Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, les orientations et les priorités de l'action diplomatique pour 2006-2007.

Prononcé le

Circonstance : Réunion de la 14è conférence des ambassadeurs du 28 au 30 août 2006 à Paris

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
C'est avec beaucoup de plaisir et d'intérêt que je vous retrouve ce matin pour la poursuite de notre conférence annuelle.
Devant vous, ici même, il y a un an, j'évoquais le nouvel état du monde, et le caractère décisif des années que nous traversons. J'avais alors examiné, j'avais alors exprimé ma conviction que le monde de demain serait profondément façonné par la manière dont nombre des enjeux actuels évolueront d'ici à l'horizon 2006-2007. Les événements qui ont marqué la scène européenne et internationale depuis un an n'ont fait que renforcer cette conviction. Et, vous le savez, l'année prochaine sera marquée par d'importantes échéances électorales pour notre pays. Face à cette perspective, notre diplomatie ne saurait être immobile. Elle ne l'est d'ailleurs pas. En effet, le monde et ses turbulences ne nous attendent pas. Choc des cultures, relance de la construction européenne, aide au développement : ces questions majeures ne sauraient être laissées à la marge. Le débat doit être engagé, avec clarté et pédagogie. J'entends y apporter toute ma part, à la place qui est la mienne.
Hier, le président de la République vous a présenté les grandes orientations de votre action pour l'année à venir. Afin de lancer nos travaux, je voudrais aujourd'hui commencer par vous faire partager quelques réflexions personnelles.
Depuis ma prise de fonction, confronté à de nombreuses crises, j'ai été frappé par deux réalités sur lesquelles je voudrais revenir devant vous : d'abord celle du rapport singulier que notre pays entretient avec le monde ; ensuite l'intensité du combat que nous devons mener pour faire partager nos principes, qui sont souvent remis en cause.
La première de ces réalités, c'est le rapport singulier que notre pays entretient avec le monde. Je l'ai constaté à maintes reprises, le point de vue de la France est sollicité, attendu, observé. Et chez nos partenaires, notre pays peut susciter souvent de l'admiration, parfois de l'agacement, rarement de l'indifférence.
Cette singularité française tient, me semble-t-il, à notre Histoire et à notre culture. C'est d'abord une quête de l'universel, c'est-à-dire de valeurs susceptibles d'être partagées par tous ; c'est aussi une ouverture sur l'Europe et le monde, dans une tradition qui relève autant de l'humanisme que de la philosophie des Lumières ; c'est enfin un profond désir de liberté et le sentiment d'une mission à accomplir, qui exige de préserver notre propre capacité de réflexion et d'action.
Notre pays bénéficie en effet de leviers qui témoignent de sa puissance réelle : son siège permanent au Conseil de sécurité, sa participation au G8, son rôle au sein de l'Union européenne ou de l'OTAN, son outil militaire doté d'une capacité de dissuasion nucléaire, sans oublier son rayonnement culturel, ses domaines d'excellence technologique qui nourrissent le capital d'influence dont il bénéficie dans le monde. Mais ces atouts ne doivent pas être considérés comme une rente de situation : face aux puissances émergentes, face aux nouvelles forces démographiques et économiques, il nous faut sans cesse adapter et moderniser notre capacité de projection sur la scène internationale. Aucune ambition ne saurait aboutir si elle n'est pas ancrée dans ce principe de réalité.
Evoquant le principe de réalité, j'en viens à ma deuxième remarque. Nos schémas, nos grilles de lecture sont parfois battus en brèche, parfois même bousculés : la primauté du droit sur la force et le rejet du fait accompli ; notre attachement au multilatéralisme et aux valeurs que nous considérons universelles ; la priorité que nous accordons au dialogue et à la coopération et notre approche en termes de gestion préventive des crises ; sans oublier bien sûr notre confiance dans les avantages de l'intégration européenne. Ce sont là des principes qui paraissent résister difficilement à certaines logiques aujourd'hui à l'oeuvre : celles jouant de la puissance "dure", celles fondées sur une conception étroite de l'intérêt national ou sur une vision étriquée de la souveraineté, celles inspirées par des passions exacerbées ou, plus grave, par la négation de l'Autre. Face à ce labyrinthe de haine et de violence, la question est de savoir si la culture du dialogue, de l'écoute, la politique de la main tendue peuvent demeurer le fil d'Ariane de notre action diplomatique.
Ce sont pourtant ces principes auxquels, je le sais, vous êtes attachés, qui ont permis cette année au président de la République et donc à la France de remporter des succès diplomatiques de premier ordre et de peser sur la scène internationale. Ce sont ces principes qui ont valu à la France :
- de montrer la voie cet été au Proche et au Moyen-Orient
- de jeter les bases des premiers financements innovants, première démarche citoyenne mondiale qui vise à apporter une réponse à un enjeu mutuel : la santé des pays du Sud les plus pauvres.
Ce sont ces principes qui ont permis qu'un véritable débat s'engage sur la stratégie d'élargissement de l'Union européenne, dans toutes ses dimensions
Ce sont enfin ces principes qui ont permis de faire voter à l'Unesco, contre l'avis des Etats-Unis, la Convention sur la protection de la diversité des expressions culturelles
La première illustration de notre action cette année concerne les crises du moment au Proche et au Moyen-Orient Elles sont porteuses de différentes leçons, lourdes de conséquences pour la gestion des conflits :
- première leçon : la force militaire comme seul vecteur d'imposition de la paix trouve rapidement ses limites. Tel a été le cas en Irak avec l'intervention américaine. C'est également le cas dans les Territoires palestiniens. Il en est de même dans le traitement de la crise libanaise.
- ensuite, l'action collective et la cohésion de la communauté internationale doivent prévaloir. Aucun Etat n'est seul en mesure de relever le défi de la sécurité internationale. Aucune approche unilatérale ne peut espérer avoir la légitimité suffisante. Efficacité et légitimité ne doivent pas être opposés, bien au contraire. C'est la raison pour laquelle l'action du Conseil de sécurité doit être au coeur du traitement des crises. Nous y avons une place prépondérante qu'il nous revient de mériter par un engagement inventif et actif. C'est pourquoi la France cherche depuis longtemps à améliorer tout particulièrement l'efficacité des opérations de maintien de la paix. Les garanties que nous venons d'obtenir en matière de chaîne de commandement ou de règles d'engagement pour la mise en oeuvre de la résolution 1701 constituent des progrès qui ont facilité ainsi notre contribution très importante et décisive au renforcement de la FINUL.
Nous avons ainsi un dispositif resserré permettant à chacun, militaires et diplomates, sur le terrain comme à New York, de prendre ses responsabilités. La présence d'une ossature européenne au sein de la FINUL est également à mes yeux un élément de poids. Ce sont des précédents qui devraient demain permettre aux Casques bleus de gagner en efficacité et en sécurité. Je souhaite que nous continuions dans cette voie, avec le souci permanent d'améliorer l'efficacité de l'ONU. Il y va de la crédibilité de l'Organisation internationale. Il y va aussi de la crédibilité du multilatéralisme.
- Autre leçon à tirer des récents évènements : le système international n'est pas une abstraction ou une coquille vide. C'est nous, Etats membres, qui le faisons vivre. La réussite de l'ONU est notre réussite, son impuissance est la nôtre.
D'où l'importance pour la France de travailler en concertation étroite avec les grands acteurs : je pense bien sûr aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine, mais aussi aux nouvelles puissances régionales comme l'Afrique du Sud, le Brésil ou l'Inde.
C'est selon ces logiques que la France, fidèle à ses positions et à ses convictions, est intervenue avec détermination pour établir un cessez le feu au Liban. Je tiens à rendre à nouveau hommage à l'engagement de tous dans cette crise, qu'il s'agisse de notre personnel à Beyrouth, Tel Aviv, Haïfa, Nicosie, New York, ainsi qu'à Paris. Vous avez incarné ce que notre diplomatie produit de meilleur : une ligne de fermeté, une grande réactivité, une capacité à créer les conditions du dialogue et de l'accord. Après l'adoption de la résolution 1701, une nouvelle séquence s'ouvre, pleine d'espoirs mais aussi de risques. Le président de la République a tracé hier la voie à suivre.
Une course contre le temps est engagée. L'enjeu aujourd'hui est de réussir la "bataille de la paix", c'est-à-dire celle de la reconstruction économique, celle de la consolidation de l'Etat de droit, enfin, celle de la réconciliation nationale et de la stabilité régionale. La France, qui a déjà consenti des efforts importants en faveur du Liban, fera entendre sa voix et défendra une vision globale pour faire prévaloir la paix au Proche-Orient.
Concernant le conflit israélo-palestinien, je ne chercherai pas à dissimuler mon inquiétude profonde. Les récents développements ont confirmé que, faute d'un engagement international suffisant, la violence avait la voie libre. En Israël, la dynamique positive créée par les dernières élections est remise en cause. Désarroi et introspection semblent aujourd'hui y régner. Son action sécuritaire se heurte à des limites en raison notamment de la difficulté à gagner politiquement, voire militairement, des conflits asymétriques, aussi bien contre le Hamas que contre le Hezbollah. Les événements du moment le montrent. Les risques d'impasse politique et militaire sont réels.
De son côté, la société palestinienne vit des moments difficiles depuis l'élection du Hamas. Ce dernier a été porté au pouvoir principalement du fait de la contestation de la gestion passée du Fatah au sein de l'Autorité palestinienne. Le Hamas n'a pas fait jusqu'à maintenant complètement mouvement dans le sens des conditions fixées par les Européens. Les Palestiniens sont désormais repliés sur eux-mêmes avec le sentiment d'un isolement politique et d'une punition internationale. Les divisions internes palestiniennes et l'environnement régional sont autant de facteurs compliquant la donne actuelle.
Là aussi, ne cédons ni au fatalisme, ni au manque d'ambition. Nous restons fermement attachés aux principes énoncés par le Quartet. La signature, le 27 juin, d'un document d'entente nationale par l'ensemble des partis représentés au Conseil législatif palestinien a été un pas dans la bonne direction. Je suis convaincu que ce serait une erreur de négliger cette évolution. L'hypothèse de la formation future d'un nouveau gouvernement palestinien pourra être également une opportunité. Nous apportons à cet égard tout notre soutien au président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dans ses efforts pour apaiser les tensions intra-palestiniennes.
Là encore, c'est le traitement multilatéral qui devra prédominer en l'absence de toute solution imposée par l'une des parties. La France ne transigera pas avec la sécurité d'Israël. Mais elle continue de penser qu'instaurer une paix juste et durable, pour deux Etats vivant côte à côte, est la meilleure manière d'assurer cette sécurité.
La crise iranienne illustre aussi parfaitement notre vision, et les forces d'ordre et de désordre qui sont à l'oeuvre. Inutile de revenir longuement sur ce qui est en jeu : notre sécurité, l'efficacité du système multilatéral en général, et des régimes internationaux de non-prolifération en particulier ; les équilibres régionaux ; la crédibilité des Européens. Nous avons constaté, jusqu'à maintenant, entre les Etats-Unis et l'Europe, et de la part de la communauté internationale plus généralement : un consensus sur la menace, un accord sur l'objectif, une coopération diplomatique efficace dans le cadre des institutions multilatérales existantes, à l'Agence internationale de l'Energie atomique comme au Conseil de sécurité. Cet acquis, fondamental, doit être préservé.
A ce jour, la réponse de Téhéran aux propositions de la communauté internationale n'est pas satisfaisante. Elle reste ambiguë et semble continuer à ignorer la question essentielle de la suspension des activités nucléaires sensibles, c'est-à-dire l'enrichissement et le retraitement de l'uranium. Or ce geste est essentiel pour rétablir la confiance entre toutes les parties aux négociations. Je note cependant que les autorités iraniennes se disent ouvertes au dialogue et prêtes à reprendre les discussions. Sans renoncer à l'exigence de la suspension, la France est également disposée à renouer le dialogue. Mais il doit s'agir d'un dialogue lucide, concret et responsable. Ce dialogue, nous le voulons rapidement, avec la volonté de discuter sérieusement et avec le souci de trouver enfin des solutions au problème nucléaire iranien. L'Iran a droit à l'énergie nucléaire civile et la communauté internationale est prête à développer une forte coopération pour aider les Iraniens à se doter d'un tel programme. Mais la communauté internationale a aussi le droit d'être assurée qu'un tel programme n'a pas de finalité militaire, conformément au traité de non-prolifération.
Cette attention accordée au Moyen-Orient ne doit pas faire perdre de vue d'autres processus de crises en Afrique comme au Darfour, la Somalie, la République démocratique du Congo, la Côte d'Ivoire, en Asie du Sud - je pense à l'Inde, au Pakistan - et de l'Est - je pense à la Corée du nord - ou en Amériques - nous pensons tous à Haïti. Ces zones ont la caractéristique d'être riches en tensions et pauvres en institutions pour les canaliser. Tous les ingrédients y sont présents : des frontières disputées ; des rivalités de puissance ; un passé qui reste à vif. Là encore, notre pays ne doit pas s'économiser quand il faut mobiliser la communauté internationale : l'exemple de la récente résolution 1695 sur les essais balistiques nord-coréens montre que cela est possible.
Voilà la première illustration de notre activité diplomatique cette année sur nos valeurs, nos principes, auxquels nous sommes fidèles.
Parmi les principes qui guident aussi notre action, il y a également la solidarité. Une deuxième illustration de la politique diplomatique de notre pays cette année est représentée par la promotion des financements innovants du développement. La vision française s'impose du fait du fossé qui se creuse entre le Nord et le Sud, en matière de santé, d'éducation et de niveau de vie. Aux côtés du Brésil, la France a ouvert la voie et entraîné plusieurs Etats. Depuis le 1er juillet dernier, la contribution de solidarité sur les billets d'avion destiné à financer UNITAID est entrée en vigueur sur notre territoire. Son financement permettra de sécuriser et de renforcer l'approvisionnement durable des pays du Sud en médicaments. J'apprécie vos efforts, chacun dans son poste, sur ce dossier majeur, emblématique d'une démarche de responsabilité et de solidarité, et je vous appelle à ne pas les relâcher. Dans ce domaine crucial pour les grands équilibres de la planète, la France et sa diplomatie ont agi avec exigence et efficacité. Je compte sur vous pour promouvoir cette démarche citoyenne mondiale sans précédent.
Si la France a encore un message à apporter au monde, c'est sur ces questions qu'elle doit porter le fer et faire valoir ses vues. Si notre pays est encore porteur de l'idéal des Droits de l'Homme, il doit sortir du formalisme et s'engager dans les grandes questions qui mettent aujourd'hui en cause la paix, mais aussi la stabilité des frontières et des Etats.
Grâce à l'engagement du président Chirac et à celui du président Lula, cet enjeu majeur pour les décennies à venir est désormais traité au plus haut niveau, dans le cadre de l'agenda international. Au-delà de la question éthique, au-delà des incidences de la maladie sur le quotidien, les dirigeants ont aujourd'hui pris conscience de l'impact politique des questions de santé publique à l'échelle planétaire. Aujourd'hui l'aide au développement des pays pauvres est inséparable de la poursuite de la croissance des pays développés : c'est un fait géopolitique incontournable, cela doit désormais être vécu comme un horizon naturel par les citoyens.
UNITAID est un instrument qui arrive aujourd'hui à éclosion. Il participera, avec l'apport de nombreux pays et le soutien de la communauté internationale à la réduction de la "fracture sanitaire mondiale". D'autres instruments existent, bien évidemment, tels que le micro-crédit pour les pays du Sud. Et dans ce domaine, aucune piste ne doit être négligée, aucun projet sous-estimé.
Mais UNITAID est surtout un instrument du 21ème siècle. Il permet de sortir d'une démarche compassionnelle et paternaliste pour passer résolument à une logique de partenariat et d'intérêt mutuel. Partenariat et intérêt mutuel entre pays du Nord et pays du Sud bien sûr, mais aussi entre la notion de "bien public mondial" et la logique du secteur privé. Fidèle à sa vocation, la France doit continuer à être un pays pionnier et un acteur incontournable sur le continent africain, dans le domaine de l'aide au développement comme dans celui de la gestion des crises, et Brigitte Girardin, dans un instant, va vous l'expliquer. Car il est clair qu'il n'y aura pas de sécurité durable pour le continent européen sans développement et stabilisation du continent africain. Celui-ci illustre et réunit aujourd'hui en son sein l'ensemble des menaces mais aussi des promesses du monde contemporain : crises ouvertes, pressions migratoires, épidémies, famines, risques environnementaux d'un côté, mais aussi réservoir de ressources naturelles, marchés potentiels, jeunesse majoritaire, dynamiques de croissance de l'autre. En cinq ans, les alternances démocratiques et les sorties de crises que beaucoup croyaient sans espoir se sont accélérées. La croissance moyenne de la seule Afrique sub-saharienne atteint désormais durablement le double de la croissance européenne. N'en doutons pas, l'Afrique est une des "nouvelles frontières" de ce siècle. Les nouveaux partenaires qui s'y bousculent aujourd'hui - la Chine, l'Inde, le Brésil, l'Iran - ne s'y trompent pas. Mesurons donc bien l'intérêt d'y faire fructifier les atouts considérables qui sont encore les nôtres.
Concernant maintenant l'intégration européenne, je ne me résous pas à considérer l'Europe politique comme un objectif hors d'atteinte.
A la demande du Premier ministre, un certain nombre de chantiers ont été ouverts. Je serai bref, et Catherine Colonna en parlera ici même tout à l'heure.
Le président de la République a été clair : le premier enjeu est celui de l'élargissement, pour lequel nous avons fait admettre la notion de capacité d'absorption de l'Union européenne. Le dernier élargissement a réussi son pari : il a permis à près de la moitié du continent européen de sortir de l'ère communiste avec une perspective de paix et de prospérité sans équivalent dans le monde. Nous devons le rappeler. Mais il serait irresponsable d'ignorer les questions, et même les inquiétudes, que ce processus suscite chez nous, mais aussi chez beaucoup d'autres Etats membres.
A mon sens, la priorité est de montrer à nos concitoyens que le processus est maîtrisé politiquement, et non en pilotage automatique. D'où l'exigence d'une appréciation très rigoureuse des progrès des candidats pour respecter les critères de Copenhague. D'où également la nécessité de décisions politiquement assumées même si elles sont difficiles, en particulier pour repousser l'ouverture de négociations ou les suspendre, quand les engagements ne sont pas tenus.
Quel serait le sens de ce processus d'élargissement s'il contribuait à affaiblir la construction européenne, au lieu de la renforcer ? C'est bien pourquoi la stratégie d'élargissement doit tenir compte de la capacité de l'Union européenne à assimiler de nouveaux membres, tout en maintenant l'élan de l'intégration. Soyons clairs : il ne s'agit ni de remettre en cause nos engagements, ni d'ajouter de nouveaux critères, mais de rendre opérationnelle la notion de capacité d'absorption, dans toutes ses dimensions. A l'avenir, l'adhésion de nouveaux membres ne peut se faire sans le soutien de nos peuples. L'oublier serait, à mon sens, condamner l'ensemble du processus, ce serait même fragiliser le projet européen.
Le deuxième enjeu est institutionnel. Il est clair que le cadre actuel ne saurait être viable à terme. Dans l'immédiat, il importe avant tout de continuer à rechercher des améliorations avec les traités existants. La France a présenté des propositions en ce sens. Le temps de l'analyse se déroulera sous présidence allemande, au premier semestre 2007. Le second temps, celui de la décision, aura lieu sous présidence française, au second semestre 2008, au cours duquel les choix nécessaires devront être accomplis. Cette séquence montre, si besoin était, combien la relation franco-allemande est appelée à jouer un rôle déterminant au service de l'Union tout entière, comme le rappelait hier Frank-Walter Steinmeier.
Enfin, le dernier enjeu est celui de la perception de l'Europe concrète, qu'il s'agisse de la définition d'une véritable politique européenne de l'énergie, nécessaire pour garantir l'indépendance de l'Union, qu'il s'agisse de la montée en puissance opérationnelle de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie ; qu'il s'agisse enfin du renforcement de la capacité européenne de réponse aux crises humanitaires et aux catastrophes naturelles.
Dans un contexte aussi sensible, je vous demande de ne pas relâcher vos efforts pour expliquer et promouvoir nos positions, assurer nos partenaires des pays tiers que l'Union est bien là pour assumer ses responsabilités internationales. Et que la France reste en pointe pour la faire vivre. Plus fondamentalement, il est essentiel de recréer une dynamique européenne, fondée sur une confiance retrouvée, sans laquelle il est clair que le projet d'une Europe politique ne verra jamais le jour. Retenu par le Gymnich, je ne pourrai malheureusement pas vous accompagner vendredi à Toulouse. Mais l'Airbus A380 que vous verrez fait partie des réalisations concrètes, nées de la coopération entre Etats membres, qui manifestent pleinement ce que peut faire l'Europe quand elle a confiance en elle.
Enfin, dernière illustration de notre engagement international cette année : la promotion de la diversité culturelle. Dans ce domaine, ce sont les positions de la France qui ont prévalu et emporté l'adhésion. En effet, avec l'adoption en octobre dernier à l'UNESCO, après deux ans de négociation, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, nous disposons d'un instrument fondateur du droit international de la culture. Il garantit un certain nombre de principes emblématiques à nos yeux : le droit souverain des Etats de décider de leurs politiques culturelles ; la valeur spécifique des biens et services culturels qui ne sauraient être soumis aux seules lois du marché ; la solidarité culturelle internationale imposant peu à peu la culture comme "le quatrième pilier du développement durable", pour reprendre les termes du discours du président de la République en 2002 à l'occasion du Sommet du Johannesburg. Il convient désormais de conduire nos partenaires, notamment européens, à ratifier rapidement ce texte, comme nous l'avons fait.
Mais les défis portent aussi sur ce que j'appellerai, par commodité, la "promotion de la démocratie", car cette expression est nécessairement simplificatrice. Là aussi, les interrogations sont nombreuses et doivent nous conduire à rappeler ce qu'est la conception française. Car aujourd'hui, la promotion de la démocratie semble atteindre un palier, touchant à la fois ses limites, avec le retour d'un certain réalisme, et le coeur de ses contradictions, par exemple avec les élections égyptiennes puis palestiniennes. On voit dès lors apparaître des lignes de clivage, qui traversent aussi bien le continent européen que le monde arabo-musulman, sachant que cette problématique concerne aussi l'Afrique ou d'autres régions du monde.
Au coeur de notre continent, la démarche est naturelle. La perspective d'adhésion et la politique de voisinage constituent de formidables leviers pour y enraciner les valeurs qui sont les nôtres. Cette démarche est dans l'intérêt même de la stabilité de notre continent, et non un jeu à somme nulle. C'est la raison pour laquelle elle semble s'imposer.
En revanche, dans le monde arabo-musulman, les enjeux y sont plus complexes. Nombre de questions dérangeantes s'y font jour, autour de l'éternelle interrogation sur l'association au pouvoir des forces qui ne sont pas fondamentalement converties à la démocratie.
Il ne nous appartient pas, à nous, Occidentaux, de décréter la démocratie ou de l'imposer, à supposer que cela soit faisable. Mais, il incombe à la France de faire entendre une voix claire et distincte qui mette en lumière les principes qui nous inspirent.
Il faut rappeler en particulier la nécessité de respecter la souveraineté des Etats concernés. Nous pouvons aider, nous pourrons conseiller. Nous ne devons pas en revanche porter atteinte à l'indépendance de ces pays. A eux de définir les modalités de leur évolution démocratique ; à nous d'apporter notre soutien.
Il faut aussi laisser le temps à ces pays pour se doter des attributs d'une véritable société politique propre à combler l'espace vacant laissé entre les oppositions extrémistes et les pouvoirs autoritaires. Avec un Etat de droit, de vrais partis, des corps intermédiaires, une presse libre, un système judiciaire indépendant, la transition est mieux garantie, plus facile, moins risquée. La promotion de la démocratie passe prioritairement par la réforme des Etats, la promotion d'une gouvernance démocratique et le respect des Droits de l'Homme.
Face à cette problématique, l'Europe doit développer sa vision propre du soutien aux valeurs démocratiques. Et la France doit jouer dans cet effort un rôle déterminé et déterminant en faisant figurer les Droits de l'Homme parmi ses toutes premières priorités. Une telle démarche est importante pour éviter les malentendus qui conduisent pour certains au choc des identités, pour d'autres au conflit des civilisations. C'est contre ce cas de figure que nous devons mobiliser tous nos moyens, tous nos réseaux et toutes nos énergies.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je dirai pour terminer que ces orientations seraient vaines si elles ne s'appuyaient sur un outil diplomatique à la hauteur des enjeux.
J'insiste sur la nécessaire adaptation de notre outil au contexte de la mondialisation. Les défis que nous pose la mondialisation sont assez bien identifiés. Nombre de distinctions classiques sont brouillées : la césure entre le champ national et international s'estompe, l'interdépendance entre les économies s'accroît, de nouveaux acteurs, issus notamment des sociétés civiles et des ONG, deviennent incontournables, on l'a vu hier aux tables rondes, l'accès à l'information se généralise - je pense aux télévisions par satellite, à Internet. Cela impose à la diplomatie d'être plus opérationnelle, plus ouverte, plus visible.
Etre plus opérationnel suppose d'abord de se mettre en ordre de marche pour répondre aux enjeux les plus décisifs. C'est ce qui nous a permis de signer le contrat triennal de modernisation du ministère le 18 avril avec le ministère du Budget. Nous sommes le premier ministère à s'être ainsi engagé sur plusieurs années avec Bercy dans une démarche de modernisation avec, en contrepartie de ces efforts, une plus grande souplesse dans la gestion des emplois budgétaires, de plus amples marges de manoeuvre en matière immobilière afin de permettre à ce ministère de jouer un rôle pionnier en ce domaine, et une couverture contre le risque de change.
Etre plus opérationnel suppose aussi de mieux coordonner et de mieux harmoniser les moyens de la France à l'étranger, afin de les adapter au nouvel équilibre des puissances. C'est pourquoi le Premier ministre a décidé de réactiver le CIMEE, le Comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger. Plusieurs priorités ont été dégagées afin de mieux adapter la présence et la visibilité de la France dans le monde : rationalisation de la gestion du patrimoine immobilier, mise en commun des moyens de gestion, renforcement du rôle de coordination de l'ambassadeur. Trop atomisés, les services de l'Etat à l'étranger, mais aussi les opérateurs publics, doivent être mieux coordonnés et mieux organisés. Enfin, il importe de repenser l'architecture du réseau à la lumière des grands équilibres démographiques et économiques du monde contemporain. Chaque ministère s'est engagé à réorienter une partie de ses effectifs vers les zones les plus dynamiques. Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères redéploiera ainsi 1.500 emplois entre 2006 et 2008 vers les pays émergents, en particulier vers la Chine et l'Inde.
Etre plus ouvert nécessite de doter le réseau diplomatique d'une véritable culture de projet et de liens permanents et forts avec le monde de l'entreprise. Depuis mon arrivée au Quai d'Orsay, je m'y suis employé à travers plusieurs initiatives.
La "Journée entreprises", organisée au Quai d'Orsay le 26 avril dernier, a rencontré un grand succès parmi les quelque 400 entreprises qui y ont participé comme au sein du ministère. La démarche ainsi lancée a été poursuivie avec les rencontres, Monsieur le Secrétaire général, du "Club des ambassadeurs" qui réunissent régulièrement, autour d'un ambassadeur, des parlementaires, des éditorialistes et des chefs d'entreprise. Cette volonté d'ouverture et cette relation étroite avec les acteurs économiques de notre pays doivent être renforcées et pérennisées. Face à la mondialisation, il est important que le Quai d'Orsay, fort de son histoire, de ses capacités d'expertise stratégiques, s'adapte.
Etre plus visible enfin, c'est mener une action résolue de promotion de notre culture et de notre création à l'étranger. A cet égard, je tiens à vous exprimer ma satisfaction face à la transformation significative, depuis un an, de nos opérateurs : avec la création de CulturesFrance, pleinement opérationnel depuis juillet dernier, vous disposez désormais d'un outil efficace pour conduire notre politique d'influence culturelle. Il en sera de même prochainement avec Campus France, qui regroupera Egide, EduFrance et les Centre d'Etudes en France pour améliorer l'offre éducative destinée aux étudiants étrangers et accroître ainsi l'attractivité de notre pays. La France ne peut passer à côté de la bataille pour la formation des élites mondiales ; elle doit mieux promouvoir son système d'enseignement supérieur, ses universités et ses grandes écoles, afin de bien se placer dans l'économie mondiale de la connaissance. En dépit de son caractère partiel et lacunaire - qui néglige notamment les productions des grands instituts de recherche comme l'INRIA ou le CNRS - on ne peut rester indifférent devant le Supérieur à la 99ème place. Pour notre pays, cette adaptation est urgente, elle est impérative : c'est le défi des années à venir.
Mesdames et Messieurs,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Aujourd'hui, le contexte international et européen porte en lui des exigences à la mesure des incertitudes et des dangers qui nous guettent. Les atouts de la France lui donnent des devoirs encore plus que des droits : devoir de bien appréhender les clés du monde , devoir d'agir conformément à sa vocation, devoir de mobiliser ses partenaires face aux crises qui menacent ou éclatent. Plus que jamais, notre pays doit être au coeur de toutes les urgences du monde.
Dans le paysage tourmenté, imprévisible, instable, qui domine à l'heure actuelle, la France tire sa force de sa capacité à faire vivre et surtout partager ses valeurs et ses convictions. Son action internationale ne peut réussir qu'à ce prix. Il nous appartient à tous de conduire ce combat au quotidien. A vous, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, en tout premier lieu, puisque vous en êtes l'incarnation et le symbole dans vos pays respectifs. Aussi bien, soyons tous convaincus que, dans ces moments de confrontations et de risques, la responsabilité de la France est de tracer inlassablement le chemin du dialogue et de la paix, en restant à l'écoute de tous, dans le respect de nos différences et de nos identités.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2006