Déclaration de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, sur les relations entre l'Etat et les territoires d'outre-mer, sur la lutte contre l'immigration clandestine et sur la politique ultramarine de la France en faveur d'un développement régional, Paris le 20 novembre 2006.

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Circonstance : 89ème congrès des maires et des présidents de communautés de France, à Paris du 21 au 23 novembre 2006-journée de l'outre-mer le 20

Texte intégral

Je voudrais saluer tous les parlementaires ici présents, saluer naturellement tous les élus, les maires, resaluer tous les collègues présidents d'associations départementales de maires, et leur dire que je vais les retrouver très bientôt, puisque nous vous recevons dans quelques instants et nous nous retrouverons probablement demain.
J'ai, comme vous pouvez le constater, un discours écrit très épais, et j'ai le choix entre une lecture exhaustive, au risque de vous achever définitivement, ou, comme autre possibilité, d'apporter quelques éléments de réponse sur les deux sujets que vous avez choisis, et de mettre en perspective ce qui me semble devoir l'être, à quelques encablures de la fin de cette législature.
Le premier sujet, dont je sais qu'il faut que je m'occupe, étant moi-même élu local, c'est le rôle, la place, le devenir de l'Etat aux côtés des collectivités locales, aux côtés des maires, pour faire respecter ce qui est de plus en plus sollicité, de plus en plus demandé, c'est à dire l'autorité de l'Etat ; pour que nous nous trouvions, quelle que soit la taille de la commune, quel que soit le territoire où nous organisons une politique publique, dans le cadre de nos responsabilités partagées, ou de nos responsabilités exclusives, entre l'Etat et les collectivités locales.
Ce renforcement de la demande d'Etat, est très significatif de la réalité de l'évolution de nos territoires, et il est très significatif aussi de la nécessité de faire vivre une décentralisation qui soit pleinement adaptée à chacun de nos territoires.
J'ai eu l'occasion ici même, l'an dernier, de parler non pas de l'Outre-mer mais des Outre-mers.
Je crois que c'est la première erreur à ne pas commettre : on ne peut pas mener une politique si elle n'est pas pragmatique et si elle n'est pas adaptée à la réalité du terrain.
Je vais prendre l'exemple de l'immigration clandestine : peut-on parler de la même façon, avec le même regard de l'Etat, selon que l'on se trouve à Mayotte, qui a un statut particulier et qui répond à l'article 74 de la Constitution, ou en Guyane ou en Guadeloupe, qui, eux, répondent à d'autres critères et à d'autres articles constitutionnels, ou dans les communes du Pacifique, qui ne sont pas ou très marginalement touchées par cette problématique ?
Cela montre bien que les uns et les autres, les élus locaux, mais l'Etat lui même doit être pragmatique, s'adapter au territoire ; il doit être capable d'être disponible, à l'écoute, éveillé, et d'être suffisamment souple dans le cadre de notre Loi fondamentale pour apporter des éléments de réponse.
Et c'est ce que nous avons fait.
J'avais surpris beaucoup de personnes, il y a un an, lorsque j'avais pris des positions un peu spectaculaires, volontairement spectaculaires, pour alerter l'opinion publique sur la réalité en particulier de Mayotte, mais aussi sur la situation de l'archipel guadeloupéen, et naturellement de la Guyane.
Cela a permis d'engager un coup de projecteur : tous les médias nationaux ont découvert la réalité de cette situation extraordinairement tendue, et la réalité de la pression très forte qui était exercée sur la population locale. Dans cet esprit, nous avons envoyé une mission ; il me semblait être de bonne politique que des parlementaires, d'ailleurs la plupart du temps métropolitains, qui regardent avec des grandes lunettes, souvent sur la base d'idées reçues ou d'images d'Epinal ce qui se passe en Outre-mer, aillent sur le terrain, constatent, discutent.
Et si nous prenons le cas de Mayotte, ce qui a été mis en lumière à travers le rapport de cette mission, ce dont tout le monde s'est aperçu, c'est qu'il y a effectivement autour de 40% de clandestins sur cette île grande comme l'île d'Oléron. Tout le monde s'est aperçu qu'il n'y avait pas un état-civil sincère ; tout le monde s'est aperçu que la maternité de Mamoudzou était la plus active de France ; tout le monde a constaté dans les chiffres que le nombre de reconduites à la frontière pour la seule île de Mayotte représentait le quart de la totalité des reconduites à la frontière des personnes entrées illégalement sur notre territoire, statistiques publiées par le ministère de l'Intérieur. Tout le monde s'est aperçu des niveaux de tension, tout le monde s'est aperçu du nombre d'occupations sans droit ni titre, tout le monde s'est aperçu des difficultés pour les maires de mener justement une politique d'urbanisme raisonnable et raisonnée, sachant par ailleurs qu'ils ne savent pas pour quelle population précisément ils doivent travailler et dans quel cadre ils peuvent développer de façon équilibrée leur territoire.
Donc je ne regrette en aucune façon ce débat, parce qu'il a permis une prise de conscience collective, en particulier en métropole, parce qu'il a permis de donner un coup de projecteur et donc aussi l'expression d'une solidarité sur la situation réelle que beaucoup de nos compatriotes ultramarins vivaient au quotidien, mais avec un sentiment très fort d'isolement.
Et puis parce qu'il a permis d'avancer, puisque dans le texte qui a été défendu par le ministre d'Etat, j'ai en ma qualité de ministre de l'Outre-mer rédigé une part importante, pour la partie Outre-mer, et je rappelle d'ailleurs que cette partie a été votée à l'unanimité ; cela montre bien que là où il y a des situations particulières, il faut des politiques adaptées, et qui peuvent parfois faire découvrir un consensus politique, par delà des frontières bien naturelles qui sont héritées du débat démocratique.
Ces textes, nous les avons pris en application, évidemment, de notre Loi fondamentale et des articles qui régissent le quotidien des collectivités ultramarines, et nous les avons pris également en conscience et en responsabilité pour essayer de donner un coup d'arrêt. Le résultat est déjà significatif puisque, après 9 mois d'exercice, nous avons des statistiques qui sont supérieures à l'année écoulée.
Et en même temps, il nous faut mettre tout cela en perspective : passons de Mayotte à la Guyane, chacun le sait, un territoire grand comme le Portugal, encadré par deux fleuves, superbes d'ailleurs, et avec une pression d'immigration clandestine redoutable. Même en mettant toutes les forces de gendarmerie, toute la police nationale le long de ces fleuves, je ne suis pas certain qu'il n'y aurait pas des zones de porosité indiscutables qui permettraient à des clandestins de venir piller les richesses guyanaises.
Et même en mettant en place un dispositif encore plus répressif, il n'est pas certain que Cayenne pourrait continuer d'abriter des populations clandestines, avec là aussi un sentiment de « quartier-champignon » qui se développe année après année, et donc la très grande difficulté, pour les élus locaux de maîtriser, là aussi, les PLU, les plans d'occupation des sols, et l'ensemble des dispositifs qui permettent d'adapter les politiques publiques locales à la réalité de l'évolution du terrain.
Ajoutez à cela la perspective d'une évolution démographique dynamique - plus de la moitié de la population a moins de 25 ans - et vous comprenez que les problèmes ne sont pas derrière nous en ce moment, ils sont devant nous.
Il nous faudra faire preuve, donc, d'imagination, de créativité ; il nous faudra faire preuve d'une parfaite, pleine et entière solidarité entre l'Etat qui ne peut pas avoir un autre regard que celui porté par les élus locaux. Moi, je ne suis pas schizophrène, je suis maire, comme beaucoup d'entre vous, je suis élu local, j'ai un profond respect de l'Etat, j'attend de lui qu'il soit un partenaire très sincère et très fidèle dans l'application de ses missions. J'attends également qu'il soit respectueux des décisions des élus et qu'il soit à l'écoute des propositions de ceux-ci lorsqu'elles vont dans le sens de l'intérêt commun : c'est ce que j'avais appelé le pacte de confiance en arrivant au ministère de l'outre-mer, et je maintien et persiste sur cette idée de pacte de confiance.
Cette confiance, je pense que nous l'avons éprouvée ensemble dans les crises, je pense que nous l'avons éprouvée ensemble dans la préparation des textes, et je pense que nous l'avons éprouvée ensemble également dans la tenue de tous les engagements que le président de la République avait pris devant les Français en 2002, s'agissant de la politique ultramarine.
Qu'il me soit permis de dire un mot sur ce point. Vous savez que, en ce qui concerne l'évolution statutaire, en dehors de l'autorité de l'Etat, s'agissant de la sécurité, de l'immigration clandestine, tout cela, c'est le même sujet, la même nécessité pour l'Etat de se doter de moyens, aux côtés des élus locaux.
Nous devons également donner une image exemplaire dans la tenue de la parole donnée. C'est ce que nous faisons en ayant déjà discuté de l'évolution institutionnelle en Guadeloupe, c'est ce que nous faisons également en discutant, en décembre et en janvier, du corps électoral en Nouvelle-Calédonie ; c'est ce que nous avons fait pour le maintien, dans le cadre de la loi de finances pour 2007, des engagements pris et du vote de la loi de programme.
C'est ce que nous faisons, avec le premier ministre, dans la volonté du correctif important au niveau financier, pour éviter qu'année après année on se retrouve avec des stocks de dettes qui s'accumulent.
Et c'est ce que nous faisons aussi en intégrant pleinement l'Outre-mer dans le dispositif du plan de cohésion social présenté par Jean-Louis Borloo, pour avoir le même rythme de développement et de production, avec notamment des crédits supplémentaires pour le logement social - 30 millions l'année prochaine, et 30 millions les deux années suivantes, dans le cadre de la pluri-annualité qui est intégrée dans ce plan de cohésion sociale.
Je pourrais également longuement évoquer l'évolution économique, la tendance positive en matière de lutte contre le chômage, même si les chiffres sont encore beaucoup trop lourds pour être acceptables, mais nous devons retenir deux ou trois idées simples, puisque nous sommes en fin de législature.
La première idée, c'est qu'une politique publique à l'égard de l'Outre-mer, elle se pense en amont et se partage au quotidien avec les élus locaux ; je crois aux vertus de la parole donnée, et j'entends le message de ce besoin d'Etat : c'est un besoin d'Etat, d'un partenaire qui doit respecter ses engagements.
C'est la raison pour laquelle je me suis beaucoup battu pour que tous les textes qui avaient été annoncés soient inscrits à l'ordre du jour du Parlement.
C'est la raison pour laquelle je me suis beaucoup battu pour que, dans la politique de logement social, nous arrivions en fin de législature avec une situation au moins assainie, toutes les factures payées avant la fin du premier semestre 2007, et avec un cadre qui permettra aux uns et aux autres, à l'avenir, de travailler de façon responsable, raisonnable, et surtout inscrite dans la durée.
C'est aussi la raison pour laquelle je me suis beaucoup battu pour coordonner avec les représentants de l'Etat les politiques publiques aux côtés des élus locaux.
C'est également la raison pour laquelle, dans le nombre impressionnant de crises majeures que nous avons eu à traverser au cours de ces 15 mois, que ce soit le crash en Martinique, que ce soit la crise du chikungunya.
Il a fallu incarner un Etat qui soit présent, aux côtés de nos compatriotes, dans l'épreuve, dans la douleur, qui soit également directif, dans le sens le plus élevé du terme, c'est-à-dire fixer un cap, définir une méthode, gérer un calendrier et se doter de moyens.
Et c'est vrai que le chikungunya a pris tout le monde de court, à commencer par les scientifiques, c'est vrai que l'Etat s'est efforcé de réagir dans les meilleurs délais, en solidarité avec les élus locaux, et à l'issue, lorsque l'on additionne les moyens financiers qui ont été mis en place, lorsque les axes de recherche ont été établis au niveau national pour faire de la Réunion la plaque tournante de la réflexion autour des maladies émergeantes, singulièrement dans l'Océan indien, avec l'initiative, rappelée à l'instant par Jacques PELISSARD, - initiative couplée avec les élus locaux - de mettre en place un GIP qui permettra de rehausser le niveau de prophylaxie pour ne pas commettre les erreurs du passé et faire pendant 20 ans comme s'il n'y avait pas de moustiques, et comme si on n'était pas dans l'Océan indien à la Réunion, comme s'il n'y avait pas de risque de maladie émergeante...
Eh bien tout cela va dans le sens de la responsabilité, d'un Etat présent, à visage humain, mais aussi d'un Etat responsable aux côtés des élus locaux.
Et ce pacte de confiance, je souhaite vraiment qu'il serve de feuille de route pour terminer cette législature, mais également pour bien mettre en perspective le fait que le rattrapage institutionnel est engagé, même si tous les débats peuvent encore surgir, que le rattrapage économique est en voie, et il faut maintenir coûte que coûte cette nécessité d'avoir des outils dérogatoires au droit commun, notamment sur le plan fiscal, notamment sur le plan de l'exonération des charges sociales.
Je ne crois pas à une politique ultramarine qui fasse l'économie de mesures dérogatoires au droit commun pour accompagner le développement de ces îles. Je ne le crois pas. Je pense que si on remet en cause la défiscalisation, il n'y a plus de perspectives de développement économique possibles, s'il y a une remise en cause de l'exonération de charges sociales pour les entreprises, il n'y a pas de perspectives de développement pour celles et ceux qui prennent des risques, qui investissent, qui créent de l'emploi, et nous devons donc en tirer les enseignements. Tant qu'il n'y aura pas de développement à l'intérieur et dans l'enracinement des bassins régionaux, il faudra maintenir, de la part du législateur et au niveau de l'Etat, ces outils dérogatoires indispensables, indiscutables.
Si certains veulent le contester, ils sont dans l'erreur, et devront rebrousser chemin pour reprendre la voie de la raison et de l'accompagnement utile, efficace, et perspicace à l'égard de l'Outre-mer.
Le même esprit doit évidemment nous animer pour toutes les réflexions qui concernent la continuité territoriale, dans la mesure où il y a de plus en plus de jeunes - la Réunion doit passer de 800 000 habitants à 1 million dans les dix années qui viennent, j'évoquais la Guyane, et c'est à peu près le même niveau de dynamisme démographique dans bon nombre de nos territoires - nous devons réfléchir à l'évolution des modalités de la continuité territoriale, au succès remporté par le passeport mobilité, puisque nous avons eu des difficultés de paiement liées notamment à la forte croissance de ce dispositif - plus de 60 000 passeports mobilité ont été délivrés depuis 2002 à des jeunes qui voulaient poursuivre leurs études à l'extérieur - mais nous devons être pragmatiques.
J'ai porté, au côté du Président de la République et du premier ministre, l'idée de l'enracinement dans l'environnement local ; c'est un élément de langage nouveau ; nous souhaitons favoriser, partout où nous nous trouvons, l'enracinement régional. Cela passe peut-être aussi par une réflexion autour de la continuité territoriale ; ce sont simplement des lignes entre Papeete et Paris, entre Pointe-à-Pitre et Paris, entre l'ensemble des villes centres et des villes-capitales de nos départements, de nos territoires, de nos collectivités, et la capitale métropolitaine.
Il faut réfléchir à une insertion à l'intérieur de la Guyane, puisqu'il y a de fortes demandes, et de la même façon à l'intérieur du bassin caribéen, pour les autres départements, et dans l'Océan indien. Et nous devons réfléchir, évidemment, de l'autre côté du Pacifique, à une adaptabilité de ce dispositif pour les jeunes qui souhaitent aller en Nouvelle-Zélande ou en Australie, auprès de nos grands voisins, pour suivre leur études.
Voilà autant d'éléments de réflexion. On pourrait évidemment longuement évoquer aussi toute la question identitaire, qui a surgi très fortement dans la société française et qui a animé avec beaucoup de vigueur cette société autour de la laïcité, de la question du respect, de la question du partage.
Je suis convaincu que dans l'attachement aux valeurs traditionnelles, l'émotion partagée, l'expression de la solidarité, la capacité aussi de faire vivre cette notion de respect quels que soient les engagements religieux, les confessions, les responsabilités sociales, syndicales, les engagements politiques, il y a une idée de l'ultramarin qui est une chance unique, pour la France, dont nous devrions bien, en métropole, nous inspirer.
C'est bien la raison pour laquelle non seulement l'Outre-mer est pleinement à l'intérieur de la République, mais peut être le lieu où ces valeurs de la République recouvrent des vertus qui n'ont jamais été altérées, et où l'on trouve également une source d'espoir et de force, une puissance qui aideront énormément notre pacte républicain à résister à tous les assauts venu de l'extérieur ou de l'intérieur.
Voilà quelques éléments de réflexion que je souhaitais partager avec vous, en vous redisant toute la reconnaissance du ministère pour la qualité des liens qui se sont établis depuis de nombreux mois avec ce ministère, composé d'hommes et de femmes qui sont des passionnés de l'Outre-mer, qui donnent le meilleur d'eux-mêmes au service de nos compatriotes, et qui, je n'en doute pas, quoi qu'il arrive, continueront à donner le meilleur d'eux-mêmes, par passion, par esprit de responsabilité et, j'ose le mot, par amour de l'outre-mer.Source http://www.amf.asso.fr, le 4 décembre 2006