Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Libération" le 27 mai 2006, sur la décision du président de la République d'amnistier Guy Drut et sur le climat politique de "déliquescence".

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Le président de l'UDF, François Bayrou, fustige la décision «
arbitraire » de Jacques Chirac, une preuve de plus de « la
déliquescence du régime ».
Amnistier Guy Drut en pleine affaire Clearstream, est-ce bien judicieux
de la part de Jacques Chirac ?
La question qu'on se pose, c'est : « sont-ils devenus fous ?» Notre
pays est secoué par des relents d'affaires, Clearstream, frégates de
Taiwan, et on en rajoute dans l'inacceptable ! Jacques Chirac plaidait
en 2002 pour la « tolérance zéro », et voilà qu'il choisit d'effacer de
sa propre autorité la condamnation, non pas d'un champion sportif, mais
d'un député du parti majoritaire dans une affaire d'emplois fictifs,
liée à des trafics d'influence au bénéfice de ce même parti. Il n'y a
plus rien de raisonnable dans l'attitude de ceux qui prennent une telle
décision. Cela signifie qu'ils considèrent qu'ils ont tous les droits,
que nous sommes désormais dans une monarchie absolue, un régime dans
lequel la justice appartient au pouvoir.
Cette décision est-elle significative de l'atmosphère de fin de règne
qui règne au sommet de l'Etat ?
Ceux qui nous gouvernent perdent le sens commun. Ce n'est pas seulement
propre à une fin de règne, c'est symptomatique de la dérive du régime.
Pendant le débat sur la motion de censure, j'ai dénoncé cet absolutisme
régnant. Tout dans l'attitude des gouvernants montre qu'ils considèrent
qu'il n'y a plus de règles, plus de principes, plus de comptes à rendre
et plus de limites. Le pire, c'est qu'ils ne voient même pas le rejet
et l'indignation qu'ils sont en train de faire naître au sein du peuple
français.
Pour rompre avec « l'absolutisme », vous seriez favorable à ce que le
Président ne dispose plus du droit de grâce ?
Je ne confonds pas cette amnistie arbitraire et le droit de grâce. L'
UDF n'a pas voté la loi d'amnistie en 2002 parce qu'elle dénonçait ce
risque d'arbitraire. Mais le droit de grâce, c'est autre chose. Il peut
arriver dans une société qu'une décision de justice, juridiquement
fondée, entraîne un trouble tel qu'il est utile qu'une autorité puisse
la remettre en cause pour ramener le calme. Imaginez par exemple, que
Mme Humbert ait été condamnée pour avoir mis un terme à la vie de son
fils. Juridiquement, cela aurait pu arriver. Dans ce cas, l'émotion
aurait été si grande qu'il aurait sans doute été justifié de faire
grâce, au nom du peuple français, pour mettre un terme à un trouble
dans la nation.
Redoutez-vous que l'attitude du pouvoir serve le Front national ?
Arrêtons de nous comporter devant l'extrémisme comme le poulet devant
le boa. Reconstruire la République, ce n'est pas l'affaire des
extrêmes, c'est celle des républicains. C'est notre affaire de réagir,
de refuser, de rendre impossible ces dérives. S'il fallait une preuve
de la déliquescence du régime que je dénonçais à la tribune de l'
Assemblée lors du débat de censure, la voilà ! Le premier principe de
la République, c'est l'égalité des droits et des devoirs devant la loi.
Même ceux qui avaient voté au début des années 90 la loi d'amnistie sur
le financement politique qui a créé tant de tumultes et décrédibilisé
la démocratie avaient pris la précaution d'exclure les députés du champ
de la loi. Ce qui est fou, ce n'est pas tant que Guy Drut essaie d'
échapper à sa condamnation, recherche toutes les voies de recours, c'
est que le président de la République et ceux qui l'entourent ne se
rendent pas compte que, en faisant bénéficier d'une telle faveur un
homme qui, en tant que député, est chargé de faire la loi, un homme de
leur parti, ils portent atteinte aux principes les plus élémentaires de
séparation des pouvoirs et d'impartialité de l'Etat. Ne croyons pas que
le peuple français va accepter ces pratiques et ces moeurs sans rien
dire. D'une manière ou d'une autre, il va tourner la page sur ces temps
décomposés.
Source http://www.udf.org, le 30 mai 2006