Tribune de M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Libération" du 4 décembre 2006, en réponse à une tribune de Pascal Lamy dans "Libération" du 16 novembre, sur le rôle de trouble fête attribué à l'agriculture dans le cadre de la libéralisation des échanges.

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Le credo libéral de Pascal Lamy, directeur de l'Organisation mondiale du Commerce, s'est durci, comme le montre sa récente tribune dans "Libération" (16 novembre). Selon Pascal Lamy, la libéralisation des échanges serait une panacée, n'était l'agriculture pour jouer les trouble-fête. Ce tableau verse dans la caricature et ne sert pas la cause qu'il aimerait voir triompher. La libéralisation des échanges doit rester un outil maîtrisé au service du développement et de l'emploi, elle n'est pas ce toboggan miraculeux sur lequel il suffirait de se laisser glisser.
Le libéralisme favorise-t-il vraiment la paix, tandis que le protectionnisme encouragerait la guerre ? Cette affirmation fait partie de la légende dorée du libéralisme. A la veille de la Première guerre mondiale, les échanges entre la France et l'Allemagne étaient à leur sommet ; depuis une vingtaine d'années, les conflits dans le monde n'ont pas diminué, malgré l'accroissement spectaculaire du commerce.
Les mesures de protection et les subventions à la pêche sont-elles nuisibles à l'environnement ? Les coopérations régionales , les accords internationaux et les soutiens à la modernisation des bâtiments de pêche sont les premières armes contre la pêche illégale, les premiers outils nécessaires à une bonne gestion de la ressource halieutique. En outre, comment ignorer le fait que transporter les marchandises et les personnes d'un bout à l'autre de la planète apparaît aujourd'hui comme un problème environnemental ? Le commerce totalement libéralisé profite-t-il à tous, à commencer par les pauvres ? Caricature encore. Si l'on prend les échanges agricoles, la libéralisation profitera d'abord aux pays du groupe de Cairns et aux "latifundistas" d'Amérique du Sud, qui marginaliseront un peu plus les économies agricoles du pourtour méditerranéen et de l'Afrique. Nous avons sous les yeux les conséquences économiques et sociales du démantèlement des quotas textiles intervenu à l'OMC le 1er janvier 2005, avec la mainmise de la Chine sur le secteur, au détriment des pays en développement.
L'agriculture est-elle vraiment le trouble-fête des échanges multilatéraux ? Si elle occupe une place importante dans les négociations, c'est parce que les enjeux soulevés ont un impact très fort sur la sécurité alimentaire, le revenu des agriculteurs, la qualité sanitaire de nos aliments, l'environnement. L'Union européenne a fait, tout au long des négociations, des concessions substantielles. Si les négociations du cycle de Doha ont échoué fin juillet, c'est parce qu'un accord équilibré devenait hors d'atteinte. L'offre européenne, déjà très ambitieuse, n'avait reçu aucune réponse sérieuse. Bien au contraire, de nouvelles concessions ont été exigées.
Il est temps de descendre du toboggan et d'en finir avec cette logique qui, pour reprendre l'expression de Peter Mandelson lui-même, vise à faire de l'Union européenne le "banquier du cycle".
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2006