Texte intégral
M. Sarkozy - Mesdames et Messieurs, Catherine Colonna et moi sommes très heureux de vous rencontrer. Nous allons essayer de répondre à vos questions si jamais par extraordinaire, il y en avait. Je dois vous dire le plaisir que nous avons eu à participer tous les deux à cette conférence extrêmement bien organisée par nos amis espagnols, la conviction qui est la nôtre que la crise aiguë que connaît l'Europe n'en est qu'à son démarrage et que cette crise aiguë qui n'est qu'à son démarrage, hélas, doit imposer à l'Europe des réactions fortes, coordonnées, solidaires, imaginatives. Il ne s'agit plus d'établir un diagnostic, un bilan mais de tracer des voies pour agir. C'est, en ce qui me concerne, ce que j'ai essayé de faire, mais comme vous les connaissez, le mieux, c'est que nous répondions à vos questions. Si jamais il y en avait, naturellement.
Q - Monsieur le Ministre, depuis plusieurs semaines en Espagne, on entend des appels au secours des Espagnols, puisqu'ils sont les seuls à lutter contre l'immigration illégale avec ce qui se passe notamment aux Canaries, est-ce qu'aujourd'hui la France a pu rassurer le gouvernement espagnol ?
R - M. Sarkozy - Comme vous le savez, il y a eu une petite polémique dont je veux croire qu'elle est le résultat d'un malentendu. Qu'est-ce qui s'est passé ? Où est-ce qu'on en est ? Quand j'ai parlé de l'erreur que représentaient les régularisations massives, je n'ai pas porté un jugement à l'endroit de tel ou tel pays, j'ai simplement fait état d'une expérience, celle de la France qui, en 1997, a régularisé 80.000 clandestins. L'année suivante, le nombre des demandes d'asile était multiplié par quatre. C'est de cette époque que j'ai tiré la conclusion que la régularisation massive n'était pas la bonne solution. Et lorsque M. Zapatero dit que la France a un problème avec ses banlieues, c'est une bonne observation.
C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué que je ne régulariserai pas massivement les clandestins que nous avons en France. A partir de ce moment là, j'observe une autre chose : nous sommes dans l'espace Schengen. Dire cela, c'est décrire une réalité. L'espace Schengen, cela veut dire que quand un pays donne des papiers à un clandestin, il ne les donne pas simplement pour son pays mais pour l'ensemble des pays de la zone Schengen. J'ai donc appelé à deux choses, entre autres, un pacte européen pour l'immigration, où on se met d'accord sur les grands principes et, deuxième chose, l'établissement d'une procédure d'asile européen parce que nous sommes vingt-cinq en Europe. Et un réfugié politique, ou qui s'affirme comme tel, peut donc présenter une demande dans vingt-cinq pays ! Est-ce que nous n'aurions pas intérêt à avoir une seule procédure et une seule réponse qui vaillent pour tous les autres ?
Troisième chose, j'ai proposé que l'on mutualise nos moyens. C'est quand même très curieux : nous faisons le même espace et nous gardons les consulats pour chacun de nos pays avec des visas pour chacun de nos pays, valables pour tous les autres. Je passe sous le contrôle de Catherine pour son opinion, bien sûr. J'ai été très heureux de voir, il m'a semblé, mais vous le leur demanderez, que les réactions étaient très positives de la part des Portugais, très positives de la part de M. Frattini, intéressées de la part de la présidence, et assez positives de la part du ministre de l'Intérieur espagnol qui, à plusieurs reprises, a fait valoir son accord avec mes propositions. Quant à M. Moratinos, je crois qu'il a, à plusieurs reprises, dit qu'il était d'accord, soulignant la nécessité de solidarité, ce à quoi j'ai répondu : "la solidarité est indispensable entre nous mais la solidarité s'exprimera d'autant mieux que, chaque fois que l'un d'entre nous décide, il prend la peine d'en informer son voisin, de se concerter avec son voisin."
On est même mieux solidaire d'une décision prise ensemble que d'une décision prise séparément. Pour le reste, le malentendu appartient au passé. Ce qui compte, c'est de se tourner vers l'avenir. J'ajoute que je ne veux pas faire de politique intérieure en Espagne, en Italie ou ailleurs sur un sujet si difficile et si complexe qu'est celui de l'immigration.
R - Mme Colonna - Je voudrais simplement ajouter quelque chose pour témoigner de l'atmosphère de la réunion et pour que vous puissiez vous rendre compte, peut-être mieux, de la façon dont les travaux se sont déroulés ce matin. Chacun s'est exprimé à l'occasion d'un tour de table et Nicolas Sarkozy a fait, avec ses talents propres, des réflexions, des propositions, des suggestions. Il a dégagé des orientations pour l'avenir.
Telles que nous les avons entendues ce matin, cela a entraîné les réactions qu'il vient de vous dire. Et peut-être est-ce encore mieux si c'est moi qui vous le dis ! Parce qu'il est exact que Miguel-Angel Moratinos a utilisé, je crois, le qualificatif de "raisonnable", parlant de ce qu'il avait entendu ; et que d'autres collègues ont, en effet, manifesté leur intérêt. Ils ont jugé que c'était constructif.
Ecoutez, si c'était simple, cela se saurait. C'est une question bien difficile. C'est un immense défi mais, très franchement, la situation n'est pas satisfaisante ni pour nos pays ni pour ces pauvres gens qui sont jetés sur les côtes des Canaries, de Malte ou de Lampedusa. On a dégagé des orientations et on a pris des décisions en tant qu'Européens. On peine parfois à les traduire en actes mais enfin, il faut aussi réfléchir sur la façon d'alimenter la réflexion pour trouver de meilleures réponses. Voilà ce dont il s'agit. Alors si cela a intéressé, tant mieux, ensuite le débat se poursuivra : il y a d'autres rendez-vous européens, comme la réunion la semaine prochaine des ministres de l'Intérieur et de la Justice et le Conseil européen informel, au mois d'octobre. Voilà, réfléchissons. La situation, tout de même, n'est pas ce qu'elle devrait être.
Q - Monsieur le Ministre, l'immigration africaine du Maghreb représente, selon la police, un peu moins de 10 %, de l'immigration clandestine en Espagne. Il paraît qu'il y a en Espagne aujourd'hui à peu près un million, un million cent de sans papiers, et il semble qu'il rentre chaque jour, selon la police, autour de 1.700 et 3.000 personnes par les frontières françaises et les aéroports. Je voulais savoir si vous avez des solutions analogues pour la France et qu'est-ce qu'on fait ou qu'est-ce qu'on va faire de ces milliers de personnes en Espagne ? Est-ce qu'on doit les expulser massivement ? Est-ce qu'on doit les laisser travailler au noir ? Est-ce qu'on doit les régulariser ? Qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
R - M. Sarkozy - Des choses très intéressantes ont été dites par M. Moratinos comme par M. Rubalcaba, sur la question des rapatriements - et je veux rendre hommage à leur courage. A deux reprises, ils ont indiqué que la crédibilité d'une politique d'immigration européenne et nationale, à l'intérieur de l'Europe, passait par l'effectivité des mesures de raccompagnement. Je signe des deux mains, Monsieur, c'est ma réponse.
On me dit qu'on ne peut pas expulser un million de personnes. Je suis ministre de l'Intérieur depuis quatre ans, je suis prêt à accepter cette idée. Mais à l'inverse, si vous dites qu'on ne peut pas, donc on ne fait pas, alors apprêtez-vous à en recevoir beaucoup. Donc, pour la question des rapatriements, quand on n'a pas de papiers, on a vocation à être accompagné chez soi. Je crois même que c'est M. Rubalcaba qui a posé la question : les rapatriements doivent être faits de façon européenne c'est-à-dire en mutualisant les moyens. Eh bien, c'est le meilleur signal que nous pouvons envoyer aux réseaux criminels et mafieux qui utilisent la misère des pauvres gens. Parce que, Monsieur, qu'est-ce qui est en cause ? Si, d'un côté, on dit on régularise et si, de l'autre, on dit on ne renvoie pas, alors vous vous apprêtez à faire la fortune de réseaux mafieux qui expliqueront à des malheureux "venez dans tel pays qui a déclaré qu'on ne rapatrie pas" et dans ce cas là, pourquoi se gêner ? Donc, je vous réponds, si on n'a pas de papiers, on a vocation à être ramené chez soi. Donc, pour la question des rapatriements, je suis très heureux de voir que pour les socialistes espagnols, elle pose moins de problème que pour les socialistes français.
Q - (A propos de l'aide au développement)
R - M. Sarkozy - La question, c'est celle du développement. Il va de soi qu'on ne pourra résoudre le problème de l'immigration que si l'on développe l'Afrique. D'ailleurs, de ce point de vue, je rends hommage à l'action ancienne de Jacques Chirac qui a toujours cru que les choses passeraient par le développement de l'Afrique. Malheureusement, nos budgets sont tous en déficit.
A titre personnel, j'ai fait une proposition à laquelle je crois beaucoup. Je propose que soit défiscalisé l'argent des étrangers gagné en France à condition qu'il soit réinvesti dans leur pays d'origine. Cela représente plusieurs avantages : le premier, c'est que cela maintient les liens entre des étrangers qui travaillent dans nos pays et les pays d'origine. Ce qui permet d'espérer un retour chez eux. Le deuxième, c'est que c'est beaucoup d'argent qui va permettre le développement de micro-projets ; or les micro-projets sont importants, car il n'y a pas de corruption sur les micro-projets. Le troisième avantage, c'est que je ne crois pas à l'augmentation indéfinie des budgets de développement, parce que nos budgets sont déjà en situation tellement difficile.
Q - Quelle est votre réaction aux déclarations de M. Zapatero cette semaine en disant qu'il ne reçoit pas de leçons ?
R - M. Sarkozy - J'ai été étonné de la déclaration de M. Zapatero, parce que la solidarité de la France dans la lutte contre l'ETA n'a jamais tenu compte des différents gouvernements espagnols. La France s'est toujours tenue droite aux côtés de l'Espagne. Et la France n'a jamais eu de commentaires sur les différentes évolutions de la politique espagnole. Et je suis certain que les déclarations de M. Zapatero étaient dues au climat un peu vif du Parlement espagnol à ce moment là et qu'elles ne reflétaient pas la totalité de sa pensée. Parce que s'il y a quelqu'un qui a été solidaire de l'Espagne, de l'Espagne du gouvernement de M. Aznar comme de l'Espagne du gouvernement de M. Zapatero, je crois pouvoir le dire, c'est moi. Par ailleurs, sur le fond, je n'ai jamais voulu donner de leçon à l'Espagne, qui est un pays avec lequel je suis lié par des liens de très grande affection. Je n'oublie pas que ma femme est quasiment espagnole et enfin, prenez-le avec humour, si je n'ai pas voulu donner des leçons, c'est pour une raison : c'est que je n'aime pas en recevoir.
Q - Pour ce qui est des frontières maritimes, est-ce que la France est prête à collaborer, à mettre des bateaux éventuellement ? Qu'est-ce qu'on peut faire pour aider ?
R - Mme Colonna - A l'heure actuelle, deux opérations Frontex sont en cours : l'une concerne les Canaries et l'autre Malte. La France participe à ces deux opérations. Dans le cas de celle qui est menée depuis plusieurs mois maintenant au large des Canaries, nous avons détaché deux experts nationaux, qui viennent d'être renouvelés, à la mi-septembre. De plus, nous utilisons un certain nombre de moyens d'observation que nous avons à notre disposition, au Sénégal et au large des côtes du Sénégal. Si les autorités sénégalaises y consentent, les observations que l'on peut faire sont transmises à l'agence Frontex. Et puis il y a les opérations - qui auraient dû démarrer, qui ne l'ont pas encore fait mais qui vont le faire d'ici quelques jours - et qui concernent Malte. La France a décidé d'y participer. Il y a un moyen de surveillance aérienne à cette opération dont le nom de baptême est "Jason".
Q - Comment allez-vous convaincre notamment les pays d'Europe du Nord qui sont moins concernés par ces problèmes ?
R - Mme Colonna - Il y a deux éléments de réponse mais tu complèteras. D'abord, comment va-t-on les convaincre alors qu'ils sont tous concernés ? Tous les pays européens sont concernés. Nous l'avons rappelé à plusieurs reprises, encore ce matin et encore devant vous. Lorsque quelqu'un entre dans l'espace européen, dans l'espace Schengen, cela n'est pas seulement en Espagne qu'il entre, c'est dans tous les pays de l'espace Schengen. Nous sommes donc tous concernés et les pays méditerranéens au premier chef, direz-vous, de par leur situation géographique mais, je le répète, tous les pays européens sont concernés. Je crois qu'ils en ont pris conscience et je suis sûre que des décisions sont mûres. Concernant les moyens financiers de Frontex, je rappelle qu'il y a des discussions en cours, qui doivent se conclure rapidement. Le commissaire Frattini a donné des indications plutôt ouvertes et il faudra, qu'à la clé, il y ait une augmentation des moyens financiers de Frontex, bien sûr, pour fournir les preuves de son efficacité.
Q - (A propos de la régularisation des personnes en situation illégale)
R - M. Sarkozy - La solution n'est pas la régularisation parce que si vous régularisez ceux qui sont là, vous créez un appel d'air. Ceux qui sont arrêtés seront reconduits. Et ça, c'est une règle ou alors ce n'est pas la peine. Si l'on n'est pas prêt à reconduire ceux qui n'ont pas de papiers, ce n'est pas la peine de donner des papiers aux autres. Pour les autres, la situation peut évoluer. Les uns peuvent se marier, les autres peuvent avoir un enfant qui naît sur le territoire, les troisièmes peuvent voir leur situation évoluer d'une façon ou d'une autre. Et puis, il y aura, bien sûr, une partie d'entre eux qui restera dans l'illégalité.
Alors ce n'est pas satisfaisant, mais quelle est la proposition qu'on me fait ? Régulariser pour en faire revenir d'autres ? Tous les pays qui ont régularisé, mais enfin regardez l'Espagne, quand même ! Le gouvernement de M. Aznar a-t-il régularisé ? Ma réponse est oui. Alors comment se fait-il qu'un pays qui a régularisé il y a cinq ans se trouve en situation de régulariser aujourd'hui comme ça ?
Vous nous dites, "enfin bien sûr qu'il faut régulariser". Alors dans trois ans vous régulariserez à nouveau. En Italie avec M. Berlusconi, il y a eu un million de régularisations, M. Abato vient de décider 600.000 régularisations, est-ce que c'est la solution ? Et la France, pour que personne ne m'accuse de donner de leçons, a régularisé trois fois sur les vingt dernières années. Est-ce qu'il y en a moins ? Je ne m'énerve pas, j'explique.
Alors, bien sûr, ce n'est pas satisfaisant Monsieur, et, d'ailleurs, vous feriez un remarquable ministre de l'Intérieur avec cette volonté d'avoir tout en abscisses et en ordonnées, bien organisé. Mais enfin, ce n'est pas possible car la vie n'est pas comme ça. On doit trouver des aménagements. Alors, ceux qui sont arrêtés, on les raccompagne chez eux ; ceux qui n'ont pas de papiers, on ne les régularise pas massivement ; par ailleurs, nous en France, on a trouvé un système qui est que les préfets ont le droit de régulariser lorsqu'ils voient des évolutions personnelles ou des cas qui sont nécessaires. Parce qu'il peut y avoir des parcours qui sont des parcours d'intégration au fur et à mesure. On est obligé de mettre du pragmatisme, on ne peut pas mettre que de l'idéologie.
Q - (A propos des mesures restrictives en matière d'immigration adoptées récemment par les autorités suisses)
R - M. Sarkozy - Moi, je n'ai pas à être d'accord ou pas avec ce que fait un pays. J'observe simplement une chose et je voudrais que chacun le comprenne : si nous, les dirigeants républicains de droite comme de gauche, nous ne nous décidons pas à agir, nous verrons alors dans nos démocraties monter des sentiments de xénophobie que plus personne ne pourra contrôler. L'enjeu est là. Et c'est ma réponse sur la Suisse. Je ne dis pas que la décision des Suisses s'apparente à des sentiments qui ne seraient pas républicains, je ne dis pas ça mais je vois monter l'exaspération devant l'inefficacité qui sera notre réponse, qui m'inquiète. Ce n'est pas la peine de verser des larmes de crocodile sur des décisions prises par certains pays, moins généreuses, et en même temps refuser de prendre des décisions fermes quand il en est encore temps. C'est tout l'enjeu. Eh bien, écoutez, je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2006
Q - Monsieur le Ministre, depuis plusieurs semaines en Espagne, on entend des appels au secours des Espagnols, puisqu'ils sont les seuls à lutter contre l'immigration illégale avec ce qui se passe notamment aux Canaries, est-ce qu'aujourd'hui la France a pu rassurer le gouvernement espagnol ?
R - M. Sarkozy - Comme vous le savez, il y a eu une petite polémique dont je veux croire qu'elle est le résultat d'un malentendu. Qu'est-ce qui s'est passé ? Où est-ce qu'on en est ? Quand j'ai parlé de l'erreur que représentaient les régularisations massives, je n'ai pas porté un jugement à l'endroit de tel ou tel pays, j'ai simplement fait état d'une expérience, celle de la France qui, en 1997, a régularisé 80.000 clandestins. L'année suivante, le nombre des demandes d'asile était multiplié par quatre. C'est de cette époque que j'ai tiré la conclusion que la régularisation massive n'était pas la bonne solution. Et lorsque M. Zapatero dit que la France a un problème avec ses banlieues, c'est une bonne observation.
C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué que je ne régulariserai pas massivement les clandestins que nous avons en France. A partir de ce moment là, j'observe une autre chose : nous sommes dans l'espace Schengen. Dire cela, c'est décrire une réalité. L'espace Schengen, cela veut dire que quand un pays donne des papiers à un clandestin, il ne les donne pas simplement pour son pays mais pour l'ensemble des pays de la zone Schengen. J'ai donc appelé à deux choses, entre autres, un pacte européen pour l'immigration, où on se met d'accord sur les grands principes et, deuxième chose, l'établissement d'une procédure d'asile européen parce que nous sommes vingt-cinq en Europe. Et un réfugié politique, ou qui s'affirme comme tel, peut donc présenter une demande dans vingt-cinq pays ! Est-ce que nous n'aurions pas intérêt à avoir une seule procédure et une seule réponse qui vaillent pour tous les autres ?
Troisième chose, j'ai proposé que l'on mutualise nos moyens. C'est quand même très curieux : nous faisons le même espace et nous gardons les consulats pour chacun de nos pays avec des visas pour chacun de nos pays, valables pour tous les autres. Je passe sous le contrôle de Catherine pour son opinion, bien sûr. J'ai été très heureux de voir, il m'a semblé, mais vous le leur demanderez, que les réactions étaient très positives de la part des Portugais, très positives de la part de M. Frattini, intéressées de la part de la présidence, et assez positives de la part du ministre de l'Intérieur espagnol qui, à plusieurs reprises, a fait valoir son accord avec mes propositions. Quant à M. Moratinos, je crois qu'il a, à plusieurs reprises, dit qu'il était d'accord, soulignant la nécessité de solidarité, ce à quoi j'ai répondu : "la solidarité est indispensable entre nous mais la solidarité s'exprimera d'autant mieux que, chaque fois que l'un d'entre nous décide, il prend la peine d'en informer son voisin, de se concerter avec son voisin."
On est même mieux solidaire d'une décision prise ensemble que d'une décision prise séparément. Pour le reste, le malentendu appartient au passé. Ce qui compte, c'est de se tourner vers l'avenir. J'ajoute que je ne veux pas faire de politique intérieure en Espagne, en Italie ou ailleurs sur un sujet si difficile et si complexe qu'est celui de l'immigration.
R - Mme Colonna - Je voudrais simplement ajouter quelque chose pour témoigner de l'atmosphère de la réunion et pour que vous puissiez vous rendre compte, peut-être mieux, de la façon dont les travaux se sont déroulés ce matin. Chacun s'est exprimé à l'occasion d'un tour de table et Nicolas Sarkozy a fait, avec ses talents propres, des réflexions, des propositions, des suggestions. Il a dégagé des orientations pour l'avenir.
Telles que nous les avons entendues ce matin, cela a entraîné les réactions qu'il vient de vous dire. Et peut-être est-ce encore mieux si c'est moi qui vous le dis ! Parce qu'il est exact que Miguel-Angel Moratinos a utilisé, je crois, le qualificatif de "raisonnable", parlant de ce qu'il avait entendu ; et que d'autres collègues ont, en effet, manifesté leur intérêt. Ils ont jugé que c'était constructif.
Ecoutez, si c'était simple, cela se saurait. C'est une question bien difficile. C'est un immense défi mais, très franchement, la situation n'est pas satisfaisante ni pour nos pays ni pour ces pauvres gens qui sont jetés sur les côtes des Canaries, de Malte ou de Lampedusa. On a dégagé des orientations et on a pris des décisions en tant qu'Européens. On peine parfois à les traduire en actes mais enfin, il faut aussi réfléchir sur la façon d'alimenter la réflexion pour trouver de meilleures réponses. Voilà ce dont il s'agit. Alors si cela a intéressé, tant mieux, ensuite le débat se poursuivra : il y a d'autres rendez-vous européens, comme la réunion la semaine prochaine des ministres de l'Intérieur et de la Justice et le Conseil européen informel, au mois d'octobre. Voilà, réfléchissons. La situation, tout de même, n'est pas ce qu'elle devrait être.
Q - Monsieur le Ministre, l'immigration africaine du Maghreb représente, selon la police, un peu moins de 10 %, de l'immigration clandestine en Espagne. Il paraît qu'il y a en Espagne aujourd'hui à peu près un million, un million cent de sans papiers, et il semble qu'il rentre chaque jour, selon la police, autour de 1.700 et 3.000 personnes par les frontières françaises et les aéroports. Je voulais savoir si vous avez des solutions analogues pour la France et qu'est-ce qu'on fait ou qu'est-ce qu'on va faire de ces milliers de personnes en Espagne ? Est-ce qu'on doit les expulser massivement ? Est-ce qu'on doit les laisser travailler au noir ? Est-ce qu'on doit les régulariser ? Qu'est-ce qu'il faudrait faire ?
R - M. Sarkozy - Des choses très intéressantes ont été dites par M. Moratinos comme par M. Rubalcaba, sur la question des rapatriements - et je veux rendre hommage à leur courage. A deux reprises, ils ont indiqué que la crédibilité d'une politique d'immigration européenne et nationale, à l'intérieur de l'Europe, passait par l'effectivité des mesures de raccompagnement. Je signe des deux mains, Monsieur, c'est ma réponse.
On me dit qu'on ne peut pas expulser un million de personnes. Je suis ministre de l'Intérieur depuis quatre ans, je suis prêt à accepter cette idée. Mais à l'inverse, si vous dites qu'on ne peut pas, donc on ne fait pas, alors apprêtez-vous à en recevoir beaucoup. Donc, pour la question des rapatriements, quand on n'a pas de papiers, on a vocation à être accompagné chez soi. Je crois même que c'est M. Rubalcaba qui a posé la question : les rapatriements doivent être faits de façon européenne c'est-à-dire en mutualisant les moyens. Eh bien, c'est le meilleur signal que nous pouvons envoyer aux réseaux criminels et mafieux qui utilisent la misère des pauvres gens. Parce que, Monsieur, qu'est-ce qui est en cause ? Si, d'un côté, on dit on régularise et si, de l'autre, on dit on ne renvoie pas, alors vous vous apprêtez à faire la fortune de réseaux mafieux qui expliqueront à des malheureux "venez dans tel pays qui a déclaré qu'on ne rapatrie pas" et dans ce cas là, pourquoi se gêner ? Donc, je vous réponds, si on n'a pas de papiers, on a vocation à être ramené chez soi. Donc, pour la question des rapatriements, je suis très heureux de voir que pour les socialistes espagnols, elle pose moins de problème que pour les socialistes français.
Q - (A propos de l'aide au développement)
R - M. Sarkozy - La question, c'est celle du développement. Il va de soi qu'on ne pourra résoudre le problème de l'immigration que si l'on développe l'Afrique. D'ailleurs, de ce point de vue, je rends hommage à l'action ancienne de Jacques Chirac qui a toujours cru que les choses passeraient par le développement de l'Afrique. Malheureusement, nos budgets sont tous en déficit.
A titre personnel, j'ai fait une proposition à laquelle je crois beaucoup. Je propose que soit défiscalisé l'argent des étrangers gagné en France à condition qu'il soit réinvesti dans leur pays d'origine. Cela représente plusieurs avantages : le premier, c'est que cela maintient les liens entre des étrangers qui travaillent dans nos pays et les pays d'origine. Ce qui permet d'espérer un retour chez eux. Le deuxième, c'est que c'est beaucoup d'argent qui va permettre le développement de micro-projets ; or les micro-projets sont importants, car il n'y a pas de corruption sur les micro-projets. Le troisième avantage, c'est que je ne crois pas à l'augmentation indéfinie des budgets de développement, parce que nos budgets sont déjà en situation tellement difficile.
Q - Quelle est votre réaction aux déclarations de M. Zapatero cette semaine en disant qu'il ne reçoit pas de leçons ?
R - M. Sarkozy - J'ai été étonné de la déclaration de M. Zapatero, parce que la solidarité de la France dans la lutte contre l'ETA n'a jamais tenu compte des différents gouvernements espagnols. La France s'est toujours tenue droite aux côtés de l'Espagne. Et la France n'a jamais eu de commentaires sur les différentes évolutions de la politique espagnole. Et je suis certain que les déclarations de M. Zapatero étaient dues au climat un peu vif du Parlement espagnol à ce moment là et qu'elles ne reflétaient pas la totalité de sa pensée. Parce que s'il y a quelqu'un qui a été solidaire de l'Espagne, de l'Espagne du gouvernement de M. Aznar comme de l'Espagne du gouvernement de M. Zapatero, je crois pouvoir le dire, c'est moi. Par ailleurs, sur le fond, je n'ai jamais voulu donner de leçon à l'Espagne, qui est un pays avec lequel je suis lié par des liens de très grande affection. Je n'oublie pas que ma femme est quasiment espagnole et enfin, prenez-le avec humour, si je n'ai pas voulu donner des leçons, c'est pour une raison : c'est que je n'aime pas en recevoir.
Q - Pour ce qui est des frontières maritimes, est-ce que la France est prête à collaborer, à mettre des bateaux éventuellement ? Qu'est-ce qu'on peut faire pour aider ?
R - Mme Colonna - A l'heure actuelle, deux opérations Frontex sont en cours : l'une concerne les Canaries et l'autre Malte. La France participe à ces deux opérations. Dans le cas de celle qui est menée depuis plusieurs mois maintenant au large des Canaries, nous avons détaché deux experts nationaux, qui viennent d'être renouvelés, à la mi-septembre. De plus, nous utilisons un certain nombre de moyens d'observation que nous avons à notre disposition, au Sénégal et au large des côtes du Sénégal. Si les autorités sénégalaises y consentent, les observations que l'on peut faire sont transmises à l'agence Frontex. Et puis il y a les opérations - qui auraient dû démarrer, qui ne l'ont pas encore fait mais qui vont le faire d'ici quelques jours - et qui concernent Malte. La France a décidé d'y participer. Il y a un moyen de surveillance aérienne à cette opération dont le nom de baptême est "Jason".
Q - Comment allez-vous convaincre notamment les pays d'Europe du Nord qui sont moins concernés par ces problèmes ?
R - Mme Colonna - Il y a deux éléments de réponse mais tu complèteras. D'abord, comment va-t-on les convaincre alors qu'ils sont tous concernés ? Tous les pays européens sont concernés. Nous l'avons rappelé à plusieurs reprises, encore ce matin et encore devant vous. Lorsque quelqu'un entre dans l'espace européen, dans l'espace Schengen, cela n'est pas seulement en Espagne qu'il entre, c'est dans tous les pays de l'espace Schengen. Nous sommes donc tous concernés et les pays méditerranéens au premier chef, direz-vous, de par leur situation géographique mais, je le répète, tous les pays européens sont concernés. Je crois qu'ils en ont pris conscience et je suis sûre que des décisions sont mûres. Concernant les moyens financiers de Frontex, je rappelle qu'il y a des discussions en cours, qui doivent se conclure rapidement. Le commissaire Frattini a donné des indications plutôt ouvertes et il faudra, qu'à la clé, il y ait une augmentation des moyens financiers de Frontex, bien sûr, pour fournir les preuves de son efficacité.
Q - (A propos de la régularisation des personnes en situation illégale)
R - M. Sarkozy - La solution n'est pas la régularisation parce que si vous régularisez ceux qui sont là, vous créez un appel d'air. Ceux qui sont arrêtés seront reconduits. Et ça, c'est une règle ou alors ce n'est pas la peine. Si l'on n'est pas prêt à reconduire ceux qui n'ont pas de papiers, ce n'est pas la peine de donner des papiers aux autres. Pour les autres, la situation peut évoluer. Les uns peuvent se marier, les autres peuvent avoir un enfant qui naît sur le territoire, les troisièmes peuvent voir leur situation évoluer d'une façon ou d'une autre. Et puis, il y aura, bien sûr, une partie d'entre eux qui restera dans l'illégalité.
Alors ce n'est pas satisfaisant, mais quelle est la proposition qu'on me fait ? Régulariser pour en faire revenir d'autres ? Tous les pays qui ont régularisé, mais enfin regardez l'Espagne, quand même ! Le gouvernement de M. Aznar a-t-il régularisé ? Ma réponse est oui. Alors comment se fait-il qu'un pays qui a régularisé il y a cinq ans se trouve en situation de régulariser aujourd'hui comme ça ?
Vous nous dites, "enfin bien sûr qu'il faut régulariser". Alors dans trois ans vous régulariserez à nouveau. En Italie avec M. Berlusconi, il y a eu un million de régularisations, M. Abato vient de décider 600.000 régularisations, est-ce que c'est la solution ? Et la France, pour que personne ne m'accuse de donner de leçons, a régularisé trois fois sur les vingt dernières années. Est-ce qu'il y en a moins ? Je ne m'énerve pas, j'explique.
Alors, bien sûr, ce n'est pas satisfaisant Monsieur, et, d'ailleurs, vous feriez un remarquable ministre de l'Intérieur avec cette volonté d'avoir tout en abscisses et en ordonnées, bien organisé. Mais enfin, ce n'est pas possible car la vie n'est pas comme ça. On doit trouver des aménagements. Alors, ceux qui sont arrêtés, on les raccompagne chez eux ; ceux qui n'ont pas de papiers, on ne les régularise pas massivement ; par ailleurs, nous en France, on a trouvé un système qui est que les préfets ont le droit de régulariser lorsqu'ils voient des évolutions personnelles ou des cas qui sont nécessaires. Parce qu'il peut y avoir des parcours qui sont des parcours d'intégration au fur et à mesure. On est obligé de mettre du pragmatisme, on ne peut pas mettre que de l'idéologie.
Q - (A propos des mesures restrictives en matière d'immigration adoptées récemment par les autorités suisses)
R - M. Sarkozy - Moi, je n'ai pas à être d'accord ou pas avec ce que fait un pays. J'observe simplement une chose et je voudrais que chacun le comprenne : si nous, les dirigeants républicains de droite comme de gauche, nous ne nous décidons pas à agir, nous verrons alors dans nos démocraties monter des sentiments de xénophobie que plus personne ne pourra contrôler. L'enjeu est là. Et c'est ma réponse sur la Suisse. Je ne dis pas que la décision des Suisses s'apparente à des sentiments qui ne seraient pas républicains, je ne dis pas ça mais je vois monter l'exaspération devant l'inefficacité qui sera notre réponse, qui m'inquiète. Ce n'est pas la peine de verser des larmes de crocodile sur des décisions prises par certains pays, moins généreuses, et en même temps refuser de prendre des décisions fermes quand il en est encore temps. C'est tout l'enjeu. Eh bien, écoutez, je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2006