Texte intégral
Monsieur le recteur, messieurs les élus,
mesdames et messieurs les présidents, mes chers collègues,
Je voudrais aujourd'hui vous rappeler brièvement quel a été le contexte d'Université 2000, afin de mieux situer U3M, par rapport au passé comme par rapport à la situation présente. Nous étions confrontés en 1988 à des difficultés liées à un accroissement très important du nombre d'étudiants avec des locaux qui étaient notoirement insuffisants. Dès que Lionel Jospin a été nommé rue de Grenelle, notre première démarche, a été de réfléchir à l'aménagement universitaire. Nous avons créé à la Direction de l'enseignement supérieur la mission Campus, animée par François Guy et Michel Cantal-Dupart, pour essayer de définir ce que pouvait être le concept d'architecture universitaire et d'entreprendre une si nécessaire rénovation. J'avais, quant à moi, dans l'idée de rénover les campus existants. Mais, après un mois ou un mois et demi de travail, les deux missionnaires sont venus me voir et m'ont déclaré que la notion de campus n'était pas une notion adaptée pour la France. On avait voulu imiter les Etats-Unis, mais sans réussir à faire vivre les campus parce qu'on les avait isolés des villes. La vraie université européenne, c'était la Sorbonne, Oxford, et beaucoup d'autres, c'est à dire l'université au cur de la ville. J'étais plutôt surpris de cette réaction, qui m'inquiétait un peu parce qu'il existait un certain nombre de campus hors des villes dont nous nous demandions ce que nous allions faire. Lionel Jospin, lui, a été immédiatement séduit par cette vision. Aussi, nous nous sommes engagés assez rapidement dans l'idée de lancer un plan de rénovation et d'infléchir ce qui avait été la politique précédente de fabrication de campus, surtout dans les années 70.
Je me souviens, lorsque nous avons lancé le plan Université 2000, d'un article de presse qui fustigeait telle ville, parce qu'elle avait été obligée d'utiliser, pour faire des cours, un cinéma pornographique. Une autre université avait loué des tentes à la rentrée pour accueillir ses étudiants, ayant bien compris que l'afflux des étudiants dans certaines disciplines, très grand au mois de septembre, décroît à partir du mois de novembre. Il y avait eu sur de tels sujets plusieurs reportages. A quoi en était donc réduite l'Université !. Nous avons centré complètement U2000 sur l'accueil des étudiants. Nous avions une idée d'aménagement du territoire, qui nous a amenés à développer la notion de pôle européen. Cette notion est très simple : ce sont de grandes villes universitaires où, à la suite de mai 68, l'université a été découpée en morceaux, pas toujours de façon très cohérente. L'idée de pôle européen permettait de les faire à nouveau travailler ensemble, et surtout permettait aux étudiants de bénéficier de cursus pluridisciplinaires, s'ils l'estimaient nécessaire. L'ambition n'était pas comme on l'a dit parfois de faire naître des " pôles d'excellence " ; c'était une notion tout à fait pratique. L'expérience prouve que dans certains endroits cela a bien marché. Certaines universités avaient effectivement envie de travailler ensemble.
Il fallait aussi éviter de multiplier les antennes de premier cycle sans logique, coupées de leur université mère ; il fallait en revanche développer un réseau d'IUT sur le territoire. L'expérience nous a montré que ce réseau d'IUT - nous avons doublé le nombre de départements d'IUT au cours d'Université 2000 - avait permis un maillage extrêmement utile, permettant une meilleure insertion vers l'emploi et l'animation effective d'un certain nombre de villes moyennes.
Il y avait aussi la nécessité de créer de nouvelles universités. Nous avons créé les universités d'Artois et du Littoral, universités multipolaires. L'aspect multipolaire, à l'époque n'a pas déclenché un grand enthousiasme ; on craignait que le tissu universitaire ne se déchire. Ensuite, il y a eu les universités de l'Ouest. Et puis, il y a eu les universités de la petite couronne d'Ile-de-France. La création de ces nouvelles universités avait suscité de grandes réticences, notamment la crainte qu'elles bloquent le développement des universités de la grande couronne, c'est-à-dire de Reims, d'Amiens, d'Orléans, de Rouen, etc. Pour leur localisation, l'Education nationale n'a pas eu besoin de faire preuve d'une grande originalité. Les grands noeuds de communication et de développement étaient indiqués par l'Aménagement du Territoire : nous avons choisi d'y créer quatre universités : Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise, Evry, Saint Quentin-Versailles. L'objectif de ces créations, on peut le dire aujourd'hui, a été pleinement atteint. En effet, alors que personne n'y croyait, nous avons pour la première fois depuis le 12ème siècle, stabilisé la croissance des étudiants dans Paris-centre. Nous n'avons, ce faisant, nullement affaibli les universités de la grande couronne, parce qu'il n'y avait pas de compétition de population. On a en revanche assisté à des transferts de laboratoires, d'équipes entières de Paris-centre qui se sont installées dans ces universités. Le plan U2000 a donc bien fonctionné pour ce qui concerne l'aménagement universitaire hors de Paris.
Mais peu de choses ont été faites pour l'aménagement de Paris. La ville de Paris ne s'est intéressée qu'à l'université de Paris IX-Dauphine; l'Etat n'a construit qu'un bâtiment, que j'ai inauguré récemment, le centre d'économie de Paris I. Résultat : les locaux des universités parisiennes sont dans un état absolument lamentable !
Le plan U2000 a eu d'autres vertus majeures, dues à sa réussite en matière d'architecture et d'urbanisme ; il a ainsi permis une plus grande autonomie de l'université. Il a noué un dialogue entre l'université et les régions, entre l'université et les collectivités territoriales ; ce dialogue a brisé la glace. Je me souviens qu'à l'époque il y avait un débat - parce que nous universitaires adorons engager des débats théologiques avant de bouger un pied - pour savoir s'il convenait de "donner" l'université aux régions, à condition qu'elles ne soufflent mot sur la pédagogie. Ce débat clos ; le dialogue existe, un vrai partenariat s'est établi, les présidents d'universités sont considérés dans toutes les régions comme des acteurs majeurs intégrés dans la vie, non seulement universitaire, mais aussi sociale, économique. Désormais, tous les partenaires travaillent en symbiose.
Dans le même temps, l'autonomie des universités a augmenté. Des initiatives se prennent de façon naturelle, des diversifications se mettent en place. En fait, l'autonomie est difficile à mettre en place parce que la plupart de ceux qui la réclament sont les premiers à l'enfreindre. Le moindre incident remonte au ministère, le président étant encore trop souvent "court-circuité". Il faut que chacun prenne l'habitude de régler les problèmes localement. D'ailleurs, de manière concomitante à Université 2000, nous avons mis en place la politique contractuelle qui liait les universités et l'Etat pour une durée de quatre ans. Armand Frémont, qui était alors au ministère à la tête de la Direction de la programmation et du développement universitaire, en a été la cheville ouvrière.
J'ajouterai quelques mots sur la manière dont s'est déroulé le plan Université 2000. Le fait qu'aujourd'hui la même équipe soit au poste de pilotage devrait rassurer à la fois sur les intentions du gouvernement et sur la méthode qui sera appliquée. Université 2000 a permis de réduire les inégalités géographiques. Que seraient aujourd'hui, d'un point de vue universitaire, le Nord et l'Ouest sans Université 2000 ? Le retard a été comblé. Comment se trouverait l'université de Saint-Denis, qui n'a été réellement achevée qu'à l'occasion de ce plan ? Lutte contre les inégalités, priorité à l'accueil des étudiants, et en même temps dessein d'une autonomie universitaire plus réelle, dans le cadre d'un service public coordonné par l'Etat, ont été les grands principes qui ont guidé notre action.
En ce qui concerne le nouveau plan qui se prépare, la question que vous vous posez et à laquelle je vais essayer de répondre, est de savoir si U3M est la suite d'U2000. Je ne suis pas normand, mais je vais vous répondre à la fois oui et non. Oui, en ce qui concerne la méthode. Et là-dessus je voudrais être très clair. Nous n'avons aucun plan centralisé, j'y reviendrai tout à l'heure. Nous voulons qu'U3M se développe en partenariat, dans un dialogue avec les régions, en poussant les universitaires à être investis et offensifs, à faire des propositions eux-mêmes. Ce n'est pas du tout de l'administration centrale que viendra telle ou telle instruction.
Comme l'a dit hier le Premier ministre, le rééquilibrage national doit se faire cette fois au profit de Paris-centre qui a été complètement négligé dans le plan U2000. Il ne s'agit pas de tirer toujours sur Paris : la France s'affaiblit si Paris s'affaiblit. Mais dans le même temps U3M ne concerne pas seulement Paris ; il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre. Naturellement, l'aménagement parisien ne peut pas se faire sans une vision de l'Ile-de-France dans son ensemble, et de ses équilibres. Par conséquent, même s'il y a une priorité sur Paris, il n'y a pas d'exclusivité sur Paris. Mais il y a une véritable urgence à s'occuper de Paris. Il suffit de se promener dans les universités parisiennes pour voir dans quel état elles se trouvent.
Je voudrais dire d'un manière très officielle qu'il est tout à fait inconvenant, comme je l'ai vu dans un journal du soir, hier, de donner des chiffres sur le plan U3M. D'abord ces chiffres sont totalement imaginaires. Mais surtout, je répète qu'il serait inconvenant, de la part de l'Etat, de décider d'office combien les collectivités territoriales vont payer. L'investissement d'U3M sera déterminé après un processus de discussion avec les régions, avec les collectivités territoriales, et non pas avant. Nous n'allons pas décider une ponction sur les régions au niveau national ! Par ailleurs, U3M n'est pas U2000. La situation démographique est différente. La croissance étudiante s'est stabilisée. Mais il ne faut ni croire ni espérer qu'elle va beaucoup décroître. La légère décroissance française sera plus que compensée par l'accueil d'étudiants étrangers, qui seront de plus en plus nombreux à venir en France. Notre université va en particulier se trouver de plain-pied dans l'Europe.
Vous allez constater des flux de plus en plus grands d'étudiants européens, dans les deux sens, d'où - j'en parle incidemment - la nécessité d'arriver à une harmonisation européenne des diplômes. Nous allons nous y employer, et ce sera le thème du colloque de Bologne qui fera suite à celui de la Sorbonne, l'an prochain. Nous y discuterons de la mobilité des professeurs, et nous réfléchirons notamment aux moyens de ne pas les pénaliser sous l'angle de leurs droits à la retraite lorsqu'ils viennent enseigner dans une université étrangère. Si nous voulons favoriser la mobilité, il nous faut régler un certain nombre de problèmes administratifs. Nous avons aussi le problème de l'accueil des étudiants. Nous devons veiller à offrir aux étudiants européens de bonnes conditions de travail. La France doit se mettre au niveau des autres pays européens. Cela signifie avoir plus de bibliothèques, améliorer la qualité de notre accueil. Pour les étudiants asiatiques ou d'Amérique du Sud, venant de pays qui souhaitent rééquilibrer leurs échanges, il faudra aussi faire un effort. Les universités doivent mettre en place de véritables systèmes d'accueil des étudiants étrangers. L'agence Edufrance qui a été créée pour ces échanges, sera un partenaire très important de ces évolutions nécessaires.
Je voudrais maintenant aborder la question des nouvelles technologies. Ici et là, je perçois des craintes de certaines villes moyennes qui se demandent ce que va entraîner U3M dans ce domaine. Elles résultent la plupart du temps d'une incompréhension. Les nouvelles technologies permettent de transmettre à distance les connaissances. Elles nous posent la question du style à venir de notre enseignement oral. Faudra t-il continuer à faire des enseignements dans des locaux semblables à ce magnifique amphithéâtre ? Sans doute faudra-t-il de temps en temps se réunir comme nous le faisons aujourd'hui ; mais peut-être faut-il aussi dispenser un enseignement dans de petites salles, retransmis en des lieux multiples et permettant ainsi à des étudiants d'échanger entre eux. C'est une autre manière de travailler qu'il faut imaginer. Pourquoi alors tout concentrer en un seul lieu ? Dans ce domaine, certaines universités sont très en avance. J'ai vu l'université du Littoral fonctionner, avec des cours qui sont transmis simultanément à Dunkerque, Calais, Saint-Quentin et Boulogne. Les étudiants suivent le même cours et posent des questions au professeur qui répond, grâce à un système de téléconférence.
Dans U3M, nous aurons, parmi les investissements, non seulement des bâtiments à construire, mais aussi probablement à tirer des fibres optiques pour que les universités soient reliées entre elles.
Le grand concept d'U3M, c'est le concept de réseau. Et ce concept de réseau s'appliquera non seulement à l'enseignement, mais également à la recherche. Il nous faut accepter l'idée qu'il peut y avoir des laboratoires de recherche délocalisés qui communiquent entre eux. Prenez par exemple, le réseau américain de nanotechnologie : des plates-formes où se font des expériences, par télécommande à partir de sites éloignés. Pourquoi ne fonctionnerions-nous pas au moins en partie ainsi ? Autrement dit, il n'est pas question de concentrer, ce serait une absurdité. Le siècle qui va venir va être celui du développement des villes moyennes : nous n'allons pas faire l'inverse ! Je vois Jean Auroux, par exemple, partir à la défense des villes moyennes qu'il imagine menacées : qu'il se rassure ce n'est pas du tout l'esprit d'U3M.
Le plan U3M impliquera la recherche : dans le monde qui vient, l'innovation va être la clé du succès. L'innovation vient de la recherche et la recherche doit être liée à l'enseignement. Elle doit l'être de plus en plus. C'est ce que je veux dire quand je parle du rapprochement nécessaire entre le CNRS, l'INSERM et l'Université. La recherche doit être davantage intégrée dans l'université. Je pense à ce slogan ancien d'une marque d'essence : " mettez un tigre dans votre moteur ". Voilà ce que je voudrais faire. Mettez un tigre, la recherche, dans votre moteur, au cur de vos universités, à tous les niveaux, pas seulement en troisième cycle. L'innovation doit pénétrer d'entrée de jeu dans les universités. Nous organiserons bientôt de grands colloques pédagogiques au niveau de l'université. Les universités devront parler ensemble de ce qu'il faut enseigner. Les barrières entre les disciplines ont-elles encore un sens ? Prenez l'exemple des sciences du solide. Quelle différence y a-t-il entre la physique du solide et la chimie du solide ? Faut-il que ces matières soient séparées ou faut-il en faire un véritable cursus intégré ? Prenez l'exemple de l'informatique et de la biologie : on s'aperçoit maintenant que code génétique et codes informatiques peuvent se construire à partir des mêmes traitements mathématiques, on s'aperçoit en outre que la technologie des puces permet de faire des analyses en biochimie. Faut-il donc séparer les informaticiens d'un côté, et ceux qui s'occupent de génomique de l'autre ? Evidemment non.
Les barrières entre les disciplines vont éclater. A l'origine, les spécialisations étaient extrêmes : on avait même séparé la géographie physique et la géographie humaine : cela a t-il un sens, alors qu'aujourd'hui on parle d'environnement ? Nous avons un grand effort scientifique à déployer pour intégrer pleinement cette recherche et naturellement c'est dans la diversité de chaque université que cela doit se faire.
Je voudrais à ce propos effacer un concept qui traîne, un mot que je n'aime pas. Le mot : pôle d'excellence. Tout le monde doit viser à l'excellence. L'excellence ne se décrète pas, surtout pas depuis le ministère de l'Education nationale. Elle se constate. Et tout le monde a vocation à être excellent. Les grands instituts comme les plus petites équipes, comme chaque individu. On parle souvent du Massachusetts Institute of Technology, une université que je connais bien, de l'intérieur, qui compte cinq mille étudiants. Or le MIT crée 1500 entreprises par an. Donc le gigantisme n'est pas nécessairement le plus productif. Ceux qui veulent être gros ont le droit d'être gros, ceux qui veulent être plus petits ont le droit d'être plus petits. Ce qu'il faut dans ce monde, c'est rechercher l'excellence dans la diversité. C'est vrai qu'il faut se spécialiser. Dans une compétitivité mondiale, il faut trouver des créneaux et être les meilleurs.
Je vais maintenant vous exprimer notre méthode pour U3M, qui est très simple. J'ai rédigé, avec mon équipe, un texte de cadrage général qui couvre en substance un certain nombre de points que je viens de vous exposer. Je souhaite que vous réfléchissiez à ce que doit être l'Université du 3ème millénaire, intégrant les nouvelles technologies. Songez que vous êtes désormais ouverts sur le monde. Dans U3M, l'étudiant doit bénéficier d'un quart au moins des investissements. Ceci concerne leur vie en général : pas seulement l'accueil dans les classes, mais également le logement, les bibliothèques, la vie quotidienne. J'ai d'autre part mis en place, après en avoir déterminé la composition, avec beaucoup de soin, un comité national de pilotage, présidé par Guy Aubert, ancien directeur général du CNRS, mais également ancien directeur de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, actuellement conseiller d'Etat. Guy Aubert est un universitaire ; il connaît bien la recherche. Il est donc tout à fait compétent pour piloter ce plan. Le comité de pilotage comprend des universitaires, des urbanistes, des personnalités du monde économique, des personnalités du monde politique, le Plan, l'Aménagement du Territoire. Il doit réfléchir à la logique d'ensemble.
Parallèlement, dans chaque académie, dans chaque région, réfléchissent, coordonnés par les recteurs et les préfets, les universitaires et les responsables concernés par U3M : ils doivent faire remonter les projets. Je vous le dis tout de suite, ne me demandez pas ce qu'il va y avoir dans U3M, je ne le sais pas et je ne veux pas le savoir. Je vois fréquemment des maires qui me demandent ce que je pense de tel projet. Ce n'est pas la bonne question. Il y a une volonté du gouvernement de jouer la carte de la déconcentration et de l'autonomie. Si vous voulez faire avancer des projets, l'Etat vous aidera. Le dialogue avec le ministre devra attendre les phases ultérieures. Le groupe de pilotage va se déplacer, discuter avec tous les acteurs concernés ; je le laisse travailler librement. L'université doit s'organiser, en ouvrant le dialogue avec les régions : l'Etat ne doit rien imposer.
Nous ne mettrons pas en mouvement ce pays si nous ne faisons pas confiance à la base. Je sais que c'est difficile, je le vois dans un domaine différent qui est celui des lycées. Dans les lycées, les proviseurs, les professeurs et les élèves semblent avoir des difficultés à parler entre eux. Alors les lycéens manifestent et viennent rue de Grenelle. Mais il faut qu'ils parlent ensemble localement. C'est sur le terrain que s'établit le dialogue. C'est la même chose pour U3M. Ce n'est pas à nous de provoquer le dialogue avec les régions. Bien sûr, dans chaque région il y aura des discussions, il y aura des points de vue différents, c'est tout a fait normal. Puis, à un certain moment, il faudra que l'Etat arbitre. Il s'appuiera alors sur le travail du groupe de pilotage national. Il ne va pas arbitrer seul. Je me suis opposé catégoriquement à cette méthode qui consistait depuis des années à fabriquer ce que l'on appelle les CIAT (comités interministériels d'aménagement du territoire), d'où sortaient des décisions arbitraires sans discussion sérieuse préalable. On apprenait subitement que telle école était délocalisée à tel endroit. Ce n'est pas une bonne méthode. Vous savez que la délocalisation de l'Ecole Normale de Saint-Cloud à Lyon n'a finalement entraîné le départ effectif que d'une seule personne. On a en fait reconstruit une nouvelle Ecole Normale Supérieure. Au contraire, l'Ecole Normale de Saint-Cloud-Fontenay (lettres), a décidé après mûres réflexions de rejoindre l'Ecole des sciences à Lyon. Voilà la bonne démarche.
Et que les Parisiens ne se disent pas que la province est sous-développée scientifiquement. Par exemple, la chimie y est mieux développée qu'à Paris, tout comme les sciences de l'ingénieur. On pourrait citer bien d'autres exemples. Le désert scientifique n'existe plus maintenant. Mais pour attirer les chercheurs quelque part, il faut que les provinciaux séduisent, non pas les appareils administratifs, mais les personnes. Il faut séduire des équipes. Et cela se confirme de plus en plus, parce que les succès des équipes provinciales existent : Jean-Marie Lehn a eu le prix Nobel, il est à Strasbourg, il continue d'y avoir son laboratoire. Il est même en train de développer un nouvel institut à Strasbourg. Cette démarche doit être concomitante avec le plan U3M. Je ne mettrai pas tel ou tel appareil à un endroit avec l'idée d'y développer la physique ou la biologie. Si des projets dans différentes villes de province existent et sont scientifiquement tenables, ils doivent voir le jour. Cela dit, la délocalisation doit être acceptée par tout le monde. Je ne crois pas aux méthodes autoritaires, l'expérience prouve que ce n'est pas la bonne démarche. Ce n'est pas seulement une question de philosophie.
Je vous demande aux uns et aux autres de travailler, de dialoguer, de proposer de beaux projets, de bons projets, des projets raisonnables. Là aussi, il faut éviter ce syndrome dont nous sommes tous atteints dans l'université. C'est le syndrome qui consiste à vivre pendant des années dans un "taudis", à râler tous les jours mais finalement à y vivre ; et quand un peu d'argent est proposé, on voudrait tout de suite les jardins suspendus de Babylone. Il faut se tenir entre les deux. Il faut élaborer des projets raisonnables, et en même temps des projets audacieux, ambitieux, soutenus. Autrement dit, si je voulais résumer, Université 2000 a été un plan dans lequel le béton soutenait la matière grise. Donc, U3M c'est la matière grise qui devra soutenir le béton. Pour terminer, je voudrais rappeler que ce colloque est organisé avec le Sénat qui est le symbole des collectivités territoriales, à la demande des sénateurs lors d'une de mes auditions. Ces dialogues avec les commissions parlementaires, aussi bien au sénat qu'à l'assemblée nationale, sont un élément essentiel de la démocratie. Il ne doivent pas se limiter au ministre. Je crois ainsi qu'il est souhaitable que la conférence des présidents d'universités soit entendue par les commissions parlementaires, c'est une pratique qui doit s'instaurer. Il faut qu'à tous les niveaux, entre les responsables politiques, les responsables des régions, les responsables du Parlement, et les universités puissent interagir. Je demande quant à moi aux recteurs, aux inspecteurs d'académies de parler avec les responsables politiques, de ne pas rester enfermés, au nom d'une neutralité de l'administration mal comprise. L'Etat, c'est aussi la représentation démocratique. Il nous faut fonctionner ainsi sans esprit partisan : tout le monde dans notre pays veut que l'université française soit la meilleure possible. Je suis convaincu que tous sont prêts à travailler dans ce but. Je suis donc heureux d'accueillir Monsieur le Président Poncelet qui, je le sais, est un grand partisan du développement de l'université française avec la région. Merci, encore une fois !
(source http://www.education.gouv.fr, le 17 septembre 2001)
mesdames et messieurs les présidents, mes chers collègues,
Je voudrais aujourd'hui vous rappeler brièvement quel a été le contexte d'Université 2000, afin de mieux situer U3M, par rapport au passé comme par rapport à la situation présente. Nous étions confrontés en 1988 à des difficultés liées à un accroissement très important du nombre d'étudiants avec des locaux qui étaient notoirement insuffisants. Dès que Lionel Jospin a été nommé rue de Grenelle, notre première démarche, a été de réfléchir à l'aménagement universitaire. Nous avons créé à la Direction de l'enseignement supérieur la mission Campus, animée par François Guy et Michel Cantal-Dupart, pour essayer de définir ce que pouvait être le concept d'architecture universitaire et d'entreprendre une si nécessaire rénovation. J'avais, quant à moi, dans l'idée de rénover les campus existants. Mais, après un mois ou un mois et demi de travail, les deux missionnaires sont venus me voir et m'ont déclaré que la notion de campus n'était pas une notion adaptée pour la France. On avait voulu imiter les Etats-Unis, mais sans réussir à faire vivre les campus parce qu'on les avait isolés des villes. La vraie université européenne, c'était la Sorbonne, Oxford, et beaucoup d'autres, c'est à dire l'université au cur de la ville. J'étais plutôt surpris de cette réaction, qui m'inquiétait un peu parce qu'il existait un certain nombre de campus hors des villes dont nous nous demandions ce que nous allions faire. Lionel Jospin, lui, a été immédiatement séduit par cette vision. Aussi, nous nous sommes engagés assez rapidement dans l'idée de lancer un plan de rénovation et d'infléchir ce qui avait été la politique précédente de fabrication de campus, surtout dans les années 70.
Je me souviens, lorsque nous avons lancé le plan Université 2000, d'un article de presse qui fustigeait telle ville, parce qu'elle avait été obligée d'utiliser, pour faire des cours, un cinéma pornographique. Une autre université avait loué des tentes à la rentrée pour accueillir ses étudiants, ayant bien compris que l'afflux des étudiants dans certaines disciplines, très grand au mois de septembre, décroît à partir du mois de novembre. Il y avait eu sur de tels sujets plusieurs reportages. A quoi en était donc réduite l'Université !. Nous avons centré complètement U2000 sur l'accueil des étudiants. Nous avions une idée d'aménagement du territoire, qui nous a amenés à développer la notion de pôle européen. Cette notion est très simple : ce sont de grandes villes universitaires où, à la suite de mai 68, l'université a été découpée en morceaux, pas toujours de façon très cohérente. L'idée de pôle européen permettait de les faire à nouveau travailler ensemble, et surtout permettait aux étudiants de bénéficier de cursus pluridisciplinaires, s'ils l'estimaient nécessaire. L'ambition n'était pas comme on l'a dit parfois de faire naître des " pôles d'excellence " ; c'était une notion tout à fait pratique. L'expérience prouve que dans certains endroits cela a bien marché. Certaines universités avaient effectivement envie de travailler ensemble.
Il fallait aussi éviter de multiplier les antennes de premier cycle sans logique, coupées de leur université mère ; il fallait en revanche développer un réseau d'IUT sur le territoire. L'expérience nous a montré que ce réseau d'IUT - nous avons doublé le nombre de départements d'IUT au cours d'Université 2000 - avait permis un maillage extrêmement utile, permettant une meilleure insertion vers l'emploi et l'animation effective d'un certain nombre de villes moyennes.
Il y avait aussi la nécessité de créer de nouvelles universités. Nous avons créé les universités d'Artois et du Littoral, universités multipolaires. L'aspect multipolaire, à l'époque n'a pas déclenché un grand enthousiasme ; on craignait que le tissu universitaire ne se déchire. Ensuite, il y a eu les universités de l'Ouest. Et puis, il y a eu les universités de la petite couronne d'Ile-de-France. La création de ces nouvelles universités avait suscité de grandes réticences, notamment la crainte qu'elles bloquent le développement des universités de la grande couronne, c'est-à-dire de Reims, d'Amiens, d'Orléans, de Rouen, etc. Pour leur localisation, l'Education nationale n'a pas eu besoin de faire preuve d'une grande originalité. Les grands noeuds de communication et de développement étaient indiqués par l'Aménagement du Territoire : nous avons choisi d'y créer quatre universités : Marne-la-Vallée, Cergy-Pontoise, Evry, Saint Quentin-Versailles. L'objectif de ces créations, on peut le dire aujourd'hui, a été pleinement atteint. En effet, alors que personne n'y croyait, nous avons pour la première fois depuis le 12ème siècle, stabilisé la croissance des étudiants dans Paris-centre. Nous n'avons, ce faisant, nullement affaibli les universités de la grande couronne, parce qu'il n'y avait pas de compétition de population. On a en revanche assisté à des transferts de laboratoires, d'équipes entières de Paris-centre qui se sont installées dans ces universités. Le plan U2000 a donc bien fonctionné pour ce qui concerne l'aménagement universitaire hors de Paris.
Mais peu de choses ont été faites pour l'aménagement de Paris. La ville de Paris ne s'est intéressée qu'à l'université de Paris IX-Dauphine; l'Etat n'a construit qu'un bâtiment, que j'ai inauguré récemment, le centre d'économie de Paris I. Résultat : les locaux des universités parisiennes sont dans un état absolument lamentable !
Le plan U2000 a eu d'autres vertus majeures, dues à sa réussite en matière d'architecture et d'urbanisme ; il a ainsi permis une plus grande autonomie de l'université. Il a noué un dialogue entre l'université et les régions, entre l'université et les collectivités territoriales ; ce dialogue a brisé la glace. Je me souviens qu'à l'époque il y avait un débat - parce que nous universitaires adorons engager des débats théologiques avant de bouger un pied - pour savoir s'il convenait de "donner" l'université aux régions, à condition qu'elles ne soufflent mot sur la pédagogie. Ce débat clos ; le dialogue existe, un vrai partenariat s'est établi, les présidents d'universités sont considérés dans toutes les régions comme des acteurs majeurs intégrés dans la vie, non seulement universitaire, mais aussi sociale, économique. Désormais, tous les partenaires travaillent en symbiose.
Dans le même temps, l'autonomie des universités a augmenté. Des initiatives se prennent de façon naturelle, des diversifications se mettent en place. En fait, l'autonomie est difficile à mettre en place parce que la plupart de ceux qui la réclament sont les premiers à l'enfreindre. Le moindre incident remonte au ministère, le président étant encore trop souvent "court-circuité". Il faut que chacun prenne l'habitude de régler les problèmes localement. D'ailleurs, de manière concomitante à Université 2000, nous avons mis en place la politique contractuelle qui liait les universités et l'Etat pour une durée de quatre ans. Armand Frémont, qui était alors au ministère à la tête de la Direction de la programmation et du développement universitaire, en a été la cheville ouvrière.
J'ajouterai quelques mots sur la manière dont s'est déroulé le plan Université 2000. Le fait qu'aujourd'hui la même équipe soit au poste de pilotage devrait rassurer à la fois sur les intentions du gouvernement et sur la méthode qui sera appliquée. Université 2000 a permis de réduire les inégalités géographiques. Que seraient aujourd'hui, d'un point de vue universitaire, le Nord et l'Ouest sans Université 2000 ? Le retard a été comblé. Comment se trouverait l'université de Saint-Denis, qui n'a été réellement achevée qu'à l'occasion de ce plan ? Lutte contre les inégalités, priorité à l'accueil des étudiants, et en même temps dessein d'une autonomie universitaire plus réelle, dans le cadre d'un service public coordonné par l'Etat, ont été les grands principes qui ont guidé notre action.
En ce qui concerne le nouveau plan qui se prépare, la question que vous vous posez et à laquelle je vais essayer de répondre, est de savoir si U3M est la suite d'U2000. Je ne suis pas normand, mais je vais vous répondre à la fois oui et non. Oui, en ce qui concerne la méthode. Et là-dessus je voudrais être très clair. Nous n'avons aucun plan centralisé, j'y reviendrai tout à l'heure. Nous voulons qu'U3M se développe en partenariat, dans un dialogue avec les régions, en poussant les universitaires à être investis et offensifs, à faire des propositions eux-mêmes. Ce n'est pas du tout de l'administration centrale que viendra telle ou telle instruction.
Comme l'a dit hier le Premier ministre, le rééquilibrage national doit se faire cette fois au profit de Paris-centre qui a été complètement négligé dans le plan U2000. Il ne s'agit pas de tirer toujours sur Paris : la France s'affaiblit si Paris s'affaiblit. Mais dans le même temps U3M ne concerne pas seulement Paris ; il ne faut pas passer d'un extrême à l'autre. Naturellement, l'aménagement parisien ne peut pas se faire sans une vision de l'Ile-de-France dans son ensemble, et de ses équilibres. Par conséquent, même s'il y a une priorité sur Paris, il n'y a pas d'exclusivité sur Paris. Mais il y a une véritable urgence à s'occuper de Paris. Il suffit de se promener dans les universités parisiennes pour voir dans quel état elles se trouvent.
Je voudrais dire d'un manière très officielle qu'il est tout à fait inconvenant, comme je l'ai vu dans un journal du soir, hier, de donner des chiffres sur le plan U3M. D'abord ces chiffres sont totalement imaginaires. Mais surtout, je répète qu'il serait inconvenant, de la part de l'Etat, de décider d'office combien les collectivités territoriales vont payer. L'investissement d'U3M sera déterminé après un processus de discussion avec les régions, avec les collectivités territoriales, et non pas avant. Nous n'allons pas décider une ponction sur les régions au niveau national ! Par ailleurs, U3M n'est pas U2000. La situation démographique est différente. La croissance étudiante s'est stabilisée. Mais il ne faut ni croire ni espérer qu'elle va beaucoup décroître. La légère décroissance française sera plus que compensée par l'accueil d'étudiants étrangers, qui seront de plus en plus nombreux à venir en France. Notre université va en particulier se trouver de plain-pied dans l'Europe.
Vous allez constater des flux de plus en plus grands d'étudiants européens, dans les deux sens, d'où - j'en parle incidemment - la nécessité d'arriver à une harmonisation européenne des diplômes. Nous allons nous y employer, et ce sera le thème du colloque de Bologne qui fera suite à celui de la Sorbonne, l'an prochain. Nous y discuterons de la mobilité des professeurs, et nous réfléchirons notamment aux moyens de ne pas les pénaliser sous l'angle de leurs droits à la retraite lorsqu'ils viennent enseigner dans une université étrangère. Si nous voulons favoriser la mobilité, il nous faut régler un certain nombre de problèmes administratifs. Nous avons aussi le problème de l'accueil des étudiants. Nous devons veiller à offrir aux étudiants européens de bonnes conditions de travail. La France doit se mettre au niveau des autres pays européens. Cela signifie avoir plus de bibliothèques, améliorer la qualité de notre accueil. Pour les étudiants asiatiques ou d'Amérique du Sud, venant de pays qui souhaitent rééquilibrer leurs échanges, il faudra aussi faire un effort. Les universités doivent mettre en place de véritables systèmes d'accueil des étudiants étrangers. L'agence Edufrance qui a été créée pour ces échanges, sera un partenaire très important de ces évolutions nécessaires.
Je voudrais maintenant aborder la question des nouvelles technologies. Ici et là, je perçois des craintes de certaines villes moyennes qui se demandent ce que va entraîner U3M dans ce domaine. Elles résultent la plupart du temps d'une incompréhension. Les nouvelles technologies permettent de transmettre à distance les connaissances. Elles nous posent la question du style à venir de notre enseignement oral. Faudra t-il continuer à faire des enseignements dans des locaux semblables à ce magnifique amphithéâtre ? Sans doute faudra-t-il de temps en temps se réunir comme nous le faisons aujourd'hui ; mais peut-être faut-il aussi dispenser un enseignement dans de petites salles, retransmis en des lieux multiples et permettant ainsi à des étudiants d'échanger entre eux. C'est une autre manière de travailler qu'il faut imaginer. Pourquoi alors tout concentrer en un seul lieu ? Dans ce domaine, certaines universités sont très en avance. J'ai vu l'université du Littoral fonctionner, avec des cours qui sont transmis simultanément à Dunkerque, Calais, Saint-Quentin et Boulogne. Les étudiants suivent le même cours et posent des questions au professeur qui répond, grâce à un système de téléconférence.
Dans U3M, nous aurons, parmi les investissements, non seulement des bâtiments à construire, mais aussi probablement à tirer des fibres optiques pour que les universités soient reliées entre elles.
Le grand concept d'U3M, c'est le concept de réseau. Et ce concept de réseau s'appliquera non seulement à l'enseignement, mais également à la recherche. Il nous faut accepter l'idée qu'il peut y avoir des laboratoires de recherche délocalisés qui communiquent entre eux. Prenez par exemple, le réseau américain de nanotechnologie : des plates-formes où se font des expériences, par télécommande à partir de sites éloignés. Pourquoi ne fonctionnerions-nous pas au moins en partie ainsi ? Autrement dit, il n'est pas question de concentrer, ce serait une absurdité. Le siècle qui va venir va être celui du développement des villes moyennes : nous n'allons pas faire l'inverse ! Je vois Jean Auroux, par exemple, partir à la défense des villes moyennes qu'il imagine menacées : qu'il se rassure ce n'est pas du tout l'esprit d'U3M.
Le plan U3M impliquera la recherche : dans le monde qui vient, l'innovation va être la clé du succès. L'innovation vient de la recherche et la recherche doit être liée à l'enseignement. Elle doit l'être de plus en plus. C'est ce que je veux dire quand je parle du rapprochement nécessaire entre le CNRS, l'INSERM et l'Université. La recherche doit être davantage intégrée dans l'université. Je pense à ce slogan ancien d'une marque d'essence : " mettez un tigre dans votre moteur ". Voilà ce que je voudrais faire. Mettez un tigre, la recherche, dans votre moteur, au cur de vos universités, à tous les niveaux, pas seulement en troisième cycle. L'innovation doit pénétrer d'entrée de jeu dans les universités. Nous organiserons bientôt de grands colloques pédagogiques au niveau de l'université. Les universités devront parler ensemble de ce qu'il faut enseigner. Les barrières entre les disciplines ont-elles encore un sens ? Prenez l'exemple des sciences du solide. Quelle différence y a-t-il entre la physique du solide et la chimie du solide ? Faut-il que ces matières soient séparées ou faut-il en faire un véritable cursus intégré ? Prenez l'exemple de l'informatique et de la biologie : on s'aperçoit maintenant que code génétique et codes informatiques peuvent se construire à partir des mêmes traitements mathématiques, on s'aperçoit en outre que la technologie des puces permet de faire des analyses en biochimie. Faut-il donc séparer les informaticiens d'un côté, et ceux qui s'occupent de génomique de l'autre ? Evidemment non.
Les barrières entre les disciplines vont éclater. A l'origine, les spécialisations étaient extrêmes : on avait même séparé la géographie physique et la géographie humaine : cela a t-il un sens, alors qu'aujourd'hui on parle d'environnement ? Nous avons un grand effort scientifique à déployer pour intégrer pleinement cette recherche et naturellement c'est dans la diversité de chaque université que cela doit se faire.
Je voudrais à ce propos effacer un concept qui traîne, un mot que je n'aime pas. Le mot : pôle d'excellence. Tout le monde doit viser à l'excellence. L'excellence ne se décrète pas, surtout pas depuis le ministère de l'Education nationale. Elle se constate. Et tout le monde a vocation à être excellent. Les grands instituts comme les plus petites équipes, comme chaque individu. On parle souvent du Massachusetts Institute of Technology, une université que je connais bien, de l'intérieur, qui compte cinq mille étudiants. Or le MIT crée 1500 entreprises par an. Donc le gigantisme n'est pas nécessairement le plus productif. Ceux qui veulent être gros ont le droit d'être gros, ceux qui veulent être plus petits ont le droit d'être plus petits. Ce qu'il faut dans ce monde, c'est rechercher l'excellence dans la diversité. C'est vrai qu'il faut se spécialiser. Dans une compétitivité mondiale, il faut trouver des créneaux et être les meilleurs.
Je vais maintenant vous exprimer notre méthode pour U3M, qui est très simple. J'ai rédigé, avec mon équipe, un texte de cadrage général qui couvre en substance un certain nombre de points que je viens de vous exposer. Je souhaite que vous réfléchissiez à ce que doit être l'Université du 3ème millénaire, intégrant les nouvelles technologies. Songez que vous êtes désormais ouverts sur le monde. Dans U3M, l'étudiant doit bénéficier d'un quart au moins des investissements. Ceci concerne leur vie en général : pas seulement l'accueil dans les classes, mais également le logement, les bibliothèques, la vie quotidienne. J'ai d'autre part mis en place, après en avoir déterminé la composition, avec beaucoup de soin, un comité national de pilotage, présidé par Guy Aubert, ancien directeur général du CNRS, mais également ancien directeur de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, actuellement conseiller d'Etat. Guy Aubert est un universitaire ; il connaît bien la recherche. Il est donc tout à fait compétent pour piloter ce plan. Le comité de pilotage comprend des universitaires, des urbanistes, des personnalités du monde économique, des personnalités du monde politique, le Plan, l'Aménagement du Territoire. Il doit réfléchir à la logique d'ensemble.
Parallèlement, dans chaque académie, dans chaque région, réfléchissent, coordonnés par les recteurs et les préfets, les universitaires et les responsables concernés par U3M : ils doivent faire remonter les projets. Je vous le dis tout de suite, ne me demandez pas ce qu'il va y avoir dans U3M, je ne le sais pas et je ne veux pas le savoir. Je vois fréquemment des maires qui me demandent ce que je pense de tel projet. Ce n'est pas la bonne question. Il y a une volonté du gouvernement de jouer la carte de la déconcentration et de l'autonomie. Si vous voulez faire avancer des projets, l'Etat vous aidera. Le dialogue avec le ministre devra attendre les phases ultérieures. Le groupe de pilotage va se déplacer, discuter avec tous les acteurs concernés ; je le laisse travailler librement. L'université doit s'organiser, en ouvrant le dialogue avec les régions : l'Etat ne doit rien imposer.
Nous ne mettrons pas en mouvement ce pays si nous ne faisons pas confiance à la base. Je sais que c'est difficile, je le vois dans un domaine différent qui est celui des lycées. Dans les lycées, les proviseurs, les professeurs et les élèves semblent avoir des difficultés à parler entre eux. Alors les lycéens manifestent et viennent rue de Grenelle. Mais il faut qu'ils parlent ensemble localement. C'est sur le terrain que s'établit le dialogue. C'est la même chose pour U3M. Ce n'est pas à nous de provoquer le dialogue avec les régions. Bien sûr, dans chaque région il y aura des discussions, il y aura des points de vue différents, c'est tout a fait normal. Puis, à un certain moment, il faudra que l'Etat arbitre. Il s'appuiera alors sur le travail du groupe de pilotage national. Il ne va pas arbitrer seul. Je me suis opposé catégoriquement à cette méthode qui consistait depuis des années à fabriquer ce que l'on appelle les CIAT (comités interministériels d'aménagement du territoire), d'où sortaient des décisions arbitraires sans discussion sérieuse préalable. On apprenait subitement que telle école était délocalisée à tel endroit. Ce n'est pas une bonne méthode. Vous savez que la délocalisation de l'Ecole Normale de Saint-Cloud à Lyon n'a finalement entraîné le départ effectif que d'une seule personne. On a en fait reconstruit une nouvelle Ecole Normale Supérieure. Au contraire, l'Ecole Normale de Saint-Cloud-Fontenay (lettres), a décidé après mûres réflexions de rejoindre l'Ecole des sciences à Lyon. Voilà la bonne démarche.
Et que les Parisiens ne se disent pas que la province est sous-développée scientifiquement. Par exemple, la chimie y est mieux développée qu'à Paris, tout comme les sciences de l'ingénieur. On pourrait citer bien d'autres exemples. Le désert scientifique n'existe plus maintenant. Mais pour attirer les chercheurs quelque part, il faut que les provinciaux séduisent, non pas les appareils administratifs, mais les personnes. Il faut séduire des équipes. Et cela se confirme de plus en plus, parce que les succès des équipes provinciales existent : Jean-Marie Lehn a eu le prix Nobel, il est à Strasbourg, il continue d'y avoir son laboratoire. Il est même en train de développer un nouvel institut à Strasbourg. Cette démarche doit être concomitante avec le plan U3M. Je ne mettrai pas tel ou tel appareil à un endroit avec l'idée d'y développer la physique ou la biologie. Si des projets dans différentes villes de province existent et sont scientifiquement tenables, ils doivent voir le jour. Cela dit, la délocalisation doit être acceptée par tout le monde. Je ne crois pas aux méthodes autoritaires, l'expérience prouve que ce n'est pas la bonne démarche. Ce n'est pas seulement une question de philosophie.
Je vous demande aux uns et aux autres de travailler, de dialoguer, de proposer de beaux projets, de bons projets, des projets raisonnables. Là aussi, il faut éviter ce syndrome dont nous sommes tous atteints dans l'université. C'est le syndrome qui consiste à vivre pendant des années dans un "taudis", à râler tous les jours mais finalement à y vivre ; et quand un peu d'argent est proposé, on voudrait tout de suite les jardins suspendus de Babylone. Il faut se tenir entre les deux. Il faut élaborer des projets raisonnables, et en même temps des projets audacieux, ambitieux, soutenus. Autrement dit, si je voulais résumer, Université 2000 a été un plan dans lequel le béton soutenait la matière grise. Donc, U3M c'est la matière grise qui devra soutenir le béton. Pour terminer, je voudrais rappeler que ce colloque est organisé avec le Sénat qui est le symbole des collectivités territoriales, à la demande des sénateurs lors d'une de mes auditions. Ces dialogues avec les commissions parlementaires, aussi bien au sénat qu'à l'assemblée nationale, sont un élément essentiel de la démocratie. Il ne doivent pas se limiter au ministre. Je crois ainsi qu'il est souhaitable que la conférence des présidents d'universités soit entendue par les commissions parlementaires, c'est une pratique qui doit s'instaurer. Il faut qu'à tous les niveaux, entre les responsables politiques, les responsables des régions, les responsables du Parlement, et les universités puissent interagir. Je demande quant à moi aux recteurs, aux inspecteurs d'académies de parler avec les responsables politiques, de ne pas rester enfermés, au nom d'une neutralité de l'administration mal comprise. L'Etat, c'est aussi la représentation démocratique. Il nous faut fonctionner ainsi sans esprit partisan : tout le monde dans notre pays veut que l'université française soit la meilleure possible. Je suis convaincu que tous sont prêts à travailler dans ce but. Je suis donc heureux d'accueillir Monsieur le Président Poncelet qui, je le sais, est un grand partisan du développement de l'université française avec la région. Merci, encore une fois !
(source http://www.education.gouv.fr, le 17 septembre 2001)