Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "France 2" le 13 décembre 2006, sur la réforme de la justice discutée à l'Assemblée nationale et sur la politique de l'environnement défendue par Nicolas Hulot.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- On va parler de la réforme de la justice qui sera abordée à partir d'aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Mais d'abord une question au maire de Nantes, c'est là que le corps de T. El-Amri a été retrouvé, cet homme qui avait disparu après un contrôle de police. Ce matin le PS demande que toute la lumière soit faite dans cette affaire ; comment est-ce que vous, maire de Nantes vous réagissez ?
R- Je trouve que cette affaire est particulièrement tragique et c'est vrai qu'il faut faire toute la lumière. C'est pour cela que je salue la décision du procureur de la République de Nantes, parce qu'il n'a pas attendu des jours et des jours, il a senti que c'était une affaire grave, il a tout de suite décidé l'ouverture d'une information judiciaire et maintenant, c'est un juge d'instruction avec la police judiciaire qui mènent l'enquête. Et cette enquête, je crois qu'elle est menée maintenant avec beaucoup, beaucoup de détermination, pour faire toute la vérité pour dégager les responsabilités.
Q- Alors, justement, on parlait de justice : c'est aujourd'hui qu'est abordée la réforme de la justice à l'Assemblée nationale. C'est une réforme qui avait été décidée après le fiasco d'Outreau, cette réforme tout le monde la voulait et puis, aujourd'hui, elle est très critiquée, comment est-ce que vous expliquez ça ?
R- Elle est critiquée, parce qu'elle est a minima et puis surtout, elle ne va pas au fond des choses. L'essentiel, vous savez, notre système judiciaire, il n'a pas forcément besoin de réforme, de réforme, de réforme et de modifications en permanence du code pénal. Il a surtout besoin de bien fonctionner avec des moyens et une organisation digne d'une justice moderne. Et aujourd'hui...
Q- Mais Outreau avait montré qu'il y avait des vrais problèmes dans l'organisation de la justice, qu'il fallait rectifier.
R- Absolument, justement, et pour que ça marche - et là, je parle d'expérience -, il faut que la justice ait davantage de moyens pour travailler. Je vais prendre un exemple concret : quand un mineur primo délinquant commet un acte qui peut être grave, même si ce n'est pas un crime et qu'il ne mérite pas la prison, il faut qu'il y ait un jugement, une sanction, une mesure éducative et quand un mineur ne peut pas être convoqué, faute de moyens du juge d'instruction, de l'ensemble de la chaîne judiciaire, avant quatre mois, lorsqu'il vient devant le juge, quatre mois après, il a déjà oublié ce qu'il a fait et il a l'impression de l'impunité. Donc cela veut dire que notre système marche mal et si l'on veut qu'il soit efficace, que la justice soit rendue avec autorité, et respectée, il ne faut pas accumuler les textes après les textes. Là, on a l'impression que le Gouvernement est dans l'improvisation. Et surtout, ce que je souhaitais avec mes amis socialistes, c'était que ce soit un sujet au coeur du débat présidentiel, que la réforme se fasse après que les Français aient fait leur choix.
Q- Mais qu'après Outreau, il ne fallait pas faire vite pour éviter d'autres grosses erreurs judiciaires ?
R- Faire vite sur quoi ? Si on veut être concret, nous, ce que nous avons demandé, sur des affaires extrêmement compliquées - c'était le cas pour Outreau -, qui mettent en cause la dignité et la liberté des personnes - parce qu'il y a des gens qui sont restés deux ou trois ans en préventive et qui étaient innocents - c'est la collégialité des juges d'instruction. Et puis...
Q- Cela sera dans le projet.
R- Oui, mais avec peu de moyens. Par ailleurs, je pense qu'il faut être clair sur la mise en détention provisoire. Lorsque cette mise en détention provisoire n'est pas indispensable à la découverte de la vérité, il faut en user avec parcimonie et ce n'est pas la solution qui est proposée. Le texte prévoit un réexamen régulier du cas des détenus provisoires pour éviter justement ces détentions interminables. Oui, je voudrais quand même être concret, parce que ça suffit d'accumuler toujours et faire des annonces de textes, parce que quand un juge d'instruction demande la mise en détention d'une personne, que le procureur demande aussi la mise en détention d'une personne, son cas est présenté au juge des libertés. Et quand le juge des libertés, qui a un dossier épais comme ça à examiner le soir, vers 20 heures, 21 heures, et doit décider, oui ou non, la mise en détention d'une personne, il n'a pas le temps de regarder le dossier, il n'a pas les moyens de regarder le dossier, alors qu'est-ce qu'il fait ? Il s'en remet souvent à l'avis, à la demande du juge d'instruction ou du procureur de la République. Donc, le travail de fond qui devrait être par les magistrats, qui le demandent et qui l'exigent même, n'est pas fait, faute d'organisation et de moyens. Donc si l'on veut vraiment rendre notre justice crédible, ce n'est pas en alourdissant en permanence le code pénal, en le rendant inapplicable, c'est aussi en donnant à la justice de vrais moyens. Quand il manque ici une secrétaire pour taper les jugements ou les transmettre ou lorsqu'il manque un greffier, le travail n'est pas fait, le retard s'accumule et la justice n'est pas rendue dans la dignité.
Q- Il manque combien au ministère de la Justice pour fonctionner efficacement ?
R- Je pense que c'est un plan pluriannuel de, je dirais, peut-être un milliard, un milliard et demi d'euros. Mais sur plusieurs années, si l'on fait l'effort, si l'on réforme la carte judiciaire, par exemple, parce que là il faut du courage...
Q- C'est-à-dire moins de tribunaux ?
R- Oui, il y en a un peu partout avec très peu de jugements et donc, finalement, il y a une dispersion des moyens. Je pense que si l'on veut vraiment que la justice soit respectée, que les Français aient confiance - parce que c'est ça la question : les Français finissent par douter de leur justice, ils ont l'impression que la justice n'est pas assez sévère ou qu'elle ne rend pas suffisamment vite ses décisions -, il faut que la France se donne les moyens. Parce que sinon, on continuera de douter de nos institutions, on doutera de la parole de l'Etat, on doutera de la parole du public. Et puis, au fond, c'est la démocratie, à ce moment-là, qui est en crise.
Q- Un mot sur la Nouvelle-Calédonie, c'est aussi un texte qui sera examiné aujourd'hui à l'Assemblée : il s'agit que seuls les électeurs qui sont arrivés avant 1998 puissent voter. Là, les socialistes sont d'accord.
R- Oui, nous sommes d'accord, parce que nous sommes dans la continuité des négociations qui avaient eu lieu du temps de M. Rocard, les accords Matignon, après la terrible affaire d'Ouvéa, vous vous souvenez, en 1988, avec J. Chirac et B. Pons, où il y avait eu des morts, des affrontements d'une très grande violence. Donc la paix a été trouvée après une longue négociation. Et puis après, avec Jospin, il y a eu les accords de Nouméa, qui portaient aussi sur l'évolution du corps électoral dans la période dans la laquelle nous sommes aujourd'hui. Il faut que la parole donnée après ces négociations soient respectées, c'est une question d'intérêt général. Si l'on veut que la paix civile soit respectée en Nouvelle-Calédonie, il ne faut pas tergiverser. J'ai l'impression que N. Sarkozy et ses amis jouent avec le feu, ils prennent de lourdes responsabilités.
Q- Pourquoi ? Pour quelle raison ?
R- Parce qu'on a l'impression qu'ils ne veulent pas que ça se fasse. Il faut savoir que pour que ce soit définitivement réglé, cette question du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, il faut non seulement que l'Assemblée nationale vote ce texte, donc cet après-midi, le Sénat aussi, et puis ensuite que le président de la République convoque le Congrès à Versailles. Le fera-t-il...
Q- ...Parce que c'est une révision de la Constitution.
R- Oui. Le fera-t-il avant les élections ? Moi, je le souhaite, mais c'est sa responsabilité.
Q- Hier, S. Royal a rencontré N. Hulot ; elle a dit qu'elle allait signer le pacte écologique. Si S. Royal est élue - vous êtes un de ses très proches conseillers -, est-ce que N. Hulot sera ministre de l'Environnement ?
R- Ce n'est pas le problème. Je pense que N. Hulot ne cherche pas à être ministre. Il interpelle tout le monde, il interpelle les politiques parce qu'il y a urgence, et il a raison. Les engagements et les objectifs qu'il fixe me semblent indispensables pour faire reculer le phénomène de réchauffement de la planète, l'ensemble des problèmes de pollution qui mettent en cause aussi la santé des individus sur la planète, je crois qu'il y a urgence. Mais vous savez, S. Royal s'est engagée non seulement à signer, mais à agir, parce qu'elle le fait déjà comme présidente de région mais elle l'a fait quand elle était ministre de l'Environnement. Elle ne se contente pas de parole, parce qu'il y a des tas de gens qui signent en bas et quand ils sont au Gouvernement - c'est le cas actuellement - ils font le contraire. Et donc, elle, elle a une formule qui me paraît très bonne, c'est "la politique par la preuve". Parce que ce n'est pas seulement la politique par la parole, mais la politique par la
preuve.
Q- N. Hulot souhaite la création d'un poste de vice-Premier ministre de l'environnement, est-ce une bonne idée ?
R- C'est plutôt intéressant comme idée. En tout cas, c'est une idée à creuser. On comprend pourquoi, il propose ça, c'est parce qu'il se dit si c'est seulement le ministre de l'environnement qui s'occupe de ces questions, il aura peu de pouvoir et d'influence sur l'administration, sur le ministère de l'économie et des Finances... Enfin, vous savez bien, il y a des pesanteurs considérables, et au fond, c'est cela qu'il faut changer. D'une certaine façon, si l'on veut redonner confiance aux Français dans la politique, il faut que l'on change aussi les méthodes, il faut qu'on bouscule tout ça. Je trouve que S. Royal, c'est ce qu'elle est en train de faire avec son style, son franc-parler, et c'est ce qui fait que les Français ont de plus en plus confiance. Moi aussi, je pense qu'il peut y avoir beaucoup de changements l'année prochaine.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 décembre 2006