Texte intégral
P. Clément bienvenue, bonjour.
Bonjour.
Q- C'est avec vous que la commission d'enquête sur Outreau a achevé ses auditions hier : 211 personnes, 200 heures, une première et une performance. Mais auparavant, je voudrais vous poser deux trois questions sur ce qui s'est passé autour du CPE. Le ministre de l'intérieur, N. Sarkozy observait mardi, ici à cette place sur Europe 1, que sur les 3.400 personnes, disait-t-il, interpellées lors des manifestations anti CPE, il n'y a pas de peines assez sévères, des peines de prison ferme. D'abord eux questions. Est-ce qu'ils étaient 3.400 personnes ? Et est-ce que la justice serait laxiste et molle ?
R- Non. Vous savez, il y a toujours traditionnellement une différence de regard entre celui du ministre de l'intérieur, celui du ministre de la Justice. Mais globalement, franchement, nous sommes d'accord. Pourquoi ? Il y a beaucoup plus d'interpellés que de gens présentés au juge, c'est normal. C'est classique dans la police : on interpelle et puis on s'aperçoit qu'on n'a pas de charges que l'on peut retenir contre quelqu'un, contre un jeune. Il est donc libéré. Sur les un peu plus de 3.000, il y en a en gros 800 qui ont été présentés au juge. Et sur les 800, il y en a 60 qui ont été mis en détention provisoire. Voilà des proportions qui sont classiques, que l'on retrouve à chaque fois. Là où N. Sarkozy est, je veux dire, plus pessimiste, c'est s'agissant des mineurs. Il est effectivement vrai que les mineurs, deux se sont retrouvés en détention et encore, je crois que c'était en centre éducatif fermé et non pas en prison - mais ça revient au même - sur une soixantaine de mineurs dont certains, on l'a bien vu, et là le ministre de l'intérieur a raison. Quand on voit ce journaliste photographe qui est effectivement tabassé, qu'on me pardonne le mot, par deux mineurs, ils ont 16 ans. Donc, effectivement, il y a mineur et mineur. Et actuellement la prison est tout à fait possible pour un mineur de 16 ans, la détention provisoire est tout à fait possible. La question est de savoir si le juge décide de le faire, c'est ça le débat.
Q- N. Sarkozy souhaitait la réforme en urgence de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs. Est-ce que vous pouvez lui donner satisfaction ?
R- C'est effectivement un des aspects de cette réforme que je porterais, s'agissant de l'ordonnance de 45. L'équilibre à trouver - et on se trouvera bien un point d'accord avec le ministre d'état - c'est effectivement la réponse judiciaire et en même temps, l'aspect pédagogique puisque c'est un mineur. Donc c'est cette synthèse entre les vertus de la pédagogie par rapport à un jeune, qu'on ne traite pas c'est vrai comme un vieux, mais en même temps une répression possible. Et quelquefois ce n'est pas le cas.
Q- P. Clément, à l'opposé, le journal l'humanité lance aujourd'hui une pétition, un appel pour l'amnistie des jeunes anti CPE. Et je cite " condamnés à la chaîne par les tribunaux ".
R- Écoutez ! Franchement, ce n'est pas rendre service aux jeunes et aux manifestants. Confondre les casseurs qui viennent de certaines banlieues avec des jeunes qui sont des étudiants, des lycéens qui manifestent...
Q- Et qui parfois viennent aussi des banlieues.
R- Et qui parfois, vous avez raison, viennent aussi de banlieues, je pense qu'il est clair dans cette affaire qu'on ne peut pas faire l'amalgame. Donc je voudrais quand même rappeler à tous les journalistes de l'humanité ou à ceux qui co-signent ce type de demande, qu'ils ne rendent pas service. Les casseurs doivent être punis et les manifestants doivent être protégés.
Q- Donc vous signez pas, vous, la pétition ?
R- Non seulement je ne signe pas mais attendez, c'est la porte ouverte pour une France qui se soulève pour casser. Il n'y a pas d'idées politiques derrière des casseurs. Sauf le fait de casser. C'est inadmissible. Une société ne peut pas l'admettre.
Q- "Outreau, P. Clément, avez-vous dit hier, Outreau n'est pas toute la justice. L'affaire Outreau ne signe ni la faillite de notre organisation judiciaire, ni celle de nos grands principes de procédure". Vous étiez beaucoup plus sévère en décembre. Est-ce que ça veut dire qu'avec le recul, le traumatisme s'estompe doucement ?
R- Je ne me ressens pas plus sévère aujourd'hui. Il est évident que nous y avons tous réfléchi, que pour ma part depuis des mois avec les magistrats de la Chancellerie, nous réfléchissons et nous essayons de trouver des réformes qui ne soient pas des réformes pour plaire mais des réformes utiles pour la justice et pour les justiciables.
Q- Alors précisément, la commission commence à préparer les réformes qu'elle va proposer autour du 10, 13 juin. Vous, vous avez annoncé un projet de loi fin juin, un débat au Parlement et un vote. Est-ce que le tout peut se faire, si ça marche bien, avant la fin de l'année 2006 ?
R- J'ai vu, j'ai entendu comme vous le président de la République dire qu'il voulait dans ce domaine que nous fassions des avancées. Je pense que le Premier ministre est aussi d'accord pour m'aider à trouver l'espace sur l'ordre du jour. J'ai de bonnes raisons de penser que c'est tout à fait possible. C'est un problème de volonté politique. Enfin quoi !Toute la France a été émue par cette affaire d'Outreau, tout le monde a considéré que la détention provisoire avait été excessive. Nous trouvons des solutions qui représentent un espace de consensus entre la gauche et la droite, à travers l'excellent travail de la commission d'enquête présidée par A. Vallini et rapporté par P. Houillon. Eh bien ce serait franchement dommage d'attendre les calendes grecques pour justement répondre à cette inquiétude de l'opinion publique.
Q- Les observateurs prévoient deux temps : avant 2007, une petite, une gentille réforme, et après 2007, avec une nouvelle législature, une grande réforme de la justice.
R- Alors attendez, qu'est-ce que ça cache ? Si la grande réforme cache quelque chose qui recueille mon désaccord total comme l'indépendance du Parquet, alors sans doute oui. Moi je ne la ferais ni aujourd'hui ni demain ni après demain.
Q- Pourquoi ça sur ce point ?
R- Sur ce point, d'un mot très simple : parce que l'opportunité des poursuites, c'est ce qu'un procureur peut faire. C'est-à-dire qu'il peut dire, je poursuis ou je ne poursuis pas. Si on enlève au garde des Sceaux le soin de ne pas dire à un procureur général "vous devez poursuivre dans ce cas-là", eh bien, il n'y a plus en France d'une justice égale pour tous. Je donne un exemple précis même, vous allez voir, il est très connu. Dans l'affaire Dieudonné, il avait fait une conférence de presse il y a un peu plus d'un an. Il avait eu des propos racistes. Le procureur de Paris ne voulait pas poursuivre. Le procureur général voulait poursuivre. Qui est-ce qui a tranché ? D'après vous, c'était qui devait trancher ?
Q- C'est vous.
R- Eh bien oui, c'est moi. Eh bien grâce au ciel, c'est le garde des Sceaux. Donc il faut que le Parquet soit hiérarchisé. Voilà un bel exemple qui j'espère, fera réfléchir tout le monde.
Q- Dans ce cas là, dans le cas du ministre de la Justice, est-ce que ce n'est pas une décision qui reflète un climat à un moment donné, une opportunité aussi de caractère politique ?
R- Mais non, la hiérarchie est tempéré vis à vis des magistrats, d'abord ce sont des magistrats. Il faut que les magistrats du Parquet restent des magistrats et ne pas voir toujours la politique. Un mot, le dernier, c'est le fond de ma conviction : est-ce qu'en France, on veut évacuer les responsabilités politiques pour les remplacer par une responsabilité administrative ? Si c'est ça, alors on va dans ce sens là. Moi je suis tout à fait opposé à ça. Ce n'est pas démocratique.
Q- La grande réforme de la justice, parce que vous savez comme quoi que beaucoup pensent que le syndrome CPE va encore frapper. Et on se dit que quand on appartient au gouvernement Villepin, est-ce qu'on peut encore promettre de grandes réformes ?
R- Mais on peut promettre les réformes utiles à la France, utiles aux justiciables. Moi le mot "grand", je sais pas ce que ça veut dire. Si considérer qu'enregistrer dans les gardes à vue l'interrogatoire par les policiers, ce n'est pas une grande réforme, je peux vous dire que pour les policiers, ils la vivront comme une grande réforme. Si faire appel de sa mise en examen, ce n'est pas une grande réforme, je pense qu'ils vont considérer aussi que c'est une grande réforme. Et un dernier mot : la demande de mise en liberté, une fois que vous êtes en détention provisoire, si c'est un magistrat professionnel entouré de deux citoyens jurés qui vous permettent d'être libéré, parce qu'ils prennent connaissance de votre dossier avec un peu de distance puisque ce sont des citoyens jurés, eh bien c'est quand même là aussi une révolution.
Q- Hier, vous avez montré des pistes. On va prendre quelques exemples : vous accordez de nouveaux droits pour la défense ; vous dites qu'il faut filmer les gardes à vue. Et pourquoi pas les interrogatoires ?
R- C'est les interrogatoires. C'est ça dont il s'agit.
Q- Et les audiences aussi qui pourraient être diffusées en direct ou en différé selon les cas ?
R- Là, c'est franchement un problème. Du coup, promettons ce que nous pouvons financer. Pourquoi pas demain, toute l'audience de l'instruction. Je rappelle qu'aujourd'hui il y a un greffier, que c'est résumé, faut-il y mettre un sténotypiste ? Ce n'est pas essentiel parce que ce n'est pas là que ça coince en général.
Q- P. Clément, vous voulez innover. Pour la détention provisoire, vous imaginez de placer auprès d'un magistrat professionnel deux assesseurs qui seraient des citoyens jurés. Et c'est eux qui décideraient avec le pro, de prolonger la détention ou de mettre en liberté. Mais avec quelle compétence ? Quand on voit qu'au moment d'Outreau, des magistrats se sont trompés, est-ce que vous croyez que de simples citoyens sans formation, sans expérience judiciaire, rendraient des décisions plus justes ?
R- Mais on l'a bien vu pour Outreau, ce qui manquait c'était de la distance et de l'éloignement par rapport aux faits. ? Les magistrats du Nord-Pas de- Calais ils ont, de mémoire, près de 70% des crimes qui sont des crimes de viol. Donc effectivement, ils se sont dit un de plus. Il fallait quelqu'un d'un peu distancié. C'est à cela que servira le citoyen juré tiré au sort, comme pour les cours d'assise en plus. Puisque les Français ont douté de leur justice, quel beau symbole de dire "eh bien, Français, vous doutez de votre justice, on va vous donner du pouvoir".
Q- Vous savez à quoi ça ressemble ? A une forme dangereuse de populisme, si vous permettez.
R- Ecoutez je ne le pense pas puisque sinon, vous mettez en cause toutes les cours d'assise, toutes les décisions de cours d'assise. Je vous rappelle que ce sont des jurés, des citoyens jurés qui décident de votre mise en détention à perpétuité dans une cour d'assise.
Q- Est-ce que vous croyez que des citoyens jurés auraient décidé l'abolition de la peine de mort ?
R- Attendez, peut-être pas ça mais on peut voir aussi des citoyens jurés de plus en plus formés. D'abord, regardez l'écoute extraordinaire de cette commission d'enquête par les Français, cette maturation des problèmes judiciaires, cette connaissance nouvelle de ces questions. Tout ça pousse vers une maturité. Arrêtons de dire que le peuple n'a pas les moyens de choisir ses représentants ou alors finalement, on voudra quoi ? L'expression censitaire du suffrage. Vous voyez bien, on ne peut jamais dire que le peuple n'est pas capable. Le peuple, c'est lui qui commande.
Q- Ça peut être des débats. On pourrait trouver un thème de débat. Vous maintenez le juge d'instruction mais vous ne voulez pas le laisser seul. Vous créez des pôles de l'instruction dans chaque département. Ça c'est bien vu. Il faudra réorganiser la carte judiciaire et à ce moment-là, c'est le président de l'USM qui vous dit "non".
R- Justement, je souhaite créer des pôles de l'instruction avec des juges plus anciens, des juges plus jeunes. Ça rompt la solitude du juge, ça permet non pas à un juge qui serait trop jeune mais un juge qui serait moins expérimenté d'être, effectivement, peut-être épaulé par un juge qui est plus expérimenté. Et surtout, ça correspond à mon avis à la vraie solution de la carte judiciaire. Tout le monde en parle depuis 50 ans et personne ne la fait parce que les élus locaux, les Français n'en veulent pas. En revanche, spécialiser aux chefs-lieux de département dans la plupart des cas un certain nombre de pôles, eh bien ça, c'est important. Le pôle financier, le pôle des instructions. Ca, ça me paraît gagné.
Q- Le président de l'USM dit qu'il faudra que ces mesures soient chiffrées budgétairement, de manière sérieuse. Combien P. Clément va t-il demander au ministre des Finances ?
R- Je peux d'ores et déjà rappeler que le budget de la justice a augmenté de 25 % depuis 4 ans. Cela ne s'est pas vu depuis 50 ans. Que nous sommes sous l'empire d'une loi de programmation et d'orientation judiciaire. Il faudra prendre la même en 2007 ou en 2008 lors de la prochaine majorité pour avoir 10 ans d'efforts budgétaires. Et vous voyez bien que dans cet effort budgétaire global sur une dizaine d'années, nous n'aurons pas de difficultés à financer ce type de réformes, dont je vous fais remarquer au passage qu'elles ne sont pas chères.
Q- Le juge Burgaud, les inspecteurs des services judiciaires vous ont remis le rapport d'étape sur son cas. Est-ce que vous présentez le juge Burgaud devant le Conseil supérieur de la magistrature ? R- Mais écoutez, je ne peux pas le savoir puisque ne serons saisis qu'à la fin mai du rapport définitif. Monsieur Burgaud vient de refuser d'aller devant l'inspection. Il n'a pas raison.
Q- Parce qu'il veut être accompagné de ses deux avocats.
R- Actuellement, la règle s'applique pour tous devant l'inspection du service judiciaire mais devant toutes les inspections administratives. Donc je suis ouvert à changer la loi mais pas pour monsieur Burgaud, pour tout le monde. Pour tous les fonctionnaires et pour tous les administrés.
Q- Le rapport, il ne sera pas retouché ou réécrit ?
R- Pour qui, pourquoi ?
Q- Ah ben je ne sais pas.
R- Vous savez c'est l'autorité de l'inspecteur général des services judiciaires. Ce n'est pas le genre d'homme à se laisser impressionner.
Q- Aujourd'hui vous dites le juge Burgaud ou comme Le Monde hier, l'ex juge Burgaud ?
R- Bien sûr que non. Monsieur Burgaud d'abord n'est plus juge. Il est substitut du procureur de la République à Paris, sauf erreur. Donc il n'est plus magistrat du siège, il est magistrat du Parquet.
Q- Et quand vous dites, hier vous l'avez dit, vous refusez des poursuites judiciaires contre tout juge auteur d'erreurs grossières et manifeste d'appréciation, et vous dites il faudrait les orienter fers d'autres fonctions, c'est-à-dire les sortir du métier, à qui vous pensiez ?
R- Nous avons de temps en temps des décisions aberrantes. Or il n'y a aucun moyen de riposter, si je peux dire, de la décision aberrante d'un juge. Eh bien je propose qu'à travers un filtre, qui pourrait être le médiateur de la République, le Conseil supérieur de la magistrature puisse être saisi afin, précisément, d'orienter dans une autre direction ou une autre fonction le magistrat en question, qui aurait pris effectivement une décision aberrante. C'est à dire une erreur grossière et manifeste d'appréciation.
Q- Pour conclure ensemble, P. Clément, après les 200 heures d'audition de la commission d'enquête, l'intérêt demeure mais la passion a disparu. Il y a plus de recul et d'esprit critique. Et est-ce que les excès du début autour de F. Burgaud, de la presse, de certains magistrats et même des acquittés, peuvent être relativisés ?
R- Ecoutez je trouve que cette commission d'enquête a remarquablement fonctionné. Grâce en soit rendue à A. Vallini et P. Houillon. Je pense que nous avons maintenant un espace de consensus. Il faut en profiter, c'est l'intérêt de la justice, c'est l'intérêt de notre pays.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 avril 2006
Bonjour.
Q- C'est avec vous que la commission d'enquête sur Outreau a achevé ses auditions hier : 211 personnes, 200 heures, une première et une performance. Mais auparavant, je voudrais vous poser deux trois questions sur ce qui s'est passé autour du CPE. Le ministre de l'intérieur, N. Sarkozy observait mardi, ici à cette place sur Europe 1, que sur les 3.400 personnes, disait-t-il, interpellées lors des manifestations anti CPE, il n'y a pas de peines assez sévères, des peines de prison ferme. D'abord eux questions. Est-ce qu'ils étaient 3.400 personnes ? Et est-ce que la justice serait laxiste et molle ?
R- Non. Vous savez, il y a toujours traditionnellement une différence de regard entre celui du ministre de l'intérieur, celui du ministre de la Justice. Mais globalement, franchement, nous sommes d'accord. Pourquoi ? Il y a beaucoup plus d'interpellés que de gens présentés au juge, c'est normal. C'est classique dans la police : on interpelle et puis on s'aperçoit qu'on n'a pas de charges que l'on peut retenir contre quelqu'un, contre un jeune. Il est donc libéré. Sur les un peu plus de 3.000, il y en a en gros 800 qui ont été présentés au juge. Et sur les 800, il y en a 60 qui ont été mis en détention provisoire. Voilà des proportions qui sont classiques, que l'on retrouve à chaque fois. Là où N. Sarkozy est, je veux dire, plus pessimiste, c'est s'agissant des mineurs. Il est effectivement vrai que les mineurs, deux se sont retrouvés en détention et encore, je crois que c'était en centre éducatif fermé et non pas en prison - mais ça revient au même - sur une soixantaine de mineurs dont certains, on l'a bien vu, et là le ministre de l'intérieur a raison. Quand on voit ce journaliste photographe qui est effectivement tabassé, qu'on me pardonne le mot, par deux mineurs, ils ont 16 ans. Donc, effectivement, il y a mineur et mineur. Et actuellement la prison est tout à fait possible pour un mineur de 16 ans, la détention provisoire est tout à fait possible. La question est de savoir si le juge décide de le faire, c'est ça le débat.
Q- N. Sarkozy souhaitait la réforme en urgence de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs. Est-ce que vous pouvez lui donner satisfaction ?
R- C'est effectivement un des aspects de cette réforme que je porterais, s'agissant de l'ordonnance de 45. L'équilibre à trouver - et on se trouvera bien un point d'accord avec le ministre d'état - c'est effectivement la réponse judiciaire et en même temps, l'aspect pédagogique puisque c'est un mineur. Donc c'est cette synthèse entre les vertus de la pédagogie par rapport à un jeune, qu'on ne traite pas c'est vrai comme un vieux, mais en même temps une répression possible. Et quelquefois ce n'est pas le cas.
Q- P. Clément, à l'opposé, le journal l'humanité lance aujourd'hui une pétition, un appel pour l'amnistie des jeunes anti CPE. Et je cite " condamnés à la chaîne par les tribunaux ".
R- Écoutez ! Franchement, ce n'est pas rendre service aux jeunes et aux manifestants. Confondre les casseurs qui viennent de certaines banlieues avec des jeunes qui sont des étudiants, des lycéens qui manifestent...
Q- Et qui parfois viennent aussi des banlieues.
R- Et qui parfois, vous avez raison, viennent aussi de banlieues, je pense qu'il est clair dans cette affaire qu'on ne peut pas faire l'amalgame. Donc je voudrais quand même rappeler à tous les journalistes de l'humanité ou à ceux qui co-signent ce type de demande, qu'ils ne rendent pas service. Les casseurs doivent être punis et les manifestants doivent être protégés.
Q- Donc vous signez pas, vous, la pétition ?
R- Non seulement je ne signe pas mais attendez, c'est la porte ouverte pour une France qui se soulève pour casser. Il n'y a pas d'idées politiques derrière des casseurs. Sauf le fait de casser. C'est inadmissible. Une société ne peut pas l'admettre.
Q- "Outreau, P. Clément, avez-vous dit hier, Outreau n'est pas toute la justice. L'affaire Outreau ne signe ni la faillite de notre organisation judiciaire, ni celle de nos grands principes de procédure". Vous étiez beaucoup plus sévère en décembre. Est-ce que ça veut dire qu'avec le recul, le traumatisme s'estompe doucement ?
R- Je ne me ressens pas plus sévère aujourd'hui. Il est évident que nous y avons tous réfléchi, que pour ma part depuis des mois avec les magistrats de la Chancellerie, nous réfléchissons et nous essayons de trouver des réformes qui ne soient pas des réformes pour plaire mais des réformes utiles pour la justice et pour les justiciables.
Q- Alors précisément, la commission commence à préparer les réformes qu'elle va proposer autour du 10, 13 juin. Vous, vous avez annoncé un projet de loi fin juin, un débat au Parlement et un vote. Est-ce que le tout peut se faire, si ça marche bien, avant la fin de l'année 2006 ?
R- J'ai vu, j'ai entendu comme vous le président de la République dire qu'il voulait dans ce domaine que nous fassions des avancées. Je pense que le Premier ministre est aussi d'accord pour m'aider à trouver l'espace sur l'ordre du jour. J'ai de bonnes raisons de penser que c'est tout à fait possible. C'est un problème de volonté politique. Enfin quoi !Toute la France a été émue par cette affaire d'Outreau, tout le monde a considéré que la détention provisoire avait été excessive. Nous trouvons des solutions qui représentent un espace de consensus entre la gauche et la droite, à travers l'excellent travail de la commission d'enquête présidée par A. Vallini et rapporté par P. Houillon. Eh bien ce serait franchement dommage d'attendre les calendes grecques pour justement répondre à cette inquiétude de l'opinion publique.
Q- Les observateurs prévoient deux temps : avant 2007, une petite, une gentille réforme, et après 2007, avec une nouvelle législature, une grande réforme de la justice.
R- Alors attendez, qu'est-ce que ça cache ? Si la grande réforme cache quelque chose qui recueille mon désaccord total comme l'indépendance du Parquet, alors sans doute oui. Moi je ne la ferais ni aujourd'hui ni demain ni après demain.
Q- Pourquoi ça sur ce point ?
R- Sur ce point, d'un mot très simple : parce que l'opportunité des poursuites, c'est ce qu'un procureur peut faire. C'est-à-dire qu'il peut dire, je poursuis ou je ne poursuis pas. Si on enlève au garde des Sceaux le soin de ne pas dire à un procureur général "vous devez poursuivre dans ce cas-là", eh bien, il n'y a plus en France d'une justice égale pour tous. Je donne un exemple précis même, vous allez voir, il est très connu. Dans l'affaire Dieudonné, il avait fait une conférence de presse il y a un peu plus d'un an. Il avait eu des propos racistes. Le procureur de Paris ne voulait pas poursuivre. Le procureur général voulait poursuivre. Qui est-ce qui a tranché ? D'après vous, c'était qui devait trancher ?
Q- C'est vous.
R- Eh bien oui, c'est moi. Eh bien grâce au ciel, c'est le garde des Sceaux. Donc il faut que le Parquet soit hiérarchisé. Voilà un bel exemple qui j'espère, fera réfléchir tout le monde.
Q- Dans ce cas là, dans le cas du ministre de la Justice, est-ce que ce n'est pas une décision qui reflète un climat à un moment donné, une opportunité aussi de caractère politique ?
R- Mais non, la hiérarchie est tempéré vis à vis des magistrats, d'abord ce sont des magistrats. Il faut que les magistrats du Parquet restent des magistrats et ne pas voir toujours la politique. Un mot, le dernier, c'est le fond de ma conviction : est-ce qu'en France, on veut évacuer les responsabilités politiques pour les remplacer par une responsabilité administrative ? Si c'est ça, alors on va dans ce sens là. Moi je suis tout à fait opposé à ça. Ce n'est pas démocratique.
Q- La grande réforme de la justice, parce que vous savez comme quoi que beaucoup pensent que le syndrome CPE va encore frapper. Et on se dit que quand on appartient au gouvernement Villepin, est-ce qu'on peut encore promettre de grandes réformes ?
R- Mais on peut promettre les réformes utiles à la France, utiles aux justiciables. Moi le mot "grand", je sais pas ce que ça veut dire. Si considérer qu'enregistrer dans les gardes à vue l'interrogatoire par les policiers, ce n'est pas une grande réforme, je peux vous dire que pour les policiers, ils la vivront comme une grande réforme. Si faire appel de sa mise en examen, ce n'est pas une grande réforme, je pense qu'ils vont considérer aussi que c'est une grande réforme. Et un dernier mot : la demande de mise en liberté, une fois que vous êtes en détention provisoire, si c'est un magistrat professionnel entouré de deux citoyens jurés qui vous permettent d'être libéré, parce qu'ils prennent connaissance de votre dossier avec un peu de distance puisque ce sont des citoyens jurés, eh bien c'est quand même là aussi une révolution.
Q- Hier, vous avez montré des pistes. On va prendre quelques exemples : vous accordez de nouveaux droits pour la défense ; vous dites qu'il faut filmer les gardes à vue. Et pourquoi pas les interrogatoires ?
R- C'est les interrogatoires. C'est ça dont il s'agit.
Q- Et les audiences aussi qui pourraient être diffusées en direct ou en différé selon les cas ?
R- Là, c'est franchement un problème. Du coup, promettons ce que nous pouvons financer. Pourquoi pas demain, toute l'audience de l'instruction. Je rappelle qu'aujourd'hui il y a un greffier, que c'est résumé, faut-il y mettre un sténotypiste ? Ce n'est pas essentiel parce que ce n'est pas là que ça coince en général.
Q- P. Clément, vous voulez innover. Pour la détention provisoire, vous imaginez de placer auprès d'un magistrat professionnel deux assesseurs qui seraient des citoyens jurés. Et c'est eux qui décideraient avec le pro, de prolonger la détention ou de mettre en liberté. Mais avec quelle compétence ? Quand on voit qu'au moment d'Outreau, des magistrats se sont trompés, est-ce que vous croyez que de simples citoyens sans formation, sans expérience judiciaire, rendraient des décisions plus justes ?
R- Mais on l'a bien vu pour Outreau, ce qui manquait c'était de la distance et de l'éloignement par rapport aux faits. ? Les magistrats du Nord-Pas de- Calais ils ont, de mémoire, près de 70% des crimes qui sont des crimes de viol. Donc effectivement, ils se sont dit un de plus. Il fallait quelqu'un d'un peu distancié. C'est à cela que servira le citoyen juré tiré au sort, comme pour les cours d'assise en plus. Puisque les Français ont douté de leur justice, quel beau symbole de dire "eh bien, Français, vous doutez de votre justice, on va vous donner du pouvoir".
Q- Vous savez à quoi ça ressemble ? A une forme dangereuse de populisme, si vous permettez.
R- Ecoutez je ne le pense pas puisque sinon, vous mettez en cause toutes les cours d'assise, toutes les décisions de cours d'assise. Je vous rappelle que ce sont des jurés, des citoyens jurés qui décident de votre mise en détention à perpétuité dans une cour d'assise.
Q- Est-ce que vous croyez que des citoyens jurés auraient décidé l'abolition de la peine de mort ?
R- Attendez, peut-être pas ça mais on peut voir aussi des citoyens jurés de plus en plus formés. D'abord, regardez l'écoute extraordinaire de cette commission d'enquête par les Français, cette maturation des problèmes judiciaires, cette connaissance nouvelle de ces questions. Tout ça pousse vers une maturité. Arrêtons de dire que le peuple n'a pas les moyens de choisir ses représentants ou alors finalement, on voudra quoi ? L'expression censitaire du suffrage. Vous voyez bien, on ne peut jamais dire que le peuple n'est pas capable. Le peuple, c'est lui qui commande.
Q- Ça peut être des débats. On pourrait trouver un thème de débat. Vous maintenez le juge d'instruction mais vous ne voulez pas le laisser seul. Vous créez des pôles de l'instruction dans chaque département. Ça c'est bien vu. Il faudra réorganiser la carte judiciaire et à ce moment-là, c'est le président de l'USM qui vous dit "non".
R- Justement, je souhaite créer des pôles de l'instruction avec des juges plus anciens, des juges plus jeunes. Ça rompt la solitude du juge, ça permet non pas à un juge qui serait trop jeune mais un juge qui serait moins expérimenté d'être, effectivement, peut-être épaulé par un juge qui est plus expérimenté. Et surtout, ça correspond à mon avis à la vraie solution de la carte judiciaire. Tout le monde en parle depuis 50 ans et personne ne la fait parce que les élus locaux, les Français n'en veulent pas. En revanche, spécialiser aux chefs-lieux de département dans la plupart des cas un certain nombre de pôles, eh bien ça, c'est important. Le pôle financier, le pôle des instructions. Ca, ça me paraît gagné.
Q- Le président de l'USM dit qu'il faudra que ces mesures soient chiffrées budgétairement, de manière sérieuse. Combien P. Clément va t-il demander au ministre des Finances ?
R- Je peux d'ores et déjà rappeler que le budget de la justice a augmenté de 25 % depuis 4 ans. Cela ne s'est pas vu depuis 50 ans. Que nous sommes sous l'empire d'une loi de programmation et d'orientation judiciaire. Il faudra prendre la même en 2007 ou en 2008 lors de la prochaine majorité pour avoir 10 ans d'efforts budgétaires. Et vous voyez bien que dans cet effort budgétaire global sur une dizaine d'années, nous n'aurons pas de difficultés à financer ce type de réformes, dont je vous fais remarquer au passage qu'elles ne sont pas chères.
Q- Le juge Burgaud, les inspecteurs des services judiciaires vous ont remis le rapport d'étape sur son cas. Est-ce que vous présentez le juge Burgaud devant le Conseil supérieur de la magistrature ? R- Mais écoutez, je ne peux pas le savoir puisque ne serons saisis qu'à la fin mai du rapport définitif. Monsieur Burgaud vient de refuser d'aller devant l'inspection. Il n'a pas raison.
Q- Parce qu'il veut être accompagné de ses deux avocats.
R- Actuellement, la règle s'applique pour tous devant l'inspection du service judiciaire mais devant toutes les inspections administratives. Donc je suis ouvert à changer la loi mais pas pour monsieur Burgaud, pour tout le monde. Pour tous les fonctionnaires et pour tous les administrés.
Q- Le rapport, il ne sera pas retouché ou réécrit ?
R- Pour qui, pourquoi ?
Q- Ah ben je ne sais pas.
R- Vous savez c'est l'autorité de l'inspecteur général des services judiciaires. Ce n'est pas le genre d'homme à se laisser impressionner.
Q- Aujourd'hui vous dites le juge Burgaud ou comme Le Monde hier, l'ex juge Burgaud ?
R- Bien sûr que non. Monsieur Burgaud d'abord n'est plus juge. Il est substitut du procureur de la République à Paris, sauf erreur. Donc il n'est plus magistrat du siège, il est magistrat du Parquet.
Q- Et quand vous dites, hier vous l'avez dit, vous refusez des poursuites judiciaires contre tout juge auteur d'erreurs grossières et manifeste d'appréciation, et vous dites il faudrait les orienter fers d'autres fonctions, c'est-à-dire les sortir du métier, à qui vous pensiez ?
R- Nous avons de temps en temps des décisions aberrantes. Or il n'y a aucun moyen de riposter, si je peux dire, de la décision aberrante d'un juge. Eh bien je propose qu'à travers un filtre, qui pourrait être le médiateur de la République, le Conseil supérieur de la magistrature puisse être saisi afin, précisément, d'orienter dans une autre direction ou une autre fonction le magistrat en question, qui aurait pris effectivement une décision aberrante. C'est à dire une erreur grossière et manifeste d'appréciation.
Q- Pour conclure ensemble, P. Clément, après les 200 heures d'audition de la commission d'enquête, l'intérêt demeure mais la passion a disparu. Il y a plus de recul et d'esprit critique. Et est-ce que les excès du début autour de F. Burgaud, de la presse, de certains magistrats et même des acquittés, peuvent être relativisés ?
R- Ecoutez je trouve que cette commission d'enquête a remarquablement fonctionné. Grâce en soit rendue à A. Vallini et P. Houillon. Je pense que nous avons maintenant un espace de consensus. Il faut en profiter, c'est l'intérêt de la justice, c'est l'intérêt de notre pays.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 avril 2006