Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général,
Vous m'avez adressé le 16 mars dernier un courrier relatif aux menaces pesant sur la liberté de la presse dans notre pays. Je vous en remercie très chaleureusement et je souhaite vous indiquer que je partage beaucoup de vos préoccupations. En matière de libertés publiques et notamment dans le domaine de la liberté de la presse, malgré quelques déclarations de principe, le gouvernement actuel s'est montré au mieux frileux, au pire inquiétant.
Je crois pourtant essentiel de garantir ces libertés et notamment l'exercice libre du métier de journaliste dans notre pays, afin que nous puissions être, en ce domaine, une démocratie exemplaire. C'est le sens des réponses que je souhaite formuler à votre questionnaire :
1- Concernant la protection des sources :
Je m'engage explicitement à inscrire dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse les dispositions prévues à l'article 109 du code de procédure pénale et à en étendre la portée aux journalistes en ligne et journalistes blogeurs exerçant sur internet. Par ailleurs, je crois indispensable d'élargir les modalités de perquisition prévues à l'article 56-2 du code de procédure pénale aux perquisitions effectuées au domicile des journalistes. Ainsi, le droit à la protection des sources sera garantie et les journalistes protégés pleinement.
2- Concernant la notion de « recel de violation du secret de l'instruction » :
L'usage fait aujourd'hui par les parquets de la notion de « recel de violation du secret de l'instruction » est contraire à la jurisprudence récente de la 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris et a été condamné par la Cour européenne des droits de l'homme en 1999. Je m'engage donc à modifier les textes existants sur ce point de manière à ce que l'usage abusif de cette notion contre la presse ne puisse plus être possible. Il en va, là encore, de la liberté d'exercice de la profession de journaliste.
3- Concernant le droit à l'image :
La nécessité de redéfinir précisément le droit à l'image et ses limites est évidente. Si cette disposition peut être utilisée abusivement pour contraindre le travail d'organes de presse, il reste indispensable d'assurer le respect du droit à l'image, souvent bafoué par des méthodes qui n'ont rien à voir avec la déontologie journalistique. Sur ce point, avant d'éventuellement revoir l'article 226-1 du code pénal, je crois indispensable qu'une large concertation ait lieu avec les professionnels de la presse afin de trouver un nouvel équilibre, garanti par la loi, entre indispensable protection de la vie privée et du droit à l'image et conditions normales d'exercices du métier de journaliste. Faute d'accord sur un nouvel équilibre, les dispositions actuelles de l'article 226-1, même si elles peuvent être détournées, représentent des garanties nécessaires.
4- Concernant la concentration des médias et le pluralisme :
Je souhaite modifier le mode de nomination des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel : lorsque, comme aujourd'hui, le président de la République, celui de l'Assemblée nationale et celui du Sénat appartiennent à la même famille politique, le pluralisme et l'indépendance ne sont plus garantis. Cette instance de régulation indépendante doit refléter dans sa composition la diversité de la société française, veiller au respect du pluralisme et garantir à l'audiovisuel une réelle indépendance, tant à l'égard de la sphère politique que de la sphère économique. L'Assemblée nationale aura la responsabilité de nommer à une majorité des 3/5èmes les membres de la nouvelle Haute Autorité du Pluralisme qui verra ainsi son indépendance et son autorité renforcées. Pour ce qui est du pluralisme, je constate que les grands médias privés sont souvent partiellement contrôlés par des groupes industriels, dont l'activité dépend pour partie de commandes de l'Etat, ce qui n'est pas souhaitable. S'ajoute un phénomène de concentration dans l'audiovisuel. La loi du 1er août 2000 sur le passage de l'analogique au numérique hertzien conciliait deux objectifs : inciter ces groupes historiques (TF1, M6, Canal +) à adhérer à la TNT (télévision numérique terrestre) et profiter de l'augmentation du nombre de fréquences pour favoriser le pluralisme et l'émergence de nouveaux groupes audiovisuels. Mais, depuis 2002, la majorité actuelle a mis à mal ce projet en renforçant la concentration. Le projet de loi sur la télévision du futur adopté récemment propose, au moment de l'extinction de l'analogique en 2011, non seulement une prolongation des autorisations des chaînes phares des groupes historiques jusqu'à 2022 mais aussi l'attribution d'une chaîne bonus (au bénéfice de TF1, Canal + et M6). A contrario, rien n'est prévu pour le service public. Ce n'est pas acceptable. En outre, le dispositif anti concentration actuel, qui date pour l'essentiel de 1986, n'a pas envisagé les développements en cours du secteur des médias, tels que :
- Le développement d'Internet qui se joue des frontières,
- L'importance de la détention des catalogues de contenus et des droits afférents, qui pose la question de l'accès aux oeuvres ou aux droits pour les nouveaux entrants et les TV locales ou associatives moins riches,
- L'importance des normes propriétaires pour les supports physiques (exemple des nouvelles normes DVD non compatibles entre elles) ou immatériels (consoles de jeux vidéo, décodeurs, lecteurs numériques portables) qui sont autant de freins à la concurrence,
- La stratégie de développement autour de leur marque des opérateurs privés historiques de télévision et radio qui investissent dans toute la sphère média.
Dans ce contexte, mon objectif sera de faire émerger un nouveau dispositif de contrôle en mesure d'assurer la diversité des contenus et un pluralisme réel qui pourrait s'appuyer sur la définition d'un seuil d'audience à déterminer, à ne pas dépasser pour un groupe audiovisuel (proposition faite par le rapport Lancelot), sans interdire pour autant le développement de groupes français multimédia puissants capables de faire face à la concurrence internationale.
5- Concernant les lois mémorielles :
Je suis évidemment opposée à toute vérité officielle en matière historique qui dissuade la recherche scientifique, voire l'argumentation polémique sans laquelle il n'est de mémoire vivante. La liberté de la presse doit être préservée. Je pense néanmoins que les propos négationnistes sur les génocides ne doivent pas être tolérés.
6- Concernant les labels sur internet :
La question de la labellisation des sites Internet a suscité, au cours des derniers mois, des initiatives multiples.
Le projet de Commission de déontologie des services de communication au public en ligne soulève des interrogations tant au regard de la méthode (un projet de décret élaboré dans l'ombre) qu'au plan des objectifs poursuivis. Je souscris, naturellement, à l'objectif de protéger les mineurs vis à vis de contenus dangereux. Il reste que le projet de décret donne des compétences trop larges, et surtout mal définies, à cette commission. Celle-ci aurait, en effet, la possibilité d'accorder et de retirer des labels de confiance aux services de communication en ligne, notamment aux hébergeurs de sites et de blogs, aux fournisseurs d'accès Internet et aux opérateurs de téléphonie mobile. Le périmètre de compétences de cette commission devrait être précisé. Et sa composition élargie. On ne crée pas une commission de cette nature, en catimini.
La labellisation proposée par le rapport Tessier vise d'autres objectifs. Je souscris à l'objectif d'abaisser la TVA pour les sites d'information qui souhaitent diversifier leurs revenus en faisant payer pour une partie de leurs contenus, par exemple les archives. Une TVA à 5,5% permettrait une réduction importante du prix de vente des abonnements payants ce qui en augmenterait l'attractivité. Encore faut-il déterminer de manière objective le périmètre des services en ligne qui pourraient bénéficier de ce taux réduit. Le rapport Tessier ne passe pas sous licence les nombreuses difficultés auxquelles se heurte la démarche de labellisation qu'il préconise : qui labellise et sur quels critères ?
Toutes ces questions qui tournent autour de la tension entre liberté d'expression et responsabilité devraient faire l'objet de débats publics, ouverts à l'ensemble des parties prenantes.
7- Concernant la libre circulation sur internet :
Je suis, naturellement, soucieuse d'empêcher la propagation du "happy slapping".
L'amendement à la loi du 13 février 2007 sur la prévention de la délinquance visant le phénomène du "happy slapping" est un bon exemple de législation bâclée, rédigée dans l'improvisation et pour afficher une posture de fermeté. L'impact juridique réel de cette disposition est controversé. Si, comme le pensent de nombreux juristes, cette disposition législative interdit aux non-journalistes de diffuser des vidéos ou des photos montrant des violences sur personne, même si ces actes sont commis par les forces de police, elle devra être revue.
8- Concernant un « code de conduite volontaire » :
Je souscris aux principes énoncés dans la résolution sur la liberté d'expression sur Internet adoptée, en juillet 2006, par le Parlement européen. Il reste désormais à la traduire en actes. L'adoption de "code de conduite volontaire" pour "mettre des limites à l'activité des entreprises dans les pays répressifs" est une première étape.
Pour conclure, je tiens à affirmer ma détermination la plus forte à garantir la liberté de la presse et d'expression qui fut longtemps une des caractéristiques de notre vie démocratique et un exemple dans le monde. Au moment où, dans de trop nombreux pays, jusque dans les démocraties les plus développées, sont rognés les pouvoirs des journalistes et limitées autoritairement les conditions d'un vrai débat démocratique je fais le choix inverse : celui de la libre confrontation des points de vue et de la transparence de l'information, dans un cadre législatif modifié pour garantir ces droits. C'est ainsi que je conçois l'exigence démocratique.
Restant à votre disposition,
Je vous prie de croire, Monsieur le Secrétaire Général, en l'expression de ma considération.