Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur "Europe 1" le 3 octobre 2006, sur le débat engagé à l'Assemblée nationale sur la privatisation de Gaz de France en vue de la fusion avec Suez, et sur l'amendement déposé par Edouard Balladur sur la détention de stock-options par les dirigeants d'entreprises.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Bienvenue monsieur Breton. Ce soir, le débat engagé à l'Assemblée nationale sur la fusion GDF/Suez s'achèvera par le vote texte autorisant cette dernière. Avant de parler de la suite et des étapes qui maintenant se profilent, une question. Vous allez être attentif aux votes, plus particulièrement à celui des députés sarkozystes, de l'UMP. Vous comprenez que certains députés aient pu avoir des états d'âme pendant ce débat et notamment ceux qui avaient voté peut-être dans un sens différent il y a quelques années ?
R- Vous savez, c'est un débat que le président de la République a souhaité dans le cadre d'une session extraordinaire. Ce débat a eu lieu pendant plusieurs semaines, je l'ai mené, du reste, avec F. Loos. Donc je peux vous dire que tout le monde a pu s'exprimer, toutes les opinions ont pu être prises en compte, et puis, in fine, ce texte qui contient dix-sept articles, eh bien a été voté article après article. Alors, cet après-midi, c'est le vote solennel. Je peux vous dire que compte tenu du climat que j'ai pu vivre moi-même au cours de ces débats, certes, au début - compte tenu du fait que l'opposition avait déposé, comme vous le savez, 134.000 amendements - on a eu des débats répétitifs. J'ai donc bien compris les messages que l'opposition voulait faire passer. Et puis, après ça, la raison a repris le dessus. Et puis, je peux vous dire que progressivement nous avons eu, vraiment, une présence très forte des députés de la majorité et une grande unité. Donc, je pense que cette unité que j'ai ressentie pendant les débats, je pense qu'elle va se traduire cet après-midi dans le cadre du vote solennel, mais c'est le vote et nous sommes respectueux devant la démocratie.
Q- Donc, c'est quasiment bouclé pour l'Assemblée. Ca va partir au Sénat. Pour l'ensemble du Parlement, ça devrait d'ailleurs passer sans problème. Prochaine étape, la Commission de Bruxelles qui doit donner son aval, et donc ne pas voir dans cette fusion l'annonce d'un monopole. Où est-ce qu'on en est avec Bruxelles ?
R- Alors, d'abord, moi, je suis toujours dans le temps du Parlement. Je le dis très clairement, le texte sur lequel les députés auront à se prononcer cet après-midi, puis ensuite, immédiatement après les sénateurs puisque le débat va à nouveau s'ouvrir devant le Sénat, le texte concerne à la fois la transposition de la directive Energie qui doit permettre aux consommateurs français, dès le 1er juillet 2007, alors que cette directive qui avait été quand même, je tiens à le rappeler, initiée par le gouvernement de monsieur Jospin, permet ou autorise ou met en place la libéralisation de l'ensemble du secteur de l'énergie le 1er juillet 2007, si on ne faisait rien, si nous n'avions pas légiféré, les tarifs de l'électricité et du gaz notamment n'auraient vraisemblablement plus pu être maintenus dans le cadre réglementaire, et c'est ce qui sera fait donc. Et puis deuxièmement, c'est un texte de loi qui permet à Gaz de France de nouer des alliances pour devenir le grand groupe qu'elle souhaite devenir pour répondre à ses défis. De même qu'en son temps, Air France, parce qu'on a autorisé la privatisation, est devenu un grand groupe avec KLM, Renault parce qu'on a autorisé la privatisation est devenu un grand groupe avec Nissan, Gaz de France mène sa stratégie.
Q- Les quelques gens qui vont manifester dans la rue aujourd'hui, ce n'est pas à ça qu'ils pensent. Ils pensent au prix, ils pensent à leur entreprise, ils ont peur. Pourquoi ?
R- Vous savez, on a connu de nombreuses privatisations en France, au cours des vingt dernières années, et on a toujours, toujours, toujours eu le même type de débat. Voilà. Je respecte le débat, chacun peut s'exprimer, nous sommes en démocratie, mais enfin j'ai un peu l'habitude.
Q- Qu'est-ce que vous avez envie de dire, parce qu'on va quand même se situer en-dehors du débat parlementaire, aux actionnaires de Suez qui seront amenés à se prononcer aussi, eux, dans quelques semaines sur la fusion et qui ont aussi, pour certains d'entre eux, besoin d'être persuadés qu'ils ont tout à gagner dans cette opération ?
R- Non, non, non. Moi, je vais vous dire très simplement, ce matin, les actionnaires de Suez, ce n'est pas mon problème. Moi, ce qui me concerne et ce qui est mon problème c'est Gaz de France, c'est l'entreprise Gaz de France, c'est les salariés de Gaz de France. Je suis actionnaire - l'Etat est actionnaire - de Gaz de France. Moi, les actionnaires de Suez ça ne me concerne pas, et je le dis très clairement. Du reste, je n'ai cessé de le dire pendant les vingt-quatre jours de débats, nous ne sommes pas là pour débattre d'autre chose que de l'énergie et de Gaz de France. Gaz de France souhaite se marier, J.-F. Cirelli est venu me voir, il m'a dit qu'il avait un projet, très bien. Eh bien, c'est à lui de mener ce projet, on fera tout pour l'aider mais c'est pas à nous, l'Etat, à essayer de nous mettre à la place des actionnaires des uns et des autres. Nous, on n'est pas là pour faire plaisir aux actionnaires de Suez ou de quiconque, on est là pour maintenir notre rôle, pour préserver les missions qui sont les nôtres, pour donner au régulateur le pouvoir qui convient de façon à ce que les prix soient bien contrôlés, soient régulés, que l'ensemble se fasse sur un marché qui est un marché qui respecte la loi, et puis voilà.
Q- Mais ce n'est pas indifférent...
R- ... Et il y aura donc un troisième temps. A partir du moment où le cadre réglementaire aura été voté et où on aura donné la souplesse nécessaire à Gaz de France, Gaz de France finalisera les accords qui sont les siens, il discutera avec l'entreprise qu'il a choisie. Nous, nous veillerons - dans le cadre du conseil d'administration nous sommes représentés - que les intérêts dont nous sommes garants sont bien défendus. J'ai du reste pris moi-même un engagement vis-à-vis de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée, c'est que lorsque les derniers éléments me seront donnés, eh bien j'irais les présenter à la Commission des affaires économiques. Et puis on donnera les instructions ensuite, ou les consignes, ou on discutera, à nos administrateurs qui défendront donc les intérêts de l'Etat. Mais, j'ai confiance, mais j'ai confiance. J'ai confiance parce que ce projet est un bon projet, il est un bon projet pour Gaz de France, il est un bon projet pour Suez. L'Etat a toujours dit qu'il estimait que c'était un bon projet. Maintenant, nous, notre rôle, le Gouvernement, c'est avec le Parlement de donner les moyens à Gaz de France d'aller de l'avant. Et puis, le troisième temps, ça sera le temps des assemblées générales, les entreprises finaliseront leurs accords en tenant compte y compris des remarques de Bruxelles dont je crois qu'elles sont plutôt disons favorables à l'ensemble de cette fusion.
Q- Monsieur le ministre, vous n'êtes tout de même pas indifférent, pour le ministre que vous êtes, que Suez se voie par exemple contraint d'envisager de céder une part de ses activités dans le secteur nucléaire en Belgique ?
R- Ah non, non, mais attendez, moi, mon sujet, encore une fois et je le redis, c'est que Gaz de France puisse nouer l'alliance qui lui convient. Dans ce contexte, il y a un projet, et ce projet industriel nous semble être un bon projet. Et puis maintenant, aux entreprises de négocier pour que ça se passe dans les meilleures conditions. Mais je vais vous dire une chose, les informations dont je dispose, moi, aujourd'hui, me démontrent que tout ceci se passe bien et ça me satisfait.
Q- Est-ce qu'il est exact que le gouvernement belge aura les mêmes droits que l'Etat français, c'est-à-dire le pouvoir de s'opposer à tout ce qui irait à l'encontre de ses intérêts nationaux ?
R- Encore une fois, ça concerne... pour l'instant, nous en sommes à discuter, je le redis et pardon, je suis obligé de le redire parce que c'est la stricte vérité, nous en sommes à discuter avec le Parlement de la liberté pour Gaz de France. Et derrière, Suez qui est l'autre pendant discute...
Q- ...mais là, ça joue pour l'Etat français ou l'Etat belge.
R- ... Non, non, ce n'est pas l'Etat français qui discute avec l'Etat belge sur cette affaire, je tiens à vous le dire, c'est SUEZ qui discute avec la Commission de son côté, et Gaz de France qui discute avec la Commission d'un autre côté. Ils ont fait ça dans le cadre d'une lettre qu'ils ont exprimée l'un et l'autre. Cette lettre qui a été rendue publique du reste, semble préserver intégralement le projet, elle nous satisfait. Mais maintenant, il faut que ceci soit finalisé avec la Commission mais j'ai bon espoir.
Q- Monsieur Breton, dans la foulée, cet après-midi, à l'Assemblée, la participation. Alors, serpent de mer depuis quarante ans, je crois qu'E. Izraélewicz le disait tout à l'heure sur cette antenne, quinzième texte en quinze ans, je crois. Et lui disait, "la montagne accouche d'une souris". Qu'est-ce que vous voyez, vous, d'important dans ce texte ? Est-ce qu'on est pas en présence d'un texte présenté à la veille d'une période électorale pour dire aux gens : "vous voyez, on est pour la participation" ?
R- Là où vous avez raison, c'est qu'on est dans un texte qui est présenté à sept mois d'une échéance électorale importante. Pour le reste, je ne suis pas du tout d'accord. C'est un texte extrêmement important. La participation c'est un élément qui permet de réconcilier les salariés avec leur entreprise, qui permet de repartager les bénéfices et les profits de l'entreprise, de faire en sorte que les salariés soient plus associés également aux décisions de l'entreprise.
Q- En quoi est-ce qu'ils vont l'être plus ?
R- Je peux vous dire, par exemple, quand les salariés détiendront plus de 3 %, ils auront donc obligatoirement un siège au conseil d'administration, au conseil de surveillance de leur entreprise, ce qui est une très bonne chose. Moi-même j'ai pu le vivre dans ma vie, je peux vous dire que c'est toujours une bonne chose d'avoir des salariés qui siègent au conseil d'administration de leur entreprise. Donc, tout ceci est fédéré dans ce texte important. Non, je crois vraiment qu'il faut le regarder.
[inaudible]
R- Encore une fois, pour les 3 %, si. Il faut le regarder attentivement, c'est un texte qui vraiment permet à la participation, je dirais d'avoir un essor nouveau dans le contexte de l'actionnariat salarié parce qu'il y a une quarantaine d'années, lorsque le général de Gaulle en a parlé, l'actionnariat salarié n'existait pas et c'est peut-être pour ça aussi qu'on avait imaginé la participation, aujourd'hui l'actionnariat salarié se développe très significativement, ce qui est une très bonne chose. Donc, il fallait revoir le concept de participation à l'aulne de l'actionnariat salarié. C'est un grand texte.
Q- Les gouverneurs des banques européennes, le gouverneur de la Banque centrale européenne va réunir le Conseil monétaire à Paris, vendredi prochain. Qu'est-ce que vous en attendez ? Quels signes seraient les bienvenus ?
R- Vous savez, là encore, moi je n'attends aucun signe. Les gouverneurs et la Banque Centrale sont indépendants, je regarde uniquement ce que disent les marchés. Les marchés anticipent peut-être. Comme vous le savez, il suffit de regarder ce qu'ils disent des évolutions de taux qui sont assez contrôlés, voilà. Je n'ai rien d'autre à en entendre. Je voudrais juste revenir sur la participation parce qu'il y a également, comme vous le savez, pardon de revenir sur ce point, mais E. Balladur a souhaité que ce texte porte également un amendement sur les stock-options.
Q- ... moralise le système, oui.
R- Oui, mais alors, bon, moi là-dessus je suis très clair, je l'ai dit du reste, je n'étais pas favorable et je n'y suis pas favorable et j'ai dit à E. Balladur du reste, que je ne suis pas favorable, par principe, à ce qu'on légifère trop, notamment sur ces questions. Parce qu'on a déjà fait voter une loi sur la modernisation de l'économie, que j'ai faite voter du reste l'année dernière au Parlement, qui encadre très très fortement la cession notamment des actions, du reste c'est par le biais de cette loi qu'on a pu identifier ici ou là el ou tel excès puisque dès qu'un dirigeant cède des actions, il doit le
déclarer instantanément à l'Autorité des Marchés Financiers, et ça figure sur son site internet. Alors, bon, cette loi n'est peut-être pas encore connue de tous, en tout cas ce que je peux vous dire c'est qu'elle encadre très clairement cet exercice. C'est pour ça que n'y étais pas vraiment favorable
pour le refaire. Bon, dans un esprit de compromis, comme E. Balladur avait déposé cette loi, on a finalement proposé...
Q- ... c'est pour l'unité, alors.
R- ... de le faire figurer - ce qu'il souhaitait - dans le cadre d'un amendement. Cet amendement, il est uniquement limité aux dirigeants des entreprises pour les stock-options et faire en sorte que, lorsqu'ils exercent des stock-options, le conseil d'administration doit indiquer la part que les dirigeants doivent garder par devers eux. Vous savez qu'aujourd'hui, en fait, les entreprises sont en train de plus en plus d'abandonner les stock-options, beaucoup viennent me voir et me disent, mais en fait, c'est un peu du passé parce qu'aujourd'hui, finalement, les entreprises ne distribuent plus de stock-options mais au contraire des actions gratuites à leurs salariés et à leurs dirigeants. C'est ça la modernité des entreprises, si on peut dire. Alors, si demain, on veut encadrer...
Q- On ne va pas légiférer là-dessus dans quelque temps ?
R- Non, ça veut dire uniquement tout en restant pour les dirigeants parce que, vous savez, moi, je pense que moins on en fait, mieux c'est. Il vaut mieux préserver l'esprit de vertu et je dirais faire en sorte que les uns et les autres aient un comportement qui soit un comportement citoyen. Alors, peut-être qu'on l'étende uniquement aux actions distribuées mais vraiment que pour les dirigeants. Le moins on le fait, le mieux c'est et je vois déjà que la Place de Paris, clairement, est très en avance, et y compris sur ses comportements par rapport à d'autres, donc c'est pas la peine d'en rajouter.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 octobre 2006