Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur la politique culturelle notamment la valorisation du patrimoine culturel, Amiens le 14 septembre 2006.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement à Amiens le 14 septembre 2006

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de me trouver ici à Amiens, dans cette ville où j'aime me rendre tant elle est dynamique et accueillante. Je me réjouis d'être ici avec deux ministres tout aussi dynamiques, Gilles de ROBIEN dont chacun connaît l'attachement à cette ville, et Renaud DONNEDIEU de VABRES, qui défend au quotidien et avec courage la place de la culture, de la création et du patrimoine.
Je me réjouis de pouvoir, en ce mois de rentrée, évoquer avec vous la politique culturelle du gouvernement, une politique à laquelle je suis particulièrement attaché. Un pays comme le nôtre doit maintenir dans ce domaine une exigence forte. Ce que nous devons défendre, ce n'est pas seulement une tradition d'excellence et de créativité. C'est la conviction que la culture est essentielle si nous voulons que le monde de demain, dominé par les considérations économiques et technologiques, reste habitable pour l'homme.
Pour cela l'Etat doit jouer tout son rôle. Certainement pas celui de prescripteur, mais plutôt le rôle d'allié, attentif aux besoins et aux aspirations des Français ainsi que des acteurs de la culture, attentif à l'émergence de nouveaux talents et à la présence, sur tout le territoire, de lieux d'excellence dans tous les domaines. Dans cette politique culturelle, le patrimoine occupe une place essentielle, une place que le gouvernement veut pleinement confirmer.
1. Nous le savons, les Français sont attachés à leur patrimoine.
Ils le prouvent chaque année lors des journées du patrimoine qui vont avoir lieu samedi et dimanche prochain. Ils le prouvent aussi tout au long de l'année, avec une affluence toujours plus importante dans nos sites historiques et dans nos monuments.
Cet attachement, il ne traduit pas une quelconque nostalgie du passé. C'est au contraire un attachement vivant, fermement ancré dans notre époque, dans les enjeux et les interrogations que suscite la mondialisation. Les Français veulent avancer. Ils sont ambitieux pour leur avenir et celui de leurs enfants. Mais ils ne veulent pas renoncer à leur identité ni aux valeurs qu'ils ont héritées de l'histoire. Dans nos archives, dans nos musées, sur les pierres anciennes nous cherchons non seulement ce que nous sommes mais aussi ce que nous devons être et ce que nous voulons devenir.
Notre patrimoine, c'est la mémoire de nos villes et de nos régions. Comment ne pas le voir ici, au coeur du pays des cathédrales, où les pierres nous parlent autant de la quête spirituelle qui a marqué cette terre de Picardie que du travail des hommes qui ont bâti ces monuments ? Etroitement lié à la diversité de nos paysages, notre patrimoine porte l'identité de chacun de nos territoires, de ses traditions, du caractère des hommes qui l'habitent, et des grands desseins collectifs qui les ont rassemblés.
Aujourd'hui, alors que notre société semble parfois en perte de repères, la place de notre patrimoine est plus importante que jamais.
D'abord parce que face à la mondialisation nos compatriotes redoutent l'effacement des différences et l'uniformisation des cultures. Alors que les modes de vie se ressemblent de plus en plus, préserver notre patrimoine c'est affirmer ce qu'il y a d'unique dans notre histoire, c'est assumer la spécificité de l'identité française.
Le patrimoine a également un rôle essentiel à jouer dans une société qui se découvre de plus en plus en plus diverse. Récemment les débats sur la mémoire de l'esclavage ou sur l'histoire de la colonisation sont venus nous rappeler l'importance des enjeux de l'identité dans une société qui se veut ouverte et rassemblée. Le futur centre national voulu par le Président de la République viendra recueillir et honorer, donner à connaître et à partager cette mémoire-là. Oui, nous devons faire une place à la mémoire de tous ceux qui font partie de la communauté nationale. Oui, nous devons être capables de regarder notre passé avec lucidité. Mais nous pourrons d'autant mieux le faire que nous connaîtrons notre histoire, nos origines, et que nous en serons fiers.
Pour toutes ces raisons notre patrimoine doit être le plus accessible possible. C'est pourquoi je veux saluer l'initiative lancée par Renaud DONNEDIEU de VABRES, « Les Portes du Temps », qui vise à faciliter l'accès des jeunes les plus défavorisés à notre patrimoine. En 2005 la première édition a touché 5000 jeunes. Cette année ce sont déjà 30 000 jeunes qui ont pu ainsi découvrir des monuments et en comprendre la signification. Je souhaite, cher Renaud, que cette opération continue à progresser au même rythme. Elle s'inscrit pleinement dans la politique d'égalité des chances qui guide l'action du gouvernement.
Le patrimoine, c'est un facteur de cohésion et de fraternité. Ce sont des valeurs que l'on partage, des principes que l'on respecte. C'est aussi un avenir à construire ensemble.
2. Nous le voyons ici à Amiens : le patrimoine est l'une des clés du dynamisme de notre pays
Nos monuments et nos sites historiques sont essentiels à l'attractivité de nos territoires : nous savons tous combien la rénovation d'un château, d'une abbaye ou la modernisation d'un musée permet de donner une impulsion nouvelle à une commune, à un département.
Ici, en Picardie, regardez l'ancien quartier militaire de Montmarie à Senlis, qui a été transformé en logements ; regardez l'ancienne caserne des Dragons de la Reine de Laon qui a été réhabilitée pour accueillir le siège du Conseil Général de l'Aisne, ou encore, plus loin d'ici, la réhabilitation des docks napoléoniens par Jean-Claude Gaudin à Marseille.
Et ce n'est pas un hasard si tant de nos villes réinvestissent les lieux de leur histoire industrielle et sociale pour en faire des moteurs de leur attractivité économique et touristique : je pense à « La Condition Publique à Lille, au barrage du Bazacle à Toulouse, aux entrepôts Laisné à Bordeaux, à la Piscine de Roubaix, à la manufacture de Saint-Etienne, où est en train de naître la Cité du Design. Je veux aussi citer et encourager, ici à Amiens, le projet d'aménagement de l'ancienne gare de la SERNAM.
Par ailleurs, et les élus le savent bien, les grands sièges sociaux et les entreprises performantes choisissent pour leur installation des villes préservées, où le cadre urbain, la qualité de vie et l'offre culturelle sont souvent plus importants qu'ailleurs.
La valorisation de notre patrimoine constitue donc également un enjeu crucial pour l'emploi dans notre pays. Pour l'emploi indirect, lié au tourisme et à aux implantations d'entreprises, mais aussi, naturellement, pour l'emploi direct. Vous le savez mieux que quiconque, vous qui perpétuez des métiers qui sont à la fois un héritage du passé qu'il nous faut préserver et un formidable potentiel pour l'avenir.
Qu'il s'agisse du nettoyage des pierres au laser qui a été employé ici à Amiens ou pour la cathédrale Notre-Dame de Paris, ou encore des techniques de radio laser utilisées pour la reproduction des sculptures à partir de moulages et qui a permis de restituer la statuaire de la cathédrale de Reims, les métiers du patrimoine constituent un formidable champ d'application et d'innovation pour les technologies de pointe. Je veux saluer à cet égard l'effort conjugué des professionnels et des chercheurs du laboratoire national de recherche sur les monuments historiques.
Je veux remercier également les tailleurs de pierre, les sculpteurs et les maîtres-verriers que je viens de rencontrer. A travers eux je rends hommage aux quelque 10 000 professionnels qui oeuvrent sur plus de 4000 chantiers de restauration de France. Je sais que leur travail, s'il est passionnant, n'en est pas moins ardu et exigeant. Je veux leur dire que l'Etat sera à leurs côtés et aux côtés des centaines de petites entreprises hautement qualifiées qui ont fait ce choix audacieux du patrimoine.
Ici, grâce à vous, chaque habitant, chaque visiteur retrouve le sens et l'esprit de cette étonnante cathédrale. Symbole d'une époque où Amiens jouait un rôle central dans l'Europe hanséatique, première cathédrale gothique inscrite à l'Unesco, comment ne pas partager votre fierté devant ce monument exceptionnel ? Et je regrette de ne pas avoir pu y passer plus de temps pour admirer le remarquable travail de polychromie qui permet de restituer la cathédrale du Moyen-Age dans toute sa splendeur. Ces couleurs et ces lumières nous rappellent ainsi que si elles étaient des lieux de spiritualité et de culte, les cathédrales étaient aussi des lieux de vie et de fête. Et puisque je suis ici, je veux saluer également la rénovation de la tour Perret et son éclairage si original. Aujourd'hui les Amiénois se sont réapproprié ce monument longtemps mal aimé prouvant ainsi qu'Amiens est aussi une ville d'audace et de modernité.
Enfin, le patrimoine occupe une place essentielle dans la construction d'une véritable conscience européenne. Les cathédrales, les universités, les châteaux de la renaissance ou encore l'architecture industrielle du XIXème siècle sont la trace vivante des grands événements qui ont marqué notre continent. Ils sont la trace des courants de pensée et de société qui en constituent l'unité profonde. Nous savons tous que l'Europe ne se fera pas seulement à travers de grandes réussites économiques ou scientifiques. Elle se fera aussi à travers le sentiment des citoyens européens d'appartenir à une même histoire, à un même humanisme. C'est pourquoi la France a proposé à ses partenaires européens la création d'un label « Patrimoine de l'Europe », qui identifiera bientôt dans toute l'Europe un véritable réseau de lieux de mémoire à l'échelle du continent.
Vous le voyez, valoriser son patrimoine ce n'est pas être tourné vers le passé, ce n'est pas faire de la France un grand musée. C'est mettre toutes les chances de notre côté en valorisant nos atouts et notre savoir-faire. C'est permettre à notre pays d'entrer sereinement dans la modernité, une modernité voulue, une modernité comprise, ancrée dans la fidélité aux racines.
3. Le gouvernement veut appuyer cette nouvelle ambition pour notre patrimoine.
En premier lieu nous allons moderniser la relation entre les acteurs du patrimoine, l'Etat, les collectivités locales et les propriétaires privés. Avec l'ordonnance du 8 septembre 2005, l'Etat restitue en effet la maîtrise d'ouvrage des travaux sur un monument historique à son propriétaire, collectivité ou particulier. C'est désormais le propriétaire et non l'Etat qui, pour chaque chantier, choisira l'architecte parmi les architectes en chef des monuments historiques ou bien, selon une ouverture qui sera mesurée et progressive, parmi d'autres architectes français ou européens qualifiés pour ce genre d'opération. Pour les propriétaires de monuments qui se trouveraient dans l'incapacité de faire face à cette responsabilité nouvelle, en raison de travaux complexes ou trop lourds financièrement, l'Etat proposera une assistance à maîtrise d'ouvrage gratuite. C'est particulièrement important pour les petites communes rurales, qui pourront ainsi mener à bien les travaux de restauration sur leurs monuments.
En deuxième lieu, l'Etat mobilisera les moyens nécessaires à une meilleure valorisation du patrimoine. Son engagement est déjà considérable. Pour 2005 : 320 millions d'euros ont été consommés sur les chantiers en cours. Avec le Président de la République nous avions tenu à ce que le financement du patrimoine, en plus des crédites budgétaires, bénéficie dès 2006 d'une dotation en capital de 100 millions d'euros issue du produit des privatisations. Aujourd'hui, avec Renaud DONNEDIEU de VABRES et Jean-François COPE, nous avons décidé d'inscrire dans la durée un effort supplémentaire :
24 millions d'euros vont être dégelés immédiatement sur les crédits du budget 2006 qui avaient été mis en réserve. Ils permettront la reprise et l'accélération de chantiers importants qui avaient été interrompus. Plus de 100 chantiers pourront ainsi se poursuivre, dont la cathédrale d'Amiens qui bénéficiera de 400 000 euros, mais aussi la cathédrale de Beauvais, les châteaux de Soucy et Pierrefonds ainsi que le domaine de Compiègne.
Par ailleurs, lors du vote du projet de loi de finances 2007, le Gouvernement proposera au Parlement la création d'une recette pérenne nouvelle de 70 millions d'euros par an, prélevée sur les droits de mutation perçus par l'Etat. Cette recette viendra s'ajouter aux crédits budgétaires. Elle sera versée au Centre des monuments nationaux, qui se verra conférer par la loi une mission de maîtrise d'ouvrage élargie qu'il mènera en complémentarité avec les équipes de maîtrise d'ouvrage des DRAC. Cette recette sera versée rétroactivement dès 2006, à hauteur de 50 millions d'euros. Je tiens à rendre hommage à l'attention que le Parlement prête aux enjeux du patrimoine, comme en témoignent les missions interministérielles que conduisent dans chacune de leurs assemblées Christian KERT et Philippe RICHERT qui m'ont fait l'amitié d'être aujourd'hui à mes côtés.
Ainsi, entre la fin 2006 et le début 2007, ce sont près de 140 millions d'euros qui seront mis à disposition des chantiers de restauration. Les chantiers des collectivités locales et des propriétaires privés bénéficieront pleinement de cet abondement, grâce aux redéploiements qu'il permettra.
Vous le voyez, l'Etat veut prendre toute sa part, aux côtés des communes et des départements, à l'effort de valorisation de notre patrimoine. Aujourd'hui les régions n'ont pas d'obligation spécifique dans ce domaine. Pour autant elles savent combien il est important, pour leur identité et leur développement, de préserver et de mettre en valeur le patrimoine de leur territoire. Certaines d'entre elles s'engagent d'ores et déjà en ce sens, pour un montant total estimé à un peu plus de 40 millions d'euros. Je me réjouis en particulier que la région Picardie se soit engagée aux côtés de l'Etat et des autres collectivités locales dans un « plan cathédrale ».
Partant de ces acquis, à l'occasion de la négociation en cours des prochains contrats de projets Etat-Régions, le gouvernement à souhaité amorcer un dialogue avec les régions sur de nouvelles collaborations, centrées sur des monuments particulièrement importants. C'est une des pistes de l'avenir, et je souhaite qu'une concertation ouverte puisse s'engager.
L'enjeu, nous le mesurons tous, est immense. Car il s'agit bien, à travers notre patrimoine, de renforcer notre vouloir vivre ensemble, de l'appuyer sur une conscience commune et sur une confiance retrouvée dans notre avenir.
Pour terminer, il ne me rester qu'à vous souhaiter, samedi et dimanche prochain, d'excellentes « Journées du patrimoine ». Peut-être aurais-je le plaisir d'accueillir certains d'entre vous à l'Hôtel Matignon ! Je l'espère.
Je vous remercieSource http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 septembre 2006