Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à "Public Sénat" le 10 janvier 2001, sur le programme de l'activité du Sénat pour 2001 et notamment le débat sur l'inversion du calendrier électoral pour 2002.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

Propos recueillis par Gilles Leclerc
" Deux souhaits pour l'année 2001 : Que le Parlement continue à travailler sérieusement et que, d'autre part, l'opposition trouve la voie de l'union "
Gilles LECLERC : Bonsoir à tous donc et bonne année pour cette rentrée 2001 placée sous le signe de la rentrée, de la rentrée politique en l'occurrence. " Studio Ouvert " nous donne pendant une heure l'occasion de faire le point pour cette première émission à l'aube du nouveau millénaire. Avant les échéances de 2002, il y a aussi les échéances de 2001, c'est-à-dire les élections municipales. Nous sommes en pleine période de voeux, voeux du Président de la République, voeux également du Premier Ministre. Je demanderai ce soir également à nos invités de faire en quelque sorte un peu de même. Sont aujourd'hui rassemblés autour de moi :
Claude Estier, le Président du Groupe socialiste ici au Sénat, Claude Estier sénateur socialiste de Paris,
Serge Vinçon, vous êtes sénateur RPR du département du Cher,
Henri de Raincourt, merci de nous avoir rejoint, vous êtes Président du Groupe des Républicains et Indépendants, sénateur de l'Yonne,
et puis, nous attendons Nicole Borvo, sénatrice donc, représentant le parti communiste qui est en ce moment en séance et qui devrait nous rejoindre au cours de cette émission.
Tout de suite, politesse oblige, nous allons d'abord écouter ensemble les propos de Christian Poncelet, Président du Sénat. Il plante en quelque sorte le décor de l'émission de ce soir. Il plante également le décor de cette année politique 2001. Je vous demanderai d'ailleurs, les uns et les autres, de réagir aux propos du Président du Sénat. Je l'ai rencontré hier. Nous l'écoutons ensemble.
Christian PONCELET : Deux souhaits : le premier c'est que le Parlement continue à travailler, à travailler sérieusement et que, d'autre part, l'opposition, et bien, trouve la voie de l'union, n'est-ce pas, parce que je crois qu'au moment où nous allons soumettre les projets respectifs à l'appréciation du peuple souverain, il est nécessaire que l'opposition soit unie pour dire " Voilà ce que nous proposons aux Français, voilà ce que nous souhaitons, les corrections que nous voulons apporter à telle ou telle législation qui est contraire à l'intérêt général ". Je crois que voilà les deux souhaits que je formulerai.
Gilles LECLERC : Et donc est-ce à dire que vous, vous allez travailler dans ce sens là ?
Christian PONCELET : Oui, vous savez la tâche ne manque pas. Il y a un problème qui est pendant depuis très longtemps. Le problème des retraites, il faut l'aborder. Veut-on le laisser en héritage aux autres ? Il y a le problème de la réforme fiscale. Il n'y a pas un seul ministre de l'Economie et des Finances, quelle que soit sa sensibilité qui en ait parlé. On n'avance pas. Il y a le problème de la réforme de l'éducation nationale. Qui ne se souvient des propos prononcés par M. Allègre ? Qu'a-t-on fait ? On ne fait rien. Donc, par conséquent, j'ai le sentiment qu'il est grand temps d'aborder les vrais réformes qui sont indispensables pour pouvoir permettre à la France de continuer d'aller de l'avant.
Gilles LECLERC : Donc, vous souscrivez totalement à l'expression qu'a employé le Président de la République de " faire de 2001 une année utile ".
Christian PONCELET : Je crois qu'il a raison, il faut faire de 2001 une année utile surtout au moment où nous avons voté la réduction du mandat présidentiel. Le mandat présidentiel est réduit à 5 ans. Alors, maintenant si vous voulez, une première année pour se préparer, pour prendre l'audition de tous les Français, pour mettre en place une administration et puis la dernière année en léthargie. Restent 3 ans pour gouverner. C'est peu pour faire les réformes. Donc, par conséquent, il y a urgence à avoir des projets bien prêts afin de pouvoir les exécuter dès que l'on entre en fonction.
Gilles LECLERC : Alors vous dites " urgent ", vous dites " année utile " mais les travaux du Parlement, et en l'occurrence de cette maison c'est-à-dire du Sénat ne vont finalement pas être très nombreux. Ses travaux ne vont pas être très nombreux, puisque, compte tenu des élections municipales, le Sénat va s'arrêter finalement bientôt, donc ça est-ce que ce n'est pas dommage ?
Christian PONCELET : C'est vrai que nos travaux vont s'arrêter mais il n'empêche que nous avons tout de même des projets extrêmement importants à examiner. Rien n'interdit que, dès demain, nous puissions aborder des grands sujets comme celui de la réforme des retraites. La réforme des retraites, plusieurs projets étaient proposés. Que le gouvernement fasse son choix et soumette à l'appréciation du Parlement le choix qu'il a fait et nous irons l'amender comme nous l'avons toujours fait d'ailleurs.
Gilles LECLERC : Alors, la semaine prochaine, il y a un projet déjà adopté en première lecture par l'assemblée qui vient devant les sénateurs qui est le dossier de l'inversion du calendrier pour 2002. Alors, dans quel état d'esprit les sénateurs, et en particulier vous, Président du Sénat, vous allez aborder cette question ?
Christian PONCELET : Ecoutez, pour tout vous dire je suis surpris qu'on ait attendu 3 ans pour présenter une modification de ces votes. Si vraiment il y avait lieu de modifier l'ordre de l'élection, il fallait le faire au lendemain de la dissolution pour dire " Cette dissolution a eu comme conséquence bien sûr de fausser un peu la consultation, dans ces conditions, dès maintenant nous demandons à inverser ". Mais on a attendu 3 ans, alors vous voyez bien c'est l'évidence qu'il y a derrière tout cela une arrière pensée très politicienne. Au bout de 3 ans on se rend compte que le bilan n'est pas aussi positif qu'on l'espérait. On se rend compte que la population n'adhère pas totalement à la démarche du gouvernement et que, par conséquent, on n'est pas certain de gagner les législatives. Et si on ne les gagne pas ces législatives, on sera par conséquent en position difficile pour les présidentielles. Donc rapidement évitons, n'est-ce pas, de soumettre au pays, dans le cadre des législatives département par département, les réalisations que nous avons faites ou pas faites. C'est manifestement une manoeuvre politicienne.
Gilles LECLERC : Mais vous, M. Poncelet, vous êtes un gaulliste. Tout le monde le sait bien. Remettre l'élection présidentielle comme l'élection principale, l'élection reine, c'est quand même conforme à l'esprit de nos institutions tout de même.
Christian PONCELET : Il n'y a aucun texte, nulle part, qui le précise. D'ailleurs, si vous regardez dans le passé des élections législatives ont précédé des présidentielles. Mais, si votre argument tient et pourquoi pas, il fallait le faire au lendemain de la dissolution et ne pas attendre les 3 ans. Mais on attendait les 3 ans avec l'espoir qu'au bout de 3 ans on serait en mesure de convaincre le suffrage universel de maintenir une majorité dite plurielle à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas le cas et par conséquent on change les dates.
Gilles LECLERC : Donc, à vous entendre, vous semblez dire qu'au fond, il faut que la majorité du Sénat combatte très sévèrement ce texte.
Christian PONCELET : La majorité du Sénat, comme toujours n'est-ce pas, elle ne va pas faire un combat pour le combat. Elle va simplement dire ce qu'elle pense, dénoncer le caractère politicien d'une telle démarche, voir les modifications qu'éventuellement on peut apporter. J'entendais l'autre jour dire que le Premier ministre envisageait de démissionner. Je ne sais pas s'il le fera, vous savez il faut toujours être prudent, mais imaginez qu'il démissionne demain, par conséquent nous voilà replacer dans la situation antérieure. Il faudra refaire un nouveau projet pour remodifier l'ordre des élections. Donc, il y a quelque chose qui ne colle pas dans tout cela. Par conséquent, le Sénat le dira et il ne fera pas contrairement à ce que j'entends dire ici et là...
Gilles LECLERC : Il n'y aura pas d'obstruction.
Christian PONCELET : ...une politique d'obstruction. Non, le Sénat n'a jamais pratiqué cette démarche. Le Sénat est une institution sérieuse qui amende. D'ailleurs, il m'est agréable de vous dire que plus de 65-70 % des amendements présentés par le Sénat sont retenus par le gouvernement à l'Assemblée nationale. Nous faisons notre travail sérieusement, dans la sérénité.
Gilles LECLERC : Alors, vous confirmez donc bien que ce texte vient en discussion les 16 et 17 janvier ici.
Christian PONCELET : Oui, il est inscrit pour le 16. Par conséquent, il y aura bien sûr des interventions de nombreux sénateurs, parce que c'est un texte qui touche aux institutions, ne l'oublions pas, et par conséquent on ne peut pas là, au détour d'un débat écourté, n'est-ce pas, régler cette affaire. Ce sujet mérite que chacun s'exprime, mérite qu'il y ait des explications et que des arguments soient développés.
Gilles LECLERC : Alors, il y a un autre texte, M. le Président, je sais, qui vous tient à coeur, c'est le statut de l'élu local. C'est également un texte qui va venir pendant cette première session.
Christian PONCELET : Oui, ce texte est le résultat d'une constatation. Les assemblées, qu'il s'agisse des assemblées départementales, régionales ou nationales (Parlement et Sénat) de plus en plus sont composées d'élus venant des grandes administrations ou du secteur public et par conséquent ce n'est pas cela une démocratie. Dans une démocratie toutes les catégories doivent être représentées. Je constate, et personne ne peut le contester, que les Français ne sont pas égaux en ce qui concerne l'accession aux responsabilités par la voie élective. Donc, par conséquent et pour reprendre une formule consacrée, il y a quelque chose à faire. Il faut qu'il y ait un statut qui apporte à l'élu issu du secteur privé, comme c'est le cas pour le secteur public, une protection, une indemnisation et la possibilité d'une réinsertion lorsqu'il aura quitté son statut d'élu.
Gilles LECLERC : Là, vous sentez le gouvernement prêt à vous suivre sur cette ligne là.
Christian PONCELET : Bien, j'espère que devant l'évidence il adoptera une démarche comparable à celle qu'il a adoptée en ce qui concerne la pénalisation excessive des élus, n'est-ce pas. J'ai mis à peu près un an et demi à convaincre le gouvernement qu'il était nécessaire d'accepter la proposition de loi Fauchon pour éviter les excès que nous constations et qui conduisaient à considérer que pour un oui ou pour un non, l'élu était mis en examen.
Gilles LECLERC : Alors, il y a des élections municipales, c'est très important. Comment, de votre point de vue, les sénateurs vont regarder cette élection ou sans doute y participer. On est à 2 mois des échéances, c'est quelque chose qui va peser tout de même dans la vie politique, ce seront les dernières échéances avant celles de l'année prochaine.
Christian PONCELET : Ecoutez, oui, en ce qui concerne le Sénat, il ne nous échappera pas qu'ayant par la constitution vocation à être très attentif à ce qui se passe dans les collectivités territoriales, nous allons bien sûr veiller à ce que les élus disposent des moyens de bien administrer leur collectivité mais je vais dire que j'ai continué aussi la démarche que j'ai engagée dès que j'ai accédé aux responsabilités qui sont les miennes aujourd'hui, à travailler à ce qu'au niveau des collectivités territoriales, comme il est souhaitable que ce soit la même chose au niveau de l'Etat, il y ait une entente entre les formations qui appartiennent à l'opposition. On peut avoir des sensibilités différentes, on peut avoir sur certains sujets une approche diverse n'est-ce pas, mais l'essentiel c'est qu'on soit en mesure, au niveau local comme au niveau national, de présenter aux Français un projet, un projet cohérent sur les grands sujets. Je crois que nous sommes attachés aux mêmes valeurs et que nous sommes suffisamment adultes pour concevoir ensemble un projet à présenter à l'appréciation du peuple souverain sans pour autant que les uns ou les autres soient contraints à renoncer à ses identités. L'essentiel c'est que nous travaillons ensemble pour faire prévaloir l'intérêt général.
Gilles LECLERC : Vous êtes plutôt favorable tout de même au projet de fusion, d'union, de MM. Balladur et Juppé.
Christian PONCELET : Ecoutez, empruntons la démarche la plus pragmatique, n'est-ce pas. Avant le mariage, il y a parfois les fiançailles parce que si on se marie trop vite, c'est le divorce. Donc, par conséquent, je ne suis pas du tout hostile à ce qu'il y ait à terme une fusion si cela doit apparaître, mais commençons progressivement à réaliser d'abord un projet ensemble, ensuite à avoir je dirai une sorte de confédération où nous pourrions déterminer précisément les investitures, déterminer les actions à conduire en commun ce qui ne nous empêchera pas, sur certains sujets, de diverger ; c'est cela la diversité qui fonde une démocratie.
Gilles LECLERC : Merci M. le Président.
(Source http://www.senat.fr, le 5 février 2001)