Texte intégral
Mesdames, Messieurs, Cher Christian,
Je souhaite commencer par vous remercier, toi Christian naturellement, pour avoir organisé ces premières rencontres de l'Aménagement du Territoire, et vous remercier tous, vous qui avez animé ces débats et qui avez fait de cette journée une occasion unique de réflexion sur ce thème si français de l'Aménagement du Territoire.
J'ai bien regardé, ce mot d'Aménagement du territoire n'a d'équivalent dans aucune langue étrangère. C'est une spécificité nationale qui regroupe les infrastructures, l'urbanisme, le développement économique ou encore l'organisation administrative. Ce qui unit pour moi ces réflexions, c'est la recherche d'un modèle de développement équilibré, un modèle qui concilie le progrès économique et la préservation d'un cadre de vie, un mode de croissance qui prévient ou répare les fractures entre territoires.
En ce sens, l'aménagement du territoire, mot bien français, est à mon sens le proche parent du développement durable, terme traduit de l'anglais. Aménagement du territoire et développement durable poursuivent les mêmes objectifs et emploient bien souvent les mêmes moyens.
C'est pour cela que je n'ai pas choisi aujourd'hui de revenir sur des débats qui ont été riches et précis, mais de vous exposer comment je vois les choix de développement durable qui attendent notre pays. Pour qu'il puisse concilier dans les décennies à venir croissance économique et cohésion territoriale. Développement de la consommation et préservation des ressources naturelles. Multiplication des emplois et amélioration du cadre de vie.
Nous avons comme tous les pays du monde un premier dilemme : nous serons chaque année un peu plus écrasés sous la double contrainte de la rareté croissante des hydrocarbures et de la nécessité absolue de limiter l'émission des gaz à effet de serre. Le pétrole a atteint cette année des sommets, puis a baissé, mais sans prendre de risque je peux vous affirmer qu'il remontera plus haut encore dans les années qui viennent. Cet étau qui se resserre doit bien sûr, nous amener à repenser notre politique énergétique, mais aussi notre politique de transports, notre politique agricole, notre politique d'aménagement urbain.
Nous ne pouvons plus financer indéfiniment de nouvelles autoroutes avec les recettes de celles que nous avons déjà (le voudrions nous que ce n'est plus juridiquement possible, du reste) ; nous ne pouvons plus laisser en jachère des pans entiers de notre territoire alors que la biomasse sera l'énergie de demain ; nous ne pouvons plus laisser les villes devenir des conglomérats de quartiers pavillonnaires repliés sur eux-mêmes ; nous ne pouvons plus être placés sous la dépendance énergétique de régimes, qui font de l'énergie l'instrument de leurs ambitions politiques.
C'est dans cet esprit que nous devons penser la politique d'infrastructures de notre pays. Les chantiers que nous décidons aujourd'hui serviront à nos enfants et à nos petits-enfants. C'est au monde où ils vivront que nous devons penser.
C'est d'abord pour cette raison que je crois qu'il faut tourner massivement nos investissements vers les alternatives à la route. Ma famille politique n'a jusqu'à présent pas fait un choix aussi clair, et cela peut se comprendre. La route demeure et demeurera un mode de transport d'une souplesse extraordinaire et d'une grande efficacité. Mais elle a en France pris une place disproportionnée dans le transport de marchandises : 80 % d'entre elles circulent par ce moyen.
Et cela n'a rien d'étonnant : contrairement au fer, le fret routier n'acquitte qu'une faible part du coût des infrastructures qu'il utilise. Il acquitte la taxe sur les produits pétroliers, mais elle ne compense pas son impact sur l'environnement : le bruit, l'encombrement, la pollution atmosphérique. Quand nous faisons un bilan global, la vérité apparaît : nous subventionnons en réalité le fret routier par rapport aux autres modes de transport.
Pour rétablir l'équilibre, je crois d'abord nécessaire de doter la France des infrastructures qui lui manquent pour donner leur vraie place au fer et à la voie d'eau. La voie fluviale est depuis quelques années en constante expansion. Un convoi fluvial toutes les ½ heures c'est un camion toutes les 18 secondes. Il faut ouvrir les voies qui relieront entre eux les bassins fluviaux de notre territoire : le canal Seine-Nord, d'abord, puis une première liaison à grand gabarit entre la mer du Nord et la Méditerranée, sur un tracé à étudier activement dès à présent.
Dans le domaine ferroviaire, tout n'est pas question d'infrastructures. Je souhaite sincèrement que sous l'aiguillon de la concurrence la SNCF mène à bien la modernisation de sa branche fret, car notre pays a besoin d'une desserte performante. Un train roulant à l'électricité nucléaire n'émet pas de CO2. Les mêmes marchandises transportées en camion en émettraient 111 kilos à chaque kilomètre parcouru. Nous devons innover : les TGV de fret, les autoroutes ferroviaires, et surtout un service plus performant, appuyé sur les derniers perfectionnements informatiques de la logistique. Le taux de satisfaction des usagers du fret ferroviaire ne peut rester bloqué à 30% quand celui de la route atteint 98 %.
Je crois aussi, bien sûr, en une politique ambitieuse d'infrastructures, ciblée sur les points essentiels :
* achever notre réseau de TGV unique au monde en le poussant jusqu'à Strasbourg, Hendaye, Toulouse, Nice, Rennes et Barcelone, et en achevant le Rhin-Rhône ; cette extension des lignes permettra, je le souhaite, le lancement commercial de TGV de nuit ;
* développer les grands axes fret, Nord-Sud mais aussi Est-Ouest entre Le Havre et l'Allemagne, et surtout à travers les Alpes ;
* et mener dès les mois qui viennent un ensemble d'investissements très ciblés, pour optimiser les voies existantes, allonger les trains, mettre les tunnels au gabarit ; ces investissements peuvent doubler ou quintupler la capacité d'une ligne pour un montant bien plus modeste que la construction d'un nouvel axe.
Ces grands investissements demanderont à la collectivité un lourd effort financier. Avec une dette dont la charge coûte chaque année 3 fois le budget du ministère de l'Intérieur, la France ne pourra pas se contenter de financer à crédit ces nouveaux équipements. Je crois nécessaire de leur trouver une nouvelle source de financement, et pour cela de recourir à la fiscalité écologique.
Je prendrai pour cela l'exemple de l'Alsace. L'Allemagne a imposé aux camions qui la traversent une taxe sur les kilomètres parcourus. En quelques mois, tout le trafic s'est reporté de l'autre côté du Rhin. De son côté, la Suisse bannit les camions en transit de ses routes. Tous se retrouvent en file indienne dans la vallée de Chamonix ou dans la Maurienne.
La France ne peut pas rester, au coeur de l'Europe, le carrefour de tous les trafics routiers et voir les camions engorger les vallées de montagne et les files de droite, sans en même temps pouvoir financer les infrastructures nouvelles dont elle a besoin pour développer des modes alternatifs. Il existe des solutions, nos voisins les ont appliquées, la France doit s'en inspirer.
Une très grande part des marchandises et des voyageurs continuera quoi qu'il en soit à circuler sur les routes. C'est normal et c'est souhaitable car la route offre à chacun une liberté formidable qu'il est hors de question de sacrifier. Contrairement à une certaine forme d'extrémisme vert en action dans une grande ville que je connais bien, je souhaite que chacun puisse continuer à rouler dans de bonnes conditions et à un coût maîtrisé. Mais ce sera impossible si nous en restons au tout pétrole. Le développement des bio-carburants, des véhicules électriques et hybrides est pour nous un objectif écologique, industriel et agricole.
Le plan du Gouvernement pour l'éthanol et le développement de la filière E85 est une première étape pour les voitures à essence. Mais dans un pays où 53 % des voitures particulières roulent au diesel, ce ne peut être qu'une partie de la solution. Le problème, vous le connaissez : avec les technologies actuelles, pour atteindre simplement l'objectif d'incorporer 5,75 % de biocarburants dans le gazole fin 2008, il faudrait multiplier par deux et demi les surfaces plantées en colza. Pour atteindre l'objectif de 10 % en 2015, il faudrait qu'un hectare sur cinq cultivé en France le soit pour les oléagineux. C'est hors de portée. Je crois que nous pouvons être à la fois plus ambitieux et plus réalistes, en doublant nos investissements dans la R&D dans ce domaine. Cela nous permettra de pouvoir enfin utiliser la cellulose, donc la totalité de la plante, le bois, les déchets agricoles, et des cultures spécifiques à haute teneur en énergie. Et nous pourrons aller bien plus loin que 10 %.
Le pôle de compétitivité mondial Agro-Ressources en Picardie et Champagne-Ardennes, que nous avons labellisé le 12 juillet 2005, a vocation à former le coeur de l'effort national pour ces énergies vertes indispensables à notre avenir.
La véritable ambition, c'est de viser de limiter en 2030 la part des hydrocarbures à 50 % de l'énergie consommée dans les transports. Ce n'est pas un rêve. Le Général de Gaulle quand il a fondé le Commissariat à l'énergie atomique en 1945, le président Pompidou quand il a lancé le programme d'équipement nucléaire en 1974, avaient ce type d'ambition. Ils ont su faire des choix coûteux mais aujourd'hui décisifs pour l'indépendance énergétique de notre pays où les trois quarts de l'électricité sont produits sans énergies fossiles.
Les bio-carburants amélioreront notre indépendance énergétique, amortiront les chocs pétroliers, mais ne suffiront pas. Il faut explorer d'autres technologies, telles que les voitures hybrides, les piles à combustible ou les voitures électriques. Je fais confiance aux constructeurs pour innover, lancer de nouveaux modèles, expérimenter ces technologies. Mais les pouvoirs publics ont le devoir de créer des conditions de marché favorable à cette prise de risque.
Les collectivités locales sont par exemple nombreuses aujourd'hui à vouloir participer à l'ambition du développement durable. Je propose de leur en donner les moyens, en les autorisant à octroyer des réductions aux véhicules à motorisation propre, sur le stationnement résidentiel ou sur le produit des cartes grises. Une « pastille bleue », équivalent pour les énergies propres de la pastille verte pour les émissions de particules, pourrait être créée à cet effet, pour permettre une identification aisée sur la voie publique. Je propose aussi que l'État négocie avec les sociétés d'autoroutes une réduction des tarifs de télépéage pour les véhicules dotés de cette pastille bleue. Cette pastille doit compenser au citoyen le coût de s'équiper en technologies propres, et doit donner une reconnaissance visible et concrète de sa contribution au développement durable.
Au-delà de la politique des transports, je crois que la grande ambition d'aménagement du territoire pour la France des années 2010 ou 2020 doit être une vision différente de l'espace urbain.
La facilité de transport a eu des avantages extraordinaires, mais a permis de spécialiser chaque année un peu plus nos quartiers entre résidences, bureaux, loisirs, centres commerciaux, tous reliés par des trajets de plus en plus longs. L'amélioration des modes de transport n'a pas réduit les temps de trajet, elle a allongé les distances. Le travail était et demeure le principal lieu de la mixité sociale. Lorsqu'il fallait être matériellement proche de son travail, lorsque la ville était dense, cela facilitait la mixité sociale. L'éloignement entre le domicile et le travail a facilité la ségrégation progressive entre quartiers, a creusé les fractures urbaines. Les centres-villes deviennent des musées, les entrées de ville des parkings commerciaux, les périphéries des dortoirs.
Nous avons pris comme naturelles les fractures que les voies rapides creusent dans la ville. Mais quand à Paris l'enceinte de Philippe Auguste est devenue la ceinture des Grands Boulevards, on y a construit la place de la Bastille. Quand on a développé l'urbanisation de l'Ouest parisien, on a construit la place de l'Étoile. Il faut retrouver la même ambition sur tous ces lieux de passage car ce sont les vrais lieux de rencontre dans la ville aujourd'hui. Il faut construire des places plutôt que des échangeurs, des boulevards plutôt que des rocades.
Entre 1936 et la fin du vingtième siècle, la population urbaine de la France a été multipliée par deux. Nous avons connu un urbanisme de croissance, pour parer aux besoins les plus urgents, pour suivre la croissance démographique, puis l'éclatement des familles. Il faut penser aujourd'hui un urbanisme de maturité, dans un contexte démographique moins dynamique, avec des coûts de transport croissants. C'est bien sûr en premier lieu aux maires de porter cette ambition. Mais l'État ne peut s'en désintéresser, car il doit traiter les conséquences des fractures urbaines, en termes de délinquance, de violence ou de discriminations. À travers les contrats de projet État-régions, à travers l'utilisation des fonds européens, il doit encourager un urbanisme durable.
J'ai demandé voici un an, avec Christian ESTROSI, à la DIACT de réfléchir à la dimension urbaine de l'aménagement du territoire, parce que le désert français est moins en province comme en 1947, qu'au coeur de nos villes. Ces réflexions ont débouché sur l'appel à projets que je lance ce mois-ci avec Jean-Louis BORLOO sur l'utilisation des fonds européens pour le développement urbain. Il s'adresse avant tout aux agglomérations, parce qu'on ne peut pas laisser les maires de communes pauvres répartir la pénurie isolément, parce que les enjeux se situent aux interstices entre communes plus qu'au coeur des communes, parce qu'une stratégie n'aurait aucun sens si elle n'intégrait pas le centre et l'espace périurbain. Je souhaite que cet appel initie une mobilisation résolue des grands espaces concédés dans les années soixante à quatre-vingts aux ensembles HLM. Ces espaces sont aujourd'hui pauvres en emplois, pauvres en services et même, contrairement aux idées reçues, pauvres en logements car ce n'est pas de l'urbanisme dense. Il faut mobiliser cette formidable réserve foncière comme on mobilise les friches industrielles pour reconstruire une ville accueillante sur une ville hostile.
L'État a aussi une responsabilité plus directe dans la création de pôles au rayonnement national et dans l'aménagement de la région capitale, l'Île-de-France. Le Gouvernement a endossé à nouveau cette grande ambition d'aménagement du territoire en lançant trois opérations d'intérêt national sur Seine-Aval, Seine-Amont et Saclay.
Je souhaite vous dire quelques mots de ce dernier territoire car il me tient à coeur. Un foisonnement extraordinaire de grandes institutions d'enseignement supérieur et de recherche se sont rassemblées sur quelques kilomètres carrés autour du plateau de Saclay : l'École Polytechnique, l'université de Paris XI-Orsay, le Commissariat à l'énergie atomique, Supélec, le synchrotron Soleil, l'institut des hautes études scientifiques, HEC... Et il faut y ajouter les centres de recherche de Danone, Thales, Motorola ou Renault. Cet assemblage doit beaucoup au hasard et un peu à la ligne de Sceaux devenue RER B, qui relie le coeur universitaire de Paris à la banlieue sud. Il compte 16 000 chercheurs, 25 000 étudiants, 275 000 emplois. Mais c'est une friche. Il ne forme pas un campus, car il lui manque une image internationale, des lieux emblématiques, un réseau interne de transports, des logements pour les étudiants et les chercheurs.
Je crois qu'il revient à l'État, dans ce territoire partagé entre trois départements et de multiples communes, de porter une ambition. Ce site doit devenir un haut lieu de la science européenne, comme Cambridge, dans le Massachusetts l'est pour le continent américain. Il doit être sur la carte du monde de tous les étudiants chinois, des ingénieurs indiens, des biologistes américains. Il doit s'y créer 200 entreprises par an, s'y obtenir un prix Nobel ou médaille Fields tous les deux ans. Il doit accélérer l'innovation par le croisement des compétences et des disciplines. Il a fallu quarante ans pour qu'un procédé de prospection de l'industrie pétrolière devienne le mp3 qui équipe vos baladeurs numériques. Sur un campus comme celui Saclay, il faut que ce cycle d'innovation dure dix ans, cinq ans grâce à la proximité des scientifiques de tous horizons.
Ce site doit conserver toute la qualité environnementale qui fait partie intégrante de son attractivité : son aménagement doit être l'occasion d'un grand projet de développement durable, préservant le cadre de vie et la planète dans tous ses aspects. Qualité environnementale des bâtiments, lutte contre le bruit, voilà les maîtres mots d'un tel projet.
Je propose un grand concours d'idées urbanistiques et architecturales, focalisé sur les ambitions scientifiques et environnementales, pour poser les bases du projet. Il devra ensuite être soutenu par une volonté sans faille de l'État et l'adhésion la plus large possible des acteurs locaux, collectivités, universités, écoles et centres de recherche. Nous avons connu les grands chantiers de mise en scène de notre passé artistique, il faut faire place à la mise en marche de notre avenir scientifique. C'est cela aussi l'ambition d'une politique d'aménagement du territoire.source http://www.interieur.gouv.fr, le 11 octobre 2006
Je souhaite commencer par vous remercier, toi Christian naturellement, pour avoir organisé ces premières rencontres de l'Aménagement du Territoire, et vous remercier tous, vous qui avez animé ces débats et qui avez fait de cette journée une occasion unique de réflexion sur ce thème si français de l'Aménagement du Territoire.
J'ai bien regardé, ce mot d'Aménagement du territoire n'a d'équivalent dans aucune langue étrangère. C'est une spécificité nationale qui regroupe les infrastructures, l'urbanisme, le développement économique ou encore l'organisation administrative. Ce qui unit pour moi ces réflexions, c'est la recherche d'un modèle de développement équilibré, un modèle qui concilie le progrès économique et la préservation d'un cadre de vie, un mode de croissance qui prévient ou répare les fractures entre territoires.
En ce sens, l'aménagement du territoire, mot bien français, est à mon sens le proche parent du développement durable, terme traduit de l'anglais. Aménagement du territoire et développement durable poursuivent les mêmes objectifs et emploient bien souvent les mêmes moyens.
C'est pour cela que je n'ai pas choisi aujourd'hui de revenir sur des débats qui ont été riches et précis, mais de vous exposer comment je vois les choix de développement durable qui attendent notre pays. Pour qu'il puisse concilier dans les décennies à venir croissance économique et cohésion territoriale. Développement de la consommation et préservation des ressources naturelles. Multiplication des emplois et amélioration du cadre de vie.
Nous avons comme tous les pays du monde un premier dilemme : nous serons chaque année un peu plus écrasés sous la double contrainte de la rareté croissante des hydrocarbures et de la nécessité absolue de limiter l'émission des gaz à effet de serre. Le pétrole a atteint cette année des sommets, puis a baissé, mais sans prendre de risque je peux vous affirmer qu'il remontera plus haut encore dans les années qui viennent. Cet étau qui se resserre doit bien sûr, nous amener à repenser notre politique énergétique, mais aussi notre politique de transports, notre politique agricole, notre politique d'aménagement urbain.
Nous ne pouvons plus financer indéfiniment de nouvelles autoroutes avec les recettes de celles que nous avons déjà (le voudrions nous que ce n'est plus juridiquement possible, du reste) ; nous ne pouvons plus laisser en jachère des pans entiers de notre territoire alors que la biomasse sera l'énergie de demain ; nous ne pouvons plus laisser les villes devenir des conglomérats de quartiers pavillonnaires repliés sur eux-mêmes ; nous ne pouvons plus être placés sous la dépendance énergétique de régimes, qui font de l'énergie l'instrument de leurs ambitions politiques.
C'est dans cet esprit que nous devons penser la politique d'infrastructures de notre pays. Les chantiers que nous décidons aujourd'hui serviront à nos enfants et à nos petits-enfants. C'est au monde où ils vivront que nous devons penser.
C'est d'abord pour cette raison que je crois qu'il faut tourner massivement nos investissements vers les alternatives à la route. Ma famille politique n'a jusqu'à présent pas fait un choix aussi clair, et cela peut se comprendre. La route demeure et demeurera un mode de transport d'une souplesse extraordinaire et d'une grande efficacité. Mais elle a en France pris une place disproportionnée dans le transport de marchandises : 80 % d'entre elles circulent par ce moyen.
Et cela n'a rien d'étonnant : contrairement au fer, le fret routier n'acquitte qu'une faible part du coût des infrastructures qu'il utilise. Il acquitte la taxe sur les produits pétroliers, mais elle ne compense pas son impact sur l'environnement : le bruit, l'encombrement, la pollution atmosphérique. Quand nous faisons un bilan global, la vérité apparaît : nous subventionnons en réalité le fret routier par rapport aux autres modes de transport.
Pour rétablir l'équilibre, je crois d'abord nécessaire de doter la France des infrastructures qui lui manquent pour donner leur vraie place au fer et à la voie d'eau. La voie fluviale est depuis quelques années en constante expansion. Un convoi fluvial toutes les ½ heures c'est un camion toutes les 18 secondes. Il faut ouvrir les voies qui relieront entre eux les bassins fluviaux de notre territoire : le canal Seine-Nord, d'abord, puis une première liaison à grand gabarit entre la mer du Nord et la Méditerranée, sur un tracé à étudier activement dès à présent.
Dans le domaine ferroviaire, tout n'est pas question d'infrastructures. Je souhaite sincèrement que sous l'aiguillon de la concurrence la SNCF mène à bien la modernisation de sa branche fret, car notre pays a besoin d'une desserte performante. Un train roulant à l'électricité nucléaire n'émet pas de CO2. Les mêmes marchandises transportées en camion en émettraient 111 kilos à chaque kilomètre parcouru. Nous devons innover : les TGV de fret, les autoroutes ferroviaires, et surtout un service plus performant, appuyé sur les derniers perfectionnements informatiques de la logistique. Le taux de satisfaction des usagers du fret ferroviaire ne peut rester bloqué à 30% quand celui de la route atteint 98 %.
Je crois aussi, bien sûr, en une politique ambitieuse d'infrastructures, ciblée sur les points essentiels :
* achever notre réseau de TGV unique au monde en le poussant jusqu'à Strasbourg, Hendaye, Toulouse, Nice, Rennes et Barcelone, et en achevant le Rhin-Rhône ; cette extension des lignes permettra, je le souhaite, le lancement commercial de TGV de nuit ;
* développer les grands axes fret, Nord-Sud mais aussi Est-Ouest entre Le Havre et l'Allemagne, et surtout à travers les Alpes ;
* et mener dès les mois qui viennent un ensemble d'investissements très ciblés, pour optimiser les voies existantes, allonger les trains, mettre les tunnels au gabarit ; ces investissements peuvent doubler ou quintupler la capacité d'une ligne pour un montant bien plus modeste que la construction d'un nouvel axe.
Ces grands investissements demanderont à la collectivité un lourd effort financier. Avec une dette dont la charge coûte chaque année 3 fois le budget du ministère de l'Intérieur, la France ne pourra pas se contenter de financer à crédit ces nouveaux équipements. Je crois nécessaire de leur trouver une nouvelle source de financement, et pour cela de recourir à la fiscalité écologique.
Je prendrai pour cela l'exemple de l'Alsace. L'Allemagne a imposé aux camions qui la traversent une taxe sur les kilomètres parcourus. En quelques mois, tout le trafic s'est reporté de l'autre côté du Rhin. De son côté, la Suisse bannit les camions en transit de ses routes. Tous se retrouvent en file indienne dans la vallée de Chamonix ou dans la Maurienne.
La France ne peut pas rester, au coeur de l'Europe, le carrefour de tous les trafics routiers et voir les camions engorger les vallées de montagne et les files de droite, sans en même temps pouvoir financer les infrastructures nouvelles dont elle a besoin pour développer des modes alternatifs. Il existe des solutions, nos voisins les ont appliquées, la France doit s'en inspirer.
Une très grande part des marchandises et des voyageurs continuera quoi qu'il en soit à circuler sur les routes. C'est normal et c'est souhaitable car la route offre à chacun une liberté formidable qu'il est hors de question de sacrifier. Contrairement à une certaine forme d'extrémisme vert en action dans une grande ville que je connais bien, je souhaite que chacun puisse continuer à rouler dans de bonnes conditions et à un coût maîtrisé. Mais ce sera impossible si nous en restons au tout pétrole. Le développement des bio-carburants, des véhicules électriques et hybrides est pour nous un objectif écologique, industriel et agricole.
Le plan du Gouvernement pour l'éthanol et le développement de la filière E85 est une première étape pour les voitures à essence. Mais dans un pays où 53 % des voitures particulières roulent au diesel, ce ne peut être qu'une partie de la solution. Le problème, vous le connaissez : avec les technologies actuelles, pour atteindre simplement l'objectif d'incorporer 5,75 % de biocarburants dans le gazole fin 2008, il faudrait multiplier par deux et demi les surfaces plantées en colza. Pour atteindre l'objectif de 10 % en 2015, il faudrait qu'un hectare sur cinq cultivé en France le soit pour les oléagineux. C'est hors de portée. Je crois que nous pouvons être à la fois plus ambitieux et plus réalistes, en doublant nos investissements dans la R&D dans ce domaine. Cela nous permettra de pouvoir enfin utiliser la cellulose, donc la totalité de la plante, le bois, les déchets agricoles, et des cultures spécifiques à haute teneur en énergie. Et nous pourrons aller bien plus loin que 10 %.
Le pôle de compétitivité mondial Agro-Ressources en Picardie et Champagne-Ardennes, que nous avons labellisé le 12 juillet 2005, a vocation à former le coeur de l'effort national pour ces énergies vertes indispensables à notre avenir.
La véritable ambition, c'est de viser de limiter en 2030 la part des hydrocarbures à 50 % de l'énergie consommée dans les transports. Ce n'est pas un rêve. Le Général de Gaulle quand il a fondé le Commissariat à l'énergie atomique en 1945, le président Pompidou quand il a lancé le programme d'équipement nucléaire en 1974, avaient ce type d'ambition. Ils ont su faire des choix coûteux mais aujourd'hui décisifs pour l'indépendance énergétique de notre pays où les trois quarts de l'électricité sont produits sans énergies fossiles.
Les bio-carburants amélioreront notre indépendance énergétique, amortiront les chocs pétroliers, mais ne suffiront pas. Il faut explorer d'autres technologies, telles que les voitures hybrides, les piles à combustible ou les voitures électriques. Je fais confiance aux constructeurs pour innover, lancer de nouveaux modèles, expérimenter ces technologies. Mais les pouvoirs publics ont le devoir de créer des conditions de marché favorable à cette prise de risque.
Les collectivités locales sont par exemple nombreuses aujourd'hui à vouloir participer à l'ambition du développement durable. Je propose de leur en donner les moyens, en les autorisant à octroyer des réductions aux véhicules à motorisation propre, sur le stationnement résidentiel ou sur le produit des cartes grises. Une « pastille bleue », équivalent pour les énergies propres de la pastille verte pour les émissions de particules, pourrait être créée à cet effet, pour permettre une identification aisée sur la voie publique. Je propose aussi que l'État négocie avec les sociétés d'autoroutes une réduction des tarifs de télépéage pour les véhicules dotés de cette pastille bleue. Cette pastille doit compenser au citoyen le coût de s'équiper en technologies propres, et doit donner une reconnaissance visible et concrète de sa contribution au développement durable.
Au-delà de la politique des transports, je crois que la grande ambition d'aménagement du territoire pour la France des années 2010 ou 2020 doit être une vision différente de l'espace urbain.
La facilité de transport a eu des avantages extraordinaires, mais a permis de spécialiser chaque année un peu plus nos quartiers entre résidences, bureaux, loisirs, centres commerciaux, tous reliés par des trajets de plus en plus longs. L'amélioration des modes de transport n'a pas réduit les temps de trajet, elle a allongé les distances. Le travail était et demeure le principal lieu de la mixité sociale. Lorsqu'il fallait être matériellement proche de son travail, lorsque la ville était dense, cela facilitait la mixité sociale. L'éloignement entre le domicile et le travail a facilité la ségrégation progressive entre quartiers, a creusé les fractures urbaines. Les centres-villes deviennent des musées, les entrées de ville des parkings commerciaux, les périphéries des dortoirs.
Nous avons pris comme naturelles les fractures que les voies rapides creusent dans la ville. Mais quand à Paris l'enceinte de Philippe Auguste est devenue la ceinture des Grands Boulevards, on y a construit la place de la Bastille. Quand on a développé l'urbanisation de l'Ouest parisien, on a construit la place de l'Étoile. Il faut retrouver la même ambition sur tous ces lieux de passage car ce sont les vrais lieux de rencontre dans la ville aujourd'hui. Il faut construire des places plutôt que des échangeurs, des boulevards plutôt que des rocades.
Entre 1936 et la fin du vingtième siècle, la population urbaine de la France a été multipliée par deux. Nous avons connu un urbanisme de croissance, pour parer aux besoins les plus urgents, pour suivre la croissance démographique, puis l'éclatement des familles. Il faut penser aujourd'hui un urbanisme de maturité, dans un contexte démographique moins dynamique, avec des coûts de transport croissants. C'est bien sûr en premier lieu aux maires de porter cette ambition. Mais l'État ne peut s'en désintéresser, car il doit traiter les conséquences des fractures urbaines, en termes de délinquance, de violence ou de discriminations. À travers les contrats de projet État-régions, à travers l'utilisation des fonds européens, il doit encourager un urbanisme durable.
J'ai demandé voici un an, avec Christian ESTROSI, à la DIACT de réfléchir à la dimension urbaine de l'aménagement du territoire, parce que le désert français est moins en province comme en 1947, qu'au coeur de nos villes. Ces réflexions ont débouché sur l'appel à projets que je lance ce mois-ci avec Jean-Louis BORLOO sur l'utilisation des fonds européens pour le développement urbain. Il s'adresse avant tout aux agglomérations, parce qu'on ne peut pas laisser les maires de communes pauvres répartir la pénurie isolément, parce que les enjeux se situent aux interstices entre communes plus qu'au coeur des communes, parce qu'une stratégie n'aurait aucun sens si elle n'intégrait pas le centre et l'espace périurbain. Je souhaite que cet appel initie une mobilisation résolue des grands espaces concédés dans les années soixante à quatre-vingts aux ensembles HLM. Ces espaces sont aujourd'hui pauvres en emplois, pauvres en services et même, contrairement aux idées reçues, pauvres en logements car ce n'est pas de l'urbanisme dense. Il faut mobiliser cette formidable réserve foncière comme on mobilise les friches industrielles pour reconstruire une ville accueillante sur une ville hostile.
L'État a aussi une responsabilité plus directe dans la création de pôles au rayonnement national et dans l'aménagement de la région capitale, l'Île-de-France. Le Gouvernement a endossé à nouveau cette grande ambition d'aménagement du territoire en lançant trois opérations d'intérêt national sur Seine-Aval, Seine-Amont et Saclay.
Je souhaite vous dire quelques mots de ce dernier territoire car il me tient à coeur. Un foisonnement extraordinaire de grandes institutions d'enseignement supérieur et de recherche se sont rassemblées sur quelques kilomètres carrés autour du plateau de Saclay : l'École Polytechnique, l'université de Paris XI-Orsay, le Commissariat à l'énergie atomique, Supélec, le synchrotron Soleil, l'institut des hautes études scientifiques, HEC... Et il faut y ajouter les centres de recherche de Danone, Thales, Motorola ou Renault. Cet assemblage doit beaucoup au hasard et un peu à la ligne de Sceaux devenue RER B, qui relie le coeur universitaire de Paris à la banlieue sud. Il compte 16 000 chercheurs, 25 000 étudiants, 275 000 emplois. Mais c'est une friche. Il ne forme pas un campus, car il lui manque une image internationale, des lieux emblématiques, un réseau interne de transports, des logements pour les étudiants et les chercheurs.
Je crois qu'il revient à l'État, dans ce territoire partagé entre trois départements et de multiples communes, de porter une ambition. Ce site doit devenir un haut lieu de la science européenne, comme Cambridge, dans le Massachusetts l'est pour le continent américain. Il doit être sur la carte du monde de tous les étudiants chinois, des ingénieurs indiens, des biologistes américains. Il doit s'y créer 200 entreprises par an, s'y obtenir un prix Nobel ou médaille Fields tous les deux ans. Il doit accélérer l'innovation par le croisement des compétences et des disciplines. Il a fallu quarante ans pour qu'un procédé de prospection de l'industrie pétrolière devienne le mp3 qui équipe vos baladeurs numériques. Sur un campus comme celui Saclay, il faut que ce cycle d'innovation dure dix ans, cinq ans grâce à la proximité des scientifiques de tous horizons.
Ce site doit conserver toute la qualité environnementale qui fait partie intégrante de son attractivité : son aménagement doit être l'occasion d'un grand projet de développement durable, préservant le cadre de vie et la planète dans tous ses aspects. Qualité environnementale des bâtiments, lutte contre le bruit, voilà les maîtres mots d'un tel projet.
Je propose un grand concours d'idées urbanistiques et architecturales, focalisé sur les ambitions scientifiques et environnementales, pour poser les bases du projet. Il devra ensuite être soutenu par une volonté sans faille de l'État et l'adhésion la plus large possible des acteurs locaux, collectivités, universités, écoles et centres de recherche. Nous avons connu les grands chantiers de mise en scène de notre passé artistique, il faut faire place à la mise en marche de notre avenir scientifique. C'est cela aussi l'ambition d'une politique d'aménagement du territoire.source http://www.interieur.gouv.fr, le 11 octobre 2006