Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France-Culture le 9 février 2006, sur la position d'indépendance de l'UDF vis-à-vis de la majorité, la politique d'"immigration choisie", le débat sur l'égalité des chances avec l'utilisation de l'article 49-3 et la motion de censure de la gauche.

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Texte intégral

Frédéric Carbone : Vous paraît-il pertinent de « choisir »
l'immigration ?
François Bayrou - C'est précisément la question et c'est précisément la
raison pour laquelle je ne comprends pas très bien quelle est la
démarche du texte . On a un problème très important d'immigration, mais
ce n'est pas du tout pour l'immigration haut de gamme que l'on a un
problème. On a un problème pour l'immigration clandestine. Je rentre de
Guadeloupe ou se développe un sentiment tout à fait inusité dans la
population qui est très dangereux, qui est presque, enfin, qui est à
bien des égards un sentiment d' exaspération et qui prend une teinte
raciste, et puis en Guyane aussi mais en Guadeloupe c'est parce qu'il y
a des vagues très importantes de pauvres gens haïtiens principalement?
Frédéric Carbone : C'est plus près que d'aller aux Etats-Unis
François Bayrou - La France des Antilles, c'est l'eldorado. Et ces gens
arrivent par vagues importantes et ça provoque un sentiment dangereux
d'exaspération.
Pourquoi ? Parce que les côtes ne sont pas sécurisées ou en tout cas
assez peu inspectées. Donc c'est avec ce type d'immigration-là que l'on
a un problème.
Frédéric Carbone : Et c'est le même problème que l'on a aux frontières
de l'Europe, en Italie
François Bayrou - Sans aucun doute
Frédéric Carbone : Qu'est-ce qu'on fait alors dans ce cas, puisque le
territoire français est concerné ?
François Bayrou - En tout cas, si vous le permettez
Frédéric Carbone : Oui, je vous en prie
François Bayrou - Et puisque vous m'avez interrogé sur ce texte, le
problème est là et pas dans une immigration haut de gamme. Je ne
connais pas, pour ma part de chefs d'entreprise qui, ayant un poste
disponible, ce poste n'ayant pas été rempli, et ayant trouvé un
ressortissant d'un autre pays, n'ont pas obtenu le visa pour ce poste.
Il y a là quelque chose qui est un peu surprenant.
De la même manière, j'ai trouvé que les affirmations, je ne sais pas si
elles ont été répétées aujourd'hui, de la première conférence de presse
du Ministre de l'Intérieur, disant « on va choisir les étudiants, on ne
prendra que les meilleurs » est quelque chose qui mérite d'être
interrogé.
Vraiment, ce sont des sujets qui ne se prêtent pas à la surenchère.
Frédéric Carbone : Il y a 30 ans ou 40 ans, c'était les ouvriers nord-
africains chez Renault, là c'est caricaturalement l'Inde et l'
informatique. Est-ce que ce n'est pas l'application de cela ?
François Bayrou - Est-ce que vous ne croyez pas que nous avons en
France un très grand nombre d'informaticiens au chômage. Je suis sûr
qu'en ce moment, sur l'antenne de France Culture, il y a des milliers
d'informaticiens qui sont à l'écoute, c'est une des professions les
plus sinistrées, alors faire croire que l'on va aller chercher des
informaticiens?
Frédéric Carbone : Ça c'est moi qui le dis, c'est une piste, je sous-
traduis
François Bayrou - Ajoutons une question. Nous avons à peu près 5
millions de français sans emploi, si l'on ajoute les rmistes, les
chômeurs et toutes les catégories de la privation d' emploi. Laisser à
penser que l'urgence est à remplacer ces femmes et ces hommes par des
ressortissants d'origine étrangère que l'on sélectionnerait. Il y a là
quelque chose qui mérite qu'on y réfléchisse, en tout cas, moi je ne
suis pas convaincu par cette approche. Je sais très bien que depuis
très longtemps une partie du monde économique rêve de réguler le coût
de l'emploi par une immigration modulée. On règle le coût de l'emploi
en réglant le nombre des employés.
Frédéric Carbone : Ce n'est pas la bonne politique. Ce sont peut-être
des choix économiques
François Bayrou - Ce sont peut-être des choix économiques mais cela ne
ressemble pas à ce que l'on voudrait.
Frédéric Carbone : Alors urgence dit François Bayrou. des choix
économiques. Y avait t-il urgence, comme le fait Dominique de Villepin
à utiliser l'article 49-3 sur le débat sur l'égalité des chances ; fin
du débat et fin de l'examen du texte ?
François Bayrou - Le moins que l'on puisse dire, c'est que non, il n' y
avait pas urgence et que même, on est en train de laisser de côté
toutes les règles, qui sont les règles d'une démocratie normale dans un
pays normal. Un texte comme celui-là aurait du faire l'objet , un ,
d'une publication à l'avance, je crois que l'on en a parlé pour la
première fois le 20 janvier ; deux, d'un examen par le Conseil d'Etat
pour savoir si il était juridiquement juste, et cela n'est pas sûr du
tout.
Frédéric Carbone : Mais les chômeurs n'attendent pas, dit Dominique de
Villepin
François Bayrou - Trois, d'un examen serein par l' Assemblée Nationale
et le Sénat avec les allers-retours qui font que la société civile peut
se faire entendre ; quatre d'un examen préalable par les partenaires
sociaux , d'une discussion entre les employeurs et les syndicats de
salariés. Je rappelle qu' aujourd'hui encore, la présidente du Medef a
dit que ce n'était pas du tout ce qu'elle demandait.
Frédéric Carbone - C'était plutôt un CNE élargi à tout le monde
François Bayrou - Vous voyez bien que l'on n'a pas consulté les
partenaires sociaux, on n'a pas consulté le Parlement, on le passe en
urgence sans allers-retours entre les deux chambres et, de surcroît, on
interrompt le texte avant qu'on soit arrivé au bout. Cela veut donc
dire que la deuxième partie de ce texte ? il y avait des dispositions
très importantes dans la deuxième partie de ce texte - n'aura jamais
été examinée par l'Assemblée nationale,
Ça ne ressemble pas à ce que je voudrais de la démocratie française.
Frédéric Carbone : Et alors, 21 février, dépôt de la motion de censure
par l'opposition socialiste. Que fait l'UDF, que fait François Bayrou ?
François Bayrou - Vous aurez remarqué que la motion de censure ne porte
pas sur la politique sociale du gouvernement.
Non, je ne voterai pas la motion de censure avec la gauche, parce que
c'est tout le jeu de ceux qui voudraient bipôlariser la politique
française que d'expliquer que quand on n'est pas dans les bras de l'un,
on est forcément dans les bras de l'autre. Quand on n'est pas sous la
coupe de l'un, on est forcément sous la coupe de l'autre. Et telle
n'est pas ma vision.
Frédéric Carbone : Abstention alors ?
François Bayrou - Il n' y a pas d' abstention dans une motion de
censure et on ne comptabilise que ceux qui votent pour et donc je ne me
rangerai pas dans cette démarche, vous voyez ce que cette démarche a de
complice, n'est-ce pas ? je te tiens, tu me tiens par la barbichette.
Je fais d'un côté, comme l'a dit un de mes amis, tout ce qui faut pour
que le parlement ne puisse pas examiner le texte, je fais de l'autre de
l'obstruction. Au bout du compte, j'ai un 49-3, je réponds avec une
motion de censure, c'est le jeu classique.
Frédéric Carbone : Et vous vous dites que le gouvernement et le parti
socialiste sont également responsables de ce débat raté ?
François Bayrou - Je n'aime pas le ni-ni, je pense qu'un tel sujet sur
lequel beaucoup de gens s'interrogent, sur lequel je suis très réservé
pour ma part, parce que concentrer la précarité sur les jeunes, ça ne
me paraît pas aller dans le bon sens. Ça méritait un débat approfondi
qui aurait pris le nombre de semaines nécessaires pour que la France
fasse comme tous les grands pays, un texte qui aurait été pensé et
réfléchi et pas un texte sorti en quelques jours qui est en réalité un
texte de surenchère à l'intérieur du gouvernement, bien que cette
affaire ne me regarde pas.
Frédéric Carbone : Alors, vous le disiez , François Bayrou,
bipolarisation de la vie politique française. Elle n'est pas nouvelle,
mais on le voit là, à l'approche de l'échéance présidentielle ,
Dominique de Ville pin a plutôt intérêt à réaffirmer son autorité sur
sa majorité. A gauche, on l'a vu hier, tous les partis, la belle photo
de famille, on ne sait pas ce qui se passera après. Là-dedans, où se
situe l'UDF ?
François Bayrou - Si j'ose dire, tout ce que vous venez de dire,
surenchère d'un côté, l'autre tellement décomposé que l'on ne sait pas
ce qui va en sortir, ça impose que l'on présente une voie politique
nouvelle plus courageuse et plus équilibrée. Pour bousculer tout ça.
On est condamné, sans cela à être perpétuellement sous la direction de
ces deux formations politiques, dominantes depuis 25 ans et dont le
moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles n'ont pas fait leurs
preuves. Je reçois énormément de messages d'un camp et de l'autre
depuis le congrès avec l'affirmation de notre indépendance : UDF, parti
libre, je reçois beaucoup de messages de gens qui disent : je ne me
reconnais plus dans mon camp. Des gens de droite qui ne se
reconnaissent pas dans cette UMP là et des gens de gauche qui ne se
reconnaissent plus dans le PS. Le nombre de ceux qui ne se
reconnaissent plus dans leur camp, il est, je crois, majoritaire en
France.
Il y a des valeurs de gauche que j'approuve, que je trouve estimables
et je le dis sans avoir peur de créer des mouvements dans mon camp et
des valeurs de droite que je trouve estimables.
Frédéric Carbone : Apparemment pas beaucoup de celles portées par D. de
Villepin et N. Sarkozy en ce moment.
François Bayrou - Cette manière de gouverner par accélération et
refusant toute réflexion ; cette manière de ne me paraît pas
correspondre à la situation du pays ni d'aucun autre pays européen, car
il n' y aucun autre pays européen qui se comporte de la sorte. Les
Allemands ont pris huit semaines pour discuter ensemble de ce qu'ils
allaient faire dans une majorité nouvelle, qui rassemble les gens
modérés, équilibrés des deux camps. Il y a un besoin extraordinaire
d'une démarche politique nouvelle. Il ne manque qu'une seule chose,
c'est le courage de la proposer. C'est l'audace pour les électeurs et
citoyens qui ont envie de se dire : allez, on va tout de même essayer
de bousculer l'ordre établi des choses qui ne me convient pas du tout.
Frédéric Carbone : On bouscule lors d'une campagne présidentielle?
François Bayrou - C'est le moment ou, jamais. Il n'y a qu'un moment où
l'on peut bousculer ces choses, c'est lors de la présidentielle.
Frédéric Carbone : Je vous remercie, François Bayrou, d'être venu dans
ce journal. source http://www.udf.org, le 20 février 2006