Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, dans "Le Généraliste" du 19 janvier 2007, sur la réforme de l'assurance maladie et de la politique de santé.

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LE GÉNÉRALISTE : Au cours de la dernière législature, l'UDF n'a pas ménagé ses critiques concernant la réforme de l'Assurance maladie et cela a même conduit une majorité de ses députés à voter contre les derniers Plfss. Dans les cinq années à venir, faut-il prévoir des retouches ou une révision complète du dispositif mis en place en 2004 ? Que reprochez-vous à cette réforme ?
François Bayrou : Avant tout, le manque de vision stratégique et de crédibilité de cette réforme. L'autre raison est l'aggravation de la crise dans tout le secteur de la santé : à l'hôpital, où trois quarts des établissements sont dans le rouge, comme chez les médecins. L'urgence est de mettre fin aux mesures de court terme pour privilégier le long terme, en cessant de considérer que chaque alternance impose de tout reprendre à zéro. Sur la méthode, il convient d'associer les acteurs qui doivent être acteurs de la décision en amont et responsabilisés. Cette méthode entraînera une réflexion sur l'organisation du système lui-même. Je plaide pour la régionalisation de la politique de santé, parce que certaines démarches et projets peuvent être très différents selon les secteurs géographiques. Mais la voie cruciale à choisir est celle de la prise en charge globale du patient et de la prévention. C'est la stratégie la plus déterminante pour améliorer le niveau de santé de la nation et obtenir, dans le même temps, des économies.
LE GÉNÉRALISTE : Point central de cette réforme, le dispositif du «médecin traitant » vous paraît-il un succès ou un échec ?
François Bayrou : Je crois peu au médecin traitant comme distributeur de ticket d'accès gratuit au spécialiste, mais je crois beaucoup au médecin traitant comme acteur et responsable de la prévention. Mais ce qui me gêne, c'est que ce système crée une médecine à deux vitesses. Il y a, d'un côté, ceux qui sont prêts à payer plus pour aller voir directement le spécialiste dans des délais raisonnables, en étant moins bien remboursés et, de l'autre, ceux qui ne pourront pas se le permettre.
LE GÉNÉRALISTE : Face à l'importance du déficit des comptes sociaux, jugez-vous indispensable une réforme du financement de l'Assurance maladie. Et, si oui, quelles solutions préconisez-vous ?
François Bayrou : Rien ne justifie que l'emploi salarié, doive supporter à lui seul la solidarité nationale dans tous les domaines de la santé et de la protection sociale. Certains défendent l'idée de la TVA sociale, comme au Danemark, mais soyons conscients que la TVA sociale ne pourra soutenir, à elle seule, de tels transferts ; d'autres évoquent la CSG, dont le taux est déjà élevé. Je soumets au débat l'idée d'une « cotisation sociale universelle », fondée pour l'entreprise sur la valeur ajoutée. Je demande, par ailleurs, qu'il soit mis à l'étude l'idée d'un prélèvement direct d'une fraction extrêmement faible, de l'ordre d'un millième ou d'une fraction de millième, des sommes qui circulent dans les échanges bancaires, dans un cadre européen.
LE GÉNÉRALISTE : Au cours de cette dernière mandature, votre parti a entrepris de sonder et de rencontrer les acteurs de santé. Les médecins libéraux vous semblent-ils "avoir le moral" ? Quels enseignements tirez-vous de cette consultation pour l'avenir de la médecine libérale ?
François Bayrou : Le premier élément de cette consultation qui m'a frappé, c'est le taux exceptionnel de réponses : 14 000 réponses pour une profession aussi surchargée de tâches, médicales et extra-médicales. C'est un cri et c'est une mise en cause. Cette enquête a révélé la profondeur du désarroi du monde médical, dont les causes sont nombreuses : les changements brutaux induits par les multiples réformes mises en oeuvre sans concertation préalable ; le poids de l'administratif qui rend la charge de travail des praticiens insupportable et nuit à la qualité des soins ; l'instauration d'une médecine à deux vitesses, l'irréalisme de certaines réformes... J'en tire principalement l'enseignement de l'envie des médecins de participer à une réflexion sur leur métier ; de leur souhait que l'on éduque les assurés et, en particulier, ceux qui pratiquent le nomadisme médical et de leur déception de ne pas avoir le temps de faire davantage de prévention.
LE GÉNÉRALISTE : Dans la profession, beaucoup s'inquiètent des difficultés démographiques. Quoique nombreux à s'inscrire en faculté de médecine, les jeunes semblent réticents à choisir la médecine générale. Comment faire pour que cette discipline redevienne attractive ?
François Bayrou : On est au bord de la désertification médicale dans de nombreuses régions et dans plusieurs spécialités. Il faut une politique active de restauration du tissu médical. Au temps lointain où il fallait restaurer le tissu des professeurs, on inventa les Instituts préparatoires à l'enseignement secondaire (Ipes), qui garantissaient à certains étudiants un revenu pendant une partie de leurs études, pourvu qu'ils souscrivent l'engagement de servir dix ans dans la fonction publique : une politique du même ordre, incitative, peut être imaginée pour le
tissu médical français.
LE GÉNÉRALISTE : On fait souvent le reproche au système de soins français d'être excessivement cloisonné et, notamment, de ne pas aménager suffisamment de passerelles, de réseaux et de souplesses statutaires entre la ville et l'hôpital. Partagez-vous cette analyse ?
François Bayrou : La permanence des prises en charge, de jour et de nuit, est une demande croissante qui ne peut pas être éludée. La concentration à l'hôpital de cette demande d'urgence pose des problèmes qui iront croissant. Tout le monde voit bien que la participation des médecins généralistes est nécessaire. Mais cela impose l'organisation de maisons médicales, qu'on a pourtant financièrement récemment abandonnées. Plus largement, cela impose un mouvement vers l'organisation de groupes médicaux, en réseaux, alliant des médecins, des personnels paramédicaux, d'autres personnels administratifs, avec des moyens techniques et des rémunérations adaptées. À l'autre extrémité de la pathologie, les urgences thérapeutiques réelles sont rares et relèvent de la compétence technique des établissements hospitaliers qui devraient pouvoir s'y consacrer. Il n'est pas raisonnable qu'un service hospitalier doté d'un plateau technique et d'un personnel de très haut niveau, très spécialisé, onéreux, soit utilisé pour recevoir des pathologies ressenties comme urgentes par les patients, mais que le médecin généraliste peut diagnostiquer et traiter plus vite et avec moins d'angoisse.
LE GÉNÉRALISTE : Par rapport aux autres candidats, vous mettez volontiers l'accent sur la nécessité de régionaliser davantage la prise de décision et sur la dimension européenne. Qu'est-ce que le système de santé peut attendre de l'Europe ou de la région ?
François Bayrou : Mise à part la lutte contre les grands fléaux, l'échelon national semble plus approprié pour les questions relatives à la santé. Ce cadre national est indispensable dans un pays comme la France qui se vit comme une unité et dont le principe majeur est le principe d'égalité. Mais on ne gère bien que de près, et la proximité est un principe de légitimité. L'exemple de la caisse d'Alsace-Moselle doit être médité, elle qui a pu construire à la fois un équilibre financier et une légitimité enviables. Nous pensons qu'il faut donner à la gestion de nos politiques de santé une dimension régionale. Pour que les besoins de santé soient identifiés, qu'ils obtiennent une réponse adaptée au terrain, que puissent y participer des partenaires légitimement représentés, élus sans doute un jour, chacun selon son collège, praticiens, patients, gestionnaires - et, certes, il faudra définir un juste mode de représentation -, il faut un périmètre à taille humaine. On ne gère bien qu'au plus près. Et comme l'existence d'un CHU est requise au coeur de ce périmètre, cela conduit à définir une circonscription régionale. Ainsi, les autorités administratives devront-elles avoir pour dialoguer avec elles une démocratie de la santé qui éviterait bien des erreurs et quelques injustices.
Propos recueillis par Véronique Hunsinger et Jean PaillardSource http://www.bayrou.fr, le 12 février 2007