Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre délégué au commerce extérieur, sur la création de la Fondation pour le droit continental chargée de coordonner droit et commerce au niveau européen, Paris le 1er mars 2006.

Prononcé le 1er mars 2006

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Circonstance : Lancement de la Fondation pour le droit continental à Paris, ler mars 2006

Texte intégral

Droit et commerce sont liés depuis leurs origines respectives. Déjà, le Code d'Hammourabi, il y a 38 siècles, traitait de la responsabilité du transporteur de marchandises vis-à-vis du vendeur et du client, à une époque où les incidents de voyage n'étaient pas rares.
Les droits des peuples puis des nations se sont bâtis, entre autres, autour des règles du commerce inspirées par l'idée que la confiance étant inhérente au principe du commerce, le droit est le garant de la confiance partagée.
L'essor planétaire du commerce que nous vivons depuis la fin de la seconde guerre mondiale a confirmé l'enjeu important que le droit représente en matière de commerce international. Le GATT suivi de l'OMC se sont attachés, et s'attachent encore aujourd'hui, à définir les règles du commerce juste, le "fair trade" si vous me permettez cet anglicisme, appliquant ainsi la maxime du père Lacordaire : "Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit".
Au-delà de cet effort multilatéral, le droit est devenu un enjeu de développement pour de nombreux pays émergents qui progressivement se dotent ainsi du corpus juridique nécessaire pour jouer un rôle économique et financier au sein de la communauté internationale.
Face à ces enjeux, plusieurs écoles rivalisent et même s'il est réducteur et simplificateur de résumer ces écoles en des expressions trop courtes, on peut schématiser les approches et distinguer d'une part une école d'inspiration anglo-américaine dite "common law" qui s'appuie moins sur la source écrite que sur la jurisprudence et fait donc du contentieux un mode privilégié de l'élaboration du droit et d'autre part une école dite continentale ou romano-germanique qui s'appuie fortement sur un corpus écrit.
Nous ne devons pas tomber dans le piège de juger les différentes approches du droit : après tout un système juridique n'est qu'affaire de convention et est le fruit d'une histoire, d'une pratique, d'une expérience.
L'efficacité de chacune des deux grandes doctrines dont j'ai parlé ne saurait non plus être remise en cause : le PIB par habitant des pays régis par un droit d'inspiration continentale ne diffère pas de celui des pays de common law.
Pourtant cette évidence est contestée par des partisans du droit de common law à tel point que la Banque mondiale a suggéré dans son rapport "Doing business" paru à l'automne 2003 que le droit continental serait moins favorable aux affaires que le droit anglo-saxon.
Talleyrand disait que "tout ce qui est excessif est insignifiant" et la Banque mondiale a écouté notre suggestion de retirer de ses éditions suivantes une telle conclusion.
Cet épisode nous a, de mon point de vue, toutefois appris 3 choses :
-le droit est devenu un enjeu concurrentiel ;
-les pays de droit continental doivent se convaincre de la nécessité de vendre leur système juridique ;
-la capacité à vendre notre droit est intimement liée à la capacité de notre droit à attirer des investisseurs étrangers et notamment des capitaux étrangers.
Pour toutes ces raisons, il est indispensable de réagir et il me semble que cette réaction peut se faire selon 3 axes autour de 3 acteurs, l'Etat, les professions du droit et les usagers du droit, parmi lesquels les entreprises doivent jouer un rôle prépondérant :
-expliquer : nous devons coordonner et simplifier les présentations que nous faisons de notre système juridique ;
-exporter : nous devons être présents partout où le droit continental a une possibilité de se diffuser, de s'étendre. Les capacités d'expertise juridique françaises doivent être mises au service des pays qui écrivent leur droit comme au service des grands projets internationaux pour lesquels nos entreprises se portent candidates. C'est dans le but de cette promotion que j'ai décidé de consacrer un plan d'action sectoriel aux métiers du droit ;
-attirer : nous devons promouvoir l'attractivité de notre système juridique et de notre système judiciaire et en souligner les atouts qui sont à la fois nombreux, mal connus et sous-estimés. Je me réjouis que le président de la fondation, M. Henri Lachmann, soit également membre du conseil d'administration de l'Agence française pour les investissements internationaux : j'y vois le gage d'une collaboration fructueuse entre ces deux organismes.
La fondation, dans le cadre des ces axes, sera un outil important de coordination et d'impulsion qui n'a pas vocation à se substituer aux actions déjà existantes mais à leur donner une cohérence qui parfois leur manque.
La concurrence entre les approches juridiques est vive à l'échelle mondiale et alors que la communauté internationale poursuit la régulation des échanges de biens et de services afin de mettre en place une mondialisation maîtrisée, il est fondamental que l'approche continentale prenne la place qui lui est due et fasse valoir ses intérêts et ses atouts quelles que soient les modalités et les langues à employer pour atteindre cet objectif. Attachons nous au fond, simplifions la forme.
Aussi, je forme le voeu que la fondation commence vite ses travaux de manière efficace, au service des professions juridiques et avec une ouverture sur l'Europe car ce que nous devons promouvoir n'est pas le droit français mais le droit continental porté par l'expertise juridique et l'expertise judiciaire françaises.
Notre droit a su susciter l'espérance et faire preuve de séduction, et je fais pleinement confiance au président et au directeur général de la fondation pour entretenir cette espérance et susciter cette séduction.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.exporter.gouv.fr, le 27 mars 2006