Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des affaires sociales du Sénat,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui devant vous s'attaque à une réalité que nous ne pouvons plus ignorer.
Cette réalité, c'est la souffrance de dizaines de milliers d'enfants. Des enfants victimes de négligence, d'indifférence, de manque d'amour. Des enfants victimes aussi de violences morales et psychiques, d'humiliations et de brimades. Des enfants enfin qui sont la proie de conflits aigus entre adultes et qui subissent la cruauté de rapports familiaux dégradés. Cette souffrance méconnue et silencieuse est intolérable.
La loi de 1989 a permis de lutter plus efficacement contre la maltraitance. Aujourd'hui, nous devons allez plus loin. Ce projet de loi est porteur d'une ambition nouvelle. Cette ambition, c'est de donner à chaque enfant les meilleures conditions pour s'épanouir et grandir. C'est de permettre à chaque enfant de trouver des repères pour se développer sur le plan physique, intellectuel, moral, affectif, spirituel et social.
Parce que ce sujet nous concerne tous, j'ai souhaité que cette réforme s'appuie sur la concertation la plus large, avec les professionnels, les associations, les élus. C'est maintenant le cas depuis près d'un an.
J'ai rencontré un grand nombre d'acteurs de la protection de l'enfance ; j'ai beaucoup consulté ; j'ai rencontré des présidents de conseil général, des experts, des professionnels, des représentants d'organisations professionnelles, des responsables d'associations, des signataires de « l'appel des Cent ».
J'ai reçu plusieurs rapports parlementaires éclairant les questions en débat. Pour ne parler que du Sénat, je veux citer ceux de Madame le Sénateur Marie-Thérèse HERMANGE, de Monsieur le Sénateur Philippe NOGRIX, de Monsieur le Président Louis de BROISSIA.
Je me suis déplacé à de nombreuses reprises à la rencontre des acteurs de terrain. J'ai organisé des journées thématiques, pour approfondir les points les plus complexes, et créé un comité national qui a guidé mes réflexions.
Enfin, j'ai invité les Présidents de conseil général à organiser dans leur département un débat sur la protection de l'enfance. Pendant plusieurs mois, ces débats ont rassemblé dans de nombreux départements, des centaines de personnes d'origine très diverse : magistrats, élus, travailleurs sociaux, experts, responsables associatifs, éducateurs, médecins, pédo-psychiatres, etc ... J'ai moi-même pris part à plusieurs de ces débats.
Les synthèses de ces débats, les multiples contributions que j'ai reçues, notamment des grandes associations, les rencontres que j'ai faites ont permis de constater l'émergence d'un consensus fort sur la nécessité d'agir et sur les gestes d'action.
Je tiens à saluer l'engagement des départements. Autour de leurs services, nous avons su construire un véritable réseau de proximité. Leur intervention, depuis les lois de décentralisation, a permis d'améliorer notre dispositif de protection de l'enfance. Chaque année, les départements lui consacrent ainsi la première part de leur budget, soit plus de cinq milliards d'euros. 270 000 enfants sont aujourd'hui pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance des départements.
Je tiens à saluer aussi l'action des centres communaux d'action sociale et de tous les professionnels. Je tiens à saluer le dévouement de dizaines de milliers de bénévoles qui s'engagent auprès des enfants.
Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui témoigne du consensus qui a émergé au cours de cette concertation.
Notre dispositif de protection de l'enfance est construit sur des bases saines, solides. Il repose sur le principe de la primauté de l'enfant et de son intérêt. Pourtant des failles, des dysfonctionnements existent. Des défauts dans l'organisation de notre dispositif empêchent les professionnels d'aider comme ils le voudraient les enfants qui souffrent ou qui risquent de souffrir. Il faut y remédier. Pour les enfants, pour leurs familles.
Nous devons agir dans trois directions :
- Renforcer la prévention, pour venir en aide aux enfants et à leurs parents avant qu'il ne soit trop tard ;
- Organiser le signalement, pour détecter plus tôt et traiter plus efficacement les situations de danger ;
- Diversifier les modes de prise en charge, afin de les adapter aux besoins de chaque enfant.
Notre premier levier d'action, c'est d'abord de renforcer la prévention. C'est l'objet du titre premier du projet de loi.
La prévention est aujourd'hui le parent pauvre de notre dispositif. Il n'est pas normal que seulement 4 % des cinq milliards consacrés par les départements chaque année à la protection de l'enfance, soit 200 millions, soient dédiés à la prévention. La loi était jusqu'à présent muette sur ce point.
Je vous propose d'inscrire dans notre droit que la prévention fait partie des missions de la protection de l'enfance. Je vous propose de faire porter notre effort de prévention sur les moments clés de la vie de l'enfant.
Plus on interviendra tôt, plus on pourra être efficace et intervenir avant que les conséquences deviennent irréparables. Je pense au moment de la grossesse, de la naissance et de la petite enfance.
Mon objectif est de multiplier les points de contact entre l'enfant, sa famille et les professionnels pour anticiper les difficultés et pouvoir soutenir les familles avant que la situation ne se détériore.
Je souhaite faire de la prévention maternelle infantile un acteur pivot de la prévention.
Nous devons rendre systématique l'entretien au 4ème mois de grossesse et organiser le suivi qui en découle pour les femmes enceintes qui rencontrent des difficultés. Car, au-delà de la santé, c'est le moment clé pour détecter les difficultés que peut rencontrer au cours de sa grossesse une femme en détresse, mal préparée à accueillir son enfants, isolée, en crise ou en conflit avec le père de l'enfant à naître. C'est le moment clé pour l'aider à surmonter ces difficultés et à préparer dans de meilleures conditions l'arrivée du bébé.
Le séjour à la maternité et les premiers jours avec l'enfant à domicile sont également cruciaux pour le lien mère / enfant. Je souhaite, là encore, qu'un contact systématique ait lieu dès la maternité avec la protection maternelle et infantile, en lien avec les professionnels de la maternité.
Cette rencontre permettra d'identifier les situations difficiles. Je pense, par exemple, aux femmes qui se trouvent seules au moment de leur grossesse. Je pense aussi aux femmes dont la grossesse n'est pas suivie. Je pense aux mères qui rencontrent des problèmes d'ordre psychologique. Ce sont autant de situations de fragilité qui peuvent entraver le lien mère / enfant et par conséquent créer des situations préjudiciables à l'enfant.
Autre moment clé de la vie de l'enfant, le retour de la maternité doit aussi être l'objet de toute notre attention. Je souhaite que la PMI propose systématiquement à la jeune maman de venir la voir à domicile. Cette visite sera automatique lorsque le séjour à la maternité aura permis d'identifier des difficultés particulières pour la mère qui pourraient mettre enjeu la santé ou le développement du nourrisson.
D'autres carrefours doivent aussi être systématiquement mis à profit.
La majorité des enfants sont suivis régulièrement par un généraliste, un pédiatre voire par la protection maternelle et infantile. Pourtant, près de 10 % d'entre eux échappent encore aujourd'hui à tout suivi médical.
L'école est le lieu propice pour assurer une prévention générale. C'est aussi le lieu propice pour détecter les risques de danger pour l'enfant. L'examen d'entrée à l'école maternelle est une occasion de repérer les situations problématiques. Celui de l'entrée à l'école primaire est un autre carrefour important dans la vie de l'enfant. Il vous est proposé qu'un bilan systématique soit assuré à l'école pour les enfants âgés de 3 à 4 ans. Aujourd'hui, seuls 40% d'entre eux bénéficient de ces bilans. Je veux que tous puissent en bénéficier.
Dans la même logique, je veux aussi que la visite médicale de la sixième année soit assurée pour tous les enfants. Elle est déjà obligatoire. Pourtant, on constate que les trois-quarts des enfants seulement en bénéficient. Il faut que nous atteignons 100 % d'ici 3 ans.
Le deuxième volet du projet de loi, c'est l'organisation du signalement. La priorité, c'est de mieux détecter et de mieux évaluer les situations de danger.
Aujourd'hui, l'organisation du signalement varie selon les départements. Elle est parfois peu claire, voire peu fiable, pour les professionnels et les particuliers.
J'ai pu constater l'isolement des professionnels, et en particulier des enseignants face à de lourdes décisions.
Nous ne devons plus laisser seuls face à leur conscience, sans critère de décision, sans formation spécifique à cette question, les enseignants, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les soignants qui s'interrogent sur d'éventuelles difficultés rencontrées par un enfant, sans avoir de certitude. Aujourd'hui, ils ont à choisir entre se taire au risque de laisser passer sans agir des situations qui appellent une intervention urgente, ou déclencher une procédure judiciaire au risque de se tromper, avec des conséquences parfois très graves, traumatisantes pour les familles.
Désormais, une cellule pluridisciplinaire de recueil des signalements, de conseil, d'expertise, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes sera créée au sein de chaque département. Cette cellule existe déjà dans certains d'entre eux. Je souhaite que cette pratique soit généralisée à l'ensemble du territoire.
Il faut qu'une évaluation collégiale permette de croiser les regards et de prendre à plusieurs la meilleure décision pour l'enfant. Cela suppose le partage des informations préoccupantes. Des informations sur la situation de l'enfant peuvent en effet être détenues par plusieurs professionnels. Dans l'intérêt même de l'enfant, nous devons autoriser et organiser le partage de ces informations. Mais nous devons l'autoriser et l'organiser uniquement entre professionnels de la protection de l'enfance habilités au secret professionnel, afin de mieux évaluer ou prendre en charge l'enfant.
Le secret professionnel est gage de confiance et de coopération entre les parents et les intervenants de l'aide sociale à l'enfance. En dehors des cas les plus graves, cette coopération est indispensable pour mieux aider les enfants en difficulté. Il faut donc préserver ce secret vis-à-vis de l'extérieur.
Le signalement pose la question de l'articulation entre l'autorité sociale et l'autorité judiciaire. C'est un point central. Il faut préciser les règles de signalement, pour que la justice soit saisie seulement lorsque c'est nécessaire.
Lorsque l'enfant est protégé et qu'il ne court pas de danger immédiat, l'accompagnement éducatif de l'enfant et des familles doit primer. La protection sociale doit alors prévaloir parce qu'il est toujours préférable que l'enfant reste chez lui quand son intérêt est préservé, et que le travail social s'effectue de manière efficace, en accord avec les parents. Le recours au juge doit être réservé à deux types de cas :
- le danger grave et manifeste ;
- le cas où les parents refusent l'accompagnement proposé par l'aide sociale à l'enfance.
Nous aurons ainsi un système de signalement cohérent et efficace, dans lequel le Président du Conseil général pourra jouer pleinement son rôle de chef de file de la protection de l'enfance et de référent.
Enfin, le troisième axe du projet de loi, c'est de diversifier les modes de prise en charge des enfants, afin d'offrir des solutions adaptées aux besoins de chacun d'eux.
La loi doit autoriser de nouveaux modes de prise en charge souples qui permettent de dépasser l'alternative placement / maintien à domicile. Diversifier les modes de prise en charge permettra de graduer les réponses selon les besoins de l'enfant et selon l'évolution de sa situation familiale.
Parmi les modes de prise ne charge qui vous sont proposés, je tiens à mettre en avant certains d'entre eux :
- l'accueil de jour. L'enfant bénéficie alors d'un soutien éducatif en dehors du domicile familial. Ce dispositif a notamment l'avantage d'associer les parents.
- l'accueil périodique. Il fait alterner le maintien à domicile et des périodes d'accueil en dehors de la famille. Il permet de surmonter les périodes difficiles. L'enfant retourne chez lui lorsque les tensions familiales sont apaisées.
- l'accueil mixte, à la fois éducatif et thérapeutique. Il s'agit d'accueillir et de soutenir des enfants souffrant de troubles psychologiques parce que leurs propres parents sont atteints d'affections psychiques aiguës.
La loi doit aussi autoriser l'accueil d'urgence des adolescents qui fuient du domicile familial. Car, même quand ils ne sont pas en danger chez eux, en fuguant, ils se retrouvent à la rue et s'exposent à des risques graves. Je crois nécessaire de les accueillir en un lieu sûr, qui les mette à l'abri pour un temps.
Ce temps, c'est un maximum de 72 heures. Et les parents et le Procureur de la République devront en être informés.
Enfin, certains problèmes de l'enfant proviennent de difficultés à gérer le budget familial. Un accompagnement social et budgétaire par un professionnel de l'économie sociale et familiale peut s'avérer très utile. Il vous est donc proposé une nouvelle prestation pour accompagner les familles qui rencontrent ces difficultés. Cet accompagnement pourra être proposé dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance et dans celui de la protection judiciaire.
Cet accompagnement pourra être assuré par des professionnels formés à cet effet : des conseillères en économie sociale et familiale dont c'est le métier, mais aussi des travailleurs sociaux, voire des techniciennes d'intervention sociale et familiale.
Concernant ces dernières, je tiens à souligner leur rôle essentiel en matière de prévention. Elles interviennent au sein même des familles, en soutien aux parents pour que les difficultés et les tensions familiales s'apaisent au moment des devoirs, de la préparation des repas, de la toilette des enfants, tous ces actes quotidiens qui peuvent être propices à des tensions entre les parents et les enfants, c'est ce qu'il faut éviter à tout prix.
Le projet de loi qui est soumis à vos délibérations conforte le rôle de chef de file du Président du Conseil général en matière de protection de l'enfance. Le Conseil général pourra ainsi assurer une plus grande continuité et une plus grande cohérence de la prise en charge de l'enfant dans le temps. Bien sûr, il ne portera pas seul la responsabilité de la protection de l'enfance. L'État prendra sa part. L'autorité judiciaire, tout particulièrement, ainsi que la protection judiciaire de la jeunesse.
Je connais la sensibilité des questions de financement pour les départements. Je tiens à vous rassurer : il s'agit avant tout d'une réforme d'organisation plus que de moyens. Mais il faut aussi des moyens, notamment pour la prévention. Aussi je tiens à vous confirmer que le Gouvernement s'engage à ce que toutes les charges induites par la réforme soient compensées. J'ai d'ores et déjà déposé un amendement en ce sens.
Enfin, je voudrais souligner que la loi à elle seule ne suffira pas à réformer notre dispositif. Bien des points relèvent des pratiques et des procédures.
Depuis le mois de mai, un travail est engagé pour accompagner le projet de loi par des mesures qui ne relèvent pas du domaine législatif. Ce travail, qui aboutira à l'élaboration de guides de bonnes pratiques et de référentiels, se fait dans la concertation, en associant, comme cela a été le cas pour l'élaboration du projet de loi, experts et professionnels de tous les horizons.
Le travail pour la réforme de la protection de l'enfance se poursuit donc. L'essentiel du programme doit s'achever d'ici la fin de l'année, pour que l'application de la loi se fasse, en pratique, dans les meilleures conditions possibles.
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des affaires sociales du Sénat,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Cette réforme est ambitieuse. Elle veut être à la hauteur des attentes et des espoirs qui se sont exprimés. Elle veut être à la hauteur de la mobilisation sans précédent qui a eu lieu ces derniers mois.
Elle veut être à la hauteur des enjeux que sont, pour notre société, la protection des enfants et la protection des adolescents.
J'attends beaucoup des échanges que nous allons avoir et des travaux de votre Assemblée.
Pour réussir cette réforme, il nous faudra compter sur l'engagement et la responsabilité de tous. Au-delà de la loi, au-delà du programme d'actions que nous devons mettre en oeuvre, ce sont les professionnels qui auront entre leurs mains les outils pour mieux protéger les enfants.
C'est pourquoi, toute mon attention se tourne vers les professionnels, la qualité du dialogue qu'ils peuvent avoir entre eux, la qualité du soutien qu'ils peuvent recevoir et s'apporter les uns aux autres, la qualité des formations qu'ils peuvent suivre et renouveler tout au long de leur activité, la qualité des guides de bonnes pratiques.
Mai au-delà de ce que nous allons faire par la réforme, au-delà de ce que nous pouvons faire en mobilisant tous les moyens de la solidarité, c'est aux parents que revient la responsabilité principale.
Ces parents sont parfois moins préparés que leurs aînés à assumer ce rôle. Beaucoup d'entre eux sont particulièrement exposés aux difficultés de la vie. Difficultés économiques et sociales, bien sûr, mais aussi difficultés liées aux coups de boutoir que la cellule familiale a subie. Sans compter tout ce qui peut parfois transformer le désir d'enfant en volonté de possession plutôt qu'en don de soi. Tel est le noeud de beaucoup de difficultés dans l'établissement du lien entre parents et enfants, quand l'égoïsme nourrit la frustration et la frustration la violence.
Personne n'est jamais sûr de savoir ni de pouvoir être un bon parent, mais ce projet de loi rappelle une exigence fondamentale : l'exigence que l'intérêt de l'enfant, l'intérêt bien compris de l'enfant, qui suppose l'exercice d'une autorité juste et rassurante, soit toujours la première préoccupation des parents. Ce n'est pas à la société d'élever les enfants. Elle doit seulement être là pour venir à leur secours le plus tôt possible et le plus efficacement possible quand les limites sont dépassées, et de préférence avant qu'elles ne le soient.
Cette articulation entre la nécessaire responsabilité des parents et les missions de la protection de l'enfance est au coeur des défis qu'il nous faut relever. De ce point de vue, je suis convaincu que cette réforme permettra d'attendre un meilleur équilibre.
Je vous remercie.
source http://www.famille.gouv.fr, le 21 juin 2006
Monsieur le Président de la Commission des affaires sociales du Sénat,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui devant vous s'attaque à une réalité que nous ne pouvons plus ignorer.
Cette réalité, c'est la souffrance de dizaines de milliers d'enfants. Des enfants victimes de négligence, d'indifférence, de manque d'amour. Des enfants victimes aussi de violences morales et psychiques, d'humiliations et de brimades. Des enfants enfin qui sont la proie de conflits aigus entre adultes et qui subissent la cruauté de rapports familiaux dégradés. Cette souffrance méconnue et silencieuse est intolérable.
La loi de 1989 a permis de lutter plus efficacement contre la maltraitance. Aujourd'hui, nous devons allez plus loin. Ce projet de loi est porteur d'une ambition nouvelle. Cette ambition, c'est de donner à chaque enfant les meilleures conditions pour s'épanouir et grandir. C'est de permettre à chaque enfant de trouver des repères pour se développer sur le plan physique, intellectuel, moral, affectif, spirituel et social.
Parce que ce sujet nous concerne tous, j'ai souhaité que cette réforme s'appuie sur la concertation la plus large, avec les professionnels, les associations, les élus. C'est maintenant le cas depuis près d'un an.
J'ai rencontré un grand nombre d'acteurs de la protection de l'enfance ; j'ai beaucoup consulté ; j'ai rencontré des présidents de conseil général, des experts, des professionnels, des représentants d'organisations professionnelles, des responsables d'associations, des signataires de « l'appel des Cent ».
J'ai reçu plusieurs rapports parlementaires éclairant les questions en débat. Pour ne parler que du Sénat, je veux citer ceux de Madame le Sénateur Marie-Thérèse HERMANGE, de Monsieur le Sénateur Philippe NOGRIX, de Monsieur le Président Louis de BROISSIA.
Je me suis déplacé à de nombreuses reprises à la rencontre des acteurs de terrain. J'ai organisé des journées thématiques, pour approfondir les points les plus complexes, et créé un comité national qui a guidé mes réflexions.
Enfin, j'ai invité les Présidents de conseil général à organiser dans leur département un débat sur la protection de l'enfance. Pendant plusieurs mois, ces débats ont rassemblé dans de nombreux départements, des centaines de personnes d'origine très diverse : magistrats, élus, travailleurs sociaux, experts, responsables associatifs, éducateurs, médecins, pédo-psychiatres, etc ... J'ai moi-même pris part à plusieurs de ces débats.
Les synthèses de ces débats, les multiples contributions que j'ai reçues, notamment des grandes associations, les rencontres que j'ai faites ont permis de constater l'émergence d'un consensus fort sur la nécessité d'agir et sur les gestes d'action.
Je tiens à saluer l'engagement des départements. Autour de leurs services, nous avons su construire un véritable réseau de proximité. Leur intervention, depuis les lois de décentralisation, a permis d'améliorer notre dispositif de protection de l'enfance. Chaque année, les départements lui consacrent ainsi la première part de leur budget, soit plus de cinq milliards d'euros. 270 000 enfants sont aujourd'hui pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance des départements.
Je tiens à saluer aussi l'action des centres communaux d'action sociale et de tous les professionnels. Je tiens à saluer le dévouement de dizaines de milliers de bénévoles qui s'engagent auprès des enfants.
Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui témoigne du consensus qui a émergé au cours de cette concertation.
Notre dispositif de protection de l'enfance est construit sur des bases saines, solides. Il repose sur le principe de la primauté de l'enfant et de son intérêt. Pourtant des failles, des dysfonctionnements existent. Des défauts dans l'organisation de notre dispositif empêchent les professionnels d'aider comme ils le voudraient les enfants qui souffrent ou qui risquent de souffrir. Il faut y remédier. Pour les enfants, pour leurs familles.
Nous devons agir dans trois directions :
- Renforcer la prévention, pour venir en aide aux enfants et à leurs parents avant qu'il ne soit trop tard ;
- Organiser le signalement, pour détecter plus tôt et traiter plus efficacement les situations de danger ;
- Diversifier les modes de prise en charge, afin de les adapter aux besoins de chaque enfant.
Notre premier levier d'action, c'est d'abord de renforcer la prévention. C'est l'objet du titre premier du projet de loi.
La prévention est aujourd'hui le parent pauvre de notre dispositif. Il n'est pas normal que seulement 4 % des cinq milliards consacrés par les départements chaque année à la protection de l'enfance, soit 200 millions, soient dédiés à la prévention. La loi était jusqu'à présent muette sur ce point.
Je vous propose d'inscrire dans notre droit que la prévention fait partie des missions de la protection de l'enfance. Je vous propose de faire porter notre effort de prévention sur les moments clés de la vie de l'enfant.
Plus on interviendra tôt, plus on pourra être efficace et intervenir avant que les conséquences deviennent irréparables. Je pense au moment de la grossesse, de la naissance et de la petite enfance.
Mon objectif est de multiplier les points de contact entre l'enfant, sa famille et les professionnels pour anticiper les difficultés et pouvoir soutenir les familles avant que la situation ne se détériore.
Je souhaite faire de la prévention maternelle infantile un acteur pivot de la prévention.
Nous devons rendre systématique l'entretien au 4ème mois de grossesse et organiser le suivi qui en découle pour les femmes enceintes qui rencontrent des difficultés. Car, au-delà de la santé, c'est le moment clé pour détecter les difficultés que peut rencontrer au cours de sa grossesse une femme en détresse, mal préparée à accueillir son enfants, isolée, en crise ou en conflit avec le père de l'enfant à naître. C'est le moment clé pour l'aider à surmonter ces difficultés et à préparer dans de meilleures conditions l'arrivée du bébé.
Le séjour à la maternité et les premiers jours avec l'enfant à domicile sont également cruciaux pour le lien mère / enfant. Je souhaite, là encore, qu'un contact systématique ait lieu dès la maternité avec la protection maternelle et infantile, en lien avec les professionnels de la maternité.
Cette rencontre permettra d'identifier les situations difficiles. Je pense, par exemple, aux femmes qui se trouvent seules au moment de leur grossesse. Je pense aussi aux femmes dont la grossesse n'est pas suivie. Je pense aux mères qui rencontrent des problèmes d'ordre psychologique. Ce sont autant de situations de fragilité qui peuvent entraver le lien mère / enfant et par conséquent créer des situations préjudiciables à l'enfant.
Autre moment clé de la vie de l'enfant, le retour de la maternité doit aussi être l'objet de toute notre attention. Je souhaite que la PMI propose systématiquement à la jeune maman de venir la voir à domicile. Cette visite sera automatique lorsque le séjour à la maternité aura permis d'identifier des difficultés particulières pour la mère qui pourraient mettre enjeu la santé ou le développement du nourrisson.
D'autres carrefours doivent aussi être systématiquement mis à profit.
La majorité des enfants sont suivis régulièrement par un généraliste, un pédiatre voire par la protection maternelle et infantile. Pourtant, près de 10 % d'entre eux échappent encore aujourd'hui à tout suivi médical.
L'école est le lieu propice pour assurer une prévention générale. C'est aussi le lieu propice pour détecter les risques de danger pour l'enfant. L'examen d'entrée à l'école maternelle est une occasion de repérer les situations problématiques. Celui de l'entrée à l'école primaire est un autre carrefour important dans la vie de l'enfant. Il vous est proposé qu'un bilan systématique soit assuré à l'école pour les enfants âgés de 3 à 4 ans. Aujourd'hui, seuls 40% d'entre eux bénéficient de ces bilans. Je veux que tous puissent en bénéficier.
Dans la même logique, je veux aussi que la visite médicale de la sixième année soit assurée pour tous les enfants. Elle est déjà obligatoire. Pourtant, on constate que les trois-quarts des enfants seulement en bénéficient. Il faut que nous atteignons 100 % d'ici 3 ans.
Le deuxième volet du projet de loi, c'est l'organisation du signalement. La priorité, c'est de mieux détecter et de mieux évaluer les situations de danger.
Aujourd'hui, l'organisation du signalement varie selon les départements. Elle est parfois peu claire, voire peu fiable, pour les professionnels et les particuliers.
J'ai pu constater l'isolement des professionnels, et en particulier des enseignants face à de lourdes décisions.
Nous ne devons plus laisser seuls face à leur conscience, sans critère de décision, sans formation spécifique à cette question, les enseignants, les éducateurs, les travailleurs sociaux, les soignants qui s'interrogent sur d'éventuelles difficultés rencontrées par un enfant, sans avoir de certitude. Aujourd'hui, ils ont à choisir entre se taire au risque de laisser passer sans agir des situations qui appellent une intervention urgente, ou déclencher une procédure judiciaire au risque de se tromper, avec des conséquences parfois très graves, traumatisantes pour les familles.
Désormais, une cellule pluridisciplinaire de recueil des signalements, de conseil, d'expertise, d'évaluation et de traitement des informations préoccupantes sera créée au sein de chaque département. Cette cellule existe déjà dans certains d'entre eux. Je souhaite que cette pratique soit généralisée à l'ensemble du territoire.
Il faut qu'une évaluation collégiale permette de croiser les regards et de prendre à plusieurs la meilleure décision pour l'enfant. Cela suppose le partage des informations préoccupantes. Des informations sur la situation de l'enfant peuvent en effet être détenues par plusieurs professionnels. Dans l'intérêt même de l'enfant, nous devons autoriser et organiser le partage de ces informations. Mais nous devons l'autoriser et l'organiser uniquement entre professionnels de la protection de l'enfance habilités au secret professionnel, afin de mieux évaluer ou prendre en charge l'enfant.
Le secret professionnel est gage de confiance et de coopération entre les parents et les intervenants de l'aide sociale à l'enfance. En dehors des cas les plus graves, cette coopération est indispensable pour mieux aider les enfants en difficulté. Il faut donc préserver ce secret vis-à-vis de l'extérieur.
Le signalement pose la question de l'articulation entre l'autorité sociale et l'autorité judiciaire. C'est un point central. Il faut préciser les règles de signalement, pour que la justice soit saisie seulement lorsque c'est nécessaire.
Lorsque l'enfant est protégé et qu'il ne court pas de danger immédiat, l'accompagnement éducatif de l'enfant et des familles doit primer. La protection sociale doit alors prévaloir parce qu'il est toujours préférable que l'enfant reste chez lui quand son intérêt est préservé, et que le travail social s'effectue de manière efficace, en accord avec les parents. Le recours au juge doit être réservé à deux types de cas :
- le danger grave et manifeste ;
- le cas où les parents refusent l'accompagnement proposé par l'aide sociale à l'enfance.
Nous aurons ainsi un système de signalement cohérent et efficace, dans lequel le Président du Conseil général pourra jouer pleinement son rôle de chef de file de la protection de l'enfance et de référent.
Enfin, le troisième axe du projet de loi, c'est de diversifier les modes de prise en charge des enfants, afin d'offrir des solutions adaptées aux besoins de chacun d'eux.
La loi doit autoriser de nouveaux modes de prise en charge souples qui permettent de dépasser l'alternative placement / maintien à domicile. Diversifier les modes de prise en charge permettra de graduer les réponses selon les besoins de l'enfant et selon l'évolution de sa situation familiale.
Parmi les modes de prise ne charge qui vous sont proposés, je tiens à mettre en avant certains d'entre eux :
- l'accueil de jour. L'enfant bénéficie alors d'un soutien éducatif en dehors du domicile familial. Ce dispositif a notamment l'avantage d'associer les parents.
- l'accueil périodique. Il fait alterner le maintien à domicile et des périodes d'accueil en dehors de la famille. Il permet de surmonter les périodes difficiles. L'enfant retourne chez lui lorsque les tensions familiales sont apaisées.
- l'accueil mixte, à la fois éducatif et thérapeutique. Il s'agit d'accueillir et de soutenir des enfants souffrant de troubles psychologiques parce que leurs propres parents sont atteints d'affections psychiques aiguës.
La loi doit aussi autoriser l'accueil d'urgence des adolescents qui fuient du domicile familial. Car, même quand ils ne sont pas en danger chez eux, en fuguant, ils se retrouvent à la rue et s'exposent à des risques graves. Je crois nécessaire de les accueillir en un lieu sûr, qui les mette à l'abri pour un temps.
Ce temps, c'est un maximum de 72 heures. Et les parents et le Procureur de la République devront en être informés.
Enfin, certains problèmes de l'enfant proviennent de difficultés à gérer le budget familial. Un accompagnement social et budgétaire par un professionnel de l'économie sociale et familiale peut s'avérer très utile. Il vous est donc proposé une nouvelle prestation pour accompagner les familles qui rencontrent ces difficultés. Cet accompagnement pourra être proposé dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance et dans celui de la protection judiciaire.
Cet accompagnement pourra être assuré par des professionnels formés à cet effet : des conseillères en économie sociale et familiale dont c'est le métier, mais aussi des travailleurs sociaux, voire des techniciennes d'intervention sociale et familiale.
Concernant ces dernières, je tiens à souligner leur rôle essentiel en matière de prévention. Elles interviennent au sein même des familles, en soutien aux parents pour que les difficultés et les tensions familiales s'apaisent au moment des devoirs, de la préparation des repas, de la toilette des enfants, tous ces actes quotidiens qui peuvent être propices à des tensions entre les parents et les enfants, c'est ce qu'il faut éviter à tout prix.
Le projet de loi qui est soumis à vos délibérations conforte le rôle de chef de file du Président du Conseil général en matière de protection de l'enfance. Le Conseil général pourra ainsi assurer une plus grande continuité et une plus grande cohérence de la prise en charge de l'enfant dans le temps. Bien sûr, il ne portera pas seul la responsabilité de la protection de l'enfance. L'État prendra sa part. L'autorité judiciaire, tout particulièrement, ainsi que la protection judiciaire de la jeunesse.
Je connais la sensibilité des questions de financement pour les départements. Je tiens à vous rassurer : il s'agit avant tout d'une réforme d'organisation plus que de moyens. Mais il faut aussi des moyens, notamment pour la prévention. Aussi je tiens à vous confirmer que le Gouvernement s'engage à ce que toutes les charges induites par la réforme soient compensées. J'ai d'ores et déjà déposé un amendement en ce sens.
Enfin, je voudrais souligner que la loi à elle seule ne suffira pas à réformer notre dispositif. Bien des points relèvent des pratiques et des procédures.
Depuis le mois de mai, un travail est engagé pour accompagner le projet de loi par des mesures qui ne relèvent pas du domaine législatif. Ce travail, qui aboutira à l'élaboration de guides de bonnes pratiques et de référentiels, se fait dans la concertation, en associant, comme cela a été le cas pour l'élaboration du projet de loi, experts et professionnels de tous les horizons.
Le travail pour la réforme de la protection de l'enfance se poursuit donc. L'essentiel du programme doit s'achever d'ici la fin de l'année, pour que l'application de la loi se fasse, en pratique, dans les meilleures conditions possibles.
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des affaires sociales du Sénat,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Cette réforme est ambitieuse. Elle veut être à la hauteur des attentes et des espoirs qui se sont exprimés. Elle veut être à la hauteur de la mobilisation sans précédent qui a eu lieu ces derniers mois.
Elle veut être à la hauteur des enjeux que sont, pour notre société, la protection des enfants et la protection des adolescents.
J'attends beaucoup des échanges que nous allons avoir et des travaux de votre Assemblée.
Pour réussir cette réforme, il nous faudra compter sur l'engagement et la responsabilité de tous. Au-delà de la loi, au-delà du programme d'actions que nous devons mettre en oeuvre, ce sont les professionnels qui auront entre leurs mains les outils pour mieux protéger les enfants.
C'est pourquoi, toute mon attention se tourne vers les professionnels, la qualité du dialogue qu'ils peuvent avoir entre eux, la qualité du soutien qu'ils peuvent recevoir et s'apporter les uns aux autres, la qualité des formations qu'ils peuvent suivre et renouveler tout au long de leur activité, la qualité des guides de bonnes pratiques.
Mai au-delà de ce que nous allons faire par la réforme, au-delà de ce que nous pouvons faire en mobilisant tous les moyens de la solidarité, c'est aux parents que revient la responsabilité principale.
Ces parents sont parfois moins préparés que leurs aînés à assumer ce rôle. Beaucoup d'entre eux sont particulièrement exposés aux difficultés de la vie. Difficultés économiques et sociales, bien sûr, mais aussi difficultés liées aux coups de boutoir que la cellule familiale a subie. Sans compter tout ce qui peut parfois transformer le désir d'enfant en volonté de possession plutôt qu'en don de soi. Tel est le noeud de beaucoup de difficultés dans l'établissement du lien entre parents et enfants, quand l'égoïsme nourrit la frustration et la frustration la violence.
Personne n'est jamais sûr de savoir ni de pouvoir être un bon parent, mais ce projet de loi rappelle une exigence fondamentale : l'exigence que l'intérêt de l'enfant, l'intérêt bien compris de l'enfant, qui suppose l'exercice d'une autorité juste et rassurante, soit toujours la première préoccupation des parents. Ce n'est pas à la société d'élever les enfants. Elle doit seulement être là pour venir à leur secours le plus tôt possible et le plus efficacement possible quand les limites sont dépassées, et de préférence avant qu'elles ne le soient.
Cette articulation entre la nécessaire responsabilité des parents et les missions de la protection de l'enfance est au coeur des défis qu'il nous faut relever. De ce point de vue, je suis convaincu que cette réforme permettra d'attendre un meilleur équilibre.
Je vous remercie.
source http://www.famille.gouv.fr, le 21 juin 2006