Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur la place de la France dans le processus de mondialisation, ses atouts, et sur le rôle de l'OMC comme élément régulateur du commerce mondial, Lille le 6 mai 2006.

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Circonstance : Conférence à l'EDHEC à Lille le 6 mai 2006

Texte intégral

Le monde compte aujourd'hui plus de 6 milliards d'habitants. L'Europe, qui représentait 20% de la population mondiale en 1970, ne compte aujourd'hui que pour 5%. La France suit le même chemin et représente moins de 1% de ce total.
Mais, dans le même temps, son degré d'ouverture à l'économie mondiale, qui mesure le rapport entre les échanges internationaux de la France et son PIB, est passé de 11% en 1960 à 22% en 2005. Durant cette période, la France s'est ouverte à l'économie mondiale et aux capitaux étrangers, tandis que les grandes entreprises françaises prenaient une stature européenne, voire internationale.
Dans le même temps, le Royaume-Uni passait de 16 à 20% et les Etats-Unis de 3 à 10%. La comparaison avec le Royaume-Uni, toujours présenté comme l'économie la plus ouverte du vieux continent, est particulièrement parlante. Elle montre à la fois la grande ouverture de l'économie française et sa rapide transformation pendant cette période. La France n'est pas immobile, comme on le croit trop souvent.
Les sociétés du CAC 40 réalisent les 2/3 de leurs activités et emploient les 2/3 de leurs salariés hors de France.
L'économie française représente aujourd'hui 5% des échanges mondiaux. En 2005, la France était 5eexportateur mondial de marchandises (avec plus de 350 Mds d'euros) et 4e exportateur mondial de services (plus de 90 Mds d'euros).
En terme de PIB, la France se classe au 6e rang mondial et au 3e rang européen.
La France semble donc tirer son épingle du jeu dans la compétition internationale. Mais dans le même temps, les Français expriment leur crainte des excès de la mondialisation en votant Non au référendum du 29 mai et les délocalisations les plus spectaculaires, comme celle de Hewlett Packard, figurent régulièrement en une des journaux.
PLAN
Mon propos, aujourd'hui, est de réfléchir avec vous sur le sens de la mondialisation et, en passant, de tordre le cou à quelques idées fausses sur la mondialisation :
1. La France est-elle victime de la mondialisation
2.La France est-elle passive face à la mondialisation ?
3.La régulation de la mondialisation : l'OMC
Qu'est ce que la mondialisation ?
Vous le savez, la mondialisation désigne d'abord l'accroissement des échanges commerciaux et financiers à l'échelle de la planète, mais aussi l'interdépendance croissante des Etats entre eux et des régions du monde entre elles.
Mais, la mondialisation ne désigne pas seulement une réalité économique à laquelle on la réduit trop souvent. Elle renvoie aussi à une transformation de la nature des échanges internationaux. Les TIC, les technologies de l'information et de la communication créent une société de la connaissance. Ex : Des téléphones portables à Internet, des Ipod aux micro-ordinateurs, c'est toute la structure du monde du travail, mais aussi notre vie quotidienne, qui en sortent transformées.
Enfin, la mondialisation représente aussi une démarche active et volontariste des Etats visant à établir des règles communes à l'échelle de la planète pour vaincre la pauvreté et promouvoir le développement, pour tenter de résoudre des problèmes globaux : politique, social, économique ou encore climatique.
Ces tentatives s'inscrivent bien sûr dans le cadre multilatéral des organisations internationales, comme l'ONU ou l'OMC. Mais, elles sont aussi le fait des multinationales qui élaborent des réglementations et des normes communes pour résoudre leurs litiges et disposer d'un langage juridique commun.
Ces trois manières de définir la mondialisation illustrent la difficulté de cerner le phénomène. Elles montrent surtout combien la réalité en marche est complexe et potentiellement génératrice de peurs nouvelles et notamment celle d'être victime de la mondialisation.
I) La France est-elle victime de la mondialisation ?
Les Français peuvent avoir l'impression d'être entraînés dans un mouvement qui les dépasse. Ils redoutent parfois d'être victimes de ce mouvement. Ex : référendum du 29 mai.
1.1. En fait, l'ouverture aux échanges impose à la France des disciplines extérieures bénéfiques :
L'ouverture au commerce international rend les entreprises françaises plus compétitives sur les marchés européens et internationaux. Ex de champions français : Publicis, Loreal, Airbus...
L'harmonisation européenne renforce notre discipline budgétaire. Ex : critères de Maastricht : 3% de déficit public.
L'ouverture commerciale, en stimulant la concurrence, bénéficie directement au consommateur et favorise la baisse des prix. Ex : les télécommunications : accès à Internet haut débit
Dans un système économique ouvert, le respect des règles de la concurrence, la chasse aux monopoles nationaux ou européens, sont la meilleure garantie que les droits des consommateurs et des citoyens seront respectés.
L'ouverture au commerce international peut être un moyen de faire sauter nos verrous intérieurs, nos lignes Maginot. Ex : fin du monopole de France Telecom grâce à l'Europe a bénéficié à tous les consommateurs.
La mondialisation, qu'elle prenne le visage de l'Europe ou de l'ouverture aux échanges internationaux, n'est pas source de menaces pour les entreprises et les citoyens français.
Car :
1.2. La France a des atouts dans la compétition internationale
En fait, la France est tout à fait prête à affronter la concurrence internationale. Son arme principale tient à son degré de développement technologique qui lui permet d'innover constamment dans le domaine des biens et des services, quand elle est concurrencée sur le terrain des coûts de production. Et c'est bien là tout l'objet de la « société de la connaissance » que l'Union Européenne veut mettre en place grâce à l'agenda de Lisbonne.
Les Airbus, TGV, Ariane, Galileo et autres produits de haute technologie sont bien la preuve que la France, avec l'Europe, sait relever les défis de la mondialisation.
Le taux de productivité horaire des Français est le 2e au sein de l'OCDE après la Norvège.
Le coût horaire de la main d'oeuvre est un des plus bas d'Europe au niveau de l'Espagne et de l'Italie.
En termes de compétitivité, les entreprises ont su relever le défi du développement multinational. Il y a 30 ans, la France n'avait aucun leader mondial en économie. Aujourd'hui, elle en a vingt, y compris dans les secteurs d'activité de pointe.
1.3. Délocalisations, emplois et mondialisation
Mais dans le même temps, des Français souffrent du chômage. Ils sont parfois victimes de délocalisations. Les délocalisations frappent bien sûr le territoire national et le cas de Hewlett Packard en est l'exemple le plus récent.
Mais gardons bien à l'esprit que pour un emploi détruit, deux autres sont créés en France dans le même temps par les investissements étrangers.
Toutes les études économiques convergent pour montrer que moins de 5% des emplois détruits en France chaque année le sont à cause de délocalisations.
Les médias nous montrent la face tragique de la mondialisation -et c'est leur rôle d'informer les Français des malheurs qui touchent la communauté nationale. Mais dans le même temps, ils ne nous informent pas des entreprises et des emplois qui se créent grâce aux investissements étrangers, -et c'est bien normal, tant le phénomène est banal et quotidien.
Dans les faits, les entreprises étrangères créent des emplois en France. Depuis 2000, régulièrement dans le top 5 mondial des IDE, en 2005, la France a accueilli 38 milliards d'euros
1 salarié du privé sur 7 travaille en France pour une entreprise étrangère (selon l'Insee), contre 1 sur 10 en moyenne dans l'UE. Ce degré d'ouverture nous place devant les Britanniques, les Allemands ou les Hollandais.
Les entreprises étrangères représentent 45% de nos exportations de biens et 30% de nos exportations de biens et services.
Tous critères économiques confondus, la France est même considérée comme plus ouverte que les Etats-Unis. L'indice d'ouverture internationale publié par la CNUCED fixe ainsi la moyenne des pays développés à 12, la France à 13 et les Etats-Unis à 8.
-la France n'est pas une friche industrielle : les difficultés de certains secteurs vont de pair avec la progression d'autres (industries agroalimentaires, pharmacie, cosmétiques)
-investir à l'étranger, c'est une marque de bonne santé et un impératif dans un monde plus ouvert :
les dix secteurs industriels français qui ont le plus investi à l'étranger ont parallèlement créé 100.000 emplois en France.
2. La France est-elle passive face à la mondialisation ?
Face à la mondialisation, la France dispose tout de même de certains instruments dans le jeu économique international.
A l'échelon régional, notre premier instrument, parfois décrié, bien à tort, est toujours l'UE. Rappelons que la France réalise les 2/3 de ses échanges avec ses partenaires européens. C'est dire l'importance de cet échelon régional.
En outre, tel un bouclier, l'euro a permis de mettre en place une zone économique protégée des turbulences financières internationales et des spéculations sur les monnaies.
Mais l'Union Européenne ne s'est pas arrêtée là. Pour préparer l'avenir, l'UE, à travers l'agenda de Lisbonne, s'est fixée comme objectif de devenir l'espace économique le plus compétitif au monde, en stimulant l'apparition d'une société de la connaissance et en favorisant l'innovation. Car, les dépenses de RetD de l'UE représentent à peine 2% du PIB contre 3% aux Etats-Unis.
A l'échelon national, la France n'est pas démunie. Elle peut toujours disposer de son budget et mettre en place des politiques visant à stimuler la recherche et l'innovation. C'est tout le sens de la mise en place,
-en janvier, de l'Agence Nationale pour la Recherche,
-en juillet dernier, de 67 pôles de compétitivité,
-et en août, de l'Agence de l'Innovation Industrielle destinée à lancer une politique de grands projets.
Toutes ces agences, dotées de moyens importants, visent à regrouper les divers acteurs de l'innovation, chercheurs, entrepreneurs et collectivités locales. Elles sont destinées à créer des passerelles entre la recherche fondamentale, les applications technologiques et leur production industrielle.
Enfin, à l'échelon international, la France n'est pas non plus inactive. Elle est un des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Elle a contribué de manière décisive à l'annulation de la dette des pays les moins avancés, par le FMI, d'un montant de 55 Mds de dollars.
Elle participe aux négociations de l'OMC, l'Organisation Mondiale du Commerce
3. Une forme de régulation de la mondialisation : l'OMC
Successeur du GATT, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a vu le jour le 1er janvier 1995. Son premier rôle est d'arbitrer les conflits commerciaux entre pays membres. L'organe de règlement des conflits confère à l'OMC un pouvoir de sanction considérable en matière de droit commercial, unique dans le droit international, qui bénéficie aux petits pays et aux PED.
Les grandes puissances, Etats-Unis et Union Européenne, y sont régulièrement condamnées et contraintes de se soumettre aux règles communes. Ex : condamnation du Foreign Sales Corporation + Coton américain subventionné.
Mais l'OMC a aussi un autre rôle : celui d'encadrer le système économique mondial par des accords multilatéraux qui permettent de poser des règles du jeu.
L'OMC compte aujourd'hui 150 membres qui sont engagés depuis 2001 dans une vaste négociation internationale sur une vingtaine de sujets dont une des étapes essentielles a eu lieu à Hong Kong en décembre dernier.
3.1. Une organisation au coeur du débat sur la mondialisation
En dépit de sa création récente (1995), l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se trouve régulièrement au coeur du débat sur la mondialisation.
La coopération économique internationale est devenue une priorité après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle est née d'un rêve : que la liberté du commerce entre nations permette de retrouver la prospérité par l'échange et la paix par l'interdépendance commerciale. Ce rêve est devenu réalité.
Dès 1948, le GATT devient l'instrument de régulation du commerce. Il vise à éliminer les entraves au commerce. Les droits de douane moyens sur les produits industriels passent ainsi de 40 % en 1948 à moins de 6 % en 2000.
Les « Trente Glorieuses » et la forte croissance, de plus de 5% par an, que connurent les pays développés jusqu'au début des années 70, en furent un des résultats les plus tangibles.
Aujourd'hui, sur le même modèle, grâce au commerce international, les pays émergents, comme la Chine, le Brésil ou la Corée du Sud sont en phase de rattrapage et suivent le même chemin, avec des taux de croissance dignes des « 30 glorieuses ». Ces pays dits « émergents » sont bien la preuve que le développement est possible par l'ouverture au commerce mondial et l'industrialisation.
3.2. Quels sont les onjectifs des négociations du cycle de Doha ?
Le cycle du développement qui a été lancé à Doha en novembre 2001 est un cycle ambitieux qui vise 3 objectifs :
(i) poursuivre l'ouverture mondiale des échanges
(ii) élaborer de nouvelles règles multilatérales pour encadrer ces échanges
(iii) mieux intégrer les pays en voie de développement dans le commerce mondial
A Hong Kong, la France et l'UE ont réalisé des avancées sur une plus grande ouverture des échanges de biens et de services, tout en adoptant des mesures pour les pays les moins avancés.
Les sujets en négociation qui doivent aboutir pour fin 2006:
-1) L'Agriculture : L'abaissement des aides à l'agriculture et l'ouverture aux produits agricoles des PED doit permettre le développement des pays pauvres et leur accès aux marchés occidentaux. Nous veillons également à maintenir en Europe les conditions nécessaires à une activité agricole dynamique considérant que les enjeux agricoles ne sont pas qu'économiques.
En échange, les pays développés souhaitent pouvoir exporter produits industriels et services vers les PED.
-2) Les Produits industriels : accès au marché des biens manufacturés qui sont souvent protégés par des barrières tarifaires dans les grands pays émergents ou par des pic tarifaires aux Etats Unis (automobiles taxées à 100% en Inde, 4X4 taxées à 25% aux Etats-Unis). Les négociations portent sur l'harmonisation des tarifs sous des plafonds : 10 pour les pays développés et 15 pour les PED.
-3) Les Services représentent l'économie moderne, les ¾ de nos emplois sont dans ce secteur. Objectif : faciliter les échanges de services (transport maritime, services environnementaux (traitement des eaux, des déchets), distribution (implantation de centres Carrefour), services financiers (bancaires et assurances) qui sont essentiels pour le développement des économies des PED.
-4) Le développement
Le volet développement est un objectif prioritaire pour la France
Le Cycle de Doha est le «Cycle du développement»
Pour les PED, la libéralisation doit être maîtrisée.
Trois sujets importants ont progressé à Hong Kong :
1. Traitement spécial : accès sans droits de douane pour les pays les moins avancés.
2. Fin des subventions à l'export sur le coton qui ne représentent qu'une faible partie des subventions.
3. L'accès aux médicaments: Pour la France, les règles commerciales sur la protection de la propriété intellectuelle ne doivent pas freiner l'approvisionnement en médicaments des pays en voie de développement qui connaissent des problèmes de santé publique grave. Le règlement européen qui a été avalisé par le Conseil le 28 avril dernier transposera les dispositions OMC dans le droit européen. Il sera publié au JO à la fin du mois de mai, permettant une application rapide au plan européen et national.
Des dispositions spécifiques doivent être octroyées aux PED pour l'accès au marché :
o Flexibilités pour les réductions tarifaires (produits agricoles dits "spéciaux" qui pourront conserver une certaine protection à des fins de sécurité alimentaire)
o Etalement des engagements sur des périodes plus longues
Engagements moins importants que pour les pays développés - par exemple tarifs plafonnés à 10% pour les biens manufacturés des PD et à 15% pour les PED
Un sujet important doit encore progresser: la différentiation entre les PED: il faut demander moins et offrir plus au Ghana qu'au Brésil, 10 fois plus riche et pourtant dans la même catégorie de pays.
Conclusion
L'échéance d'avril, qui avait été décidée à Hong-Kong pour un accord sur le volet agricole et "biens manufacturés", a été manquée du fait d'une position extrémiste des Etats-Unis sur l'agriculture : il veulent une ouverture brutale et rapide des marchés agricoles pour satisfaire leurs producteurs, ce qui déstabiliserait complètement les agricultures européennes et Asiatiques ainsi que les économies des pays les plus pauvres.
Source http://www.exporter.gouv.fr, le 12 mai 2006