Texte intégral
DAVID PUJADAS - Bonsoir, Dominique de VILLEPIN.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Bonsoir, monsieur PUJADAS.
DAVID PUJADAS - Le CPE ne crée pas la précarité, on sait que les jeunes sont très touchés par le chômage, les CDD, l'intérim. Mais est-ce qu'elle ne la formalise pas, cette précarité ? Est-ce qu'elle n'en fait pas la référence ? Est-ce que c'est un progrès ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est un grand progrès pour notre pays. Il suffit de partir de la réalité que connaissent aujourd'hui les jeunes dans notre pays, et ce, depuis plus de vingt ans. Quelle est cette réalité ? 23 % de jeunes au chômage, 40 % des jeunes non qualifiés au chômage, et une période entre huit et onze ans pour entrer de manière stable sur le marché de l'emploi...
DAVID PUJADAS - Donc, déjà, la précarité...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ça, c'est inacceptable. C'est ce que nous refusons. Vous l'avez vu tout à l'heure, il s'agit en fait beaucoup moins d'un débat entre la droite et la gauche, qu'un débat entre ceux qui veulent changer cette situation et ceux qui s'accommodent d'une situation qui - nous le voyons - est inacceptable. Aujourd'hui, le contrat première embauche, c'est un contrat à durée indéterminée, un vrai contrat à durée indéterminée...
DAVID PUJADAS - Mais avec la possibilité pour l'employeur de se séparer à tout moment pendant deux ans...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - D'abord, et c'est important, avec une véritable rémunération, une pleine rémunération. L'employeur n'aura pas la possibilité de se séparer du jour au lendemain de son employé. J'ai vu la remarque qui a été faite, cela ne correspond pas à la réalité. Pourquoi ? Parce qu'il y a un préavis. Dans ce contrat, pendant deux ans, l'employé, le jeune, le jeune français construira ses droits. C'est-à-dire qu'à mesure du temps qu'il passera dans l'entreprise, chaque mois, il aura davantage de droits : une indemnité qui ira en s'accroissant, un préavis qui s'accroîtra, un droit individuel à la formation. La question a été posée par un des jeunes : Est-ce que ce contrat me permettra d'avoir mieux accès au crédit ? Est-ce qu'il me permettra d'avoir un logement ? Eh bien, oui ! La Fédération bancaire française s'est engagée à considérer le contrat première embauche, comme le contrat nouvelles embauches, comme un véritable contrat à durée indéterminée pour l'accès au crédit. Pareil pour le logement...
DAVID PUJADAS - Un geste de bonne volonté. Mais est-ce qu'il engage vraiment les acteurs ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ce n'est pas... Non, non. C'est la reconnaissance d'un contrat à durée indéterminée. Prenons le cas du logement. Quand vous voulez louer un appartement, avec le contrat première embauche, comme le contrat nouvelle embauche, vous aurez accès au système LOCAPASS. C'est-à-dire que la caution qu'aujourd'hui, le jeune ne peut pas payer, cette caution, elle lui sera garantie et le remboursement de la caution s'étalera dans le temps.
DAVID PUJADAS - C'est une garantie sur dix-huit mois seulement, on voit tout de même qu'il y a...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais c'est la possibilité pour le jeune d'acquérir son logement, de sortir donc de la situation dans laquelle il est. Monsieur PUJADAS, aujourd'hui, la situation, c'est un enchaînement de stages, tous les jeunes que j'ai reçus en témoignent, un enchaînement de CDD ; la situation entre le CDI contrat première embauche et les CDD n'est absolument pas comparable. Il y a là un progrès tout à fait considérable...
DAVID PUJADAS - Ça, c'est la vérité. Mais tout de même, Monsieur le Premier ministre, est-ce qu'on ne fait pas de la précarité la pierre angulaire du droit du travail en la formalisant finalement, en en faisant la référence, ce que je disais ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est pour cela que nous voulons bâtir, justement pas, nous voulons bâtir un vrai parcours d'accès à l'emploi. Aujourd'hui, ce qui est difficile, c'est de rentrer dans le marché de l'emploi, je vous l'ai dit, entre huit à onze ans. C'est pour cela que nous avons voulu limiter les abus qui concernent les stages. Les stages, désormais, seront organisés, au-delà de trois mois, ils seront rémunérés, ils s'inscriront dans le parcours professionnel et dans le parcours universitaire du jeune. De la même façon, l'alternance sera mieux reconnue et les entreprises devront embaucher davantage d'apprentis. Donc, vous le voyez bien, c'est un véritable parcours que nous créons pour sécuriser la situation du jeune.
DAVID PUJADAS - Mais tout de même, le but, c'est de donner plus de souplesse, pour employer un terme positif, pour les entreprises. Est-ce que ce n'est pas plus de flexibilité au détriment du salarié ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Le jeune et... et la chef d'entreprise, que vous avez interviewée, l'ont dit très clairement. Il s'agit d'un contrat de confiance entre l'entreprise et le jeune. Cela veut dire que quand vous avez contribué à la formation pendant deux ans, pendant vingt-quatre mois d'un jeune, ce n'est pas pour, tout à coup, lui dire : Je n'ai plus besoin de vous. Parce que préparer un jeune, c'est investir, donc c'est véritablement, une fois de plus, bâtir un parcours d'emploi et c'est donner une chance à chacun, mettre le pied à l'étrier à chacun.
DAVID PUJADAS - Ce n'est pas un tournant libéral quand même dans notre droit du travail ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est l'adaptation de notre pays à la modernisation, avec des garanties. Et c'est en cela que c'est un contrat moderne, un contrat très protecteur, avec des garanties qui n'existaient pas pour les jeunes. Les jeunes aujourd'hui n'ont pas droit à une indemnisation du chômage, ils n'ont pas droit à un droit individuel à la formation, ils n'ont pas droit à l'ensemble de ces bénéfices comme l'accès au crédit et l'accès au logement. Donc, vous voyez bien, il s'agit d'un véritable progrès, d'un véritable contrat à durée indéterminée. Tous ceux qui aujourd'hui accèdent directement au CDI classique continueront de le faire. Nous l'avons observé sur...
DAVID PUJADAS - Mais les employeurs seront quand même tentés d'employer le CPE...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous l'avons observé sur le contrat nouvelle embauche : il n'y a pas d'effet d'éviction. C'est-à-dire que ceux qui seront... aujourd'hui, ceux qui étaient employés en CDI continueront à l'être, classique, comme hier.
DAVID PUJADAS - Pourquoi dans ces conditions avoir décidé d'accélérer le calendrier, de précipiter les choses pour que le CPE soit examiné au plus vite à l'Assemblée, en clair avant les manifestations prévues le 7 février ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Pas du tout.
DAVID PUJADAS - On vous reproche d'esquiver le débat.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais pas du tout ! Le débat, nous l'avons depuis des mois et nous n'avons pas cessé de multiplier les rencontres. Pour moi, la règle politique...
DAVID PUJADAS - Les syndicats disent qu'ils n'ont pas été consultés.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je n'ai pas cessé, tout au long des derniers mois, de rencontrer les partenaires sociaux, comme Jean-Louis BORLOO et l'ensemble des ministres concernés. Pour moi, il y a quelque chose qui s'impose à nous tous, c'est l'urgence de la situation à laquelle les jeunes sont confrontés. Je ne peux pas admettre que notre pays reste les bras croisés, et je l'ai dit à l'Assemblée nationale. Le Parti socialiste n'a jamais évoqué, au cours des dernières années, le problème des jeunes. Or, c'est un problème central. Quand on s'interroge : Pourquoi est-ce que les Français sont inquiets devant l'avenir ? Tout simplement parce qu'ils constatent que la situation qui est aujourd'hui faite aux jeunes, cela inquiète les parents, cela inquiète les grands-parents, cela inquiète les amis, n'est pas admissible...
DAVID PUJADAS - Vous dites l'urgence...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Donc, nous nous retroussons les manches et nous le faisons avec d'autant plus de conviction que nous voyons que l'effort fait par les Français, il donne des résultats. Quand nous voyons qu'en 2005...
DAVID PUJADAS - On va en parler, mais simplement, Dominique de VILLEPIN...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - ... 225 000 créations d'entreprises, on a battu tous les records en 2005. Quand nous voyons la baisse continue du chômage, au-delà des polémiques, parce qu'on peut toujours émettre des polémiques sur tout, la réalité, c'est que nous sommes en train de gagner la bataille pour l'emploi et que cette bataille, elle implique que nous nous dotions de tous les outils nécessaires.
DAVID PUJADAS - D'un mot quand même avant de parler du chômage, si les manifestants sont très nombreux le 7 février, vous les écouterez, vous modifierez le projet ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je ne cesse de vouloir apporter des réponses à leurs inquiétudes et à leurs attentes. Ce que...
DAVID PUJADAS - Donc, vous en tiendrez compte ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ce que je veux, ce que je veux, c'est que chacun puisse faire face à la même réalité. Vous savez, la politique, ce sont souvent des échanges polémiques et idéologiques. Si nous partons tous du constat de la situation actuelle, je n'ai aucun doute sur le fait que l'ensemble de nos compatriotes comprendront que ce que nous proposons, c'est un progrès pour la société française tout entière et c'est un progrès pour l'ensemble des jeunes français.
DAVID PUJADAS - Vous dites, le chômage baisse, mais est-ce qu'il n'y a pas une partie de cette baisse qui est un peu en trompe l'?il ? 120 000 chômeurs en moins en gros pour l'année 2005, mais on voit qu'il y a 60 000 érémistes en plus, qui sont des gens, peut-être, qui étaient auparavant à l'ANPE et qui ont été radiés. Est-ce qu'il n'y a pas un effet de vase communicant ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Non, non, non. Non, David PUJADAS. Toutes les statistiques sont parfaitement claires là-dessus. Depuis que je suis Premier ministre...
DAVID PUJADAS - Ces chiffres-là sont exacts.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est 170 000 chômeurs en moins depuis que je suis arrivé à Matignon, 170 000 chômeurs en moins.
DAVID PUJADAS - Moi, je prenais l'année 2005.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Les radiations, qui sont la prise en compte de ceux qui n'ont pas leur place comme demandeurs d'emploi, sont inférieures en 2005 par rapport à 2004. Donc, on ne peut pas expliquer la baisse du chômage par les radiations. Et...
DAVID PUJADAS - Et les départs en retraite ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Et l'ensemble des différentes catégories, c'est-à-dire les jeunes, les seniors, les femmes bénéficient de cette baisse du chômage. Par ailleurs, l'effet démographique, nous le savons tous, il ne jouera véritablement qu'à partir de la fin 2006. Alors, on peut sciemment ou inconsciemment tout mélanger, la réalité, c'est que nous progressons. Je crois qu'il faut savoir, quand on décrète une mobilisation générale, car, cette mobilisation, elle est générale, le service public de l'emploi, il y a encore quelques mois, recevait les demandeurs d'emploi une fois par an ou une fois tous les deux ans. Désormais, c'est tous les mois et sur un mode personnel, c'est-à-dire que c'est la même personne à l'ANPE qui va recevoir le jeune chômeur ou le demandeur d'emploi et qui va l'accompagner dans sa recherche de l'emploi. Par ailleurs, parce que c'est les droits et devoirs dans notre pays, il y a désormais un suivi du retour à l'emploi, c'est-à-dire que nous contrôlons la réalité des propositions qui sont faites et la réalité de la situation du demandeur d'emploi. Tout ceci, c'est l'exercice des responsabilités dans notre pays.
DAVID PUJADAS - Alors, il y a un dernier sujet qu'on va évoquer, qui intéresse aussi les Français sur lequel ils s'interrogent, monsieur le Premier ministre, c'est l'OPA de MITTAL STEEL sur ARCELOR. Lakshmi MITTAL, le patron d'origine indienne, a poursuivi aujourd'hui son offensive de charme. Il était au Luxembourg. Il faut savoir que le duché est actionnaire à hauteur de 5 % d'ARCELOR. Mais, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude JUNCKER, a lui aussi rejeté cette OPA parce qu'il estime, notamment, qu'il n'y pas de concept industriel européen dans cette offre. Alors, on ne vous a pas entendu sur le sujet, Dominique de VILLEPIN. Est-ce que vous appelez, cette fois encore, au patriotisme économique comme vous l'aviez fait, par exemple, sur DANONE ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Alors, nous sommes dans une économie ouverte. Dans une économie ouverte, ce sont les règles du monde dans lequel nous vivons. Il y a une OPA qui est faite sur une société européenne de droit luxembourgeois, ARCELOR. Cette offre, elle est peu satisfaisante dans la forme puisqu'il s'agit d'une offre très inamicale, comme l'a très bien dit Thierry BRETON. Il s'agit d'une offre qui pose problème sur le fond puisqu'elle s'accompagne, à ma connaissance, aujourd'hui d'aucun véritable projet industriel. Donc, cette offre, elle pose un certain nombre de questions. À partir de là, chacun doit prendre ses responsabilités. L'entreprise, le conseil d'administration a rejeté cette offre.
DAVID PUJADAS - Que peut faire le gouvernement ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Les actionnaires, il faut qu'ils se prononcent. Et les gouvernements - vous avez parlé du gouvernement luxembourgeois - Jean-Claude JUNCKER, je le vois demain matin. Le président de la République déjeunera avec lui. Nous sommes en liaison avec les autres partenaires européens, Espagnols et Belges, pour nous concerter, justement, sur la meilleure réaction possible. Ce que nous souhaitons, c'est que puisse se dessiner, très vite, une véritable politique industrielle européenne. Nous avons vu jusqu'à maintenant que cette politique industrielle, elle était souvent en opposition avec l'idée que nous nous faisions du droit de la concurrence. Donc, je pense qu'il y a un vrai travail à faire dans ce domaine...
DAVID PUJADAS - Mais, sur ARCELOR, ce sont les actionnaires qui décident...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Le patriotisme économique, qu'est-ce que c'est ? C'est la mobilisation de tous les acteurs, de tous ceux qui sont concernés. C'est-à-dire, bien sûr, l'entreprise, les actionnaires. Mais, ça veut dire aussi que les chefs d'entreprise, et c'est le message que je voudrais que tous les patrons français retiennent, et c'est le message que je leur avais adressé en parlant de patriotisme économique : Pensez à la structure de votre capital. Soyez conscient que votre capital doit être suffisamment bien organisé pour résister à des attaques. Parce que nous voulons créer des grands champions français et des grands champions européens. L'État peut accompagner ce mouvement à travers une vraie politique d'intelligence économique, c'est que nous faisons à travers des garanties juridiques que nous prenons, stratégiques. Le patriotisme économique, vous savez, ce n'est rien de plus que ce que font déjà les Américains, les Japonais, les Chinois, d'autres pays. Alors, dotons-nous des mêmes armes. Je n'admets pas l'impuissance face aux événements. C'est véritablement un exercice de responsabilité collective.
DAVID PUJADAS - Merci, Monsieur le Premier ministre, d'avoir répondu à nos questions.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Merci.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 février 2006
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Bonsoir, monsieur PUJADAS.
DAVID PUJADAS - Le CPE ne crée pas la précarité, on sait que les jeunes sont très touchés par le chômage, les CDD, l'intérim. Mais est-ce qu'elle ne la formalise pas, cette précarité ? Est-ce qu'elle n'en fait pas la référence ? Est-ce que c'est un progrès ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est un grand progrès pour notre pays. Il suffit de partir de la réalité que connaissent aujourd'hui les jeunes dans notre pays, et ce, depuis plus de vingt ans. Quelle est cette réalité ? 23 % de jeunes au chômage, 40 % des jeunes non qualifiés au chômage, et une période entre huit et onze ans pour entrer de manière stable sur le marché de l'emploi...
DAVID PUJADAS - Donc, déjà, la précarité...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ça, c'est inacceptable. C'est ce que nous refusons. Vous l'avez vu tout à l'heure, il s'agit en fait beaucoup moins d'un débat entre la droite et la gauche, qu'un débat entre ceux qui veulent changer cette situation et ceux qui s'accommodent d'une situation qui - nous le voyons - est inacceptable. Aujourd'hui, le contrat première embauche, c'est un contrat à durée indéterminée, un vrai contrat à durée indéterminée...
DAVID PUJADAS - Mais avec la possibilité pour l'employeur de se séparer à tout moment pendant deux ans...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - D'abord, et c'est important, avec une véritable rémunération, une pleine rémunération. L'employeur n'aura pas la possibilité de se séparer du jour au lendemain de son employé. J'ai vu la remarque qui a été faite, cela ne correspond pas à la réalité. Pourquoi ? Parce qu'il y a un préavis. Dans ce contrat, pendant deux ans, l'employé, le jeune, le jeune français construira ses droits. C'est-à-dire qu'à mesure du temps qu'il passera dans l'entreprise, chaque mois, il aura davantage de droits : une indemnité qui ira en s'accroissant, un préavis qui s'accroîtra, un droit individuel à la formation. La question a été posée par un des jeunes : Est-ce que ce contrat me permettra d'avoir mieux accès au crédit ? Est-ce qu'il me permettra d'avoir un logement ? Eh bien, oui ! La Fédération bancaire française s'est engagée à considérer le contrat première embauche, comme le contrat nouvelles embauches, comme un véritable contrat à durée indéterminée pour l'accès au crédit. Pareil pour le logement...
DAVID PUJADAS - Un geste de bonne volonté. Mais est-ce qu'il engage vraiment les acteurs ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ce n'est pas... Non, non. C'est la reconnaissance d'un contrat à durée indéterminée. Prenons le cas du logement. Quand vous voulez louer un appartement, avec le contrat première embauche, comme le contrat nouvelle embauche, vous aurez accès au système LOCAPASS. C'est-à-dire que la caution qu'aujourd'hui, le jeune ne peut pas payer, cette caution, elle lui sera garantie et le remboursement de la caution s'étalera dans le temps.
DAVID PUJADAS - C'est une garantie sur dix-huit mois seulement, on voit tout de même qu'il y a...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais c'est la possibilité pour le jeune d'acquérir son logement, de sortir donc de la situation dans laquelle il est. Monsieur PUJADAS, aujourd'hui, la situation, c'est un enchaînement de stages, tous les jeunes que j'ai reçus en témoignent, un enchaînement de CDD ; la situation entre le CDI contrat première embauche et les CDD n'est absolument pas comparable. Il y a là un progrès tout à fait considérable...
DAVID PUJADAS - Ça, c'est la vérité. Mais tout de même, Monsieur le Premier ministre, est-ce qu'on ne fait pas de la précarité la pierre angulaire du droit du travail en la formalisant finalement, en en faisant la référence, ce que je disais ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est pour cela que nous voulons bâtir, justement pas, nous voulons bâtir un vrai parcours d'accès à l'emploi. Aujourd'hui, ce qui est difficile, c'est de rentrer dans le marché de l'emploi, je vous l'ai dit, entre huit à onze ans. C'est pour cela que nous avons voulu limiter les abus qui concernent les stages. Les stages, désormais, seront organisés, au-delà de trois mois, ils seront rémunérés, ils s'inscriront dans le parcours professionnel et dans le parcours universitaire du jeune. De la même façon, l'alternance sera mieux reconnue et les entreprises devront embaucher davantage d'apprentis. Donc, vous le voyez bien, c'est un véritable parcours que nous créons pour sécuriser la situation du jeune.
DAVID PUJADAS - Mais tout de même, le but, c'est de donner plus de souplesse, pour employer un terme positif, pour les entreprises. Est-ce que ce n'est pas plus de flexibilité au détriment du salarié ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Le jeune et... et la chef d'entreprise, que vous avez interviewée, l'ont dit très clairement. Il s'agit d'un contrat de confiance entre l'entreprise et le jeune. Cela veut dire que quand vous avez contribué à la formation pendant deux ans, pendant vingt-quatre mois d'un jeune, ce n'est pas pour, tout à coup, lui dire : Je n'ai plus besoin de vous. Parce que préparer un jeune, c'est investir, donc c'est véritablement, une fois de plus, bâtir un parcours d'emploi et c'est donner une chance à chacun, mettre le pied à l'étrier à chacun.
DAVID PUJADAS - Ce n'est pas un tournant libéral quand même dans notre droit du travail ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est l'adaptation de notre pays à la modernisation, avec des garanties. Et c'est en cela que c'est un contrat moderne, un contrat très protecteur, avec des garanties qui n'existaient pas pour les jeunes. Les jeunes aujourd'hui n'ont pas droit à une indemnisation du chômage, ils n'ont pas droit à un droit individuel à la formation, ils n'ont pas droit à l'ensemble de ces bénéfices comme l'accès au crédit et l'accès au logement. Donc, vous voyez bien, il s'agit d'un véritable progrès, d'un véritable contrat à durée indéterminée. Tous ceux qui aujourd'hui accèdent directement au CDI classique continueront de le faire. Nous l'avons observé sur...
DAVID PUJADAS - Mais les employeurs seront quand même tentés d'employer le CPE...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Nous l'avons observé sur le contrat nouvelle embauche : il n'y a pas d'effet d'éviction. C'est-à-dire que ceux qui seront... aujourd'hui, ceux qui étaient employés en CDI continueront à l'être, classique, comme hier.
DAVID PUJADAS - Pourquoi dans ces conditions avoir décidé d'accélérer le calendrier, de précipiter les choses pour que le CPE soit examiné au plus vite à l'Assemblée, en clair avant les manifestations prévues le 7 février ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Pas du tout.
DAVID PUJADAS - On vous reproche d'esquiver le débat.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Mais pas du tout ! Le débat, nous l'avons depuis des mois et nous n'avons pas cessé de multiplier les rencontres. Pour moi, la règle politique...
DAVID PUJADAS - Les syndicats disent qu'ils n'ont pas été consultés.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je n'ai pas cessé, tout au long des derniers mois, de rencontrer les partenaires sociaux, comme Jean-Louis BORLOO et l'ensemble des ministres concernés. Pour moi, il y a quelque chose qui s'impose à nous tous, c'est l'urgence de la situation à laquelle les jeunes sont confrontés. Je ne peux pas admettre que notre pays reste les bras croisés, et je l'ai dit à l'Assemblée nationale. Le Parti socialiste n'a jamais évoqué, au cours des dernières années, le problème des jeunes. Or, c'est un problème central. Quand on s'interroge : Pourquoi est-ce que les Français sont inquiets devant l'avenir ? Tout simplement parce qu'ils constatent que la situation qui est aujourd'hui faite aux jeunes, cela inquiète les parents, cela inquiète les grands-parents, cela inquiète les amis, n'est pas admissible...
DAVID PUJADAS - Vous dites l'urgence...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Donc, nous nous retroussons les manches et nous le faisons avec d'autant plus de conviction que nous voyons que l'effort fait par les Français, il donne des résultats. Quand nous voyons qu'en 2005...
DAVID PUJADAS - On va en parler, mais simplement, Dominique de VILLEPIN...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - ... 225 000 créations d'entreprises, on a battu tous les records en 2005. Quand nous voyons la baisse continue du chômage, au-delà des polémiques, parce qu'on peut toujours émettre des polémiques sur tout, la réalité, c'est que nous sommes en train de gagner la bataille pour l'emploi et que cette bataille, elle implique que nous nous dotions de tous les outils nécessaires.
DAVID PUJADAS - D'un mot quand même avant de parler du chômage, si les manifestants sont très nombreux le 7 février, vous les écouterez, vous modifierez le projet ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Je ne cesse de vouloir apporter des réponses à leurs inquiétudes et à leurs attentes. Ce que...
DAVID PUJADAS - Donc, vous en tiendrez compte ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Ce que je veux, ce que je veux, c'est que chacun puisse faire face à la même réalité. Vous savez, la politique, ce sont souvent des échanges polémiques et idéologiques. Si nous partons tous du constat de la situation actuelle, je n'ai aucun doute sur le fait que l'ensemble de nos compatriotes comprendront que ce que nous proposons, c'est un progrès pour la société française tout entière et c'est un progrès pour l'ensemble des jeunes français.
DAVID PUJADAS - Vous dites, le chômage baisse, mais est-ce qu'il n'y a pas une partie de cette baisse qui est un peu en trompe l'?il ? 120 000 chômeurs en moins en gros pour l'année 2005, mais on voit qu'il y a 60 000 érémistes en plus, qui sont des gens, peut-être, qui étaient auparavant à l'ANPE et qui ont été radiés. Est-ce qu'il n'y a pas un effet de vase communicant ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Non, non, non. Non, David PUJADAS. Toutes les statistiques sont parfaitement claires là-dessus. Depuis que je suis Premier ministre...
DAVID PUJADAS - Ces chiffres-là sont exacts.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - C'est 170 000 chômeurs en moins depuis que je suis arrivé à Matignon, 170 000 chômeurs en moins.
DAVID PUJADAS - Moi, je prenais l'année 2005.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Les radiations, qui sont la prise en compte de ceux qui n'ont pas leur place comme demandeurs d'emploi, sont inférieures en 2005 par rapport à 2004. Donc, on ne peut pas expliquer la baisse du chômage par les radiations. Et...
DAVID PUJADAS - Et les départs en retraite ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Et l'ensemble des différentes catégories, c'est-à-dire les jeunes, les seniors, les femmes bénéficient de cette baisse du chômage. Par ailleurs, l'effet démographique, nous le savons tous, il ne jouera véritablement qu'à partir de la fin 2006. Alors, on peut sciemment ou inconsciemment tout mélanger, la réalité, c'est que nous progressons. Je crois qu'il faut savoir, quand on décrète une mobilisation générale, car, cette mobilisation, elle est générale, le service public de l'emploi, il y a encore quelques mois, recevait les demandeurs d'emploi une fois par an ou une fois tous les deux ans. Désormais, c'est tous les mois et sur un mode personnel, c'est-à-dire que c'est la même personne à l'ANPE qui va recevoir le jeune chômeur ou le demandeur d'emploi et qui va l'accompagner dans sa recherche de l'emploi. Par ailleurs, parce que c'est les droits et devoirs dans notre pays, il y a désormais un suivi du retour à l'emploi, c'est-à-dire que nous contrôlons la réalité des propositions qui sont faites et la réalité de la situation du demandeur d'emploi. Tout ceci, c'est l'exercice des responsabilités dans notre pays.
DAVID PUJADAS - Alors, il y a un dernier sujet qu'on va évoquer, qui intéresse aussi les Français sur lequel ils s'interrogent, monsieur le Premier ministre, c'est l'OPA de MITTAL STEEL sur ARCELOR. Lakshmi MITTAL, le patron d'origine indienne, a poursuivi aujourd'hui son offensive de charme. Il était au Luxembourg. Il faut savoir que le duché est actionnaire à hauteur de 5 % d'ARCELOR. Mais, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude JUNCKER, a lui aussi rejeté cette OPA parce qu'il estime, notamment, qu'il n'y pas de concept industriel européen dans cette offre. Alors, on ne vous a pas entendu sur le sujet, Dominique de VILLEPIN. Est-ce que vous appelez, cette fois encore, au patriotisme économique comme vous l'aviez fait, par exemple, sur DANONE ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Alors, nous sommes dans une économie ouverte. Dans une économie ouverte, ce sont les règles du monde dans lequel nous vivons. Il y a une OPA qui est faite sur une société européenne de droit luxembourgeois, ARCELOR. Cette offre, elle est peu satisfaisante dans la forme puisqu'il s'agit d'une offre très inamicale, comme l'a très bien dit Thierry BRETON. Il s'agit d'une offre qui pose problème sur le fond puisqu'elle s'accompagne, à ma connaissance, aujourd'hui d'aucun véritable projet industriel. Donc, cette offre, elle pose un certain nombre de questions. À partir de là, chacun doit prendre ses responsabilités. L'entreprise, le conseil d'administration a rejeté cette offre.
DAVID PUJADAS - Que peut faire le gouvernement ?
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Les actionnaires, il faut qu'ils se prononcent. Et les gouvernements - vous avez parlé du gouvernement luxembourgeois - Jean-Claude JUNCKER, je le vois demain matin. Le président de la République déjeunera avec lui. Nous sommes en liaison avec les autres partenaires européens, Espagnols et Belges, pour nous concerter, justement, sur la meilleure réaction possible. Ce que nous souhaitons, c'est que puisse se dessiner, très vite, une véritable politique industrielle européenne. Nous avons vu jusqu'à maintenant que cette politique industrielle, elle était souvent en opposition avec l'idée que nous nous faisions du droit de la concurrence. Donc, je pense qu'il y a un vrai travail à faire dans ce domaine...
DAVID PUJADAS - Mais, sur ARCELOR, ce sont les actionnaires qui décident...
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Le patriotisme économique, qu'est-ce que c'est ? C'est la mobilisation de tous les acteurs, de tous ceux qui sont concernés. C'est-à-dire, bien sûr, l'entreprise, les actionnaires. Mais, ça veut dire aussi que les chefs d'entreprise, et c'est le message que je voudrais que tous les patrons français retiennent, et c'est le message que je leur avais adressé en parlant de patriotisme économique : Pensez à la structure de votre capital. Soyez conscient que votre capital doit être suffisamment bien organisé pour résister à des attaques. Parce que nous voulons créer des grands champions français et des grands champions européens. L'État peut accompagner ce mouvement à travers une vraie politique d'intelligence économique, c'est que nous faisons à travers des garanties juridiques que nous prenons, stratégiques. Le patriotisme économique, vous savez, ce n'est rien de plus que ce que font déjà les Américains, les Japonais, les Chinois, d'autres pays. Alors, dotons-nous des mêmes armes. Je n'admets pas l'impuissance face aux événements. C'est véritablement un exercice de responsabilité collective.
DAVID PUJADAS - Merci, Monsieur le Premier ministre, d'avoir répondu à nos questions.
DOMINIQUE DE VILLEPIN - Merci.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 2 février 2006