Déclaration de M. Alain Bocquet, président du groupe des députés communistes et républicains de l'Assemblée nationale, exposant les raisons conduisant son groupe à voter le censure du gouvernement, à Paris, Assemblée nationale, le 21 février 2006.

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Circonstance : Discussion et vote sur la motion de censure déposée en application de l'article 49, alinéa 2 de la Constitution, à Paris, Assemblée nationale, le 21 février 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mes Chers Collègues
Voilà quatre ans que vos gouvernements sont censurés à chaque consultation électorale. Voilà quatre ans que vos mesures provoquent la colère de l'opinion. Voilà quatre ans que vous gouvernez contre le peuple.
Monsieur le Premier ministre, vous avez donné le ton dès votre arrivée, en décidant de gouverner par ordonnances puis de légiférer contre la Représentation nationale en imposant le 49-3. Votre politique provoque de grandes souffrances. Vous voulez soumettre les hommes et les femmes à la mondialisation capitaliste. Et vous frappez là où il y a le plus d'espoir vivant, en vous attaquant à la jeunesse !
Les jeunes, les salariés, ne l'acceptent pas. 400 000 personnes l'ont exprimé dans la rue le 7 février. Depuis, l'opposition à la galère institutionnalisée grandit. Les Français ne veulent pas de votre " Contrat Précarité de l'Emploi " qui impose aux jeunes deux ans de mise à l'essai. Deux années d'incertitude et de pression au quotidien. Votre mesure place au-dessus de leur tête l'épée de Damoclès du licenciement sans justification, et les livre au bon vouloir du grand patronat et de ses seuls intérêts. Vous voulez des salariés serviles et que notre jeunesse courbe l'échine. Cette mesure fragilisera les existences : pas de prêts, pas de logements, pas de projets d'avenir...

Depuis quatre ans, vous avez offert 70 milliards d'euros en cadeaux au patronat. Tout cela en pure perte. Il y a des réalités que vous ne ferez pas disparaître: moins de 65.000 emplois créés en 2005, 70 % des offres d'emplois sont instables, 2,5 millions de chômeurs recensés et 3,5 millions de précaires et de temps partiels ! La croissance est en berne : 1,4 % au lieu des 2,5 que vous annonciez ! Voilà votre bilan calamiteux. Vous voulez encore alourdir la note ! Le CNE et le CPE ne créeront pas d'emplois, ils déstabiliseront davantage le salariat. Les deux tiers des 280.000 CNE comptabilisés se substituent en fait à des contrats de travail à durée indéterminée. Et 10 % ont déjà été résiliés tandis que les plaintes se multiplient devant les tribunaux, parce que vous avez autorisé le licenciement sans motif ! Mais peu vous importe, du moment que le MEDEF y trouve son compte tout en réclamant une généralisation de ces dispositifs. Madame Parisot est très contente : elle a les yeux de Chimène pour votre politique.
La formation des jeunes et l'école sont aussi dans votre ligne de mire. Vous supprimez des moyens dans deux tiers des zones d'éducation prioritaires, vous autorisez le travail des enfants à partir de 14 ans, et vous ouvrez la porte au travail de nuit dès 15 ans. Vous rompez avec les missions de l'école républicaine, en refusant de réduire les inégalités et de créer les fondements d'un vrai vivre ensemble. De tout temps, hormis les périodes de guerre et de catastrophes, les générations qui se sont succédé ont mieux vécu que les précédentes. Ce n'est plus vrai pour la jeunesse d'aujourd'hui ! Où va, Monsieur le Premier Ministre, une société qui abandonne et précarise sa jeunesse ?
Retirez le CPE, abrogez le CNE, renoncez à vos projets de destruction du code du travail et de décennies de droits sociaux. Soixante-dix ans après les conquêtes du Front populaire, vous proposez là un bien triste anniversaire au monde du travail et de la création. Vous amplifiez l'exploitation des chômeurs, alors que le grand patronat multiplie les plans de licenciements, l'.il rivé sur la Bourse, en remettant en cause les 35 heures et en ne remplaçant pas les départs à la retraite. La DARES estime à 600.000, chaque année, le nombre de départs entre 2006 et 2015. Laisserez-vous les directions d'entreprise profiter de ce mouvement démographique pour réduire les effectifs, souvent plus d'un emploi sur dix, comme à France Télécom ou à EDF, deux groupes dont les bénéfices sont pourtant au beau fixe ?
Qu'attendez-vous pour instaurer une négociation collective obligatoire entre partenaires sociaux sur le remplacement des emplois libérés qui permette l'embauche de dizaines de milliers de jeunes. Ce serait un début de réponse à la demande grandissante d'une sécurité d'emploi et de formation que nous n'avons de cesse de proposer ! Mais on ne changera pas la donne sans s'attaquer à la prédation qu'opèrent les puissances financières sur notre société. Total annonce des profits records : 12 milliards d'euros, alors que les prix à la pompe ont explosé. Le PDG propose une hausse du dividende de 20 % ! Même tableau à la BNP : les profits augmentent de 21 % et le bénéfice de 25 %. Battant des records, les entreprises du Cac 40 ont augmenté leurs profits de 25 % en 2005. Où sont les retombées positives sur les salaires ? Sur l'emploi ? Sur l'effort de formation ? Sur la recherche? Sur le développement industriel ? Seul l'actionnariat prospère.
La France des dividendes est en pleine forme, les entreprises françaises redistribuent le tiers de leur profit aux actionnaires. Le montant des coupons a augmenté de 33 % l'an dernier. Par contre, l'INSEE révèle qu'en 2005, notre pays a compté 1.000 pauvres de plus par jour ouvrable (soit 260.000 - on est passé de 5,9 % à 6,3 %). Il est temps de mettre un terme à votre politique de paupérisation croissante de notre peuple. Qu'attendez-vous pour augmenter les revenus des familles, pour relancer la consommation et donc le développement économique ? Qu'attendez-vous, Monsieur le Premier ministre, pour donner le signal d'un Grenelle des salaires ? Notre groupe a déposé depuis plusieurs mois des propositions de commission d'enquête parlementaire pour que la Représentation nationale se saisisse des dérives de ce modèle économique. Il s'agit, par exemple, d'examiner le cas de Total, celui du devenir de la filière acier, du scandale de la liquidation de Metaleurop ou encore des conditions de mise en bourse d'EDF. A chacune de ces demandes, la majorité UMP oppose une fin de non-recevoir ! Vous vous effacez devant les forces de l'argent ! Vous laissez SEB fermer des sites et Alstom se défaire des chantiers de l'Atlantique. Vous restez de marbre quand Altadis, qui réalise un bénéfice net de 220 millions d'euros, prévoit à nouveau la suppression de 472 emplois. Vous laissez Arcelor être ballotté au gré des opérations boursières et vous vous payez de mots.
Votre politique industrielle est inexistante. Vos pôles de compétitivité inefficaces. Comment peut-on accepter cela ? Conciliant pour les affairistes, vous n'avez de cesse de vous en prendre au monde du travail et de la création et de bafouer l'intérêt général. Vous avez démantelé de nombreux services publics. Les autoroutes, le rail, l'énergie, les services téléphoniques et postaux. Tout y passe. Vous réduisez par milliers le nombre d'agents de l'Etat, tout en cadenassant le pouvoir d'achat des fonctionnaires. Et que dire du véritable scandale du statut des intermittents, qui vous rendent responsable du plus grand plan de licenciements avec plus de 20.000 femmes et hommes restés sur le carreau ?
Enfin, que faites-vous pour lutter contre l'exclusion croissante ? Avez-vous pris des mesures contre les coupures d'eau et d'électricité en plein hiver ? Non, vous avez demandé à vos préfets de contester les arrêtés municipaux allant dans ce sens. Avez-vous agi pour donner un toit à ceux qui n'en ont pas ? Non, vous détruisez des logements et vos amis vendent les logements sociaux. Avez-vous relevé les minima sociaux au-dessus du seuil de pauvreté ? Non, vous faites la chasse à ceux qui n'ont plus que ce filet pour vivre. Face à la crise sociale qui mine les quartiers populaires, vos seules réponses auront été sécuritaires. Vous avez refusé de rectifier le budget 2006 pour engager un plan d'action doté de 6,2 milliards d'euros sur deux ans comme je vous l'avais proposé dès novembre dernier. Vous préférez museler la dépense publique au mépris de la santé, de la recherche, de la culture abandonnée aux marchands, du sport introduit en Bourse. Je pourrais parler du triste vaudeville du Clémenceau. Je pourrais parler des collectivités territoriales sans ressources face aux charges de la décentralisation que vous leur imposez. Je pourrais parler des lois sécuritaires qui ne règlent ni les problèmes de sécurité, ni le manque criant de moyens pour la justice que met en exergue le fiasco d'Outreau. Je pourrais poursuivre avec la même colère cette liste.
Mais je m'arrêterai, cas exemplaire, sur la directive Bolkestein qui revient en tenue de camouflage, et que vous vous apprêtez à accepter après avoir crié au loup. Vous soutenez qu'on en a changé le sens en supprimant les mots trop voyants, mais ça ne trompe personne. Alors respectez le verdict populaire du 29 mai ! Adopter cette directive serait un total mépris de la volonté populaire. Les députés communistes et républicains vous demandent solennellement d'agir pour que l'Europe y renonce.
Monsieur le Premier ministre, il n'y a pas d'autre choix que de censurer votre politique. Il n'y a pas d'autre choix que de rompre avec la logique libérale que vous mettez en oeuvre. La victoire du NON montre que les Français ne veulent pas de cette société d'injustices et d'inégalités criantes que vous tentez de leur imposer. Nous combattons les coups portés à notre peuple et proposons des solutions alternatives. L'argent coule à flot dans notre pays et doit être utilisé autrement. La priorité, c'est de créer de véritables emplois, développer la production, la recherche et les services. Pour cela, il faut encourager les investissements utiles à l'emploi, la formation, les salaires, avec une nouvelle politique du crédit favorable notamment aux PME et à l'artisanat ; une nouvelle fiscalité sélective, pénalisant la spéculation boursière. Il faut résorber l'emploi précaire injustifié. Il faut requalifier les stages abusifs en contrats de travail. Il faut ouvrir des droits nouveaux aux salariés, un droit d'ingérence dans la gestion leur permettant de faire valoir des propositions alternatives en cas de délocalisation, de licenciements collectifs.
Aujourd'hui dans tout le pays, des hommes et des femmes agissent. Les Français seront nombreux dans la rue le 7 mars, et resteront mobilisés d'ici là. Il est encore temps d'entendre l'exigence populaire et de retirer le CPE. Au nom de la jeunesse que vous voulez mettre au pas ; au nom des salariés, des chômeurs et des retraités ; au nom des chercheurs et des artistes ; au nom de celles et ceux qui luttent dans les écoles, les cités, les entreprises, de celles et ceux qui souffrent et veulent que ça change, les députés communistes et républicains voteront la censure de votre gouvernement.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 22 février 2006