Texte intégral
La dernière recommandation de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments concernant le mouton déclenche une polémique politique et met en effervescence les milieux scientifiques, votre secteur. Entre les experts de l'Afssa et ceux qui leur reprochent de jouer sur les peurs et d'en faire trop, à qui donnez-vous raison ?
- "Je crois qu'il faut éviter à la fois l'alarmisme et le laxisme. L'Afssa est une autorité indépendante qui travaille sur la base de bonnes expertises."
Et qui vous sert - le Gouvernement - tout en étant indépendant. Est-ce un instrument du Gouvernement ?
- "Non. Nous avons tenu à ce que les avis de l'Afssa soient rendues publiques de manière qu'ils soient mis à la disposition de l'opinion publique. L'Afssa est à la disposition de tout le monde. Elle peut être saisie même par des particuliers d'ailleurs."
Alors à qui vous donnez raison ?
- "Je ne donne raison à personne en particulier. Simplement, je remarque que dès 1996, le gouvernement Juppé, en ce qui concerne les ovins, avait fait une liste qu'on appelle de matériaux à risques spécifiés, qui comportait notamment la cervelle de mouton. Et maintenant, l'Afssa dit simplement, pour la cervelle de mouton par exemple, qu'il faut passer de douze mois à six mois. Donc, ce n'est pas un innovation extraordinaire. Simplement, nous allons examiner très attentivement cet avis et voir s'il appartient au Gouvernement de prendre des mesures."
En d'autres termes comprenez-vous ou ne comprenez-vous pas l'intervention du Président de la République sur le sujet ?
- "Je ne porterai pas d'appréciation sur ce qu'a dit le Président de la République. Je remarque simplement qu'il nous avait demandé en urgence et sans avis de l'Afssa d'interdire les farines animales - ce que nous avons fait ; que là, il y a un avis de l'Afssa et qu'il souhaite qu'on n'en tienne pas compte. Donc, il y a une forme de paradoxe."
F. Bayrou, le chef de l'UDF, a défendu hier l'Afssa, traité d'irresponsable par le Président de la République : "on ne peut pas la rendre responsable d'une nouvelle psychose." Entre ces deux tendances qui sont claires et nettes, où est le ministre de la Recherche ?
- "Il n'y a pas de psychose à avoir. Simplement, nous avons des avis de scientifiques, nous sommes responsables de la santé publique, nous appliquons le principe de précaution, et voilà. Nous le faisons dans le calme. Il ne s'agit pas d'alimenter une psychose ou de l'alarmisme. Il s'agit simplement d'une modalité à envisager."
Les experts disent que si le mouton est contaminé par la maladie de la vache folle, pourquoi s'arrêter aux intestins ? Il faut interdire à ce moment-là tout le mouton.
- "Je ne comprends pas le raisonnement. C'est une analogie avec ce qu'on fait sur la viande bovine. Le muscle est sain toujours dans la viande bovine. Pour les moutons, c'est très certainement la même chose. Donc, cela concernerait simplement, si les mesures étaient prises, la cervelle et les intestins. Nous étudions cet avis."
Etes-vous sûr que vous direz la même chose dans trois mois ou six mois ?
- "Mais certainement. Je ne vois pas pourquoi on dirait autre chose, sauf s'il y a des faits scientifiques nouveaux."
L'Inra envisage - on l'a dit hier au Salon de l'Agriculture - un début de régression de la maladie de la vache folle dans les deux ans qui viennent. Vous aussi ?
- "On peut avoir cet espoir parce que l'interdiction des farines carnées qui est un facteur d'ESB existe maintenant depuis plusieurs années, en tout cas pour les bovins, et par conséquent, on peut en effet espérer que la maladie va régresser. Mais là aussi il faut être tout à fait vigilant. Moi j'ai créé un groupement d'intérêt scientifique pour faire travailler ensemble les agences - l'Afssa, le CNRS, l'Inra, le CEA - et également les trois ministères concernés, le mien bien sûr, la Santé et l'Agriculture, de manière à coordonner les recherches et L. Jospin m'a accordé un triplement des moyens de recherche sur les maladies à prion. On passe de 70 à 210 millions de francs. C'est une somme tout à fait importante."
Il en faudrait combien ?
- "C'est une somme tout à fait importante par rapport à d'autres pays. En plus, j'ai la possibilité - et je le fais dès cette année - d'engager 120 personnels de recherche supplémentaires pour travailler sur la maladie à prion."
Demain, j'ai lu que le Premier ministre allait rendre visite aux agriculteurs. Doit-il aussi visiter le centre des scientifiques ?
- "Je pense que s'il y a un stand de l'Inra, oui ce serait en effet une bonne chose. L. Jospin a l'habitude d'aller vers les différents stands. Je considère en effet que l'Inra fait des recherches tout à fait utiles. Le problème est celui des OGM auxquels vous faites allusion, je pense. Les recherches sur les OGM sont contestés, mais il ne faut pas qu'elles soient contestées. Le principe de précaution, en réalité, crée une obligation de recherche pour réduire les incertitudes. Ce qui est très important, c'est de savoir la vérité, d'avoir le droit de savoir. Donc, n'empêchons pas la recherche publique de faire son travail. Simplement, sur les OGM, nous, nous continuons d'appliquer le moratoire de fait, c'est-à-dire que nous voulons qu'il y ait des mesures de traçabilité, d'étiquetage prises par la Commission européenne, sinon il n'est pas question d'autoriser de nouvelles mises en culture ou mises sur le marché d'OGM. Mais la recherche doit se poursuivre."
Vous êtes en train de dire que J. Bové a tort d'empêcher la recherche sur les OGM ?
- "Ah oui, à coup sûr. Je pense qu'il est parfaitement sincère. Mais il y a un débat citoyen que nous avons ouvert. Qu'il participe à ce débat citoyen. Les méthodes de violence pour empêcher la recherche ne sont ni nécessaires ni légitimes."
Dans un article récent dans le Figaro, vous estimiez nécessaire de repolitiser la science. N'avez-vous pas l'impression d'être maintenant servi ?
- "Je suis servi. Mais repolitiser la science cela veut dire remettre la science dans la cité, dans le débat civique et politique. Nos concitoyens sont très désireux de s'informer et de participer sur les questions comme les applications de la génomie, l'effet de serre, l'ESB, les thérapies géniques et cellulaires. Or cela n'est pas tellement dans le débat public. Dans le passé, Jaurès, De Gaulle et Mendès parlaient de la science. La science est absente du débat public, assez largement. Donc, il faut l'y remettre. Il faut la remettre dans les programmes des partis politiques notamment pour 2002."
C'est-à-dire pour la campagne de 2002, vous souhaitez que les candidats aux grandes élections de 2002 utilisent dans leur programme la place de la science dans tous les domaines ?
- "C'est la suggestion que je fais, parce que ce sont des sujets qui intéressent bien plus les Français que des débats qui leur apparaissent un peu théoriques ou limitées, comme le quinquennat par exemple. Ils sont désireux de savoir comment s'alimenter, mieux vivre en sécurité, mieux se soigner."
Comment voyez-vous l'affaire Raddad, là où vous êtes. Dix ans après le meurtre, les empreintes génétiques mêlées au sang de la victime n'appartiennent pas à O. Raddad ?
- "C'est une application de la police scientifique. L'ADN masculin qui a été retrouvé n'est pas celui d'O. Raddad. Donc je pense que la requête en révision qu'il a déposée devrait être sans doute accueillie par la chambre criminelle de la Cour de cassation. C'est un pronostic, ce n'est pas une suggestion."
Cela veut dire que même s'il n'est pas pour autant innocenté, à partir de là, on peut imaginer une révision du procès ?
- "Il y a une requête en révision déposée par O. Raddad. Il est probable, dans ce cas-là, que la chambre criminelle se fondant sur cet élément, aura de meilleures chances de l'accueillir."
Cela veut dire que même si elle ne peut pas tout, la science aide de plus en plus la justice et elle l'aidera à établir la vérité ?
- "Oui, tout à fait. Ce n'est pas une application essentielle de la science, c'est une application parmi d'autres."
Je parlerai avec vous tout à l'heure du rapport de l'ONU sur le climat. Mais il y a deux sujets d'actualité : les Kurdes échoués samedi à Saint-Raphaël sont libres. Ils disposent de sauf-conduits pour huit jours et vont déposer librement une demande d'asile. Le Gouvernement, le PS, la gauche ont changé pratiquement, depuis samedi, de tactique tous les jours. Est-ce qu'il y a une politique ?
- "Je ne crois pas qu'on puisse dire cela. Il n'y a pas eu changement de tactique. Simplement, il faut accueillir ces réfugiés qui arrivent dans des conditions dramatiques de manière humaine. Il y a un sauf-conduit de huit jours. L'OFPRA - l'office chargée des réfugiés - va examiner leurs demandes d'asile politique cas par cas."
A partir de là, quel est le message qui est donné à ceux qui sont candidats à l'immigration, aux trafiquants, aux négriers et aux passeurs qu'on a dénoncés il y a quelques jours ?
- "C'est un problème tout à fait réel, parce qu'il ne faut pas que cela apparaisse comme un encouragement aux négriers, aux mafias qui font en quelque sorte du trafic de personnes, en les emmenant sur les côtes françaises par exemple. Mais le vrai problème des Kurdes est un problème lié à la situation internationale. Tant que l'Irak n'aura pas vis-à-vis des Kurdes une politique respectant davantage leur identité, il y aura ces problèmes."
Alors, il faut encourager les Américains à aller bombarder Bagdad ?
- "Je ne dis pas cela. Il faut encourager le régime irakien à avoir une autre attitude vis-à-vis d'une partie très importante de sa population."
La Corse. Le projet Jospin-Vaillant est examiné dans une heure et demi en Conseil des ministres, avec les réserves du Président de la République qui estime que certaines mesures portent atteinte à l'unité de la République ?
- "Je ne suis pas en accord avec cette analyse, parce que la République, ce n'est pas nécessairement la République jacobine, uniformisatrice qui passerait partout le rouleau compresseur de l'uniformité. Il y a un modèle de République qui peut être plus décentralisée. Nous, nous avons élaboré un projet de loi, qui a été élaboré dans la totale transparence, en concertation avec les élus de Corse qui l'ont votée à une énorme majorité et pour trouver un chemin de paix en Corse, après vingt-cinq années de désordres."
Et si le Conseil constitutionnel désavoue ce projet ?
- "Je ne pense pas qu'il le désavouera. Je crois en tout cas que le débat parlementaire permettra d'éclairer les dispositions sur lesquels le Conseil d'Etat a émis des réserves, qui ne me paraissent pas d'ailleurs, comme juriste, très convaincantes."
On nous dit et on lit que la gauche pourrait gagner pas mal aux municipales.
- "Ce serait bien en effet."
C'est votre jugement. Vous êtes six ministres candidats aux municipales. Si trois ou quatre d'entre vous prenaient une veste, ce serait pour Jospin une demi victoire ou une vraie défaite ?
- "On est quinze ministres candidats, mais six ministres candidats dans des villes détenues actuellement par la droite, dont moi-même à Villeneuve-Saint-Georges. Je pense qu'il faut dans ce cas-là dire que ceux qui vont au combat électoral le font avec un certain courage. Il vaut mieux aller au combat électoral, prendre des risques que de rester planqué dans son ministère sous les ors et les lambris, et afficher la pancarte "do not disturb" - "ne pas déranger" - comme dans les hôtels. Nous ne sommes pas là pour cela. Si nous n'avons pas des attaches locales, nous allons devenir des technocrates aseptisés, désincarnés. Alors, pour répondre à votre question, je crois que l'on peut dire que les ministres qui sont dans des villes de gauche vont très certainement être réélus ; ceux qui vont à la conquête de villes de droite vont certainement à mon avis être élus. S'ils ne l'étaient pas, on pourrait dire pour eux : "mieux vaut et l'essentiel comme en sport, c'est ne pas déclarer forfait, ne pas rester dans les vestiaires." C'est un peu Hémingway : "En avoir ou pas", je veux dire du courage politique."
Et Paris ?
- "Les sondages donnent des espoirs tout à fait réels pour Paris. Donc, il faut continuer très activement cette campagne menée très bien par B. Delanoë et D. Vaillant."
Une autre fois, nous parlerons de l'ONU qui vient de vous remettre en tant que décideur, un rapport qui fait froid dans le dos, sur l'évolution du climat pour les siècles à venir. On y trouve tous les cauchemars de l'humanité : inondations, sécheresse, disparitions de villes, etc. Mais il n'y a pas urgence
- "Il y a urgence véritable, parce qu'il faut prendre des mesures. Il ne faut pas dire, comme Louis XV : "après moi, je déluge." Face à ces problèmes, il faut que les Etats agissent pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le fassent avec une volonté internationale. Qu'on applique le protocole de Kyoto et par conséquent, les Américains qui font beaucoup tarder cela - l'administration Bush - consentent à ce qu'une nouvelle conférence internationale se réunisse rapidement."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 21 février 2001)
- "Je crois qu'il faut éviter à la fois l'alarmisme et le laxisme. L'Afssa est une autorité indépendante qui travaille sur la base de bonnes expertises."
Et qui vous sert - le Gouvernement - tout en étant indépendant. Est-ce un instrument du Gouvernement ?
- "Non. Nous avons tenu à ce que les avis de l'Afssa soient rendues publiques de manière qu'ils soient mis à la disposition de l'opinion publique. L'Afssa est à la disposition de tout le monde. Elle peut être saisie même par des particuliers d'ailleurs."
Alors à qui vous donnez raison ?
- "Je ne donne raison à personne en particulier. Simplement, je remarque que dès 1996, le gouvernement Juppé, en ce qui concerne les ovins, avait fait une liste qu'on appelle de matériaux à risques spécifiés, qui comportait notamment la cervelle de mouton. Et maintenant, l'Afssa dit simplement, pour la cervelle de mouton par exemple, qu'il faut passer de douze mois à six mois. Donc, ce n'est pas un innovation extraordinaire. Simplement, nous allons examiner très attentivement cet avis et voir s'il appartient au Gouvernement de prendre des mesures."
En d'autres termes comprenez-vous ou ne comprenez-vous pas l'intervention du Président de la République sur le sujet ?
- "Je ne porterai pas d'appréciation sur ce qu'a dit le Président de la République. Je remarque simplement qu'il nous avait demandé en urgence et sans avis de l'Afssa d'interdire les farines animales - ce que nous avons fait ; que là, il y a un avis de l'Afssa et qu'il souhaite qu'on n'en tienne pas compte. Donc, il y a une forme de paradoxe."
F. Bayrou, le chef de l'UDF, a défendu hier l'Afssa, traité d'irresponsable par le Président de la République : "on ne peut pas la rendre responsable d'une nouvelle psychose." Entre ces deux tendances qui sont claires et nettes, où est le ministre de la Recherche ?
- "Il n'y a pas de psychose à avoir. Simplement, nous avons des avis de scientifiques, nous sommes responsables de la santé publique, nous appliquons le principe de précaution, et voilà. Nous le faisons dans le calme. Il ne s'agit pas d'alimenter une psychose ou de l'alarmisme. Il s'agit simplement d'une modalité à envisager."
Les experts disent que si le mouton est contaminé par la maladie de la vache folle, pourquoi s'arrêter aux intestins ? Il faut interdire à ce moment-là tout le mouton.
- "Je ne comprends pas le raisonnement. C'est une analogie avec ce qu'on fait sur la viande bovine. Le muscle est sain toujours dans la viande bovine. Pour les moutons, c'est très certainement la même chose. Donc, cela concernerait simplement, si les mesures étaient prises, la cervelle et les intestins. Nous étudions cet avis."
Etes-vous sûr que vous direz la même chose dans trois mois ou six mois ?
- "Mais certainement. Je ne vois pas pourquoi on dirait autre chose, sauf s'il y a des faits scientifiques nouveaux."
L'Inra envisage - on l'a dit hier au Salon de l'Agriculture - un début de régression de la maladie de la vache folle dans les deux ans qui viennent. Vous aussi ?
- "On peut avoir cet espoir parce que l'interdiction des farines carnées qui est un facteur d'ESB existe maintenant depuis plusieurs années, en tout cas pour les bovins, et par conséquent, on peut en effet espérer que la maladie va régresser. Mais là aussi il faut être tout à fait vigilant. Moi j'ai créé un groupement d'intérêt scientifique pour faire travailler ensemble les agences - l'Afssa, le CNRS, l'Inra, le CEA - et également les trois ministères concernés, le mien bien sûr, la Santé et l'Agriculture, de manière à coordonner les recherches et L. Jospin m'a accordé un triplement des moyens de recherche sur les maladies à prion. On passe de 70 à 210 millions de francs. C'est une somme tout à fait importante."
Il en faudrait combien ?
- "C'est une somme tout à fait importante par rapport à d'autres pays. En plus, j'ai la possibilité - et je le fais dès cette année - d'engager 120 personnels de recherche supplémentaires pour travailler sur la maladie à prion."
Demain, j'ai lu que le Premier ministre allait rendre visite aux agriculteurs. Doit-il aussi visiter le centre des scientifiques ?
- "Je pense que s'il y a un stand de l'Inra, oui ce serait en effet une bonne chose. L. Jospin a l'habitude d'aller vers les différents stands. Je considère en effet que l'Inra fait des recherches tout à fait utiles. Le problème est celui des OGM auxquels vous faites allusion, je pense. Les recherches sur les OGM sont contestés, mais il ne faut pas qu'elles soient contestées. Le principe de précaution, en réalité, crée une obligation de recherche pour réduire les incertitudes. Ce qui est très important, c'est de savoir la vérité, d'avoir le droit de savoir. Donc, n'empêchons pas la recherche publique de faire son travail. Simplement, sur les OGM, nous, nous continuons d'appliquer le moratoire de fait, c'est-à-dire que nous voulons qu'il y ait des mesures de traçabilité, d'étiquetage prises par la Commission européenne, sinon il n'est pas question d'autoriser de nouvelles mises en culture ou mises sur le marché d'OGM. Mais la recherche doit se poursuivre."
Vous êtes en train de dire que J. Bové a tort d'empêcher la recherche sur les OGM ?
- "Ah oui, à coup sûr. Je pense qu'il est parfaitement sincère. Mais il y a un débat citoyen que nous avons ouvert. Qu'il participe à ce débat citoyen. Les méthodes de violence pour empêcher la recherche ne sont ni nécessaires ni légitimes."
Dans un article récent dans le Figaro, vous estimiez nécessaire de repolitiser la science. N'avez-vous pas l'impression d'être maintenant servi ?
- "Je suis servi. Mais repolitiser la science cela veut dire remettre la science dans la cité, dans le débat civique et politique. Nos concitoyens sont très désireux de s'informer et de participer sur les questions comme les applications de la génomie, l'effet de serre, l'ESB, les thérapies géniques et cellulaires. Or cela n'est pas tellement dans le débat public. Dans le passé, Jaurès, De Gaulle et Mendès parlaient de la science. La science est absente du débat public, assez largement. Donc, il faut l'y remettre. Il faut la remettre dans les programmes des partis politiques notamment pour 2002."
C'est-à-dire pour la campagne de 2002, vous souhaitez que les candidats aux grandes élections de 2002 utilisent dans leur programme la place de la science dans tous les domaines ?
- "C'est la suggestion que je fais, parce que ce sont des sujets qui intéressent bien plus les Français que des débats qui leur apparaissent un peu théoriques ou limitées, comme le quinquennat par exemple. Ils sont désireux de savoir comment s'alimenter, mieux vivre en sécurité, mieux se soigner."
Comment voyez-vous l'affaire Raddad, là où vous êtes. Dix ans après le meurtre, les empreintes génétiques mêlées au sang de la victime n'appartiennent pas à O. Raddad ?
- "C'est une application de la police scientifique. L'ADN masculin qui a été retrouvé n'est pas celui d'O. Raddad. Donc je pense que la requête en révision qu'il a déposée devrait être sans doute accueillie par la chambre criminelle de la Cour de cassation. C'est un pronostic, ce n'est pas une suggestion."
Cela veut dire que même s'il n'est pas pour autant innocenté, à partir de là, on peut imaginer une révision du procès ?
- "Il y a une requête en révision déposée par O. Raddad. Il est probable, dans ce cas-là, que la chambre criminelle se fondant sur cet élément, aura de meilleures chances de l'accueillir."
Cela veut dire que même si elle ne peut pas tout, la science aide de plus en plus la justice et elle l'aidera à établir la vérité ?
- "Oui, tout à fait. Ce n'est pas une application essentielle de la science, c'est une application parmi d'autres."
Je parlerai avec vous tout à l'heure du rapport de l'ONU sur le climat. Mais il y a deux sujets d'actualité : les Kurdes échoués samedi à Saint-Raphaël sont libres. Ils disposent de sauf-conduits pour huit jours et vont déposer librement une demande d'asile. Le Gouvernement, le PS, la gauche ont changé pratiquement, depuis samedi, de tactique tous les jours. Est-ce qu'il y a une politique ?
- "Je ne crois pas qu'on puisse dire cela. Il n'y a pas eu changement de tactique. Simplement, il faut accueillir ces réfugiés qui arrivent dans des conditions dramatiques de manière humaine. Il y a un sauf-conduit de huit jours. L'OFPRA - l'office chargée des réfugiés - va examiner leurs demandes d'asile politique cas par cas."
A partir de là, quel est le message qui est donné à ceux qui sont candidats à l'immigration, aux trafiquants, aux négriers et aux passeurs qu'on a dénoncés il y a quelques jours ?
- "C'est un problème tout à fait réel, parce qu'il ne faut pas que cela apparaisse comme un encouragement aux négriers, aux mafias qui font en quelque sorte du trafic de personnes, en les emmenant sur les côtes françaises par exemple. Mais le vrai problème des Kurdes est un problème lié à la situation internationale. Tant que l'Irak n'aura pas vis-à-vis des Kurdes une politique respectant davantage leur identité, il y aura ces problèmes."
Alors, il faut encourager les Américains à aller bombarder Bagdad ?
- "Je ne dis pas cela. Il faut encourager le régime irakien à avoir une autre attitude vis-à-vis d'une partie très importante de sa population."
La Corse. Le projet Jospin-Vaillant est examiné dans une heure et demi en Conseil des ministres, avec les réserves du Président de la République qui estime que certaines mesures portent atteinte à l'unité de la République ?
- "Je ne suis pas en accord avec cette analyse, parce que la République, ce n'est pas nécessairement la République jacobine, uniformisatrice qui passerait partout le rouleau compresseur de l'uniformité. Il y a un modèle de République qui peut être plus décentralisée. Nous, nous avons élaboré un projet de loi, qui a été élaboré dans la totale transparence, en concertation avec les élus de Corse qui l'ont votée à une énorme majorité et pour trouver un chemin de paix en Corse, après vingt-cinq années de désordres."
Et si le Conseil constitutionnel désavoue ce projet ?
- "Je ne pense pas qu'il le désavouera. Je crois en tout cas que le débat parlementaire permettra d'éclairer les dispositions sur lesquels le Conseil d'Etat a émis des réserves, qui ne me paraissent pas d'ailleurs, comme juriste, très convaincantes."
On nous dit et on lit que la gauche pourrait gagner pas mal aux municipales.
- "Ce serait bien en effet."
C'est votre jugement. Vous êtes six ministres candidats aux municipales. Si trois ou quatre d'entre vous prenaient une veste, ce serait pour Jospin une demi victoire ou une vraie défaite ?
- "On est quinze ministres candidats, mais six ministres candidats dans des villes détenues actuellement par la droite, dont moi-même à Villeneuve-Saint-Georges. Je pense qu'il faut dans ce cas-là dire que ceux qui vont au combat électoral le font avec un certain courage. Il vaut mieux aller au combat électoral, prendre des risques que de rester planqué dans son ministère sous les ors et les lambris, et afficher la pancarte "do not disturb" - "ne pas déranger" - comme dans les hôtels. Nous ne sommes pas là pour cela. Si nous n'avons pas des attaches locales, nous allons devenir des technocrates aseptisés, désincarnés. Alors, pour répondre à votre question, je crois que l'on peut dire que les ministres qui sont dans des villes de gauche vont très certainement être réélus ; ceux qui vont à la conquête de villes de droite vont certainement à mon avis être élus. S'ils ne l'étaient pas, on pourrait dire pour eux : "mieux vaut et l'essentiel comme en sport, c'est ne pas déclarer forfait, ne pas rester dans les vestiaires." C'est un peu Hémingway : "En avoir ou pas", je veux dire du courage politique."
Et Paris ?
- "Les sondages donnent des espoirs tout à fait réels pour Paris. Donc, il faut continuer très activement cette campagne menée très bien par B. Delanoë et D. Vaillant."
Une autre fois, nous parlerons de l'ONU qui vient de vous remettre en tant que décideur, un rapport qui fait froid dans le dos, sur l'évolution du climat pour les siècles à venir. On y trouve tous les cauchemars de l'humanité : inondations, sécheresse, disparitions de villes, etc. Mais il n'y a pas urgence
- "Il y a urgence véritable, parce qu'il faut prendre des mesures. Il ne faut pas dire, comme Louis XV : "après moi, je déluge." Face à ces problèmes, il faut que les Etats agissent pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le fassent avec une volonté internationale. Qu'on applique le protocole de Kyoto et par conséquent, les Américains qui font beaucoup tarder cela - l'administration Bush - consentent à ce qu'une nouvelle conférence internationale se réunisse rapidement."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 21 février 2001)