Interview de M. Pascal Clément, ministre de la justice, à Europe 1 le 9 février 2006, sur les conséquences de l'erreur judiciaire d'Outreau, sur la réforme de la procédure pénale et le rôle du juge d'instruction.

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Média : Europe 1

Texte intégral

PIERRE-LOUIS BASSE - Monsieur le Garde des Sceaux, bonsoir.
PASCAL CLEMENT - Bonsoir.
PIERRE-LOUIS BASSE - Est-ce que cette audition, on le rappelle historique hier du Juge Fabrice Burgaud, a répondu à votre attente, je dirais votre attente à la fois morale et judiciaire ?
PASCAL CLEMENT - Ecoutez, il n'y avait pas de la part de la Commission d'enquête ou de moi-même d'attente sur un plan, j'allais dire, qui puisse être qualifié d'affectif. Ce que nous cherchons à comprendre, tant la Commission d'enquête parlementaire que ceux qui suivent par la télévision cette Commission, c'est de savoir comment s'est passé le procès ? Qu'est-ce qui a dysfonctionné ?
Est-ce que c'est la procédure elle-même ? Est-ce que ce sont les hommes ? Mais il n'est pas question de juger le Juge. Or, si vous voulez, la question de savoir si on est ému ou pas par le Juge Burgaud, j'allais dire, même si c'est ce qu'on a envie d'en dire, ce n'est pas l'objet de la Commission d'Enquête.
PIERRE-LOUIS BASSE - En même temps lorsque vous entendez un jeune Juge d'instruction nous dire qu'il se sent lui-même trop jeune et qu'il s'est senti par moments très seul dans cette affaire, cela résonne du point de vue de notre système judiciaire ?
PASCAL CLEMENT - Ça, je crois que cette triste histoire aura servi à quelque chose c'est que la solitude du Juge d'instruction est derrière nous. Je pense que si le système est conservé, puisque nous réfléchissons, le Parlement, le Gouvernement, à une réforme possible de la procédure pénale dans l'hypothèse où nous garderions le Juge d'instruction, la solitude du juge d'instruction est derrière nous. Aujourd'hui dans toutes les sociétés modernes, les décisions se font d'une manière collégiale, par réseaux et il y avait une espèce de beauté dans cette solitude, on sent que c'est complètement dépassé.
PIERRE-LOUIS BASSE - Je vous pose une dernière question que je poserai également à mes invités et en particulier à Madame Guigou qui est avec nous ce soir, celle de la médiatisation. Est-ce que vous avez le sentiment que cette espèce de transparence un peu folle tout de même qu'on a vécue et que nous vivons, est un bien pour la Justice de notre pays ?
PASCAL CLEMENT - Si je suis tout à fait honnête et franc, j'ai envie de vous dire que j'ai évolué. Au départ, j'ai été surpris. Je connais bien l'Assemblée nationale pour y siéger depuis longtemps, ça ne s'est jamais fait. Je sentais que nous allions dans une Commission non identifiée qui n'avait plus rien à voir avec ce que nous avions connu et ma première réaction, je dois le confesser, n'était pas très positive.
Depuis, je vois ce qui se passe et je me dis deux choses. D'abord Outreau est une immense souffrance pour nous tous parce que nous nous identifions tous à l'un des acquittés d'Outreau et nous disons tous : « Ca pourrait être moi » et partant de ce constat, nous essayons de comprendre ce qui s'est passé et là le fait que ce soit public, le fait qu'on sorte du collège des experts et des spécialistes et que toute la France s'intéresse à la procédure pénale à travers cet exemple d'Outreau qui est d'ailleurs un contre-exemple, eh bien je finis par évoluer et penser que c'est extrêmement bon, c'est éminemment démocratique. Cela permet, demain si nous devons réformer profondément la procédure pénale, eh bien que ce soit un peu toute la France qui la réforme et pas simplement quelques hommes.
PIERRE-LOUIS BASSE - Merci à vous pour ce petit coup de fil ce soir, au lendemain de cette audition.
.../...
PIERRE-LOUIS BASSE - Je sais, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous êtes toujours là.
PASCAL CLEMENT - Oui.
PIERRE-LOUIS BASSE - Vous avez écouté attentivement ce que nous disions finalement. Vous vouliez intervenir ?
PASCAL CLEMENT - Non, écoutez je n'ai pas particulièrement envie d'intervenir sauf à dire qu'effectivement le travail que nous devons faire est un travail qui doit se faire après la passion. Là il y a le diagnostic et puis bientôt il y aura l'incontestable travail de réflexion qui devra être le nôtre et que nous ne pourrons pas faire dans l'émotion. Aujourd'hui nous sommes dans l'émotion. Nous avons vu un jeune magistrat qui est venu effectivement donner ses explications, je ne crois pas que ce soit aujourd'hui que l'on puisse imaginer la réforme de demain.Source http://www.justice.gouv.fr, le 20 février 2006