Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, à RTL le 25 novembre 2005, sur le logement social, les jeunes des zones urbaines sensibles (ZUS) et la précarité au travail .

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Dominique de Villepin.
Dominique de Villepin : Bonjour, Jean-Michel Aphatie.
Jean-Michel Aphatie : Lors de votre arrivée à Matignon, vous vous étiez donné 100 jours pour rétablir la confiance. Voilà bientôt six mois, presque 200 jours, que vous êtes dans l'action, et vous avez pu entendre, ce matin sur RTL, Alain Duhamel parler longuement, durement du malaise social français. Avez-vous échoué à rétablir la confiance, Dominique de Villepin ?
Dominique de Villepin : J'avais parlé de rétablir les conditions de la confiance. C'est-à-dire, nous doter d'un certain nombre d'outils et avec la priorité, que je m'étais fixée c'est-à-dire l'emploi nous doter d'un certain nombre d'outils nouveaux qui allaient nous permettre de faire reculer le chômage. Je constate que, quand je suis arrivé, il y avait 10,2 % de chômeurs, dans ce pays. Aujourd'hui, nous en sommes à 9,8 : nous progressons.
Nous avons une croissance qui, au troisième trimestre, a été de 0,7 %, la plus importante des grands pays Europe. C'est dire que, dans ce pays, tout ne va pas mal, Jean-Michel Aphatie. Je suis, néanmoins, tout à fait d'accord avec Alain Duhamel : il reste beaucoup à faire.
Jean-Michel Aphatie : Vous voyez bien l'inquiétude !
Dominique de Villepin : Et c'est un immense effort collectif que nous devons faire en nous mobilisant sur l'essentiel. Si nous pouvions essayer de laisser de côté toutes les querelles et les polémiques, et de ce point de vue, je souscris tout à fait à ce qu'a dit Alain Duhamel : et bien, nous réussirons plus tôt à sortir des difficultés.
Jean-Michel Aphatie : Bernard Thibault, cette semaine, dans "Challenge" dit, contrairement à ce que vous aviez annoncé, vous, Dominique de Villepin, le 6 octobre : 48 heures après une journée de manifestations : rien sur le pouvoir d'achat, rien sur la précarité. "Il y a urgence", dit Bernard Thibault. Il appelle à un nouveau mouvement interprofessionnel. Cela vous inquiète, Dominique de Villepin ?
Dominique de Villepin : Qu'est-ce que j'ai fait, depuis la journée du 4 octobre ? J'ai rassemblé, les uns après les autres, les différents représentants syndicaux, l'ensemble des partenaires sociaux. Et je les ai reçus, j'en reçois encore tout à l'heure. Et, d'ici quelques jours une huitaine de jours, le temps de faire la synthèse des propositions possibles et bien, je présenterai les éléments nouveaux qui alimenteront le dialogue social nous permettrons de travailler tout au long des prochains mois et répondrons, sur les trois grands sujets qui ont été à l'ordre du jour de nos rencontres : la sécurisation des parcours professionnels. Le pouvoir d'achat : nous avons déjà fait un certain nombre de choses dans ce domaine. Et l'égalité, puisque c'est une préoccupation aussi pour l'ensemble des français : l'égalité au travail, notamment.
Jean-Michel Aphatie : Donc, concrètement, vous ferez bientôt des propositions aux syndicats dans ce domaine ?
Dominique de Villepin : Je ferai, d'ici huit dix jours, des propositions dans ce domaine et qui seront la synthèse des conversations, des entretiens, de la concertation que j'ai eus avec les partenaires sociaux.
Jean-Michel Aphatie : Le calme est revenu, dans les banlieues. Il faut maintenant traiter les problèmes de fond. "Le Figaro" annonce que vous allez proposer un projet de loi pour assurer l'égalité des chances. Vous le confirmez, Dominique de Villepin ?
Dominique de Villepin : Nous travaillons, actuellement, pour mettre en oeuvre les mesures que j'ai annoncées à la tribune de l'Assemblée Nationale. J'ai présenté, sur l'ensemble du dossier, dans le domaine de la sécurité, bien sûr, parce que le retour à l'ordre public doit se faire et doit se faire durablement - et nous voulons prendre des dispositions pour faire en sorte que de telles situations ne puissent pas se reproduire. Nous avons déployé, dans les banlieues, des unités mobiles : 1.800 hommes supplémentaires, pris des dispositions d'organisation pour renforcer la police de proximité : 2.000 hommes qui seront déployés parmi les adjoints de sécurité.
Et puis, bien sûr, les problèmes de fond sont là : personne ne peut les ignorer. C'est vrai dans le domaine social avec plusieurs priorités : le logement. Il faut continuer à détruire les barres, les tours et reconstruire. Nous voulons le faire dans des délais très courts. C'est ce qui a été engagé par Jean-Louis Borloo : 18 mois. Jean-Louis Borloo s'exprime, dans un grand quotidien, ce matin.
Jean-Michel Aphatie : "Le Parisien" !
Dominique de Villepin : Et avec beaucoup de précisions, et beaucoup de force, les engagements qui sont les nôtres. Six milliards par an, là où il n'y avait que quelques dizaines de milliers, de millions au cours des dernières décennies. C'est un engagement absolument phénoménal. Je serai à Meaux, tout à l'heure, pour constater ce que donne un quartier la Pierre Collinet ou Beauval quand ce travail de rénovation a été fait. Et bien, ce n'est pas la même vie, et ce n'est donc pas les mêmes événements que nous constatons là.
Jean-Michel Aphatie : Et donc un projet de loi aussi ?
Dominique de Villepin : Je l'ai dit : logement, l'emploi. Nous allons recevoir un certain nombre de jeunes issus des zones urbaines sensibles. Et puis, l'éducation. Je présenterai, lors de ma conférence de presse de la semaine prochaine, les mesures qui me paraissent essentielles dans le domaine de l'éducation. Et puis, dans la mesure où il faudra modifier la loi je le dis : dans la mesure seulement où il faudra modifier la loi nous ramasserons l'ensemble de ces propositions dans le cadre d'un projet.
Jean-Michel Aphatie : Donc, rien n'est sûr là-dessus, encore : sur la présentation d'un projet ?
Dominique de Villepin : Nous travaillons sur l'ensemble de ces mesures, et ce qui relève de la loi fera l'objet d'un projet de loi.
Jean-Michel Aphatie : "Proclamer l'égalité devant la loi ne suffit pas, il convient désormais de promouvoir aussi l'égalité par la loi. L'égalité réelle des chances passe par la discrimination positive". C'est Nicolas Sarkozy qui l'a dit, ce matin. C'est peut-être un faux débat, mais Nicolas Sarkozy le pose comme cela.
Dominique de Villepin : Alain Duhamel a tout dit !
Jean-Michel Aphatie : Et vous, que dites-vous ?
Dominique de Villepin : Je me réfère toujours aux grands auteurs : il a tout dit. Nous sommes d'accord avec Nicolas Sarkozy pour ne pas céder à des batailles sémantiques. Que disons-nous ? Nous disons que, quand il y a des inégalités, il faut les corriger. Mais, il ne faut pas les corriger en rognant ce qui est notre modèle français : un modèle universaliste qui fait de chaque individu un individu respecté pour ce qu'il est, indépendamment de sa couleur de peau, indépendamment de sa sensibilité. Et donc, il s'agit de corriger les inégalités, corriger les handicaps - à partir de critères individuels ou de critères de territoires - mais sans prendre en compte l'ethnie, la religion, la race.
Jean-Michel Aphatie : Sans faire de discrimination positive ?
Dominique de Villepin : Ce qui est la caractéristique de la discrimination positive. Mais, à partir du moment où, avec Nicolas Sarkozy nous sommes d'accord pour ne pas prendre en compte l'ethnie, la race ou la religion, et bien, nous disons la même chose : nous sommes tous les deux désireux d'avancer et de corriger les choses.
Jean-Michel Aphatie : L'égalité réelle des chances passe par la discrimination positive. Vous, vous ne dites pas cela ?
Dominique de Villepin : J'ai appris à me méfier des titres. Ce que je constate, c'est que nous disons la même chose et nous travaillons dans la même direction.
Jean-Michel Aphatie : Vous avez souhaité - le président de la république aussi a souhaité - que les communes respectent l'engagement prévu dans la loi : construire 20 % de logements sociaux dans les communes.
Dominique de Villepin : Il faut appliquer la loi, toute la loi, et le président de la république l'a rappelé.
Jean-Michel Aphatie : Et vous le dites ! Nicolas Sarkozy a dit, dans "Ouest-France" : "On ne va pas couvrir la France de logements sociaux !" Il n'y a pas un désaccord, là, entre vous ? Et cela ne nuit pas à votre autorité, Dominique de Villepin, ces désaccords répétitifs ?
Dominique de Villepin : Je constate que la majorité qui est la nôtre a engagé, en matière de logement social, là encore, un effort sans précédent : 80.000 logements sociaux mis en chantier en 2005, là où il n'y avait, dans les années 2000, pas plus de 35.000 logements sociaux. Donc, je constate que nous sommes au rendez-vous du logement social. Alors, il y a un problème de répartition sur le territoire et, il est vrai, qu'il y a des communes où le bâti est déjà extrêmement important.
Alors, comment faire quand une commune est fortement urbanisée, et là où il y a peu d'espace foncier ? Et bien, nous avons la possibilité, et c'est la demande que nous avons faite aux préfets : nous offrons aux maires la possibilité, dans chacune de leur commune, de réserver un programme de logement social sur chaque construction nouvelle. Donc, vous voyez, il y a des solutions pour tout le monde, y compris pour Nicolas Sarkozy.
Jean-Michel Aphatie : Et si des maires ne respectent pas - je crois que vous avez dit devant l'Assemblée des Maires que, à la fin de l'année, vous feriez un bilan - si des maires ne respectent pas la loi, vous entendez prendre des sanctions, Dominique de Villepin ?
Dominique de Villepin : En 2006, au début 2006, nous avons un rendez-vous : c'est la loi qui l'a fixé. Nous évaluerons les résultats donnés par l'application de la loi et, à partir de là, bien sûr, nous serons amenés à prendre les décisions qui s'imposent, mais nous sommes très désireux d'avancer dans ce domaine. C'est à la fois une exigence de mixité sociale - et on voit bien que nous avons besoin d'éviter à tout prix de constituer de véritables ghettos sur notre territoire - et, en même temps, c'est une question de justice.
Jean-Michel Aphatie : Je reviens sur ma question. Cette différence de tonalité, qui n'est quand même pas que de l'invention, avec Nicolas Sarkozy, ne nuit-elle pas à votre autorité ?
Dominique de Villepin : Mais je crois, au contraire, qu'elle enrichit le gouvernement. Le fait que nous ayons des sensibilités. Est-ce que Jean-Louis Borloo s'exprime comme moi ? Non !
Jean-Michel Aphatie : Mais vous dites la même chose sur le fond. Nicolas Sarkozy ne dit pas la même chose sur le fond que vous.
Dominique de Villepin : Et nous réfléchissons. Nous nous interrogeons. Quand Alain Duhamel dit : "Nous sommes confrontés à une situation difficile", oui. Et qu'est-ce qu'on fait quand la situation est difficile ? Qu'est-ce qu'on fait à l'intérieur de sa famille ? Eh bien, on en parle, on en débat ! Le débat, aujourd'hui, c'est nous qui le menons. Je m'en réjouis. C'est un débat essentiel. Il s'agit de savoir quelle est la meilleure solution à chaque étape. Nous avons nos sensibilités, nous avons nos tempéraments. Nous l'exprimons, et puis nous décidons. Je fixe le cap, et à partir de là, tout le monde se rassemble.
Jean-Michel Aphatie : Souhaitez-vous, Dominique de Villepin que certains parlementaires de votre majorité le demandent, que des chanteurs de rap, qui appelleraient, selon ces parlementaires, à la haine raciale et à la violence, soient poursuivis ?
Dominique de Villepin : D'abord, je suis très désireux, dans cette période - c'est, je crois, l'une de mes premières responsabilités - d'éviter toute forme d'amalgame ou de bouc-émissaire. Si vous me posez la question : est-ce que le rap est responsable de la crise des banlieues ? Je vous réponds, monsieur Aphatie : non ! Est-ce que, quand on écrit une chanson, quand on écrit un livre, quand on fait un film, quand on s'exprime, est-ce qu'on a une responsabilité ? Oui ! Tous les appels à la haine, tous les appels à la violence, tous les appels à l'intolérance, au racisme, à l'antisémitisme, sont, bien sûr condamnés dans notre pays, et la justice a à se prononcer. Vous voyez, il n'y a pas besoin de se faire des noeuds dans la tête.
Jean-Michel Aphatie : Mais, souhaitez-vous que la justice soit active et que le ministère public lance des poursuites contre les auteurs de ces paroles ?
Dominique de Villepin : La justice, chaque fois qu'elle constatera qu'il y a des appels à la haine, peut bien sûr être saisie.
Jean-Michel Aphatie : En l'occurrence ?
Dominique de Villepin : En l'occurrence, il appartient à ceux qui suivent les différents groupes en question de le dire. A la justice de faire son travail. Ne confondons pas les rôles.
Jean-Michel Aphatie : L'UDF n'a pas voté votre budget cette semaine, Dominique de Villepin. Quelle est votre réaction ?
Dominique de Villepin : Je le regrette, je le regrette, je le regrette. Je constate que l'UDF s'est d'ailleurs divisée, puisqu'une moitié n'a pas voté et l'autre moitié, soit n'a pas participé au vote, s'est abstenue ou a voté pour le budget. Je constate que dans une période difficile, il est essentiel que des familles proches se rassemblent.
Alors, il y a bien sûr, vous le savez, devant nous l'échéance présidentielle, et je constate que déjà, un certain nombre de partis politiques ne pensent plus qu'à çà. Et je le regrette ! Parce que, dans la difficulté, nous serons jugés, tous : majorité, opposition, soutiens plus ou moins affirmés à la majorité, en fonction de ce que nous aurons fait et dit dans cette période. Alors, certains pensent qu'il faut prendre date, et que s'opposer à tout prix à un gouvernement qui ne réussirait pas, qui ne marquerait pas de points, ce serait une bonne chose pour l'avenir.
Qu'est-ce que je constate ? Les 3 moteurs de la croissance : la consommation, l'exportation - qui ne se portait pas bien, il y a quelques mois et qui repart très fortement - l'investissement. Eh bien, ils sont tous au rendez-vous. Je constate une fois de plus : la croissance, l'une des plus fortes d'Europe, les demandeurs d'emploi (100.000 demandeurs d'emploi en moins dans notre pays). Le contrat nouvelle embauche (nous avons passé le cap des 200.000).
C'est dire que les efforts des Français payent et, croyez-moi, Jean-Michel Aphatie, ce sera de plus en plus vrai au fil des mois. Il n'y a pas de fatalité à la crise. Il y a des jeunes et des moins jeunes qui, dans ce pays, ont une vitalité extraordinaire et qui veulent avancer. Alors, que notre pays investisse, que notre pays se mobilise ! Et, je le dis particulièrement ici aux chefs d'entreprise : c'est le moment d'investir avec des taux d'intérêts bas, une taxe professionnelle rénovée. Toutes les conditions sont là pour que notre pays avance.
Jean-Michel Aphatie : Dans votre esprit, Dominique de Villepin, François Bayrou est dans l'opposition aujourd'hui ?
Dominique de Villepin : Jean-Michel Aphatie, moi je ne cherche pas à diviser les uns et les autres.
Jean-Michel Aphatie : Une question simple : il est dans la majorité ou il est dans l'opposition ?
Dominique de Villepin : Vous lui poserez la question.
Jean-Michel Aphatie : C'est à vous que je la pose, Dominique de Villepin.
Dominique de Villepin : Chacun prend sa responsabilité, c'est çà la politique.
Jean-Michel Aphatie : Est-il dans l'opposition ou dans la majorité pour vous ?
Dominique de Villepin : Chacun prend ses responsabilités.
Jean-Michel Aphatie : Donc, je n'aurai pas de réponse à ma question.
Dominique de Villepin : Vous n'aurez pas de réponse.
Jean-Michel Aphatie : Alors, une autre question. Vous suivez sans doute comme nous cet extraordinaire procès en appel de l'affaire d'Outreau. Et un soir de cette semaine, un ex-accusé, innocenté depuis, se demandait comment le magistrat instructeur, responsable de ce désastre judiciaire, pouvait encore exercer son métier dans la magistrature. Est-ce une question que vous vous posez, Dominique de Villepin ?
Dominique de Villepin : C'est une question que l'on se pose devant chaque drame. La justice n'est certes pas infaillible, et il faut faire en sorte que, à chaque fois, on puisse tirer les leçons. Que Outreau, le drame d'Outreau, nous avons tous vu ces hommes et ces femmes dont la vie a été brisée, qui ont été salis par cette horrible procès. Nous avons tous vu et tous en tête le drame personnel qui est le leur.
Je crois qu'il est très très important d'en tirer toutes les leçons, et c'est ce que j'ai demandé au Garde des Sceaux, de faire des propositions de façon à ce que de tels drames ne puissent pas se reproduire. Réfléchir sur ce que doit être la véritable responsabilité des magistrats. Une fois de plus, ces choses-là, il faut les faire dans la sérénité. Une démocratie sait traiter et répondre à ces questions, mais le faire en dehors des passions, c'est essentiel si nous voulons vraiment prendre les meilleures solutions dans la durée.
Jean-Michel Aphatie : Quand cette affaire sera terminée, l'appareil d'Etat cherchera-t-il à explorer la responsabilité des magistrats en cause dans cette affaire d'Outreau ?
Dominique de Villepin : La réflexion a déjà été engagée au sein de la chancellerie.
Jean-Michel Aphatie : Dominique de Villepin qui est, depuis 200 jours bientôt à Matignon - le temps passe - est toujours optimiste !
Dominique de Villepin : Le temps passe et c'est toujours un même bonheur que d'être au service des Français !
Jean-Michel Aphatie : Vous étiez l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée !


(Source : Premier-ministre, Service d'information du Gouvernement, le 28 novembre 2005)