Déclaration de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, sur ses propositions pour modifier le règlement de l'Assemblée nationale et faciliter le travail parlementaire, Paris le 7 juin 2006.

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Texte intégral

De tous les Présidents de l'Assemblée nationale depuis 1958, Jean-Louis Debré a probablement été l'un des Présidents - sinon celui - qui s'est le plus investi dans le fonctionnement de notre maison pour améliorer ses conditions de travail, pour défendre les droits du Parlement et pour faire en sorte que le Parlement puisse, dans le cadre très contraint de la Vème République, débattre dans des conditions où opposition et majorité sont respectées.
Dans cette logique ses propositions de résolution pour moderniser quelques éléments de notre règlement n'étaient pas toutes recevables, mais elles méritaient un autre sort que celui qui leur a été fait, car in fine le texte qui sort des travaux de la commission des lois est extrêmement décevant.
Les principaux éléments positifs ont disparu et malheureusement des éléments négatifs sont apparus.
Pour ne citer que l'essentiel deux éléments positifs ont disparu :
1 - la fusion de la commission de la défense et des affaires étrangères, et sa conséquence, la scission de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
2 - la mise en place d'une procédure sur l'examen du caractère législatif ou réglementaire des textes qui nous sont soumis.
Bien sûr les armées ont leur problématique propre d'ailleurs comme tout corps social, mais leurs préoccupations peuvent tout à fait être examinées dans le cadre d'une commission commune « affaires étrangères et défense ». Chacun sait à quel point, dans le monde moderne, défense et politique étrangère sont liées. Elles l'ont toujours été mais le sont plus encore aujourd'hui dans un monde multipolaire où les interventions militaires sont le plus souvent décidées dans le cadre d'organisations internationales qu'il s'agisse de l'ONU, de l'Union européenne ou de l'OTAN et on sait à quel point le maintien d'une force capable d'intervenir dans toutes ses formes - de l'humanitaire à l'opération militaire « classique » est un facteur essentiel d'une politique étrangère crédible capable d'être entendue.
Dans l'ex-Yougoslavie, en Côte d'Ivoire ou en Asie centrale, c'est sous mandat international que nos forces sont présentes. A l'exception des forces dites de permanence, comme à Djibouti, la plupart des 33 000 hommes présents hors de nos frontières le sont sous divers mandats et notamment de l'ONU. La gestion des crises, la reconstruction de pays détruits par des guerres civiles, la lutte contre le terrorisme, la gestion des conflits, des opérations humanitaires, tout cela relève autant de la défense que de la politique étrangère.
Notre défense participe de notre politique étrangère, elle en est même un des instruments majeurs. D'ailleurs c'est tellement vrai que lors des grandes crises, comme la guerre au Koweït ou la crise dans les Balkans, la commission des affaires étrangères et la commission de la défense tenaient des réunions communes.
Et si l'on va même dans le détail, des questions que l'on estime généralement relevant de la défense comme celles du concept de dissuasion et des forces qui la composent relèvent pourtant d'une analyse conjointe « défense-politique étrangère ». C'est à partir de l'évaluation des menaces et des risques, de la vision de l'architecture globale du monde et de son organisation future, de l'espace d'évolution de notre pays et de ses alliances, comme par exemple la place que l'on fait à la construction européenne, que peut s'effectuer une analyse de notre force de dissuasion et de sa doctrine.
On pourrait le dire sur chaque grande composante de notre défense et sur toutes les questions d'ordre stratégique qui occupent autant la Commission des Affaires étrangères que la Commission de la Défense.
D'ailleurs, ce n'est pas par hasard qu'on ne parle plus du ministère des armées, ni du ministère de la défense nationale mais du ministère de la Défense.
Bref, il y avait là une évolution intelligente de notre architecture des commissions permanentes qui permettait, en plus, de scinder en 2 la commission des affaires sociales dont le spectre et la charge de travail - notamment depuis l'examen du budget de la sécurité sociale par notre Assemblée à la suite de la réforme Juppé - sont considérables.
Une autre proposition de Jean-Louis Debré aurait mérité d'être retenue : celle de la recevabilité des textes au titre des articles 34 et 37 de la Constitution.
On sait à quel point - et on en connaît les raisons - nos lois sont polluées par des dispositions réglementaires que cela soit du fait du gouvernement - par exemple au moins 1/3 des articles du projet de loi sur la réforme de l'assurance maladie étaient réglementaires, voire parfois du domaine de la circulaire - et du fait aussi des parlementaires eux-mêmes. Puis-je rappeler que la loi d'orientation agricole ou la loi sur l'eau avec leurs 110 articles contre une cinquantaine à l'origine, recèlent des trésors de dispositions réglementaires.
Ainsi a-t-on mis dans la loi sur l'eau que « les navires de plaisance équipés de toilettes devaient être munis de réservoirs destinés à recueillir les déchets organiques ». Croit-on un seul instant que cela relève de la loi qui normalement, en vertu de l'article 34 de la Constitution, fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées à chaque citoyen et détermine les principes fondamentaux sur les autres sujets.
La loi doit retrouver de sa force et donc de sa solennité et pour cela, elle ne doit pas être bavarde. Ce fatras de dispositions réglementaires amène d'ailleurs à dévaloriser la loi elle-même. A un point tel qu'on aboutit au paradoxe que l'on finit par admettre que la loi peut traiter de tout et même de ce qui ne la regarde pas, comme de l'histoire. C'est parce qu'on a dévalué la loi qu'on se permet ce genre de chose.
L'idée de la saisine au préalable - pour avis - du Président de la commission des lois sur le caractère réglementaire des dispositions contenues dans un projet de loi - ou des amendements -aurait eu à mon sens un effet préventif et donc curatif extrêmement efficace.
L'examen du Président de la commission des lois n'emportait aucune conséquence juridique mais aurait été, à coup sur, un progrès et aurait permis un vrai coup d'arrêt à la logorrhée législative dans laquelle nous sommes tombés, avant l'indispensable évolution de notre Constitution qui passe par la mise en place de l'équivalent d'un article 40 sur le respect du domaine de la loi et du règlement.
Dans ce texte des éléments positifs ont disparu et malheureusement des éléments négatifs sont apparus ou ont été maintenus.
Est ainsi apparue l'idée saugrenue de la déclaration de chaque groupe sur son appartenance à l'opposition ou à la majorité.
- Saugrenue, car c'est une notion qui est celle d'un régime purement parlementaire où se forme des majorités de coalition. Or, il ne vous a pas échappé que la Vème République a donné la primauté à la majorité présidentielle. D'ailleurs, le quinquennat sec a renforcé la présidentialisation du régime en faisant de l'élection législative une élection, seconde, subordonnée à l'élection présidentielle, une élection qui n'a plus de légitimité propre.
- Idée saugrenue, car la notion de majorité est relative et fluctuante. 2 exemples pour cela.
1er exemple : quand le RPR en décembre 1979 refuse de voter le budget de Raymond Barre et l'oblige à mettre en oeuvre le 49-3 est-il dans l'opposition ? Pourtant le RPR soutiendra, avec la force que l'on sait, Valéry Giscard d'Estaing quelques mois plus tard.
2ème exemple : quand le groupe communiste vote la censure, à la suite de la création de la CSG, est-il dans l'opposition ou dans la majorité ? Pourtant le PC fera cause commune avec le PS lors du budget de 1992 et lors des élections législatives de 1993.
- Saugrenue, car en fait on peut être en opposition à une politique menée par un gouvernement sans pour autant vouloir quitter une majorité présidentielle.
Encore cette déclaration d'appartenance à l'opposition ou à la majorité aurait eu un sens si elle conduisait au renforcement des droits de l'opposition, car on le sait bien c'est à partir du renforcement des droits de l'opposition que la fonction de contrôle tant abandonnée par notre Parlement et pourtant tellement essentiel pour mettre en oeuvre les adaptations dont la France a besoin, retrouvera de la couleur.
Et bien on nous propose de créer une déclaration d'appartenance à la majorité ou à l'opposition sans en tirer aucune conséquence sur les droits de l'opposition ; il y avait une bonne intention qui était de confier une présidence de commission à un membre de l'opposition mais j'ai cru comprendre qu'on la mettrait en pièce lors du débat dans l'hémicycle.
Enfin, cette déclaration d'appartenance est à coup sur contraire à la Constitution. Non seulement parce que cette notion de majorité et d'opposition n'existe pas dans la Constitution mais surtout parce que la Constitution a organisé très clairement et très précisément les conditions dans lesquelles s'effectue la détermination de l'appartenance à la majorité parlementaire. Il ne s'agit pas d'une déclaration préalable qui rappelle étrangement des pratiques de la IVème République mais d'un vote au titre d'un des trois alinéas de l'article 49.
Le 49-1 pour la question de confiance qui, dois je vous le rappeler, n'est pas obligatoire lors de la formation d'un nouveau gouvernement et les 49-2 et 3 sur la motion de censure. C'est ainsi que se détermine selon la Constitution l'appartenance à la majorité ou à l'opposition parlementaire- et non pas par une quelconque déclaration préalable et qui au demeurant n'a d'autant pas de sens qu'elle n'emporte aucune conséquence sur les droits de l'opposition.
Etre dans la majorité ou dans l'opposition, ce sont des faits, ce ne sont pas des déclarations.
Enfin était maintenu jusqu'à ce matin l'idée du crédit temps dans le cadre d'une nouvelle procédure - qui cachait bien mal son nom d'ailleurs- d'examen renforcé afin d'éviter la prolongation des débats et l'obstruction parlementaire.
Je voudrais cependant évoquer ce sujet tant l'idée me semble mauvaise. La possibilité de l'obstruction parlementaire, du filibustering est un droit absolu du Parlement ; il est d'ailleurs un droit reconnu dans toutes les démocraties du monde ; quels que soient les inconvénients dans la vie parlementaire quotidienne, des motions de procédure trop systématiques, des discussions générales trop longues, des amendements inutiles ou redondants le filibustering est un droit absolu non pas uniquement pour un groupe parlementaire mais aussi pour chaque député de cet hémicycle ; c'est le droit de pouvoir dénoncer par l'obstruction, le caractère dangereux de telles ou telles dispositions, de tels ou tels projets de loi, de telle ou telle politique.
Le Parlement doit demeurer le premier des lieux pour alerter l'opinion publique.
On le sait bien, pour que le pays puisse prendre la mesure de la gravité d'une situation il faut du temps, or c'est par le temps de l'obstruction que les Français peuvent ensuite appréhender les choses et se faire leur propre opinion.
En outre, il vaut mieux que le débat -même long- ait lieu dans l'hémicycle dont c'est la fonction plutôt qu'il ne se termine dans la rue et dans des conditions qui ne grandissent pas la politique. L'hémicycle doit être le lieu de la maturation des projets et de l'opinion et pour cela le temps n'est pas l'ennemi qu'on pointait du doigt à travers cette nouvelle procédure. C'est pourquoi, toutes les initiatives qui réduisent la durée des débats ne sont pas de bonnes idées.
On ne sait pas ce que nous réserve l'histoire mais nous savons que cette capacité d'alerte des français à travers les débats ou de maturation dans cet hémicycle doit être préservée. Elle devrait même être renforcée dans le cadre du jeu parlementaire.
Qui peut dire aujourd'hui que les débats sur les nationalisations- qui ont duré 20 jours- ou sur la décentralisation - qui ont duré 14 jours - ont été avec le recul de 2 décennies et ½ - ont été trop longs ?
En revanche, nous savons que les parlementaires doivent être à même de pouvoir dénoncer, avec tous les moyens de la procédure parlementaire, l'examen d'une loi comme celle qui a accordé les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain - et pour cela il faut que le règlement ne donne pas des moyens à une majorité, quelle qu'elle soit, de pouvoir interdire les débats par les facilités du règlement.
Au-delà de la question du maintien essentiel de la capacité d'obstruction, la procédure telle qu'elle était envisagée visait à vider -de facto- le droit d'amendement - droit constitutionnel reconnu à chaque parlementaire ; chaque député ne disposait que d'un droit de parole de 10 minutes ce qui veut dire qu'il ne pouvait défendre que quelques uns de ses amendements. Cette procédure vidait en plus l'expression des minorités des groupes.
Il y avait là une contradiction fondamentale entre la volonté de renforcer les droits du Parlement, la volonté de faire participer nos collègues au débat, et la création d'un système qui s'apparentait de près ou de loin à la possibilité de censurer l'expression des députés.
Pour conclure, à travers ses propositions, Jean Louis Debré voulait améliorer les conditions du travail parlementaire et lutter contre l'absentéisme. Aucun de ces 2 objectifs ne sera atteint par le texte issu de la commission des lois.
D'ailleurs, plus généralement, la restauration du Parlement ne passera par aucune modification même substantielle -on ne l'améliorera qu'à la marge - du règlement mais par une nouvelle Constitution qui seule sera en mesure de faire de la France une véritable démocratie, c'est-à-dire un système où des pouvoirs forts sont arrêtés et contrôlés par d'autres pouvoirs forts. Car une démocratie ça n'est pas simplement l'élection d'hommes et de femmes au suffrage universel mais l'organisation de pouvoirs et de contre pouvoirs. Or, depuis le quinquennat sec notre démocratie est encore plus déséquilibrée puisqu'à la concentration et à la confusion des pouvoirs dans les mains d'un seul homme, il n'y a plus aucun mécanisme de mise en jeu de la responsabilité, aucun mécanisme de contre pouvoir réel.
Notre Parlement ne retrouvera sa place et nos collègues s'investiront dans les débats et dans leurs fonctions de contrôle que si les mécanismes constitutionnels permettent de rompre avec la chape de plomb du fait majoritaire.
La restauration du Parlement dans ses droits passera notamment :
1 - Par la suppression de toute une série de mécanismes du parlementarisme rationalisé qui vide le Parlement de ses droits les plus élémentaires. Est il normal qu'on empêche l'Assemblée de se prononcer sur l'intégration de la Turquie à l'Union européenne ? Est-il normal par la procédure du vote bloqué de vider un texte des amendements pourtant adoptés par l'hémicycle mais qui déplaisent à l'exécutif ?
2 - Par la modification du mode de scrutin pour que les députés ne soient plus des arrondissementiers mais qu'ils se consacrent à ce pourquoi ils ont été élus, c'est-à-dire faire la loi et contrôler le Gouvernement.
3 - Par la fin du cumul des mandats et la limitation du cumul des mandats dans le temps pour faire respirer la Démocratie.
A priori 2007.
C'est pourquoi le groupe UDF votera contre ces propositions de résolution.Source http://www.udf.org, le 9 juin 2006