là qu'est le ressort fondamental de la difficulté dans laquelle nous sommes. C'est bien, parce que l'ensemble de la société, tous groupes confondus, tous dirigeants confondus, a depuis plus d'un siècle demandé à nos agriculteurs de nous nourrir au moindre coût, que d'une certaine façon nous en sommes là. Tout à l'heure, écoutant la dernière table ronde, j'étais un petit peu étonné de certaines questions et je voudrais les relever.
Certains affirment qu'il y a une contradiction entre la production d'excédents dont nous souffririons et l'excès d'engrais, mais je rappelle que les excédents n'existent plus. Depuis 1984, nous les avons réduits, à coups de quotas et de baisses de prix. Au cours des trois dernières années, le prix des céréales payées aux producteurs, par accord général des pays composant la Communauté Economique Européenne a diminué de 25 %. Et, aujourd'hui certains s'étonnent que nous n'ayons pas suffisamment de poudres de lait ou de beurre en stocks pour les mettre à la disposition de la Roumanie. Soyons cohérents, je crois qu'on ne peut pas demander à fois le beurre et l'argent du beurre.
Au fond, nous nous retrouvons une fois de plus devant une question classique posée à notre société : les conséquences du progrès technique, comme le disait tout à l'heure Hubert CURIEN. Accroître la productivité du travail des hommes, a toujours permis d'accumuler davantage de marchandises, tout en entraînant aussi un certain nombre de nuisances et de conséquences négatives. Le problème qui nous est posé n'est pas, bien sûr, de receler dans le temps, mais, au contraire, de savoir si nous sommes capables de résoudre cette question vieille comme l'économie rurale : avoir une agriculture performante, qui soit plus respectueuse de son environnement. La réponse n'ira, comme l'indiquait encore une fois Hubert CURIEN, que dans le sens d'un surcroît de réflexion, de finesse, d'intelligence, d'investissement intellectuel, de progrès techniques, de modernisation. Je ne partage pas certains points de vue selon lesquels les responsables professionnels, les fonctionnaires, les techniciens, les chercheurs responsables du développement de l'agriculture de notre pays depuis 40 ans, seraient responsables de cette situation. Je voudrais au contraire, rendre hommage au formidable travail accompli après la seconde guerre mondiale par tous les techniciens, tous les chercheurs, qui ont permis ainsi que notre pays devienne le deuxième exportateur agricole du monde.
Et c'est pourquoi, je trouve juste que vous ayez d'abord insisté sur la nécessité de mieux tirer partie de nos sols, parce que c'est là que commence cette investigation scientifique et technique dont je parlais tout à l'heure. Je m'en félicite, parce que cela rejoint une idée qui m'est chère depuis très longtemps.
Si nous voulons aider les agriculteurs à consolider leurs exploitations du point de vue technique et économique, à poursuivre l'amélioration de leur compétitivité sans porter atteinte à l'environnement, il nous faut avant toute chose remettre en honneur une pratique fine, différenciée, "pointue" de cette vieille agronomie, de cette science complexe et délicate dont nous avons cru naïvement que les moyens de production moderne pourraient nous dispenser.
La relance agronomique qui a été entreprise en 1983-84, au moment même d'ailleurs, où deux de nos prédécesseurs créaient le CORPEN, a fait accomplir quelques progrès significatifs dans ce sens, mais il faut aller bien au-delà. Et il faut avouer que nous butons sur un problème de structure des organismes du développement agricole sans doute trop cloisonnés par filières verticales de production. J'ai l'intention de m'attaquer à cette question à partir des travaux qui ont été inaugurés aujourd'hui.
Par ailleurs, la recherche elle-même, qui a fait des progrès très importants dans le domaine des sciences biologiques fondamentales, doit s'intéresser je le pense encore davantage à l'agronomie, sans laquelle on ne saura pas cultiver ces semences miracles que nous promet le génie génétique.
Cependant le conseil particulier à l'agriculteur est rentable Avec une dépense de l'ordre de 300 F par hectare, l'agriculteur peut disposer d'un véritable diagnostic agronomique de son exploitation. Parcelle par parcelle ce tableau de bord lui indique des objectifs de rendement réalistes, des conseils pour la gestion de la fertilité physique par le travail du sol.
Ces nouveaux services sont attendus par les agriculteurs, mais ils ne peuvent se développer sans références fiables. Les acquisitions du développement et de la recherche ont encore à travailler pour bâtir les références publiques indispensables pour gérer le risque technique maîtrisable.
Au-delà intervient ce que les météorologues appellent "le risque absolu" et alors commence la calamité.
Le système d'indemnisation des calamités entre bien lui aussi dans notre sujet, parce qu'il constitue pour l'agriculteur un moyen de protection contre les aléas. Mais il s'agit là d'un instrument délicat à manier. II doit protéger les intéressés contre les risques de ruine sans pourtant les dispenser de faire tous leurs efforts pour adapter au plus juste leurs systèmes de productions aux conditions naturelles locales.
Notre système actuel d'indemnisation souffre de défauts qui sont apparus clairement quand il a fallu indemniser un très grand nombre d'agriculteurs des dommages causés par la dernière sécheresse : essentiellement la trop grande complexité des procédures et en même temps un manque de rigueur dans la détermination des bénéficiaires. Une mise à plat était nécessaire, que j'ai confiée à M. VILAIN, inspecteur Général des finances.
Je partage en tout cas le souci que vous avez exprimé que ceux qui se lancent dans des productions de manière inconsidérée, sans respecter les conditions de sol et de climat, ne soient pas à la charge des autres.
Enfin nous ne devons pas oublier la situation de la forêt : on sait maintenant combien la sécheresse de 1976 avait fragilisé nos forêts. Celle de 1989 aura des effets au moins de même importance : une grande vigilance sanitaire va être nécessaire et notre gestion devra s'y adapter.
Et la sécheresse nous oblige encore plus à faire un choix judicieux des essences de reboisement Le CEMAGREF, l'INRA et tous les partenaires de la forêt sont à l'oeuvre pour que soient établis dans chaque région des références complètes.
J'en viens au problème fondamental de l'irrigation qui est au coeur de vos débats d'aujourd'hui.
II est tout à fait pertinent, je crois de distinguer deux grands types d'irrigation qui ne soulèvent pas les mêmes problèmes et n'appellent pas les mêmes mesures politiques.
II y a d'abord l'irrigation que l'on peut appeler permanente. Celle qui, moyennant un aménagement lourd (barrage, réseau de distribution) permet de faire passer un périmètre donné de la culture en sec à la culture irriguée. C'est par excellence une irrigation de reconversion radicale d'une zone, qui adopte des productions nouvelles et diversifiées, intensive et à forte valeur unitaire.
Ce type d'irrigation remodèle le paysage et l'économie de la zone, mais on peut dire en somme qu'une fois les équipements réalisés, il ne pose plus guère de problème. La ressource en eau est créée : les bénéficiaires y accèdent dans un cadre institutionnel contraignant, à des conditions techniques et financières parfaitement déterminées.
Enfin, on sait que les sites susceptibles d'être équipés de manière économiquement viable sont en nombre limité.
II en va tout autrement de l'irrigation de complément, qui vise, pour l'agriculteur, à se prémunir des aléas climatiques, pour des cultures déjà pratiquées et connues, en vue d'un rendement meilleur, plus stable, avec une qualité plus constante des produits.
C'est cette irrigation qui a connu dans les années récentes un développement véritablement explosif et dont on ne voit pas la fin.
Je rappelle que depuis 1970 les superficies irriguées ont doublé, et qu'entre 1979 et 1988, elles se sont accrues de 43 %. Ces progrès concernent en particulier la façade atlantique, Midi-Pyrénées, et l'Alsace.
Cette irrigation là pose beaucoup plus de problèmes. Dans beaucoup de cas, elle se développe de manière anarchique, à l'initiative des individus concernés, sans qu'il y ait une demande collective organisée, et en particulier sans création préalable de la ressource. On doit certes, aux termes de la législation actuelle, obtenir une autorisation de prélever, mais sans avoir même à donner une indication sur le débit ou sur le volume du prélèvement.
L'exemple de la région Poitou-Charente, qui compte aujourd'hui 3 000 forages et 2 500 prises d'eau en rivière, est éloquent : on voit mal comment cette région pourrait avoir aujourd'hui une politique de gestion raisonnée de ses ressources en eau.
Ajoutons à ce tableau une constatation d'évidence. C'est, bien sûr, en temps de sécheresse, quand le volume des ressources en eau est au plus bas, que la demande d'irrigation de complément est la plus forte.
Face à une telle expansion de la demande, je cois que notre problème ne sera plus seulement celui de la qualité de l'eau, mais tout autant celui de sa quantité. C'est là une des leçons de la sécheresse de 89. D'autant, ne l'oublions pas que, dans le même temps, la demande d'eau non agricole est elle aussi en croissance.
Nous devons donc dès aujourd'hui inciter le monde agricole à admettre une idée qui va contre ses conceptions traditionnelles : qu'en France l'eau n'est plus une ressource infinie, qu'elle sera de plus en plus rare, précieuse, disputée, c'est-à-dire chère.
II faut donc que dès aujourd'hui, chaque agriculteur réfléchisse avant de se lancer dans cette entreprise : l'irrigation permet une meilleure régularité des productions en quantité et en qualité. Mais décidée à tort, elle peut entraîner des charges plus lourdes que d'autres solutions techniques. Car elle coûte cher et coûtera sans doute plus cher encore dans l'avenir.
Quant à ceux qui disposent de l'irrigation, il est indispensable qu'ils se préoccupent de mieux utiliser l'eau disponible. J'ai été frappé de ce que rapporte M. le Préfet COUSSIROU : dans certains départements qui ont travaillé dans ce sens, les rendements de la dernière campagne ont été bons malgré une baisse sensible de la consommation d'eau.
La recherche, le développement, les Compagnies d'Aménagement, les Services de l'Etat doivent agir dans ce sens. Les besoins en eau peuvent être étalés dans le temps par un choix judicieux des cultures et par un bon diagnostic du potentiel des sols. Nous retrouvons là l'intérêt d'une approche agronomique plus fine. Dans son activité de diffusion des références scientifiques, le RNED Hydraulique Agricole doit être renforcé et la gestion au niveau de chaque sous-bassin améliorée.
Des techniques existent pour assurer l'arrivée de l'eau à l'endroit et au moment où les agriculteurs en ont besoin : il faut les mettre en oeuvre dans une gestion intégrée.
Dans tous les aspects d'une politique raisonnée de l'irrigation et d'une véritable gestion des ressources en eau, il me parait clair que l'intervention de la puissance publique (à l'échelon national comme aux échelons locaux) loue un rôle indispensable, tant en matière de financement que sur le plan réglementaire.
Vous avez noté je pense les efforts faits par le Ministère de l'Agriculture dans les dix dernières années pour reconstituer le débit des rivières, en particulier dans le Sud-Ouest, sollicitées pour l'irrigation. Cela s'est fait par des barrages de tailles très différentes. Certains ont été critiqués - je souhaite de larges échanges sur ces sujets, comme cela a été le cas pour le bassin de la Loire. Les pouvoirs publics et l'administration ont pour attribution de garantir l'équité de la répartition des eaux, de susciter les actions pour l'équipement et la gestion des ressources et de veiller à ce que l'accès à l'irrigation se fasse dans des conditions de parfaite compétitivité face à la concurrence internationale.
Cela, suppose que nous sachions disposer de prévisions plus fines, d'analyses économiques plus approfondies de l'irrigation et en particulier des conditions de sa rentabilité pour l'exploitation.
Cela suppose aussi que nous dotions les bassins de véritables règlements de co-gestion élaborés avec les bénéficiaires regroupés, et qui inclueraient toutes les questions communes, périodes d'accès, arbitrage des quantités, prises en charges financières, rejets. La pratique quotidienne de cette co-gestion, qui nécessite le regroupement des bénéficiaires, est l'une des conditions d'une maîtrise raisonnée des programmes d'irrigation.
II incombe enfin aux pouvoirs publics de mettre en place une véritable politique du prix de l'eau qui ne soit pas accablante pour les producteurs agricoles, mais qui les dissuade de la gaspiller, et qui en outre permette un arbitrage efficace et équilibré entre usages agricoles et non agricoles de nos ressources.
Face à toutes ces tâches, je crois comme vous que nous avons besoin d'une nouvelle loi sur l'eau. Vous savez qu'une telle loi est programmée et que mon ministère aura une part importante à prendre dans sa rédaction.
Ces discussions que nous avons eues ici aujourd'hui, ont peut-être pu apparaître techniques aux yeux des personnes qui ne sont pas des spécialistes des problèmes agricoles.
Mais elles ont, me semble-t-il, confirmé un fait essentiel : les agriculteurs n'ont pas attendu pour se préoccuper des problèmes de l'eau.
Je l'ai déjà dit la semaine dernière face aux interrogations de l'opinion au sujet de la pollution par les nitrates. Je pense que personne ne m'en voudra de revenir un instant sur cette question, en me bornant, bien sûr puisqu'il y a eu déjà énormément de choses dites ou écrites, à reprendre les points qui me paraissent essentiels dans ce débat.
Personne ne conteste que l'agriculture moderne, par l'utilisation des engrais azotés et les rejets d'élevage, ait une responsabilité dans la pollution de l'eau par les nitrates.
Mais il n'est pas acceptable de cantonner la discussion à ce stade. Tout le monde est en réalité concerné : d'abord, bien sûr, ceux qui, au côté des agriculteurs, contribuent à la pollution par les nitrates, c'est-à-dire les industriels et nous tous qui habitons des villes et des villages, dont les conditions d'épuration des nitrates sont très imparfaites. Mais surtout il ne faut pas oublier la dimension économique de cette affaire : on ne peut pas en même temps pousser les agriculteurs à produire toujours plus, à des coûts toujours plus avantageux pour les consommateurs, avec des résultats économiques toujours plus positifs pour la collectivité nationale, et brusquement les placer au banc des accusés, en les présentant comme des pollueurs inconscients. La sauvegarde - ou faut-il dire la survie -de notre environnement a un prix, il ne faut jamais l'oublier. Si l'on accepte de payer demain plus cher l'Eau du robinet, il faudra sans doute aussi accepter dans une certaine mesure de faire un effort sur les prix des produits agricoles.
Cela ne veut pas dire bien sûr que le Ministère de l'Agriculture et de la Forêt et les agriculteurs attendent pour agir. Mais la question est complexe, vous le savez : personne n'a encore trouvé de remède miracle au plan technique contre les nitrates et personne ne peut croire sérieusement qu'un arsenal de mesures coercitives apportera la solution, même si un cadre juridique est indispensable. Je renouvelle ici mon souhait de voir paraître la directive de la C.E.E. sur les nitrates. La réflexion menée, en commun, par les Ministères de l'Agriculture et de l'Environnement et par la Profession, au sein du Comité d'Orientation pour la Réduction de la Pollution de l'Eau par les Nitrates (CORPEN), depuis 1984, commence à porter ses premiers fruits. Elle vise avant tout à agir sur les comportements des agriculteurs. Il faut les aider à mieux utiliser les engrais, comme il faut les aider à mieux utiliser l'eau. Cela suppose une intervention des pouvoirs publics, dont j'ai décrit les différents aspects la semaine dernière. Elle s'élève déjà 80 MF en 1990, et j'ai bien l'intention de continuer à faire de la protection de l'environnement une priorité du budget de l'agriculture en 1991.
Ce débat aura en tout cas, eu le mérite à mes yeux de faire ressortir le fait que les agriculteurs ne devaient pas se couper du reste de la société. II est indispensable de privilégier la communication, et c'est sur cette idée que je voudrais insister pour conclure.
Cela veut dire d'abord la communication du savoir technique aux agriculteurs eux-mêmes. Je suis tout à fait disposé, si les données techniques dont nous pouvons disposer en confirment la nécessité, à faire de l'aide au conseil agronomique pour les agriculteurs une priorité nationale. Cela est déjà commencé en matière de lutte contre la pollution par les nitrates avec la réalisation de bilans par exploitations. Cela pourrait se faire demain encore plus largement sur les conditions d'utilisation de l'eau.
L'information doit aussi circuler en direction des pouvoirs publics.
J'ai demandé aux Préfets de réunir des observatoires départementaux de la sécheresse "Eau et Agriculture", pour traiter des problèmes agronomiques, techniques ou économiques correspondants. Un groupe national en assurera la coordination avec la participation du CEMAGREF, de l'INRA, et des Instituts Techniques et des autres partenaires concernés.
Mon collègue de l'environnement a annoncé des assises de l'eau : mon ministère y sera représenté, et les agriculteurs aussi je pense. II faut des débats approfondis dans chaque bassin permettant de confronter des prévisions sérieuses de développement de la demande avec les ressources envisageables.
Enfin je souhaite que cet effort de communication se traduise concrètement par l'élaboration au plan local de projets permettant de concilier le maintien de l'agriculture et la protection du milieu naturel. Les instruments existent déjà, le plus connu étant le règlement 797/85 de la C.E.E dont l'article 19 envisage les pratiques agricoles favorables à l'environnement. Mais une bonne utilisation des mesures concernant le retrait des terres ou l'extensification peut être intéressante aussi au point de vue écologique.
Tout cela n'est pas assez connu. Je vais donc demander aux Préfets, sur la base d'un document que je fais actuellement préparer, et qui décrit les modalités d'une application cohérente de ces mesures, de diffuser l'information au plan local, et de me faire des propositions d'action avec toutes les parties concernées et en particulier avec les agriculteurs et les associations de protection de la nature.
C'est seulement en travaillant ainsi ensemble qu'il nous sera possible de relever le défi que nous pose la sauvegarde de notre milieu et de nos ressources naturelles.
Je crois que ce Colloque nous aura permis de clarifier les discussions, de vérifier les convergences. Je note en particulier que le Ministre de l'Environnement a conclu son propos en disant que les intérêts des agriculteurs et des écologistes se rejoignaient, dès lors que l'environnement est devenu pour l'ensemble des secteur de l'économie française à le fois un atout et un enjeu. On ne saurait mieux dire.
Pour terminer, je voudrais un instant m'adresser aux agriculteurs, responsables professionnels qui sont ici, à ceux qui visitent le Salon, à tous ceux qui ont eu peut être l'impression de n'être pas compris, de devoir à nouveau endosser ce rôle désagréable de l'accusé.
Cette interpellation des journaux et des médias sur le rôle de l'agriculture dans la pollution des eaux, je voudrais leur dire qu'ils ne doivent surtout pas se tromper sur sa signification réelle, sur leur message qui leur est aujourd'hui adressé.
Je crois que la société ne vous critique pas, mais qu'elle vous pose une question. Elle cherche à vous faire partager une angoisse qui pourrait s'exprimer ainsi : "Si même vous, agriculteurs, vous polluez, où va-t-on ?" De là, me semble-t-il, la passion que soulève cette affaire de la pollution, alors même que l'opinion publique quand on l'interroge sur la sympathie qu'elle porte aux différentes catégories sociales, classe toujours en tête les agriculteurs. Les agriculteurs n'ont certes pas vocation à assumer toute l'angoisse du monde Mais ils auraient tort de se fermer, de se replier sur eux-mêmes, de refuser la discussion. Je voudrais au contraire qu'ils saisissent cette magnifique occasion pour poser à la société quelques questions sur les relations entre la ville et la campagne : est-ce que ce ne sont pas les mêmes qui, pris de panique devant la pollution par les nitrates, s'inquiètent aussi devant l'éventuel retour à la friche de nos terres agricoles !
Peut-être aurions-nous ainsi le moyen de relancer un débat qui n'a plus eu lieu depuis les années 60, sur l'agriculture que nous avons, sur l'agriculture que nous voulons.
Nous y sommes prêts. Nous avons nos statistiques, nos chiffres et nos courbes. Nous avons nos résultats à montrer.
Et puis, un environnement, une forêt, cela a un coût.
Qui le paie ? Nous sommes prêts à en discuter.
Et en tout cas, que les agriculteurs sachent que leur Ministre est décidé à saisir la chance que nous offre ce débat dans l'opinion publique, pour poser de vraies questions sur la place de l'agriculture dans notre société.
Mais, si vous le permettez, revenons un instant en arrière. C'est au plus fort de la sécheresse de 1989, c'est-à-dire au mois d'août dernier, qu'au milieu des difficultés qui assaillaient les agriculteurs, j'ai ressenti très fortement comme une exigence de ma responsabilité, la nécessité de réfléchir à ce que nous faisons en matière de répartition de l'eau, à ce que nous saurons aussi faire dans l'avenir des ressources en eau de notre pays. C'est de cette préoccupation qu'est né le présent Colloque puisque j'ai demandé, dès le mois de septembre, au CEMAGREF, de le préparer. Je voudrais donc remercier tous ceux qui ont permis directement ou indirectement, que ce Colloque prenne une telle ampleur et je les invite, s'ils veulent bien à venir à nos prochaines rencontres.
Je crois qu'il faut aujourd'hui éviter de s'hypnotiser sur la sécheresse de l'été 89, et celle dans laquelle nous sommes toujours. Conjoncture climatique pénible, révélatrice, mais sans doute, du moins je l'espère, temporaire. La sécheresse de 1989 aura eu au moins le mérite de nous réveiller, de nous alerter les uns et les autres. Et il serait fâcheux qu'une fois revenus à la normale, nous retournions à nos anciennes habitudes.
Pourtant, il est clair que la poursuite de l'intensification de la production agricole durant les dernières décennies conduit aujourd'hui à une situation que nous savons de moins en moins bien gérer, dominer, avec les moyens techniques, juridiques et institutionnels, dont nous disposons aujourd'hui. En effet, cette agriculture intensive moderne, se révèle de plus en plus fragile face aux aléas, aussi bien du point de vue de ses résultats techniques que de ses résultats économiques. II y a déjà longtemps que nous le savons et nous le disons. Elle est donc conduite à adopter ce que les économistes appellent des techniques contre-aléatoires : l'usage massif et parfois exagéré de fertilisants, de pesticides, et dans beaucoup de régions, recours croissant à l'irrigation.
Ce comportement, du point de vue de la société économique dans laquelle nous vivons, et dans laquelle les agriculteurs et les autres travailleurs produisent, est-il si absurde que cela ? II est en fait parfaitement logique et rationnel du point de vue de l'agriculteur, si l'on veut bien tenir compte des conditions socio-économiques qui s'imposent à lui. Mais il ne pouvait manquer d'avoir à la longue, des effets néfastes sur l'environnement ? Où est la responsabilité des agriculteurs, dans la pression qui s'est exercée sur eux depuis plus de 40 ans, pour nourrir une population croissante, avec de moins en moins de bras, à un prix de plus en plus bas ?
S'agissant du thème de notre Colloque, cette agriculture nous pose question sur la qualité de l'eau qu'en tant qu'activité économique, elle restitue à l'ensemble de la société, mais aussi, peut-être encore davantage à moyen terme, sur le volume des disponibilités en eau dans notre pays.
C'est une question peut-être plus grave encore. Une chose est de parler de la pollution de l'eau, mais je voudrais aussi que l'on parle des perspectives extrêmement inquiétantes en matière de distribution d'eau. Dans un certain nombre de petits villages en France, l'on sera peut-être, dans les années qui viennent, obligé de fermer la distribution d'eau, parce que les réseaux d'adduction d'eau et d'assainissement seront arrivés à bout de course et que nous ne pourrons pas les remplacer.
Vous vous êtes, tout à fait judicieusement, interrogés sur la fragilité grandissante de beaucoup d'exploitations face aux aléas du climat, et aux moyens d'y remédier. C'est là l'objet d'une de vos tables rondes.
En cette matière, tout comme en matière de lutte contre la pollution des eaux par les nitrates, nous n'obtiendront de résultat ni par la coercition, ni par je ne sais quel retour à des pratiques agricoles du supposé bon vieux temps. Je voudrais que sur ce problème, comme le disait très justement tout à l'heure Hubert CURIEN, on n'en reste pas à l'aspect émotionnel des choses. La question de la pollution et du rapport à l'environnement, ce n'est pas simplement un problème de culture, mais c'est aussi un problème économique. Et, je voudrais qu'à cette occasion, on pose la question dans l'ensemble de ses termes.
Réduire l'utilisation des engrais en agriculture, rien de plus facile ! Réduire l'utilisation des pesticides et des fongicides, c'est à la portée de tout un chacun. Mais, avec quelles conséquences ? Des diminutions de rendements de l'ordre de 30-40-50 %. Des augmentations de prix comparables. II faut aussi que nous débattions de cet aspect de choses ; parce que c'est justement là qu'est le ressort fondamental de la difficulté dans laquelle nous sommes. C'est bien, parce que l'ensemble de la société, tous groupes confondus, tous dirigeants confondus, a depuis plus d'un siècle demandé à nos agriculteurs de nous nourrir au moindre coût, que d'une certaine façon nous en sommes là. Tout à l'heure, écoutant la dernière table ronde, j'étais un petit peu étonné de certaines questions et je voudrais les relever.
Certains affirment qu'il y a une contradiction entre la production d'excédents dont nous souffririons et l'excès d'engrais, mais je rappelle que les excédents n'existent plus. Depuis 1984, nous les avons réduits, à coups de quotas et de baisses de prix. Au cours des trois dernières années, le prix des céréales payées aux producteurs, par accord général des pays composant la Communauté Economique Européenne a diminué de 25 %. Et, aujourd'hui certains s'étonnent que nous n'ayons pas suffisamment de poudres de lait ou de beurre en stocks pour les mettre à la disposition de la Roumanie. Soyons cohérents, je crois qu'on ne peut pas demander à fois le beurre et l'argent du beurre.
Au fond, nous nous retrouvons une fois de plus devant une question classique posée à notre société : les conséquences du progrès technique, comme le disait tout à l'heure Hubert CURIEN. Accroître la productivité du travail des hommes, a toujours permis d'accumuler davantage de marchandises, tout en entraînant aussi un certain nombre de nuisances et de conséquences négatives. Le problème qui nous est posé n'est pas, bien sûr, de receler dans le temps, mais, au contraire, de savoir si nous sommes capables de résoudre cette question vieille comme l'économie rurale : avoir une agriculture performante, qui soit plus respectueuse de son environnement. La réponse n'ira, comme l'indiquait encore une fois Hubert CURIEN, que dans le sens d'un surcroît de réflexion, de finesse, d'intelligence, d'investissement intellectuel, de progrès techniques, de modernisation. Je ne partage pas certains points de vue selon lesquels les responsables professionnels, les fonctionnaires, les techniciens, les chercheurs responsables du développement de l'agriculture de notre pays depuis 40 ans, seraient responsables de cette situation. Je voudrais au contraire, rendre hommage au formidable travail accompli après la seconde guerre mondiale par tous les techniciens, tous les chercheurs, qui ont permis ainsi que notre pays devienne le deuxième exportateur agricole du monde.
Et c'est pourquoi, je trouve juste que vous ayez d'abord insisté sur la nécessité de mieux tirer partie de nos sols, parce que c'est là que commence cette investigation scientifique et technique dont je parlais tout à l'heure. Je m'en félicite, parce que cela rejoint une idée qui m'est chère depuis très longtemps.
Si nous voulons aider les agriculteurs à consolider leurs exploitations du point de vue technique et économique, à poursuivre l'amélioration de leur compétitivité sans porter atteinte à l'environnement, il nous faut avant toute chose remettre en honneur une pratique fine, différenciée, "pointue" de cette vieille agronomie, de cette science complexe et délicate dont nous avons cru naïvement que les moyens de production moderne pourraient nous dispenser.
La relance agronomique qui a été entreprise en 1983-84, au moment même d'ailleurs, où deux de nos prédécesseurs créaient le CORPEN, a fait accomplir quelques progrès significatifs dans ce sens, mais il faut aller bien au-delà. Et il faut avouer que nous butons sur un problème de structure des organismes du développement agricole sans doute trop cloisonnés par filières verticales de production. J'ai l'intention de m'attaquer à cette question à partir des travaux qui ont été inaugurés aujourd'hui.
Par ailleurs, la recherche elle-même, qui a fait des progrès très importants dans le domaine des sciences biologiques fondamentales, doit s'intéresser je le pense encore davantage à l'agronomie, sans laquelle on ne saura pas cultiver ces semences miracles que nous promet le génie génétique.
Cependant le conseil particulier à l'agriculteur est rentable Avec une dépense de l'ordre de 300 F par hectare, l'agriculteur peut disposer d'un véritable diagnostic agronomique de son exploitation. Parcelle par parcelle ce tableau de bord lui indique des objectifs de rendement réalistes, des conseils pour la gestion de la fertilité physique par le travail du sol.
Ces nouveaux services sont attendus par les agriculteurs, mais ils ne peuvent se développer sans références fiables. Les acquisitions du développement et de la recherche ont encore à travailler pour bâtir les références publiques indispensables pour gérer le risque technique maîtrisable.
Au-delà intervient ce que les météorologues appellent "le risque absolu" et alors commence la calamité.
Le système d'indemnisation des calamités entre bien lui aussi dans notre sujet, parce qu'il constitue pour l'agriculteur un moyen de protection contre les aléas. Mais il s'agit là d'un instrument délicat à manier. II doit protéger les intéressés contre les risques de ruine sans pourtant les dispenser de faire tous leurs efforts pour adapter au plus juste leurs systèmes de productions aux conditions naturelles locales.
Notre système actuel d'indemnisation souffre de défauts qui sont apparus clairement quand il a fallu indemniser un très grand nombre d'agriculteurs des dommages causés par la dernière sécheresse : essentiellement la trop grande complexité des procédures et en même temps un manque de rigueur dans la détermination des bénéficiaires. Une mise à plat était nécessaire, que j'ai confiée à M. VILAIN, inspecteur Général des finances.
Je partage en tout cas le souci que vous avez exprimé que ceux qui se lancent dans des productions de manière inconsidérée, sans respecter les conditions de sol et de climat, ne soient pas à la charge des autres.
Enfin nous ne devons pas oublier la situation de la forêt : on sait maintenant combien la sécheresse de 1976 avait fragilisé nos forêts. Celle de 1989 aura des effets au moins de même importance : une grande vigilance sanitaire va être nécessaire et notre gestion devra s'y adapter.
Et la sécheresse nous oblige encore plus à faire un choix judicieux des essences de reboisement Le CEMAGREF, l'INRA et tous les partenaires de la forêt sont à l'oeuvre pour que soient établis dans chaque région des références complètes.
J'en viens au problème fondamental de l'irrigation qui est au coeur de vos débats d'aujourd'hui.
II est tout à fait pertinent, je crois de distinguer deux grands types d'irrigation qui ne soulèvent pas les mêmes problèmes et n'appellent pas les mêmes mesures politiques.
II y a d'abord l'irrigation que l'on peut appeler permanente. Celle qui, moyennant un aménagement lourd (barrage, réseau de distribution) permet de faire passer un périmètre donné de la culture en sec à la culture irriguée. C'est par excellence une irrigation de reconversion radicale d'une zone, qui adopte des productions nouvelles et diversifiées, intensive et à forte valeur unitaire.
Ce type d'irrigation remodèle le paysage et l'économie de la zone, mais on peut dire en somme qu'une fois les équipements réalisés, il ne pose plus guère de problème. La ressource en eau est créée : les bénéficiaires y accèdent dans un cadre institutionnel contraignant, à des conditions techniques et financières parfaitement déterminées.
Enfin, on sait que les sites susceptibles d'être équipés de manière économiquement viable sont en nombre limité.
II en va tout autrement de l'irrigation de complément, qui vise, pour l'agriculteur, à se prémunir des aléas climatiques, pour des cultures déjà pratiquées et connues, en vue d'un rendement meilleur, plus stable, avec une qualité plus constante des produits.
C'est cette irrigation qui a connu dans les années récentes un développement véritablement explosif et dont on ne voit pas la fin.
Je rappelle que depuis 1970 les superficies irriguées ont doublé, et qu'entre 1979 et 1988, elles se sont accrues de 43 %. Ces progrès concernent en particulier la façade atlantique, Midi-Pyrénées, et l'Alsace.
Cette irrigation là pose beaucoup plus de problèmes. Dans beaucoup de cas, elle se développe de manière anarchique, à l'initiative des individus concernés, sans qu'il y ait une demande collective organisée, et en particulier sans création préalable de la ressource. On doit certes, aux termes de la législation actuelle, obtenir une autorisation de prélever, mais sans avoir même à donner une indication sur le débit ou sur le volume du prélèvement.
L'exemple de la région Poitou-Charente, qui compte aujourd'hui 3 000 forages et 2 500 prises d'eau en rivière, est éloquent : on voit mal comment cette région pourrait avoir aujourd'hui une politique de gestion raisonnée de ses ressources en eau.
Ajoutons à ce tableau une constatation d'évidence. C'est, bien sûr, en temps de sécheresse, quand le volume des ressources en eau est au plus bas, que la demande d'irrigation de complément est la plus forte.
Face à une telle expansion de la demande, je cois que notre problème ne sera plus seulement celui de la qualité de l'eau, mais tout autant celui de sa quantité. C'est là une des leçons de la sécheresse de 89. D'autant, ne l'oublions pas que, dans le même temps, la demande d'eau non agricole est elle aussi en croissance.
Nous devons donc dès aujourd'hui inciter le monde agricole à admettre une idée qui va contre ses conceptions traditionnelles : qu'en France l'eau n'est plus une ressource infinie, qu'elle sera de plus en plus rare, précieuse, disputée, c'est-à-dire chère.
II faut donc que dès aujourd'hui, chaque agriculteur réfléchisse avant de se lancer dans cette entreprise : l'irrigation permet une meilleure régularité des productions en quantité et en qualité. Mais décidée à tort, elle peut entraîner des charges plus lourdes que d'autres solutions techniques. Car elle coûte cher et coûtera sans doute plus cher encore dans l'avenir.
Quant à ceux qui disposent de l'irrigation, il est indispensable qu'ils se préoccupent de mieux utiliser l'eau disponible. J'ai été frappé de ce que rapporte M. le Préfet COUSSIROU : dans certains départements qui ont travaillé dans ce sens, les rendements de la dernière campagne ont été bons malgré une baisse sensible de la consommation d'eau.
La recherche, le développement, les Compagnies d'Aménagement, les Services de l'Etat doivent agir dans ce sens. Les besoins en eau peuvent être étalés dans le temps par un choix judicieux des cultures et par un bon diagnostic du potentiel des sols. Nous retrouvons là l'intérêt d'une approche agronomique plus fine. Dans son activité de diffusion des références scientifiques, le RNED Hydraulique Agricole doit être renforcé et la gestion au niveau de chaque sous-bassin améliorée.
Des techniques existent pour assurer l'arrivée de l'eau à l'endroit et au moment où les agriculteurs en ont besoin : il faut les mettre en oeuvre dans une gestion intégrée.
Dans tous les aspects d'une politique raisonnée de l'irrigation et d'une véritable gestion des ressources en eau, il me parait clair que l'intervention de la puissance publique (à l'échelon national comme aux échelons locaux) loue un rôle indispensable, tant en matière de financement que sur le plan réglementaire.
Vous avez noté je pense les efforts faits par le Ministère de l'Agriculture dans les dix dernières années pour reconstituer le débit des rivières, en particulier dans le Sud-Ouest, sollicitées pour l'irrigation. Cela s'est fait par des barrages de tailles très différentes. Certains ont été critiqués - je souhaite de larges échanges sur ces sujets, comme cela a été le cas pour le bassin de la Loire. Les pouvoirs publics et l'administration ont pour attribution de garantir l'équité de la répartition des eaux, de susciter les actions pour l'équipement et la gestion des ressources et de veiller à ce que l'accès à l'irrigation se fasse dans des conditions de parfaite compétitivité face à la concurrence internationale.
Cela, suppose que nous sachions disposer de prévisions plus fines, d'analyses économiques plus approfondies de l'irrigation et en particulier des conditions de sa rentabilité pour l'exploitation.
Cela suppose aussi que nous dotions les bassins de véritables règlements de co-gestion élaborés avec les bénéficiaires regroupés, et qui inclueraient toutes les questions communes, périodes d'accès, arbitrage des quantités, prises en charges financières, rejets. La pratique quotidienne de cette co-gestion, qui nécessite le regroupement des bénéficiaires, est l'une des conditions d'une maîtrise raisonnée des programmes d'irrigation.
II incombe enfin aux pouvoirs publics de mettre en place une véritable politique du prix de l'eau qui ne soit pas accablante pour les producteurs agricoles, mais qui les dissuade de la gaspiller, et qui en outre permette un arbitrage efficace et équilibré entre usages agricoles et non agricoles de nos ressources.
Face à toutes ces tâches, je crois comme vous que nous avons besoin d'une nouvelle loi sur l'eau. Vous savez qu'une telle loi est programmée et que mon ministère aura une part importante à prendre dans sa rédaction.
Ces discussions que nous avons eues ici aujourd'hui, ont peut-être pu apparaître techniques aux yeux des personnes qui ne sont pas des spécialistes des problèmes agricoles.
Mais elles ont, me semble-t-il, confirmé un fait essentiel : les agriculteurs n'ont pas attendu pour se préoccuper des problèmes de l'eau.
Je l'ai déjà dit la semaine dernière face aux interrogations de l'opinion au sujet de la pollution par les nitrates. Je pense que personne ne m'en voudra de revenir un instant sur cette question, en me bornant, bien sûr puisqu'il y a eu déjà énormément de choses dites ou écrites, à reprendre les points qui me paraissent essentiels dans ce débat.
Personne ne conteste que l'agriculture moderne, par l'utilisation des engrais azotés et les rejets d'élevage, ait une responsabilité dans la pollution de l'eau par les nitrates.
Mais il n'est pas acceptable de cantonner la discussion à ce stade. Tout le monde est en réalité concerné : d'abord, bien sûr, ceux qui, au côté des agriculteurs, contribuent à la pollution par les nitrates, c'est-à-dire les industriels et nous tous qui habitons des villes et des villages, dont les conditions d'épuration des nitrates sont très imparfaites. Mais surtout il ne faut pas oublier la dimension économique de cette affaire : on ne peut pas en même temps pousser les agriculteurs à produire toujours plus, à des coûts toujours plus avantageux pour les consommateurs, avec des résultats économiques toujours plus positifs pour la collectivité nationale, et brusquement les placer au banc des accusés, en les présentant comme des pollueurs inconscients. La sauvegarde - ou faut-il dire la survie -de notre environnement a un prix, il ne faut jamais l'oublier. Si l'on accepte de payer demain plus cher l'Eau du robinet, il faudra sans doute aussi accepter dans une certaine mesure de faire un effort sur les prix des produits agricoles.
Cela ne veut pas dire bien sûr que le Ministère de l'Agriculture et de la Forêt et les agriculteurs attendent pour agir. Mais la question est complexe, vous le savez : personne n'a encore trouvé de remède miracle au plan technique contre les nitrates et personne ne peut croire sérieusement qu'un arsenal de mesures coercitives apportera la solution, même si un cadre juridique est indispensable. Je renouvelle ici mon souhait de voir paraître la directive de la C.E.E. sur les nitrates. La réflexion menée, en commun, par les Ministères de l'Agriculture et de l'Environnement et par la Profession, au sein du Comité d'Orientation pour la Réduction de la Pollution de l'Eau par les Nitrates (CORPEN), depuis 1984, commence à porter ses premiers fruits. Elle vise avant tout à agir sur les comportements des agriculteurs. Il faut les aider à mieux utiliser les engrais, comme il faut les aider à mieux utiliser l'eau. Cela suppose une intervention des pouvoirs publics, dont j'ai décrit les différents aspects la semaine dernière. Elle s'élève déjà 80 MF en 1990, et j'ai bien l'intention de continuer à faire de la protection de l'environnement une priorité du budget de l'agriculture en 1991.
Ce débat aura en tout cas, eu le mérite à mes yeux de faire ressortir le fait que les agriculteurs ne devaient pas se couper du reste de la société. II est indispensable de privilégier la communication, et c'est sur cette idée que je voudrais insister pour conclure.
Cela veut dire d'abord la communication du savoir technique aux agriculteurs eux-mêmes. Je suis tout à fait disposé, si les données techniques dont nous pouvons disposer en confirment la nécessité, à faire de l'aide au conseil agronomique pour les agriculteurs une priorité nationale. Cela est déjà commencé en matière de lutte contre la pollution par les nitrates avec la réalisation de bilans par exploitations. Cela pourrait se faire demain encore plus largement sur les conditions d'utilisation de l'eau.
L'information doit aussi circuler en direction des pouvoirs publics.
J'ai demandé aux Préfets de réunir des observatoires départementaux de la sécheresse "Eau et Agriculture", pour traiter des problèmes agronomiques, techniques ou économiques correspondants. Un groupe national en assurera la coordination avec la participation du CEMAGREF, de l'INRA, et des Instituts Techniques et des autres partenaires concernés.
Mon collègue de l'environnement a annoncé des assises de l'eau : mon ministère y sera représenté, et les agriculteurs aussi je pense. II faut des débats approfondis dans chaque bassin permettant de confronter des prévisions sérieuses de développement de la demande avec les ressources envisageables.
Enfin je souhaite que cet effort de communication se traduise concrètement par l'élaboration au plan local de projets permettant de concilier le maintien de l'agriculture et la protection du milieu naturel. Les instruments existent déjà, le plus connu étant le règlement 797/85 de la C.E.E dont l'article 19 envisage les pratiques agricoles favorables à l'environnement. Mais une bonne utilisation des mesures concernant le retrait des terres ou l'extensification peut être intéressante aussi au point de vue écologique.
Tout cela n'est pas assez connu. Je vais donc demander aux Préfets, sur la base d'un document que je fais actuellement préparer, et qui décrit les modalités d'une application cohérente de ces mesures, de diffuser l'information au plan local, et de me faire des propositions d'action avec toutes les parties concernées et en particulier avec les agriculteurs et les associations de protection de la nature.
C'est seulement en travaillant ainsi ensemble qu'il nous sera possible de relever le défi que nous pose la sauvegarde de notre milieu et de nos ressources naturelles.
Je crois que ce Colloque nous aura permis de clarifier les discussions, de vérifier les convergences. Je note en particulier que le Ministre de l'Environnement a conclu son propos en disant que les intérêts des agriculteurs et des écologistes se rejoignaient, dès lors que l'environnement est devenu pour l'ensemble des secteur de l'économie française à le fois un atout et un enjeu. On ne saurait mieux dire.
Pour terminer, je voudrais un instant m'adresser aux agriculteurs, responsables professionnels qui sont ici, à ceux qui visitent le Salon, à tous ceux qui ont eu peut être l'impression de n'être pas compris, de devoir à nouveau endosser ce rôle désagréable de l'accusé.
Cette interpellation des journaux et des médias sur le rôle de l'agriculture dans la pollution des eaux, je voudrais leur dire qu'ils ne doivent surtout pas se tromper sur sa signification réelle, sur leur message qui leur est aujourd'hui adressé.
Je crois que la société ne vous critique pas, mais qu'elle vous pose une question. Elle cherche à vous faire partager une angoisse qui pourrait s'exprimer ainsi : "Si même vous, agriculteurs, vous polluez, où va-t-on ?" De là, me semble-t-il, la passion que soulève cette affaire de la pollution, alors même que l'opinion publique quand on l'interroge sur la sympathie qu'elle porte aux différentes catégories sociales, classe toujours en tête les agriculteurs. Les agriculteurs n'ont certes pas vocation à assumer toute l'angoisse du monde Mais ils auraient tort de se fermer, de se replier sur eux-mêmes, de refuser la discussion. Je voudrais au contraire qu'ils saisissent cette magnifique occasion pour poser à la société quelques questions sur les relations entre la ville et la campagne : est-ce que ce ne sont pas les mêmes qui, pris de panique devant la pollution par les nitrates, s'inquiètent aussi devant l'éventuel retour à la friche de nos terres agricoles !
Peut-être aurions-nous ainsi le moyen de relancer un débat qui n'a plus eu lieu depuis les années 60, sur l'agriculture que nous avons, sur l'agriculture que nous voulons.
Nous y sommes prêts. Nous avons nos statistiques, nos chiffres et nos courbes. Nous avons nos résultats à montrer.
Et puis, un environnement, une forêt, cela a un coût.
Qui le paie ? Nous sommes prêts à en discuter.
Et en tout cas, que les agriculteurs sachent que leur Ministre est décidé à saisir la chance que nous offre ce débat dans l'opinion publique, pour poser de vraies questions sur la place de l'agriculture dans notre société.